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En Grèce, les multiples défis du nouveau Syriza
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Le 17 juin 2012, Syriza décrochait la deuxième place aux élections législatives, avec 27 % des suffrages et 72 sièges à l'assemblée en Grèce, suscitant la surprise européenne. Un an plus tard, l'engouement est toujours là : la gauche radicale oscille entre 20 et 28 % des voix selon les instituts de sondage, talonnant la droite de Nouvelle Démocratie (au pouvoir). Score d'autant plus étonnant que, depuis sa création en 2004, Syriza n'avait jamais dépassé 4 à 5 % aux élections. Si une partie de ce vote peut être interprétée comme une réaction de mécontentement face à la politique d'austérité, il n'en reste pas moins que la formation s'est imposée en à peine une décennie d'existence comme une force incontournable de l'échiquier politique grec, et ce malgré ses contradictions internes liées à sa constitution. Syriza est en effet composée à l'origine d'une coalition de diverses formations de gauche et d'extrême gauche, des ex-communistes pro-européens, des maoïstes, des trotskistes, ou encore des écologistes radicaux : une constellation qui a fait l'objet de nombreuses critiques de la part de ses contradicteurs.
Ces derniers jours toutefois, Syriza a fait peau neuve : la gauche radicale tenait son « congrès fondateur » dans la métropole athénienne, lors duquel les différentes composantes devaient s'auto-dissoudre pour se fondre dans un nouvel appareil, le « Syriza-EKM » (EKM pour, en grec, « Front social unitaire »). Une étape décisive dans la jeune histoire du parti, puisqu'il s'agissait à la fois de s'accorder sur un programme politique commun, d'établir de nouveaux statuts, et d'afficher une image à l'extérieur plus homogène, plus cohérente, auprès de son électorat comme de ses adversaires. Pendant quatre jours, dans le centre des congrès de Palio Phaliro, à quelques encablures du Pirée, 3 500 congressistes ont ainsi échangé leurs vues, avant le vote de la déclaration de principes du parti puis l'élection du nouveau comité central et la reconduite d'Alexis Tsipras à la présidence.
Dans cette déclaration de principes, Syriza réaffirme à la fois ses sources – « un parti fondé sur la pensée marxiste et plus largement la pensée de l'émancipation, qui tente de la faire progresser en prenant en compte tout apport théorique important » – et ses objectifs : « renversement démocratique du système politique », « organisation d'une société basée sur la propriété et la gestion sociales des moyens de production », « renversement de la domination des forces néolibérales et annulation des mémorandums d'austérité ». On y trouve les grandes lignes de son programme, à savoir l'arrêt des privatisations des biens publics, la garantie de l'accès à un certain nombre de biens fondamentaux comme l'eau, l'éducation, la santé..., l'instauration d'un revenu minimum vital, et le versement d'allocations à tous les chômeurs du pays (actuellement la durée maximale d'indemnisation est de un an pour les chômeurs ayant travaillé à temps plein).
Pour financer tout cela, le parti propose la mise en place d'un nouveau système fiscal, plus juste et plus efficace, qui s'attaquerait notamment aux sources de richesse encore protégées du pays, comme les propriétés de l'Église, et il demande à relâcher la pression budgétaire exercée sur la Grèce via une renégociation de la dette afin d'en annuler une partie et d'instaurer un moratoire sur le reste. Plus généralement, le parti défend une politique de relance, basée sur l'augmentation des dépenses sociales et le soutien à la production – en particulier dans le secteur agricole, suivant les principes de protection de l'environnement et de développement durable.
Parmi les congressistes, la plupart sont des vieux routards de la gauche grecque. Mais l'on trouve aussi de jeunes militants, et de nouveaux encartés. Syriza comptait 14 000 membres avant les élections de l'an dernier... Il en compte aujourd'hui plus du double : 35 000.
Athina Arvaniti fait partie de ceux qui ont rejoint les rangs après les élections. « J'ai trouvé en Syriza le seul parti qui permettra de changer les choses, de renverser la politique d’austérité, et de se battre pour une société plus égalitaire, plus juste. Non pas que je me reconnaisse dans toutes les positions du parti, mais c'est là que je retrouve mon combat et une raison d'espérer. » Athina Arvaniti est active depuis longtemps dans les mouvements sociaux. Résidente de la commune portuaire de Perama, ancien fleuron de l'industrie navale grecque aujourd'hui en déshérence, elle fait partie des piliers de l'assemblée de son quartier, un collectif monté dans le sillage du mouvement des Indignés il y a deux ans, et qui assure depuis collecte et distribution de nourriture pour aider plusieurs dizaines de familles dans le besoin tout en les encourageant à lutter contre la politique d'austérité.
Très présente dans les manifestations, cette mère de famille n'avait auparavant jamais rejoint un parti politique. Pour elle, adhérer n'est pas une fin en soi : « Il y a encore beaucoup de travail, il faut que les gens s'approprient le combat de la gauche, il faut que les gens comprennent qu'ils doivent se mobiliser, et ce, d'abord pour eux-mêmes ! Pour cela, il faut aussi que les membres et les cadres du parti ne s'en tiennent pas qu'aux mots et soient plus présents dans les organisations, les mouvements... Syriza doit participer davantage aux processus sociaux. »
Si Athina appelle à plus d'investissement sur le terrain, les membres de Syriza sont en réalité déjà nombreux à s'impliquer dans les collectifs de solidarité créés dans de nombreux quartiers de la métropole athénienne et dans d'autres villes du pays. Certains militants ont même impulsé la mise en place de structures autogérées, comme le dispensaire de médecins bénévoles de Thessalonique : le parti n'en fait pas la publicité, mais ses relais sur le terrain sont de plus en plus denses. Surtout, ce qui est en train de changer, c'est son tissu de sympathisants : « Le vote Syriza était essentiellement urbain, nous explique le porte-parole du parti, Panayotis Skourletis. Or pour la première fois de notre histoire, nous avons des membres dans les zones rurales. Et les noyaux grossissent dans les petites villes de province. » Sur le secteur de Corinthe et ses alentours, par exemple, le parti compte sept sections aujourd'hui contre une il y a un an. À Arta, dans le nord-ouest du pays, cinq sections couvrent désormais le terrain contre une seule auparavant.
Toute cette vague d'adhésions, si elle réjouit les membres historiques, pose à l'évidence de nouveaux défis : ces membres n'ont pas le même passé politique, certains proviennent du Pasok (parti socialiste) ou du KKE (parti communiste), d'autres ne sont pas ou peu politisés... Autant d'identités différentes qui peuvent infléchir la ligne du parti. Se pose également la question de leur représentativité : jusqu'au congrès, chaque formation composante de Syriza avait un droit de veto, ce qui excluait du processus de décision tous ces nouveaux adhérents non membres des partis préexistant à Syriza. De plus, de nombreux dirigeants assumaient une double fonction : à la fois cadre dans leur formation d'origine, et cadre au sein des instances de Syriza.
« Pour des raisons fonctionnelles, donc, mais aussi de démocratie, il fallait réformer les statuts, nous explique Natacha Theodorakopoulou, membre du comité central, réélue à l'issue du congrès. L'objectif est d'être un parti plus représentatif et mieux organisé. Cela n'empêche que nous restons une gauche plurielle ; diverses tendances continueront d'exister dans le parti. » Ce qui fait dire au chercheur en sciences politiques Georges Contogeorgis que cette refondation tient en réalité plus du changement de façade : « Si les composantes sont officiellement supprimées, elles vont continuer à exister à l'intérieur du parti, nous explique cet universitaire très critique du système politique grec. La mentalité et les orientations de Syriza ne vont pas fondamentalement changer. »
Parmi les tendances persistantes, il y a le courant de la « Plateforme de gauche », emmené par le député Panayotis Lafazanis. Déjà remarqué à l'occasion des réunions préliminaires au congrès, en décembre dernier, pour avoir déposé une motion qui avait emporté le quart des voix des participants, ce courant se caractérise par un programme économique plus radical que la ligne majoritaire, et n'exclut pas, par exemple, la sortie de la zone euro. Cette fois-ci, il a déposé quatre amendements à la déclaration de principes du parti – amendements qui, s'ils n'ont pas été adoptés par la majorité, ont recueilli un certain écho, notamment celui sur la non-reconnaissance de la dette publique et la proposition de son effacement intégral : il a conquis des voix au-delà de ses propres rangs. Dimanche, pour l'élection du comité central à la proportionnelle, la liste de la « Plateforme de gauche » a obtenu 28 % des suffrages, décrochant donc une représentation non négligeable au sein du comité central.
Parmi les courants minoritaires, les avis sont, de fait, plus mitigés quant au nouveau costume de Syriza, voire profondément clivés : « C'est une tentative de reprise en main, de centralisation au détriment du pluralisme qui faisait notre richesse », entendait-on dans les couloirs du congrès. Où l'on reproche à Alexis Tsipras d'avoir axé son discours ces derniers mois sur les questions d'organisation plutôt que sur les questions politiques, et de vouloir éviter les sujets délicats, comme ceux de la monnaie unique ou encore de la cessation de paiement : « Jusqu'où la Grèce ira-t-elle en cas de renégociation de la dette ? En cas de scénario chypriote ? En cas d'arrêt de financement de la Troïka ? Le parti ne le dit pas », pointe un proche de Lafazanis. Les composantes réticentes à l'auto-dissolution, comme le parti de Manolis Glezos, doyen du parlement et figure de la résistance grecque, ont finalement obtenu un répit de quelques mois.
Nourries par la crainte de voir Syriza se transformer en un parti monolithique et par des désaccords sur la stratégie de Tsipras, les critiques se sont multipliées ces derniers mois dans les rangs du parti, mais aussi chez ses électeurs. Tsipras a notamment déçu quand cet hiver, il a multiplié les séjours à l'étranger et ses interventions dans diverses institutions internationales : certains y lisent un double discours, radical en Grèce, beaucoup plus centriste à l'extérieur.
D'autres au contraire défendent le rôle que Syriza doit jouer sur la scène étrangère. C'est le cas de la députée Rena Dourou, convaincue que l'enjeu de ce congrès fondateur est international : « La Grèce a été le cobaye de l'austérité au niveau européen, à présent elle doit devenir le modèle d'une stratégie radicale en termes de démocratie et de justice sociale », défend la jeune femme. Plusieurs délégations étrangères étaient d'ailleurs présentes au congrès, dont le Front de gauche français...
Mais en interne, la question d'une stratégie européenne semble bien le cadet des soucis de Syriza, même à l'approche du scrutin de juin 2014. « On risque d'avoir des élections législatives bien avant ! » lâche Natacha Theodorakopoulou. De fait, les enjeux nationaux sont multiples, et toujours aussi pressants : après la fermeture brutale et unilatérale de l'audiovisuel public le mois dernier, le gouvernement s'apprête à faire voter au parlement d'ici à la fin de la semaine un nouveau texte législatif pour entériner, entre autres, le licenciement de 4 000 personnes et la mutation de 12 500 employés dans la fonction publique. Une grève générale a d'ailleurs été convoquée demain par les confédérations syndicales du public et du privé.
Jeudi est attendu le ministre allemand des finances Wolfgang Schäuble, vendredi doit être voté le projet de loi de création du nouvel audiovisuel public alors que le blocage reste entier avec les employés de ERT... Face à un gouvernement qui ne compte plus que sur un soutien de 155 députés sur 300 à la Vouli, la gauche radicale entend bien jouer son rôle de premier parti d'opposition, et Alexis Tsipras réclame, déjà, de nouvelles élections.
Mais Syriza ne pourra éviter, un jour ou l'autre, la délicate question des alliances politiques : à lui seul, et même dans les estimations les plus hautes, il n'atteint pas la majorité. À gauche du Pasok, il ne reste plus que l'orthodoxe parti communiste – hostile jusqu'à présent à tout rapprochement avec la gauche radicale – et le Dimar (« Gauche démocratique »), né il y a trois ans d'une scission... avec Syriza.