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    Au Venezuela, reportage du Monde sur l'usine nationalisée Sidor

    Venezuela

    Lien publiée le 7 décembre 2013

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    Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

    (Le Monde) Les mains musclées, le regard las, les ouvriers de Sidor entament leur sixième semaine de grève de l'année. « Ce n'est pas nous qui ruinons l'entreprise, ce sont ses administrateurs », affirme Cruz Hernandez, délégué départemental du Syndicat unique des travailleurs de l'industrie sidérurgie et similaires (Sutiss). Autrefois fleuron de l'industrie lourde vénézuélienne, l'entreprise sidérurgique périclite doucement, à en croire les grévistes.

    En 2007, juste avant d'être renationalisée par l'ancien président Hugo Chavez, Sidor a produit 4,3 millions d'acier liquide, un record. « Elle aura du mal à atteindre la barre du million et demi cette année », affirme le technicien Johnny Luna. Les 13 320 travailleurs de l'entreprise exigent le paiement d'un arriéré de salaires et de dividendes, prévus dans la convention collective. Les négociations achoppent sur le mode de calcul. « J'ai toujours voté pour Hugo Chavez et je soutiens la révolution, soupire Freddy Cordoba. Je ne comprends pas pourquoi Nicolas Maduro, qui était syndicaliste avant de devenir président, nous ignore comme cela. »

    A 640 kilomètres au sud-est de Caracas, dans le département de Bolivar, les installations de la Sidérurgie de l'Orénoque (Sidor), s'étendent au bord du fleuve sur plus de 900 hectares. L'entreprise produit de l'acier brut et des produits semi-finis. Sidor fait partie des grandes « entreprises de base », développées dans les années 1960. Proximité des matières premières, énergie bon marché, facilité du transport fluvial, la région de Guayana et la ville de Puerto Ordaz deviennent alors le centre de l'industrie non pétrolière du Venezuela.

    « PARASITES » 

    En 1997, alors que l'Amérique latine cède aux sirènes du néo-libéralisme, Sidor est privatisée et passe aux mains d'un consortium italo-argentin, Techint. Mais Hugo Chavez ne l'entend pas de cette oreille. Sidor revient dans le giron de l'Etat, les travailleurs applaudissent. Techint qui, n'a pas payé beaucoup d'impôts et a gagné beaucoup d'argent, emmène dans ses bagages ses meilleurs cadres.

    La cause des travailleurs de Sidor inspire aujourd'hui peu de sympathie. Le président Nicolas Maduro a accusé les membres du Sutiss de conspirer contre son gouvernement socialiste, avant de les traiter d'« anarcho-syndicalistes populistes » et de « parasites ». Le coup est rude pour la vieille garde du syndicalisme ouvrier. « L'incurie de l'Etat et la voracité des travailleurs sont responsables du délabrement de Sidor », entend-on dire dans les rangs de l'opposition. Les employés de Sidor jouissent de privilèges jugés exorbitants par leurs compatriotes.

    C'est écrit sur la site Internet de l'entreprise : le « contrôle ouvrier », instauré depuis la renationalisation, permet « aux travailleurs et aux travailleuses de participer à la prise de décision en matière de la production, planification et usage efficace des ressources ». « Inutile de dire qu'on a jamais rien vu de tout ça », s'agace Freddy. Six présidents se sont succédé à la tête de l'entreprise depuis sa nationalisation. « Tous nommés pour des raisons politiques, pas pour leur connaissance de l'acier », résume Cruz Hernandez. « Tous des présidents éphémères disposés à céder à la première revendication syndicale, à intégrer les travailleurs précaires, à augmenter les salaires puisqu'ils ne leur en coûte rien », ajoute le patron d'une entreprise de sous-traitance, sous couvert d'anonymat.

    Comme Francisco Rangel, le gouverneur du département en place depuis neuf ans, le président actuel de Sidor, Javier Sarmiento, est un général. Carlos Osorio aussi, qui dirige la Corporation Vénézuélienne de Guyane (CVG), l'organisme public qui chapote Sidor et les autres entreprises de base. « Les militaires n'ont pas été formés pour écouter, ni pour négocier », continue Cruz. Selon les grévistes, la corruption gangrène toutes les instances de pouvoir. « Mais ce n'est pas notre problème. Notre consigne, c'est zéro politique », affirme Cesar Carrizal, en faisant énergiquement taire son camarade.

    PROFONDES DIVISIONS DU MOUVEMENT OUVRIER

    A Sidor comme dans le reste du pays, le mouvement ouvrier affiche de profondes divisions. « Le pouvoir chaviste n'a pas réussi à prendre le contrôle des syndicats comme il l'aurait voulu, explique l'avocat Marino Alvarado. Mais, ce faisant, il les a doublés et affaiblis. » Des syndicats « bolivariens » ont été créés à côté des syndicats récalcitrants. Les fractures se superposent. Entre chavistes inconditionnels du pouvoir en place et syndicalistes soucieux de défendre l'indépendance de la lutte. Entre la base et la direction de Sutiss, soupçonnée d'accointance avec le pouvoir, voire de corruption. Entre les vieux de la vieille du fer et de l'acier et les travailleurs précaires récemment embauchés. Mais, fort de sa longue existence, Sutiss jouit d'une légitimité certaine auprès de tous.

    Sur un point le consensus semble se faire : « Si Hugo Chavez était encore vivant, il serait venu depuis longtemps et tout serait résolu », disent les travailleurs. Décédé en mars, déifié par son parti, Chavez est une figure intouchable. En août 2012, deux mois avant d'être réélu pour la quatrième fois, six mois avant de mourir d'un cancer, le « Comandante » n'avait-t-il pas promis 314 millions de dollars pour Sidor ? C'était en direct à la télévision. « L'entreprise n'en a jamais vu le premier sou », affirme José Luis Hernandez, le président du Sutiss. Tous acquiescent. Et tous exonèrent Chavez.

    GOUVERNEMENT « INCAPABLE »

    Pourtant, à les écouter, les problèmes ne datent pas d'aujourd'hui. Faute d'investissements, de matériel, d'entretien des installations, de maintenance technologique, d'expertise, la production n'a cessé de chuter depuis la re-nationalisation. Et les conditions de travail deviennent dangereuses. « Comment voulez qu'une entreprise, où le papier hygiénique manque, exporte de l'acier au reste du monde ? », soupire Cruz Hernandez.

    Que font, au quotidien, les 13 000 travailleurs si l'entreprise tourne au tiers de sa capacité ? Doivent-ils rester chez eux ? Les syndicalistes répondent par la négative, mais deviennent évasifs. La rumeur dit que Sidor est désormais bien dotée en jeux de cartes et dominos. L'entreprise sidérurgique n'est pas la seule de la région à battre de l'aile. Ferromineras, qui extrait et vend du fer, tourne à bas régime. Son président, Radwan Sabbagh, et son principal sous-traitant, Yamal Mustafa, sont sous les verrous depuis juillet.

    Nationalisée en 2009, Orinoco Iron, qui produisait des briques réfractaires, est paralysée depuis août, après avoir tourné pendant quatre ans à 20% de sa capacité, toujours de source syndicale. Venalum, pour l'aluminium, et Bauxilum, pour la bauxite, opèreraient à 30%. « Le problème n'est pas la nationalisation, martèle un gréviste. Le problème, c'est que le gouvernement semble incapable de gérer quoi que ce soit ». La nouveauté, c'est que ce sont des chavistes qui le disent.