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    Affaire Bettencourt : « Le comportement abusif de Nicolas Sarkozy »

    Lien publiée le 9 octobre 2013

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    Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

    (Mediapart) « Le comportement incriminé de Nicolas Sarkozy, à savoir sa demande d’un soutien financier occulte (…) formulée  à Liliane Bettencourt, personne âgée et vulnérable, alors (…) qu’il est candidat déclaré à l’élection présidentielle, est un comportement manifestement abusif. » L’ancien président de la République est sévèrement égratigné dans l’ordonnance des juges de l’affaire Bettencourt, qui lui accorde pourtant un non-lieu. Mediapart a pris connaissance de ce document et en publie de larges extraits.

    C’est le grand, l’insondable paradoxe de la décision prise par les juges d’instruction de l’affaire Bettencourt. Tout en faisant bénéficier Nicolas Sarkozy, initialement poursuivi pour « abus de faiblesse », d’un non-lieu pour insuffisance de charges, les magistrats assortissent leur ordonnance de considérations très peu flatteuses, voire cruelles, pour l’ex-président de la République.

    Mediapart a pris connaissance de l’ordonnance de non-lieu partiel et de renvoi devant le tribunal correctionnel signée le 7 octobre par Jean-Michel Gentil et Valérie Noël. Un document de 267 pages, dense, méthodique, au terme duquel dix personnes, dont Éric Woerth et Patrice de Maistre, sont renvoyées devant le tribunal correctionnel pour avoir profité sciemment de l’état de Liliane Bettencourt, à l’exception notable de Nicolas Sarkozy et de l’avocat Fabrice Goguel.

    Le sort de l’ex-président occupe les pages  219 à  227 de cette ordonnance, un chapitre qui comporte quatre parties (A, B, C et D). Le moins que l’on puisse dire, à sa lecture, est que Sarkozy ne pourra pas s’en enorgueillir, ni prétendre être entièrement « innocenté »

    • A« Nicolas Sarkozy avait connaissance de l’état de vulnérabilité particulièrement apparent de Liliane Bettencourt », exposent les juges. Il avait notamment « parfaitement connaissance du handicap de surdité de Liliane Bettencourt et de ses conséquences, à savoir son impossibilité de communication, et de réelle compréhension ».

    Sur procès-verbal, Nicolas Sarkozy indique lui-même qu’« avec elle, les échanges étaient très difficiles car elle n’entendait rien. Tout le monde le savait. Il n’y avait pas de communication fluide possible, elle n’entendait pas ». Nicolas Sarkozy raconte aux juges une anecdote qui se veut révélatrice :

    « Avec Madame Liliane Bettencourt, il était impossible de parler politique devant elle pour deux raisons : elle était sourde à un niveau profond et la politique ne l'intéressait pas. » Au cours d‘un repas, voici quelques années, narre Sarkozy, « il y avait une dizaine de personnes, et madame Liliane Bettencourt me raconte qu’elle va partir avec André aux Seychelles, qu’elle aime nager. Je lui dis que moi aussi, j’aime beaucoup nager. Et là, elle dit en s’adressant à André qu’il “faut resservir le maire, Nicolas Sarkozy qui aime beaucoup manger”… »

    Les juges n’apprécient pas. « Ce bref récit qualifié d’anecdote par Nicolas Sarkozy n’a pourtant rien de pittoresque et n’est pas susceptible de divertir », écrivent-ils sèchement, en faisant référence à la définition du Larousse. « En revanche, il est parfaitement révélateur des difficultés de compréhension de Liliane Bettencourt, bien au-delà de la chose politique, ce dont Nicolas Sarkozy avait parfaitement conscience. »

    « Par ailleurs, hormis sa connaissance de la vulnérabilité apparente de Liliane Bettencourt, en raison de son handicap de surdité, il est impossible que Nicolas Sarkozy n’ait pas constaté, le 24 février 2007, la très grande fragilité particulièrement apparente de cette dame âgée (que malgré ses dénégations il a rencontrée ce jour-là), alors que cette fragilité était soulignée et décrite par le personnel qui était présent, et attestée par une permanence médicale à son domicile 24 heures sur 24 depuis le 1er septembre 2006. »

    • B« Nicolas Sarkozy s’est présenté à deux reprises au domicile d’André et Liliane Bettencourt. »

    L’ancien ministre et candidat à l’élection présidentielle n’avait reconnu, devant les juges d'instruction, qu’une seule visite, le 24 février 2007. « Ce rendez-vous du 24 févier était avec André Bettencourt, je suis formel. Je suis formel aussi pour dire qu’il n’y a pas eu d‘autres rendez-vous en 2007, 2008 ou  2009, en tout cas jusqu’au décès d’André Bettencourt », a-t-il déclaré.

    Sarkozy ajoutait : « Ce que je veux souligner, c’est que si j’étais revenu, je serais revenu dans les mêmes conditions compte tenu de mes obligations quant à mes déplacements de l’époque. »

    « C’est en raison de ces déclarations spontanées, trop affirmatives, que de nouvelles investigations étaient réalisées », écrivent les juges. « Elles ont mis en évidence des contradictions entre la version de Nicolas Sarkozy et celles des témoins, contradictions qui ont été corroborées par des éléments documentaires venant accréditer l’existence de deux visites de Nicolas Sarkozy au domicile du couple Bettencourt entre le 14 janvier 2007, date de son investiture comme candidat aux élections présidentielles, et les 26 mars 2007, date à laquelle il quittait le ministère de l’intérieur. De ces témoignages et éléments matériels, il ressort que Nicolas Sarkozy est venu à deux reprises au domicile de Liliane Bettencourt, le 24 février 2007 et auparavant, le 10 février 2007. »

    Les juges se montrent très soupçonneux, sur le rendez-vous du 24 février. « Si l’existence de ce rendez-vous de Nicolas Sarkozy au domicile de Liliane et André Bettencourt n’est pas contestée, en revanche les conditions de ce rendez-vous font l’objet de dénégations à tout le moins surprenantes de la part de Nicolas Sarkozy, notamment quant à son initiative, ses participants et son objet. »

    Sur l’origine du rendez-vous, plusieurs témoignages et indices laissent penser qu’il a été pris par un tiers, qui serait Patrice de Maistre, selon la secrétaire d’André Bettencourt. De Maistre a démenti. Mais André Bettencourt n’avait pas les coordonnées de Nicolas Sarkozy dans son agenda et les juges relèvent qu’un rendez-vous entre le président Sarkozy et Liliane Bettencourt, le 5 novembre 2008, a été « organisé à l‘initiative de Patrice de Maistre », membre du Premier cercle de l’UMP et proche d’Éric Woerth.

    Sur les conditions de ce rendez-vous, « les affirmations de Nicolas Sarkozy selon lesquelles il n’a, le 24 février 2007, rencontré qu’André Bettencourt, sont totalement démenties par les déclarations concordantes des membres du personnel de Liliane Bettencourt d’astreinte ce samedi », à savoir quatre témoins différents.

    « Il est donc manifeste que ces affirmations peu crédibles de Nicolas Sarkozy au sujet de sa rencontre avec le seul André Bettencourt, ce 24 février 2007, n’ont pour seul but que d’éviter de s’expliquer sur les véritables motifs de sa rencontre avec Liliane Bettencourt », assènent les juges d’instruction.

    Quant à la rencontre du 10 février 2007 avec André Bettencourt, que Nicolas Sarkozy dément, les juges estiment qu’il est« possible d’avancer que ce n’était pas pour remercier André Bettencourt de sa lettre du 19 janvier de la même année, puisqu’il le fera par écrit le 19 mars ».

    « En revanche, écrivent-ils, il est difficile de ne pas faire le rapprochement entre la livraison à Liliane Bettencourt, le 5 février 2007, de 400.000 euros, la remise de tout ou partie de ces espèces par Patrice de Maistre à Eric Woerth le 7 février 2007, et cette visite impromptue », trois jours plus tard.

    • C« Le rendez-vous du 24 février 2007 avait pour objet d’obtenir un soutien financier de Liliane Bettencourt ».

    Nicolas Sarkozy déclare que cet entretien lui a été demandé par André Bettencourt pour parler de sa campagne, dans une lettre du 19 janvier, et qu’il était passé le remercier. Les magistrats en doutent.

    « Les constatations faites à partir de ces lettres des 19 janvier et 19 mars 2007 », dans laquelle il remerciera André Bettencourt « sans faire aucune allusion à sa visite du 24 février »« mettent à néant les explications fournies par Nicolas Sarkozy », écrivent les magistrats.

    Selon eux, l’objet de ce rendez-vous « ne pouvait pas être de remercier André Bettencourt, dans la mesure où Nicolas Sarkozy le fera le 19 mars ». En revanche, ils rappellent les déclarations d’un témoin, selon lequel Liliane Bettencourt avait confié à cette époque que Nicolas Sarkozy était venu les voir, elle et son mari, « pour leur demander des sous ». Un élément qu’ils rapprochent de cette mention retrouvée dans les carnets de François-Marie Banier à la date du 26 avril  2007 : « De Maistre m’a dit que Sarkozy avait encore demandé de l’argent. »

    Voici ce qu’en pensent les juges : « Le comportement incriminé de Nicolas Sarkozy, à savoir sa demande d’un soutien financier occulte, nécessairement en espèces, formulée à Liliane Bettencourt, personne âgée et vulnérable, alors qu’il exerce les fonctions de ministre de l’intérieur, et qu’il est candidat déclaré à l’élection présidentielle, est un comportement manifestement abusif. »

    • D. « Il n’existe pas de charges suffisantes établissant un lien direct entre le comportement abusif de Nicolas Sarkozy et les actes préjudiciables consentis par Liliane Bettencourt de mises à disposition d’espèces. »

    « Les témoignages des membres du personnel de Liliane Bettencourt présents le 24 février 2007, lors de la visite de Nicolas Sarkozy à André et Liliane Bettencourt, attestent tous de la brièveté de cette visite. Il semble qu’il en ait été de même pour la visite du 10 février faite par Nicolas Sarkozy au seul André Bettencourt », écrivent les juges d’instruction.

    « Aussi, compte tenu de la brièveté de cette rencontre avec André et Liliane Bettencourt, il n’est pas démontré que la demande de soutien financier de Nicolas Sarkozy ait suffi à déterminer Liliane Bettencourt au comportement recherché, estiment-ils avec prudence. Par ailleurs, on ne peut exclure que cette demande ait été formulée aussi à André Bettencourt, qui était incontestablement présent. »

    « Liliane Bettencourt elle-même, lorsqu’elle se confie à François-Marie Banier, lui dit : “De Maistre m’a dit que Sarkozy avait encore demandé de l’argent. J’ai dit oui.” Ce qui démontre que, si elle n’a plus le souvenir des visites, Patrice de Maistre lui en a rappelé l’objet, et c’est à lui qu’elle a formulé son acceptation. »

    « Il n’est donc pas démontré que ce soit la demande de Nicolas Sarkozy du 24 février 2007, dans les circonstances désormais établies, qui a conduit Liliane Bettencourt aux actes gravement préjudiciables auxquels elle a consenti de mises à disposition, notamment à celui de 400 000 euros, du 26 avril 2007, puisque la responsabilité en incombe à Patrice de Maistre, et que celui-ci avait déjà obtenu un premier acte de mise à disposition le 5 février 2007, avant la visite de Nicolas Sarkozy. »

    Les juges ajoutent ceci : « Par ailleurs, il convient de noter que si les investigations démontrent que Patrice de Maistre a bien perçu les espèces livrées le 26 avril  2007 (et les autres), il n’est pas établi qu’il les ait entièrement redistribuées, Liliane Bettencourt ayant elle-même un doute à ce sujet : “Comment puis-je savoir si lui donne vraiment. Vous verrez ce que c’est l’argent…” ».

    Conclusion prudente, et un peu rapide, des juges d’instruction : « En conséquence, il sera dit n’y avoir lieu à suivre contre Nicolas Sarkozy du chef d’abus de faiblesse au préjudice de Liliane Bettencourt. »

    Au bout du compte, le passage de l’ordonnance consacré à Nicolas Sarkozy laisse un sentiment de malaise : les juges d’instruction auraient pu éviter ces considérations péjoratives s’ils estiment ne pas avoir assez de charges pour renvoyer l’ex-président devant le tribunal correctionnel.

    A contrario, s’ils pensent que les « indices graves et concordants » qui avaient justifié la mise en examen de Sarkozy sont toujours aussi solides, ils auraient pu le renvoyer devant le tribunal, afin de permettre des débats public se déroulant en sa présence, et de laisser le soin à la juridiction de jugement de se prononcer sur son cas.

    On pourra relever que les juges d’instruction se montrent encore plus cruels avec Patrice de Maistre qui, selon eux, « en parfaite connaissance de sa situation de faiblesse, s’est imposé dans la sphère personnelle de Liliane Bettencourt », pour « obtenir abusivement d’elle » une somme de 12 millions d’euros entre 2007 et 2009, en plus de son salaire de 2 millions annuels.

    Quant à Éric Woerth, l’ancien trésorier de la campagne présidentielle de Sarkozy, les juges ne font pas de détail : « Il a reçu des sommes en espèces qui lui ont été remises par Patrice de Maistre », écrivent-ils. « Les circonstances de ces remises établissent qu’Éric Woerth avait connaissance de leur origine frauduleuse. »

    Les juges tiennent pour acquis « qu’il a bénéficié à deux reprises de sommes d’argent » remises par Maistre, le 19 et le 30 janvier 2007. Pendant la campagne présidentielle.