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L'impossible union de la gauche allemande

Lien publiée le 21 septembre 2013

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.


(Mediapart) « Êtes-vous vraiment certain qu’une coalition de gauche avec les écologistes ne pourrait pas battre Merkel dimanche prochain ? » interroge, légèrement inquiet, ce banquier français qui vient de s’installer à Berlin. Si ses connaissances de la politique allemande sont encore superficielles, cet homme de droite sait en revanche très bien compter : « Je me suis brièvement penché sur les sondages et les résultats électoraux des années passées et je ne comprends pas. Si l’on ajoute les scores du SPD, des écologistes et de Die Linke, depuis 2005, ils disposent presque toujours de la majorité, sauf en 2009. Alors pourquoi ne sont-ils pas au pouvoir ? » s’étonne-t-il.

Quand Angela Merkel devient chancelière en 2005, les trois partis classés à gauche totalisent en effet un score de 51 %. Gerhard Schröder et le SPD n’accusent qu’un mince retard sur les conservateurs. Tout de même, les sociaux-démocrates n’ont pas envie de lâcher le pouvoir et préfèrent s’allier aux conservateurs plutôt qu’au nouveau parti de gauche en cours de création. À l’époque, le Linkspartei, qui deviendra Die Linke en 2007, n’est pas encore un parti, mais déjà une union électorale qui réunit le Parti du socialisme démocratique(PDS), héritier du parti communiste est-allemand, et la toute jeune Alliance électorale pour le travail et la justice sociale (WASG), de l’ouest. Mais cette dernière a été portée sur les fonts baptismaux par Klaus Ernst, membre du syndicat IG Metall, et le transfuge Oskar Lafontaine, ancien patron du SPD et ex-compagnon de route de Schröder. Pour ainsi dire deux « traîtres » à la social-démocratie. Celle-ci exclut donc d’emblée toute alliance avec cette formation concurrente qui chasse sur ses terres et a repris le flambeau délaissé de l’égalité sociale.

Le SPD s’engage ainsi à droite. Au parti, au Parlement et dans le gouvernement de « grande coalition », les dirigeants SPD sont tous des hommes de Schröder, tel le ministre des finances, un certain Peer Steinbrück, tous convaincus du bien-fondé des réformes de l’Agenda 2010. Et avec Merkel, ils vont poursuivre le travail, notamment en introduisant la retraite à 67 ans. Même si le cas est extrême, le parcours de Wolfgang Clement, ancien « super-ministre » de l’économie et des finances de Schröder, est symptomatique de l’idéologie qui règne alors à la tête du « parti des travailleurs ». Wolfgang Clement est aujourd’hui membre de divers conseils de surveillance de grandes entreprises et soutient ouvertement le parti libéral ! Le SPD a fini par l’exclure.

Tout au long du premier mandat d’Angela Merkel, les effets des réformes de Schröder commencent à se faire sentir, surtout par l’explosion de l’intérim et des mini-jobs. La décrue du chômage ne vient que plus tard. C’est à ce moment là que le nom d’une de ces réformes, la réforme « Hartz IV », devient synonyme de pauvreté et de déclassement social. On est désormais « Hartz IV » en Allemagne comme on est « Rmiste » en France. En dépit de réelles tentatives de créer un salaire minimum universel, toutes bloquées par Merkel, l’étiquette Hartz IV colle hideusement au revers du SPD qui dérive, dès lors, tel un bateau démâté. L’addition tombe aux élections de 2009. Elle est salée. Le SPD ne recueille que 23 % des voix. C’est une défaite historique. À gauche, les Verts et Die Linke réussissent à se maintenir. Mais toujours pas d’alliance en vue.  

« Depuis, le SPD n’a jamais réussi à récupérer une grosse partie de son électorat modeste. Plusieurs millions de petites gens, déçus par Schröder, se sont surtout réfugiés dans l’abstention. La direction fédérale n’a pas non plus réussi à injecter du sang neuf et à se réformer comme l’avait pourtant promis son patron Sigmar Gabriel. Ni à reprendre les stratégies gagnantes appliquées par les sociaux-démocrates dans les Länder. Dans les régions, un autre personnel politique a su s’ouvrir et faire preuve d’attention et de proximité », analyse le politologue Felix Butzlaff, spécialiste de la gauche allemande au très renommé Institut de recherches sur la démocratie de Göttingen. Dans les Länder, le SPD a pu gagner de nombreuses élections régionales, avec les écologistes mais aussi parfois avec Die Linke (Berlin), et ainsi prendre le contrôle du Bundesrat, la Chambre des Länder.

Même si les sociaux-démocrates ont aujourd’hui admis que l’Agenda 2010 avait dérapé, qu’un correctif social est urgent, et qu’ils se battent pour l’introduction d’un salaire minimum universel apte à faire reculer un secteur de bas salaires où travaillent plus de 7 millions d’Allemands, les positions du parti et de ses dirigeants ne sont pas clarifiées : « Quand on parle de la politique des dernières années, Steinbrück et le SPD sont juges et parties de la politique de Merkel sur à peu près tous les sujets », précise Felix Butzlaff. De 2005 à 2009, Peer Steinbrück a en effet été ministre des finances dans la grande coalition dirigée par Angela Merkel. Dans l’opposition depuis 2009, lui et son parti ont aussi soutenu la majeure partie des mesures proposées par les conservateurs pour la défense de la zone euro. Dans les grandes lignes, il n’existe donc pas de domaine où la responsabilité de Peer Steinbrück soit entièrement dégagée et où la politique du SPD se différencie fondamentalement des positions de la droite allemande. « Aujourd’hui encore, le SPD et son candidat ne proposent rien de clairement différent par rapport aux conservateurs », confirme Felix Butzlaff.

La responsabilité de l’échec d’une union de la gauche n’est cependant pas que le fait des sociaux-démocrates ou des écologistes. Les incohérences de Die Linke y ont leur part. Au sein de Die Linke, on distingue en effet trois groupes. Il y a les « réalistes », souvent d’anciens Allemands de l’Est, tel l’avocat et « tireur de ficelles » Gregor Gysi. Aprés avoir co-dirigé les Länder de Saxe-Anhalt et de Berlin, ils gouvernent aujourd'hui le Brandebourg avec le SPD et sont prêts au compromis. Viennent ensuite les militants de la « Plate-forme communiste », adversaires de « l’économie sociale de marché » mais parfois aussi de l’euro. Enfin, on trouve les militants venus de l’Ouest, un groupe où se mélangent d’anciens communistes et sociaux-démocrates déçus. « Ces deux dernières mouvances défendent des positions idéologiques plus radicales, avec des propositions difficilement applicables en Allemagne, quel que soit le gouvernement. Or, le SPD, en tant que “parti de gouvernement”, a toujours favorisé les positions pragmatiques. C’est aujourd’hui leur présence qui bloque tout compromis avec le SPD », détaille Felix Butzlaff. 

Par ailleurs, longtemps déchiré par des querelles idéologiques et stratégiques internes, notamment entre les troupes d’Oskar Lafontaine et celles de Gregor Gysi, Die Linke ne donne pas au SPD des garanties de stabilité. Aujourd’hui, une coprésidence de compromis mise en place en 2012 dirige plus paisiblement le parti. Mais le fait que Die Linke n’ait pas choisi une tête de liste pour les législatives, mais plutôt huit représentants de toutes les tendances, ne le rend ni plus audible, ni plus crédible.

« Pour l’instant, il serait difficile d’imaginer que le Linkspartei puisse discuter de façon constructive avec le SPD et les écologistes de la formation d’un gouvernement. Les blessures sont encore trop profondes. Mais nous verrons bien à l’avenir », expliquait en 2005 Jürgen Peters, patron de l’IG Metall jusqu’en 2007. Lui-même membre du SPD, il a été, avec l’écologiste et patron du grand syndicat des services Verdi, Frank Bsirske, l’un des principaux promoteurs du nouveau parti Die Linke, qui, selon la stratégie d’une partie de la gauche ouest-allemande, devait ramener les sociaux-démocrates à gauche vers des valeurs plus humaines et plus égalitaires. Huit ans plus tard, l’attelage que les deux chefs syndicalistes avaient imaginé est bloqué au milieu du gué. Depuis 2005, les deux frères ennemis se sont un peu rapprochés, notamment sur la question du salaire minimum et de certaines stratégies d’endiguement de la fracture sociale, mais ils ne sont toujours pas prêts à s’unir. Et si, dimanche 22 septembre, Merkel n’obtient pas de majorité à droite, le SPD est prêt à renouveler une grande coalition.

À terme, le stratège de Die Linke, Gregor Gysi, a raison : « Le SPD ne peut avoir de chancelier sans notre soutien. Je m’attends à de sacrés troubles au SPD. De nombreux sociaux-démocrates ne veulent absolument pas retourner dans une alliance avec la CDU. »Dans la perspective des élections de 2017, Gregor Gysi propose donc que des commissions thématiques soient créées pour négocier une ligne commune, point par point. Au SPD, beaucoup savent que ce rapprochement est sans alternative et sont prêts à négocier. Mais les différences semblent encore irréductibles. Die Linke veut ainsi supprimer l’allocation Hartz IV, baisser l’âge de la retraite, interdire les exportations d’armes et les interventions militaires à l’étranger, ou encore, en vue de la construction d’une Europe solidaire, renégocier le Traité de Lisbonne. Toutes choses auxquelles le SPD tient coûte que coûte…