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Mali: des ONG dénoncent de nouveaux crimes de guerre
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Dans son point hebdomadaire du 6 juin (à lire ici), le ministère français de la défense laisse entrevoir pourtant l’ampleur des opérations. 3.500 soldats français sont encore engagés au Mali. 105 sorties aériennes ont eu lieu ces sept derniers jours, tandis que les troupes étaient engagées dans des opérations à Gao, à Tessalit, dans la région de Tombouctou. Parallèlement, l’armée malienne, appuyée par des forces françaises, a lancé le 5 juin une lourde offensive pour reprendre la ville de Kidal, tout au nord du pays, tenue par les rebelles touaregs du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA).
C’est dans ce cadre, bien éloigné du « processus civil » désormais vanté par la France comme par le pouvoir malien, que deux ONG, Amnesty International et Human Right Watch, dénoncent les exactions et « nouveaux crimes de guerre » commis par les différentes parties, en particulier par l’armée malienne.
«Les exactions et la reprise des combats pourraient exacerber encore les tensions ethniques qui sont déjà fortes, à l’approche des élections de juillet», estime Human Rights Watch. «La lutte contre l'impunité et l'adoption de mesures visant à prévenir de nouvelles violations par les forces de sécurité maliennes sont la clé de toute stabilisation durable et de la renaissance d'un pays déchiré par la guerre civile depuis plus de dix-huit mois», note Amnesty International.
Amnesty avait dès le 1er février, dans un rapport extrêmement détaillé, mis en garde les armées française et malienne contre les crimes commis dès les première semaines de l’opération Serval (c’est à lire ici). Cette fois, au terme de quatre semaines d’une mission menée en mai et début juin, l’équipe de l’ONG documente de nouvelles et graves violations des droits de l’homme, certaines datant de seulement quelques jours. Les membres d'Amnesty ont pu se rendre dans la plupart des villes du pays touchées par le conflit, y compris Tombouctou et Gao ainsi que Ségou, Mopti et Sévaré. Ils ont pu, entre autres, s'entretenir avec plus de quatre-vingt personnes, dont des enfants, qui sont détenues à Bamako et à Tombouctou, ainsi qu'avec le ministre malien de la justice.
Plus de vingt cas d’exécution sommaire
«Le bilan des forces de sécurité maliennes en ce qui concerne les droits humains depuis janvier est tout simplement déplorable», assure Gaëtan Mootoo, qui a conduit la mission de recherche d'Amnesty. Son enquête a permis de recenser des dizaines de personnes torturées par les forces maliennes après leur arrestation. Plusieurs d'entre elles ont été livrées aux soldats maliens par les forces françaises sans que les garanties nécessaires aient été prises. De même, l'équipe de l'ONG a documenté plus de vingt cas d’exécutions extrajudiciaires ou de disparitions forcées.
Les mises en garde faites lors des premiers jours du conflit n'auront donc servi à rien, tout comme les assurances données par les responsables politiques et militaires français d'exiger de l'armée malienne le respect des lois de la guerre et des conventions de Genève. L'armée malienne, mal formée, mal encadrée, traversée elle aussi par les tensions ethniques qui menacent le pays, poursuit rapines, règlements de compte et exactions diverses.
Exemple, ce qui s'est passé à Tombouctou début avril, quelques jours après une incursion dans la ville de combattants islamistes du MUJAO: cinq jardiniers touaregs travaillaient dans leurs champs lorsque qu'une patrouille de l'armée malienne est arrivée. Un témoin oculaire a raconté à Amnesty: «Les militaires maliens ont demandé à une femme de quitter les lieux. Les cinq jardiniers sont partis se cacher. Ils ont été délogés par les militaires qui les ont exécutés. Ce jour-là, les militaires français ont demandé aux gens à la peau claire de rentrer chez eux».
Autre exemple, le 26 mai, près de la ville de Gossi: trois touaregs sont arrêtés. Selon Amnesty, «ils auraient été déshabillés, forcés de s'allonger sur le sol et frappés; les soldats leur auraient marché dessus et menacé de mort». Finalement libérés, sur intervention d'un parent lui aussi soldat, deux de ces hommes seront de nouveau arrêtés quelques heures plus tard. «Leurs corps ont été retrouvés dans la brousse, à trois kilomètres de Gossi. Ils ont été enterrés par les habitants.»
Le rapport d'Amnesty pointe également les cas de mauvais traitements voire de tortures infligés à des personnes suspectées de faire partie des groupes islamistes et rebelles. Plusieurs victimes racontent les sévices infligés dans des commissariats ou des bases contrôlés par l'armée malienne ou lors de transferts. Ainsi trois touaregs, qui se disent membres du MNLA, racontent avoir été arrêtés en présence de soldats français à Ménaka, à 300 kilomètres de Gao, en février. L'un d'entre eux a déclaré à Amnesty: «Les Maliens nous ont attachés et battus devant les Français alors que ces derniers pointaient leurs armes sur nous (...) nous avons été transférés par avion vers Bamako, nous avons été battus durant le voyage en avion».
Les violences sont également fréquentes dans la prison centrale de Bamako, où cinq personnes sont mortes entre le 11 et le 14 avril, des suites de ces mauvais traitements et faute de soins médicaux. Les conditions de détention y sont souvent déplorables: Amnesty citent l'exemple de deux cellules de 25 mètres carrés où s'entassaient 34 et 21 détenus. Des enfants âgés de 13 à 17 ans, souvent recrutés de force par les différents groupes islamistes, ont été détenus avec des adultes.
Des enquêtes mais pas de sanctions à ce jour
Le rapport d'Amnesty et celui d'Human Rights Watch détaillent également les exactions commises par les différents groupes armés du MNLA et du MUJAO, et insistent sur deux points précis: le recrutement d'enfants-soldats et un certain nombre de cas de violences sexueles, notamment de viols. «Une ONG locale, le groupe de recherche, d'étude et de formation femme-action, a documenté 83 cas de viols de femmes et de jeunes filles à Gao et à Ménaka commis entre mars 2012 et janvier 2013», note Amnesty.
Le ministre malien de la justice et celui de la défense, rencontrés par les enquêteurs d'Amnesty, ont reconnu que des violations des droits de l'homme avaient été commises. Des enquêtes seraient même engagées. Mais à ce jour, note l'ONG, aucune n'a abouti et pas un seul des militaires mis en cause n'a été sanctionné. La persistance de ces violences, tout comme l'impunité dont semble bénéficier leurs auteurs, menace d'empêcher toute stabilisation du pays, notent Amnesty comme Human Rights Watch. Des centaines de milliers de réfugiés dans les pays voisins et déplacés dans d'autres régions du Mali «risquent de continuer à craindre de rentrer chez eux; une telle situation pourrait empêcher une future résolution de la crise politique et humanitaire qui sévit depuis janvier 2012», prévient Amnesty.
Pour contenir les risques d'exactions et de crimes commis par des troupes maliennes, les Français et Européens se sont engagés à être intraitables ainsi qu'à réorganiser en profondeur l'armée malienne. L'Union européenne s'était engagée à déployer une mission de formation des troupes de Bamako. Cette mission a commencé début avril en accueillant un premier contingent de 600 soldats maliens. Mais il semble que cet effort de formation ne soit pas à la mesure de la déstructuration en profondeur de l'armée malienne. Par ailleurs, les attentats des groupes islamistes, les opérations de harcèlement, les embuscades incitent à des représailles souvent aveugles et peu contrôlées.
Si François Hollande et le ministre de la défense Jean-Yves Le Drian s'efforcent de mettre au premier plan l'organisation d'un processus électoral dans un pays qui serait pacifié, ces deux rapports des ONG viennent rappeler que très loin des fictions politiques actuellement construites à Bamako, la réalité de la guerre est toujours là.