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UIMM : "Les destinataires des fonds étaient bien les syndicats"

Lien publiée le 17 octobre 2013

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

(Le Monde) Une fois par semaine, la comptable de l'Union des industries et des métiers de la métallurgie (UIMM) prenait son sac à main, allait à la banque, retirait entre 30 000 et 200 000 euros en espèces et les déposait à son retour dans le coffre de la fédération patronale. Avec la même constance, elle détruisait ensuite les pièces comptables qui témoignaient de ces retraits. Dominique Renaud est aujourd'hui la seule femme des onze prévenus renvoyés devant le tribunal correctionnel de Paris, pour "abus de confiance" et "travail dissimulé", complicité ou recel de ces délits, dans l'affaire dite des enveloppes de l'UIMM.

En trente ans de carrière, elle n'a "jamais posé de questions" sur la destination de ces fonds. Elle a juste entendu parler des "bonnes œuvres" ou des "relations sociales" de l'UIMM. Lorsqu'en octobre 2007, un article du Figaro évoque un signalement de Tracfin, la cellule antiblanchiment de Bercy au parquet de Paris sur les importants retraits en liquide opérés par la fédération patronale, MmeRenaud passe aussitôt au broyeur, de sa propre initiative dit-elle, tout ce qui pouvait intéresser les enquêteurs.

A la présidente, Agnès Quantin, qui l'interroge, elle répond, bien droite à la barre :"Dans ma famille, on n'était même pas au courant. Je n'allais pas en parler avec des gens que je ne connaissais pas."

– "Mais 'ces gens', madame, c'était la police !"

L'anecdote résume le coup de tonnerre produit, au sein de la plus puissante fédération patronale, par l'ouverture d'une enquête judiciaire qui allait établirqu'entre 2000 et 2007, 16 millions d'euros en espèces avaient ainsi été retirés de la "caisse d'entraide professionnelle des industries et des métaux", créée dans la foulée des grandes grèves de 1968. L'enquête allait surtout bousculer un demi-siècle de traditions discrètes, de consignes transmises à demi-mots et scrupuleusement respectées et révéler un pan obscur de l'histoire sociale française.

REMISE D'ESPÈCES À DES "VISITEURS DU SOIR"

Cet héritage pèse lourd sur les épaules de l'ancien président de l'UIMM et principal prévenu, Denis Gautier-Sauvagnac. Pendant six ans d'instruction, il a opposé le silence aux questions du juge sur les usages de ces fonds, consentant tout juste àindiquer qu'une partie allait à des "compléments de salaires" et des frais de mission, qu'une autre représentait "un concours financier à des organismes, qui participe à notre vie sociale".

Mais devant le tribunal, il a enfin exprimé en une phrase simple et claire, ce qu'il s'était jusqu'à lors contenté de suggérer"Les destinataires des fonds sont bien les syndicats", a-t-il déclaré, lundi 14 octobre, confirmant les propos tenus à la barre quelques jours plus tôt par l'un de ses prédécesseurs, Arnaud Leenhardt, qui avait évoqué les "cinq syndicats représentatifs".

"Ces contributions étaient une forme de l'appui que, depuis des décennies, l'UIMM apportait à des organisations de salariés et patronales", a poursuivi M. Gautier-Sauvagnac, en évoquant la forme "officielle" – achat de journaux syndicaux ou d'espaces publicitaires à prix d'or, location de stands (dans des congrès syndicaux ou à la Fête de L'Humanité) – et celle, "directe, donc discrète", de remise d'espèces à des "visiteurs du soir""C'était en quelque sorte un abonnement", a-t-il observé. "Selon quelle répartition ?" "J'ai respecté celle que l'on m'avait indiquée", a répondu l'ancien président, qui a ajouté : "Un correspondant m'a dit un jour que j'étais plus radin que mon prédécesseur !"

"VINDICTE PUBLIQUE"

Mais Denis Gautier-Sauvagnac se refuse toujours à donner des noms. "Pendant plus de quinze ans, j'ai travaillé à la paix sociale de notre pays, noué des relations de confiance avec des interlocuteurs de tous bords. Trahir cette confiance ne serait conforme ni à mes traditions ni à mes valeurs." Aller plus loin serait prendrele risque du "désordre social" et de l'exposition de "personnes physiques honorables à la vindicte publique". L'ancien président sait aussi, et il le dit, que "les personnes ainsi désignées nieraient" et qu'il serait "dans l'impossibilité de prouver".

Un autre prévenu, Dominique Lalande de Calan, ex-délégué général adjoint de l'UIMM, a lui aussi justifié la discrétion qui a toujours prévalu sur les destinataires des fonds. "Si cela s'était su, je pense que certains auraient perdu leur emploi et leur mandat syndical."

Pendant l'instruction, il avait été encore plus clair : "Dans ce climat général de lutte des classes, observait-il, les réformistes auraient été mis au ban de la société et de leur mouvance si l'on avait su que le patronat aidait ces organismes. Cela évitait en plus le risque d'être accusé de contrepartie."

SOURIRES RETENUS

Faut-il comprendre que les "visiteurs du soir" de l'UIMM consentaient à "fluidifier les relations sociales", selon la formule des anciens dirigeants de la fédération patronale, sans en référer à leur base ? Les prévenus se gardent de l'affirmer, mais la lecture de l'avalanche de communiqués de toutes les organisations syndicales suscite des sourires retenus.

L'ancien président Daniel Dewavrin observe : "J'ai bientôt 80 ans, j'ai vu beaucoup de choses et je ne suis absolument pas étonné que les syndicats, dans un grand cri de pureté offensée, disent qu'ils n'ont pas touché d'argent." Il ajoute : "Notre position a toujours été claire : les syndicats ne sont pas nos ennemis. Et il était utile, pour le dialogue social, qu'il y ait des liens."

"Mais le dialogue social passe-t-il nécessairement par des remises d'espèces ?", s'exclame, agacée, la présidente. Un demi-siècle de tradition patronale française la regarde en silence. Réquisitoire lundi 21 octobre.