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L’accident de Marcoule révèle la faillite du modèle nucléaire français
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
par Jean-Philippe Colson, professeur émérite à la faculté de droit de l’université Montpellier-I, auteur de "Nucléaire sans les Français" (Maspero, 1977)
Bien que qualifié de non nucléaire – comme le disait déjà la présidente d’Areva à propos de Fukushima –, l’accident de Marcoule illustre une fois de plus les dangers liés à cette énergie. Cette fois-ci, c’est le plus ancien centre industriel nucléaire de notre pays qui est atteint. Et demain ? La France possède une tradition nucléaire bien établie, avec 58réacteurs, soit près d’un réacteur par million d’habitants, ce qui en fait le pays le plus nucléarisé au monde. Cette tradition tourne à l’obstination, voire à l’idéologie. Serions-nous condamnés au nucléaire, malgré les avertissements répétés qu’il nous donne et qu’il vient de renouveler à Fukushima ? Cette obstination éclaire les constantes de notre développement nucléaire et a refusé les évolutions nécessaires à notre temps, à commencer par la prise de conscience environnementale.
La première constante est l’absence de débat public, tant sur la décision d’implantation d’une centrale que sur les grands choix de la politique nucléaire. Nul texte (pas plus la loi de 2006, aujourd’hui, que le décret de 1963, hier) ne requiert de déclaration d’utilité publique pour la création d’une centrale nucléaire ou d’un centre de stockage de déchets radioactifs.
C’est ainsi, et cela s’appelle le droit nucléaire ! Par comparaison, on peut remarquer que plusieurs pays ont, au contraire, recouru au législateur ou à des consultations populaires pour décider de leur avenir énergétique. Les renoncements au nucléaire se multiplient : Autriche, Suisse, Allemagne, Italie. D’autres pays décident de ne pas remplacer les réacteurs en fin de vie (Espagne, Suède).
La deuxième constante de la politique nucléaire de la France, c’est le secret. La liste de ces secrets est longue, qu’il s’agisse, bien sûr, du nucléaire militaire, mais aussi des transports de matières radioactives et, surtout, des incidents de sites (Saint-Laurent, le Blayais, la Hague, Tricastin, Paluel, etc.). Les dangers atomiques, ainsi occultés par le secret, le sont aussi par la publication de statistiques rassurantes sur la très faible probabilité supposée d’un accident nucléaire majeur.
Mais la réalité contredit ces probabilités. Les trois accidents de Three Mile Island (1979), Tchernobyl (1986) et enfin Fukushima (2011) sont intervenus en une trentaine d’années. Soit en moyenne un accident majeur tous les dix ans.
La troisième constante est qu’il conviendrait de faire confiance aux techniciens de l’atome. A tous les niveaux : sûreté des centrales, radioprotection, gestion des déchets radioactifs à vie longue, etc. Ainsi, depuis ses origines, le droit nucléaire français n’est pas autre chose qu’une codification de la confiance que l’on nous impose de faire aux techniciens de l’atome et aux savants. Pour cette nucléocratie, l’atome est affaire de technique, pas de démocratie.
Confiance aveugle, secret et absence de débat sont liés, se renforcent mutuellement et caractérisent depuis ses origines le développement nucléaire français. Pour le reste, circulez, dispersez-vous, irradiez-vous, le nucléaire est trop important pour être discuté.
Ces constantes se sont conjuguées avec deux séries d’évolutions. En premier lieu, la part d’électricité d’origine nucléaire dans le bilan énergétique français n’a cessé de croître. En 1975, cette part était de 8,3%. Elle est aujourd’hui proche de 80%. Nous sommes donc devenus dix fois plus dépendants du nucléaire. Et dix fois moins libres d’en sortir… Cette croissance s’accompagne d’une augmentation de notre dépendance. Il y a belle lurette que les mines d’uranium du sol français sont épuisées (depuis 1990) et que nous dépendons d’un approvisionnement étranger, avec toutes les contraintes, incertitudes et risques de conflits que cette situation comporte pour l’avenir.
La deuxième évolution est un processus continu et croissant de privatisation. Certes, EDF et Areva sont deux sociétés – encore – détenues par une majorité de capitaux publics, mais les nombreux sous-traitants auxquels elles recourent sont, eux, privés et emploient souvent des personnels intérimaires chargés de la décontamination et de la maintenance des sites. Des intérimaires qu’il suffit de changer quand ils tombent malades… Ces personnels connaissent une forte rotation et sont devenus les "nomades" du nucléaire. Une rotation qui risque d’ouvrir la voie à la répétition de ce que Nils Diaz, président de la commission de réglementation nucléaire américaine, rappelait en 2004 à propos de l’accident de Three Mile Island : "Quelqu’un aurait dû le faire. N’importe qui aurait pu le faire. Tout le monde pensait que quelqu’un d’autre le ferait. Finalement, personne ne l’a fait…"
Dans le même temps, deux évolutions nécessaires à notre temps restent refusées par le nucléaire. La précaution s’efface devant la confiance réclamée par la technocratie nucléaire. Y compris lorsque celle-ci ne sait que faire. Le démantèlement de la centrale à eau lourde de Brennilis en est l’illustration. Que fait l’industrie nucléaire ? Elle construit des réacteurs sans savoir comment elle les démantèlera sans dommage pour l’environnement ni ce qu’elle fera de leurs déchets.
Ainsi, depuis sa consécration par la loi du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l’environnement, le principe de précaution est violé par les autorisations de création de réacteurs nucléaires (Flamanville, Penly) et de centres de déchets (Bure), du fait de l’absence de données précises (techniques, environnementales et financières) concernant leur démantèlement futur et les conditions d’élimination de leurs déchets radioactifs à haute activité et/ou à vie longue. Et les réacteurs construits antérieurement ne le respectent pas davantage.
Le principe du "pollueur payeur" n’est pas non plus appliqué par le nucléaire. Envisageable pour le temps court (mais sous-estimé par Areva et EDF), il est exclu pour la gestion à long terme des déchets radioactifs (plusieurs dizaines de milliers d’années). Le long terme pose également le problème de l’irréversibilité.
Faut-il s’orienter vers un stockage à grande profondeur, c’est-à-dire irréversible, ou bien privilégier des solutions permettant aux générations futures d’intervenir ? La question n’est plus ici seulement technique, elle devient aussi éthique. Long terme, incertitude et irréversibilité se conjuguent ainsi pour reporter l’application du principe du "pollueur payeur" sur les générations futures.
Dans notre pays, le nucléaire aura donc la vie dure et toute sortie prendra plus de temps qu’ailleurs parce qu’il y est devenu une véritable idéologie. Nombreux sont cependant les chantiers d’énergies renouvelables à exploiter. Contrairement à ce que le discours dominant veut faire croire, les obstacles à cette sortie et au développement massif de ces chantiers sont plus politiques que proprement techniques.
Si les Français veulent à leur tour sortir du nucléaire, sans perdre davantage de temps, il leur reste à se convaincre que le nucléaire comporte une constante et une évolution : il est toujours aussi dangereux, et il est devenu une source d’énergie ringarde.
Article paru également danzs l’édition papier du journal Le Monde le 15.09.11.