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Avis de tempête sur les économies émergentes

Lien publiée le 28 octobre 2013

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

(Le Monde) Une éclaircie aux Etats-Unis peut déclencher le tonnerre au Brésil, en Inde ou en Afrique du Sud. C'est ce qui s'est produit à la fin du printemps. En mai, la perspective d'une reprise durable aux Etats-Unis a conduit le président de la Réserve fédérale américaine (Fed), Ben Bernanke, à évoquer la fin de sa politique d'argent facile.

Or, ce signal a douché la douce euphorie régnant dans nombre de pays émergents et provoqué une tempête sur les marchés des devises. Les investisseurs ont retiré en masse les capitaux placés dans les pays considérés comme les plus risqués pour les rapatrier vers les Etats-Unis. Même si la Fed n'est pas encore passée à l'acte depuis, continuant à injecter toujours autant de liquidités – en rachetant 85 milliards de dollars (61,5 milliards d'euros) par mois de dettes publiques et privées sur les marchés financiers pour maintenir les taux d'intérêt à un bas niveau. Car l'économie reste encore convalescente outre-Atlantique, et affectée par les incertitudes budgétaires du « shutdown ».

Il n'empêche, dès le virage de la Fed envisagé, la corne d'abondance qui s'était déversée sur les pays émergents s'est transformée en aspirateur. Après le boom, place au krach. De janvier 2012 à avril 2013, un afflux net de 150 milliards de dollars a été investi dans les pays émergents, pour les deux tiers en fonds propres (actions) et pour le reste sous forme de prêts (obligations), sans compter les investissements de portefeuille, plus volatils et spéculatifs. « Mais de mai à septembre, un désinvestissement net de 40 milliards de dollars a été enregistré, qui s'est traduit par la baisse des monnaies, rendant plus difficile le financement d'infrastructures ou d'unités de production », explique Ludovic Subran, économiste en chef d'Euler Hermes. Selon l'Institut de la finance internationale, l'afflux de capitaux vers les trente économies émergentes devrait fondre de 12,6 % sur l'ensemble de l'année 2013.

Le changement de cap annoncé de la Fed n'explique pas tout, néanmoins. « C'est seulement l'étincelle qui a mis le feu aux poudres », résume Armand Castiel, associé-gérant chez Riskelia, société spécialiste de l'évaluation des risques. L'annonce du changement de politique monétaire américaine a « servi de catalyseur, car il a montré que nombre de pays étaient devenus très dépendants de l'afflux de capitaux à court terme, les investissements de portefeuille, qui ont provoqué une bulle », ajoute Yves Zlotowski, économiste en chef de Coface. Les pays les plus affectés par la fuite des investisseurs étrangers sont ceux dont la balance courante est déficitaire, à savoir le Brésil, la Turquie, l'Inde ou encore laThaïlande : « Pour financer leur déficit extérieur, ces pays sont obligés d'attirer en permanence des capitaux internationaux. Ils sont donc les premiers à souffrir de leur retrait », explique Patrick Artus, directeur des études de Natixis.

« Jusque-là, les investisseurs pensaient aveuglément que ces économies étaient florissantes et plus ou moins équivalentes », explique Bruno Colmant, économiste à l'Université catholique de Louvain. Depuis, ils se sont mis à étudier les chiffres. Ceux-ci montrent que non seulement la croissance a ralenti, mais que certains de ces pays souffrent de problèmes structurels inquiétants. Le Brésil, le Venezuela et l'Inde, par exemple, n'ont pas suffisamment profité de l'envolée des cours desmatières premières et de l'afflux de capitaux étrangers de ces dernières années pour se réformer, et notamment, renforcer leurs infrastructures.

Les investisseurs se sont également rendu compte de « la vulnérabilité de certaines de ces économies, et du risque géopolitique qui avait été négligé, ou encore des frustrations créées par une société à deux vitesses : l'Afrique du Sud, l'Inde, le Brésil et la Turquie sont de bons exemples, mais aussi l'Indonésie, l'Argentine, le Mexique ou le Maroc, ou encore la Hongrie ou la Croatie », analyse M. Subran. Le ralentissement économique des émergents « reflète des fragilités structurelles comme le climat des affaires ou les contraintes d'offres – infrastructures d'énergie de transport –, qui sont des problèmes de long terme et donc difficiles à corriger », souligne également M. Zlotowski.

LE RYTHME D'ACTIVITÉ DES BRICS DIVISÉ PAR DEUX EN TROIS ANS

La « surprise » est d'autant plus décevante que les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) avaient « changé de statut » au cours des années 2000, présentant des systèmes bancaires et des finances publiques assainis, et affrontant avec succès le double effondrement de la croissance et du commerce mondial, en 2008-2009. Des plans de relance massifs y avaient été déployés, notamment en Chine, entraînant un redémarrage économique rapide, au contraire des pays développés. Mais la demande de ces derniers restant faible, et les politiques de relance des pays émergents s'essoufflant, « la donne est en train dechanger », analyse M. Zlotowski. « Les BRICS perdent aujourd'hui de leur dynamique puisque leur croissance a été divisée par deux entre son pic de la mi-2010 (+ 7,2 %) et son niveau actuel de + 3,2 % », souligne-t-il. En tendance, le rythme d'activité y a donc été divisé par deux en trois ans : un très net changement de rythme.

Pékin, qui maintient un contrôle du taux de change du yuan, et dispose des premières réserves de devises de la planète, est le moins exposé aux mouvements financiers internationaux. Mais d'autres économies émergentes sont entrées dans une phase délicate, que la chute de leur devise vient aggraver. Le Brésil – qui avait dénoncé comme une « guerre des monnaies » la baisse du dollar naguère provoquée par la politique de soutien de la Fed – souffre désormais… du retournement programmé de cette prodigalité monétaire américaine. La baisse du real, en renchérissant le prix des importations, pèse aujourd'hui sur l'activité. A terme, en revanche, cette dépréciation bénéficiera à la compétitivité des produits brésiliens à l'exportation, mais « à condition que l'appareil productif local puisse yrépondre, ce qui suppose des politiques industrielles adaptées », souligne M. Subran. Or, le serpent se mord la queue : les banquiers centraux émergents, en Inde ou au Brésil, ont tendance à relever les taux d'intérêt… en réaction à l'inflation produite par la hausse des prix des biens importés, mais aussi pour soutenir le cours de leur monnaie et son image internationale. Et ce renchérissement du coût de l'argent alourdit aussi le financement interne des investissements. Le défi des politiques monétaires sera de trancher ce dilemme…

Les grandes économies émergentes, soulignent les experts, gardent cependant des fondations plus solides que dans les années 1980 et 1990. Si l'Afrique du Sud, le Brésil, l'Inde, l'Indonésie ou la Turquie sont aujourd'hui fragilisés – car déjà frappés ou bien exposés à une crise de change –, « on peut observer que ces crises de change y ont aujourd'hui un impact moins marqué que par le passé »,souligne M. Zlotowski. La croissance y ralentit nettement, moins que lors des épisodes précédents de crise latino-américaine ou asiatique des deux dernières décennies du XXe siècle : « L'Etat et le système bancaire ne sont pas endettés en devises, ce qui limite le risque de crise systémique. Il n'y a d'ailleurs pas eu d'appel au Fonds monétaire international. La question qui se pose davantage est celle de l'endettement en devises des entreprises et le risque de défaut des plus fragiles. » A l'intérieur même des pays émergents visés, il devrait donc y avoir des perdants.

Face à la dépréciation de leurs monnaies, ces pays n'ont toutefois pas tardé àorganiser la riposte, pas seulement en relevant leurs taux d'intérêt. Certains ont d'abord pioché dans leurs réserves de change. Le Brésil a prévu d'injecter jusqu'à 50 milliards de dollars sur les marchés d'ici décembre. D'autres ont renforcé le contrôle des capitaux. L'Inde a ainsi limité les sorties autorisées pour les particuliers et les entreprises, et a encadré strictement les importations d'or. Les BRICS, enfin, ont annoncé lors du G20 de septembre à Saint-Pétersbourg (Russie) qu'ils allaient mettre en place un fonds commun d'intervention sur les marchés des changes, doté d'une centaine de milliards d'euros. « Autant de mesures dont l'impact restera limité », analyse cependant Christian Jimenez, président de Diamant Bleu Gestion. Pour aller plus loin, suggère M. Subran, « une coordination internationale devrait être mise en place afin d'éviter que la fuite des capitaux ne dégénère brutalement, certains pays émergents dépendant des financements en dollars, mais d'autres aussi en yens japonais ou encore en yuans chinois », dont l'usage est en train de s'internationaliser rapidement.

Soumis aux grands vents de la planète finance, les pays émergents sont aujourd'hui plus vulnérables, mais ils ne sont pas dépourvus d'atouts. Le rattrapage économique qu'ils ont entamé, soutenu par l'importation detechnologies, va continuer. Mais le rythme s'annonce désormais plus lent pour certains, et le voyage moins facile.