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En Grèce, la bataille de l'audiovisuel public se poursuit face à un nouveau pouvoir

Lien publiée le 27 juin 2013

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

(Mediapart) Athènes, de notre correspondante

Dans une Grèce toujours sans audiovisuel public, ce sont ses journalistes licenciés qui ont annoncé la composition du nouveau gouvernement, mardi soir. Un an tout juste après sa prise de fonction, le premier ministre Antonis Samaras a été acculé à remodeler son exécutif. Sans surprise, le nouveau gouvernement a perdu l'une de ses trois composantes, le petit parti Gauche démocratique (Dimar), qui avait annoncé vendredi son départ de la coalition en raison de son désaccord avec la fermeture unilatérale de ERT décidée par Samaras. Un audiovisuel public qui est toujours baillonné malgré la décision rendue par le Conseil d’État de rétablir le signal, ce que refuse le premier ministre.

« Alibi de gauche » de ce pouvoir farouchement conservateur, comme l'écrivent de nombreux commentateurs, Dimar avait pu freiner, légèrement, sur certains dossiers pendant cette première année de gouvernement Samaras. Il avait notamment cherché, mais en vain, à faire passer une loi pour lutter contre les crimes racistes.

C'est donc un gouvernement bipartite qui a pris ses fonctions le 25 juin, dans lequel le PASOK renforce ses positions. Mais cette coalition à deux têtes ne repose que sur une courte majorité au parlement : 153 députés sur 300. « C'est un gouvernement très affaibli, il a perdu une forme de consensus politique qu'il avait auparavant avec la coalition des trois formations », explique le chercheur en sociologie politique Michalis Spourdalakis. C'est la première fois que Nouvelle Démocratie et PASOK, rivaux historiques, vont gouverner ensemble sans l'équilibre que pouvait apporter un parti tiers. « Les Grecs ont précisément voté l'an dernier pour éliminer le PASOK ! Et c'est maintenant le PASOK qui va co-gouverner, dans une position renforcée par rapport à l'an dernier ! », ajoute Michalis Spourdalakis.

C'est en effet le parti socialiste grec qui avait mis le pays sur la voie des prêts de la Troïka et de la politique d'austérité, il y a maintenant plus de trois ans, sous la houlette de George Papandreou, alors premier ministre. Devant l'impopularité de cette politique et le désastre social qui en a découlé, le PASOK a amorcé une longue et inexorable chute (lire ici)…, allant jusqu'à ne recueillir que 12,28 % des voix lors des élections législatives anticipées, il y a un an : ce score signait la fin de 40 ans d'histoire politique, où socialistes et conservateurs avaient gouverné le pays par alternance, cumulant systématiquement à eux deux près de 80 % des suffrages.

Depuis, les sondages d'opinion attribuent au PASOK des chiffres largement inférieurs. Mais le parti détient désormais le quart des postes gouvernementaux : 11 sur les 41 que compte, au total, ce deuxième gouvernement Samaras (19 ministres et 22 ministres adjoints ou secrétaires d'État),

Comble de ce retour en force d'un parti qui n'a plus guère de représentativité, le chef du PASOK, Evangelos Venizelos, occupe dans cet exécutif remanié le poste de n°2 (« vice-président » du gouvernement), ainsi qu'un gros portefeuille, celui des affaires étrangères. Celui qui a déjà occupé neuf ministères tout au long de sa carrière a notamment conduit, en tant que ministre des finances, l'opération de restructuration de la dette et le mémorandum d'austérité de février 2012.

Personnalité soutenue par les milieux européens, il était certes resté en retrait ces derniers mois, sans position officielle dans le premier gouvernement Samaras ; mais en réalité, il était de toutes les négociations au palais Maximou – et de toutes les réunions avec la Troïka. Selon Michalis Spourdalakis, qui enseigne à l'université d'Athènes, cette présence dans le gouvernement répond aussi à un autre besoin : Venizelos et son entourage doivent rester au pouvoir s'ils veulent se protéger d'éventuelles poursuites judiciaires, alors que le PASOK et son chef sont liés à plusieurs affaires.

Nouvelle Démocratie, avec ses 125 députés, ne pouvait gouverner sans partenaire mais le PASOK, lui, n'avait carrément plus d'existence politique : « Se maintenir au pouvoir était le seul espoir pour le PASOK de survivre, décrypte Michalis Spourdalakis. Il s'était déjà transformé de parti de gauche en parti de centre gauche ; il s'est maintenant transformé un parti d'État : son pouvoir se fonde sur sa présence dans l’administration, alors qu'il n'a plus aucune base sociale. Le parti se sauve ainsi, en réintégrant l'État dans des secteurs clefs comme la politique étrangère et la diplomatie, ou encore le ministère du travail – un ministère par lequel passent d'importantes subventions européennes... C'est une ultime tentative pour récupérer une forme de pouvoir qu'il a déjà perdu. »

Il est bien peu probable que ce nouveau gouvernement satisfasse davantage les électeurs de Nouvelle Démocratie : eux aussi ont voté contre le PASOK l'an dernier. « Tout cela va avoir pour effet de déplacer les électeurs vers Aube Dorée, prédit le chercheur. Le parti néonazi critique d'ailleurs déjà Samaras pour avoir fait revenir le PASOK au pouvoir… »

Ce gouvernement avec des socialistes est aussi un gouvernement encore plus ancré à droite: la ligne dure de Nouvelle Démocratie détient des postes clefs dans ce nouvel exécutif – par ailleurs tout aussi masculin que le précédent (une seule femme ministre, trois parmi les adjoints et secrétaires d'État). Nikos Dendias est maintenu à l’Ordre public – l'équivalent d'un ministère de l'intérieur et responsable, entre autres, de nombreuses dérives répressives à l'égard des migrants, vivement contestées dans un rapport de Human Rights Watch qui vient de paraître.

Une figure issue de la droite extrême est de retour : Antonis Georgiadis, ex du parti d'extrême droite populiste LAOS et coéditeur d'un ouvrage antisémite publié dans les années 2000, déjà membre du gouvernement Papadémos (fin 2011-début 2012). Il décroche l'un des postes les plus affectés par la politique d'austérité : le ministère de la santé. Enfin, d'autres personnalités au passé sulfureux agissent en coulisses, comme Makis Voridis (voir quelques éléments de sa biographie dans cet article publié en 2011), à la tête du groupe parlementaire de Nouvelle Démocratie. À la justice, c'est un fervent opposant au projet de loi antiraciste du Dimar qui a été nommé.

Collusion d'intérêts

Le parti de Samaras tente par ailleurs de réconcilier ses diverses tendances : Kyriakos Mitsotakis, d'orientation néolibérale, resté à l'écart du précédent gouvernement, devient ainsi ministre de la réforme administrative. Il sera chargé du licenciement des fonctionnaires exigé par la Troïka – 15 000 personnes d'ici fin 2014.

De fait, les apôtres de l'austérité ne changent pas : le technocrate Yannis Stournaras aux finances ; le porte-parole Simos Kedikoglou – celui-là même qui a annoncé mardi 11 juin la fermeture de ERT… L'opposition de Syriza dénonce un « recyclage » qui ne peut cacher « l'échec catastrophique » de la politique d'austérité. La nomination au poste crucial de la réforme de l'audiovisuel public ne semble pas rassurer davantage. C'est un ancien journaliste qui a été promu : Pantelis Kapsis. Dans les couloirs de ERT aujourd'hui, toujours occupé par les employés licenciés qui continuent à émettre avec l'aide de l'UER des informations en continu sur Internet – 4,5 millions de connections étaient comptabilisées lundi – cette nouvelle était bien loin d’apaiser les esprits.

Pantélis Kapsis a déjà été porte-parole dans le gouvernement Papadémos. Il n'avait alors pas caché ses intentions de réduire le personnel de l'audiovisuel public. C'est par ailleurs une personne directement issue du système médiatique grec caractérisé par la diaploki – cette collusion entre les intérêts publics et privés, industriels et politiques, que le secrétaire général de Reporters sans frontières Christophe Deloire dénonçait mardi dernier lors de la soirée organisée par Mediapart au théâtre du Châtelet (voir ici).

Pantélis Kapsis a été en effet pendant des années directeur de Ta Nea puis de To Vima, deux journaux du groupe Dol – groupe qui fait lui-même partie des trois principaux actionnaires de la première chaîne privée du pays, Mega. Avant de devenir porte-parole dans le gouvernement Papadémos, Kapsis occupait même les fonctions de président de Dol. Ces derniers mois, il était éditorialiste au quotidien Ethnos – lui aussi actionnaire, via le constructeur Bobolas, de Mega…

« L'arrivée de Kapsis ne nous garantit pas le maintien d'un groupe public transparent et indépendant. Au contraire, nous avons très peur qu'il défende les intérêts privés et contribue à l'affaiblissement du secteur public », nous confie une journaliste dans les couloirs de ERT. Or les intérêts privés, dans l'histoire de cette fermeture de la radiotélévision publique, sont considérables : récupération des contrats pour les retransmissions sportives, obtention des marchés publicitaires, attribution des fréquences pour la télévision numérique…

De nombreuses questions restent d'ailleurs ouvertes. Par exemple, environ 700 documentaristes, cinéastes et producteurs travaillent actuellement pour ERT. Certains ont même déjà tourné l'ensemble de leur matériau, avançant les frais et contractant des emprunts pour réaliser leur travail, comme cela se faisait de coutume avec la télévision publique grecque, où l'on signait les contrats avec six mois de retard et l'on était payé bien après la diffusion.

Au-delà des 2 600 employés licenciées par décret il y a deux semaines, c'est donc toute une chaîne de production qui est aujourd'hui étranglée. Sans compter les autres questions : quid de l'argent que l'État devait à ERT ? Quid des archives audiovisuelles du pays qui étaient gérées par ERT… et des subventions européennes qui lui étaient allouées (9,8 millions d'euros) ? Quid des autres chaînes internationales (TV5 Monde, Deutsche Welle, BBC) dont la transmission est elle aussi interrompue depuis deux semaines ?

Pour le conseiller juridique du groupe, Dimitris Perpataris, « il n'y a actuellement aucune base juridique, légale, politique pour faire fonctionner l'audiovisuel public : aucun texte ne prévoit la continuité ni le fonctionnement de ERT. Nous attendons les propositions du gouvernement ».

L'annonce, ces derniers jours, de réintégrer 2 000 des 2 600 salariés dans la nouvelle entité, ne s'est accompagnée d'aucune précision sur les critères de sélection, ni sur le contenu des futures chaînes. En attendant, les salariés s'en tiennent aux principes posés depuis la brutale interruption du signal et confirmés ensuite par l'avis du Conseil d’État : « Rétablissement du signal de transmission et réintégration de tout le personnel avant toute réforme. » Ce n'est pas la formation d'un nouveau gouvernement qui va les arrêter : les salariés se sont dit prêts à saisir la cour européenne de droits de l'Homme.