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Politique familiale: le pouvoir cède à la doxa libérale

Lien publiée le 16 janvier 2014

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

(Meidapart) François Hollande, avec sa promesse d'exonérer de cotisations familiales les entreprises, joue avec le feu. Le conseil d'État s'y opposait dans un rapport de mai 2013. En échange d'improbables créations d'emplois, ce choix déstabilise un modèle nataliste, protecteur, solidaire et universel.

La politique familiale, en France, au XXe siècle, de nataliste, devint universelle, pour répondre aux exigences de la solidarité sociale. Assistons-nous, au nom d’une modernisation nécessaire, à un détricotage d’une telle politique en ce début de XXIe siècle ? Sans nul doute, si l’on en juge par le « pacte de responsabilité » de François Hollande, qui promet la fin des cotisations familiales pour les entreprises et les travailleurs indépendants. De telles cotisations financent, aujourd’hui, les deux tiers de la branche famille, dont les prestations placent désormais la France au huitième rang de l’Europe, alors qu’elle proposait la politique familiale la plus généreuse du Vieux Continent au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.

Une telle exception n’avait pas une source très obligeante. À l’origine, voilà une centaine d’années, figure un cuisant constat d’échec, selon une vision nationale alors en vigueur : la France connaît un déclin démographique par rapport à l’ennemi allemand. Les années 1930 accentuent l’alarme sur la « dépopulation » de ce côté-ci du Rhin, face au regain de natalité favorisé par le IIIe Reich outre-Rhin. La réponse de la IIIe République culmine en juillet 1939, avec l’adoption du Code de la famille(accompagné d’un fâcheux statut des étrangers en France). Nous étions dans le “daladiérisme”, cette époque qui conduisit graduellement à Pétain. Si bien que ce Code de la famille mêle mesures fiscales, prêts aux jeunes ménages, aide matérielle aux« chefs de famille » et « protection de la race » (lutte contre l’avortement, l’alcoolisme, les outrages aux bonnes mœurs, ou les stupéfiants)… Le régime de Vichy n’eut guère à rompre avec la République en ce domaine, puisque la République annonçait Vichy !

Pierre Laroque 1907-1997Pierre Laroque (1907-1997)

À la Libération, Pierre Laroque, fervent nataliste d’avant-guerre ayant rejoint Londres, met sur pied en deux ans une sécurité sociale inspirée par le rapport du Britannique William Beveridge de 1942 (Social Insurance and Allied Services), première pierre de l’État-providence institué par les travaillistes outre-Manche.

En ces temps effervescents symbolisés par le programme du CNR (Conseil national de la Résistance), alors que le pays se relève sous une conduite gaullo-communiste mais aussi socialo-démocrate-chrétienne, Pierre Laroque entend construire « un ordre social nouveau où serait éliminée l’inégalité dans la sécurité, l’un des facteurs essentiels des distinctions entre classes sociales ».

Le souvenir de l’exposition des ouvriers aux risques du chômage dans le sillage de la crise de 1929 engageait les pouvoirs publics, dans l’euphorie de la Libération, à insister sur la protection et la solidarité, tout en ne perdant pas de vue l'horizon nataliste. La famille, l’un des trois piliers (avec les personnes âgées et les maladies-accidents) de la sécurité sociale ainsi créée, répondait à une exigence particulière. En effet, la famille n’est pas un risque mais un choix. D’où des prestations, pour soutenir une telle option de vie, conçues comme des “sur-salaires” et donc versées par les entreprises, ainsi appelées à financer la politique familiale. En 1946, le taux des cotisations patronales subventionnant la branche famille de la sécurité sociale était de 16,75 %.

Il était quasiment moitié moindre en 1974 : 9 % (tombant à 7 % en 1990 avec le déplafonnement ; puis à 5,4 % en 1991, avec la création de la CSG). La politique française avait alors évolué vers une reconnaissance du caractère universel de la branche famille. Il s'agissait d’harmoniser les conditions de vie – par exemple venir en aide aux jeunes parents afin qu’ils combinent une activité professionnelle avec des responsabilités familiales. Les subventions allouées, sans condition de ressource et même d’activité professionnelle (juillet 1978), conféraient à la politique familiale de la France un caractère global, public et non contributif.

Alors que Jacques Chaban-Delmas, premier ministre conseillé par Jacques Delors (premier inspirateur politique de François Hollande), lançait sa « nouvelle société », le président Pompidou, dans un discours de décembre 1970 prononcé devant l’Union nationale des associations familiales, proposait « une politique active, en matière de prestations familiales, de logement, de garderie d'enfants, d'enseignement, de formation professionnelle, de rééducation des inadaptés, d'emploi pour les jeunes ».

Et le deuxième président de la Ve République ajoutait, en un propos qui semble faire écho à la proposition du septième président du même régime, François Hollande :« L'heure me semble venue d'imaginer en matière familiale des procédures s'apparentant à celles qui ont été utilisées avec succès par ailleurs sous le nom de contrats de progrès par exemple, le but étant d'assurer aux prestations familiales, sous toutes leurs formes à la fois, la stabilité en valeur réelle et une progression plus rapide au profit des catégories les moins favorisées ou les plus dignes d'intérêt. »

« La main invisible du pouvoir politique... »

Le débat, digne d’intérêt, porte à la fois sur des questions économiques (est-ce aux entreprises de financer une politique familiale déterminée par l’État ?), mais aussi sociologiques (pouvons-nous continuer à raisonner en fonction d’un modèle patriarcal usé jusqu’à la corde : papa, maman, la bonne et moi ?...).

Toutefois, sous couvert de moderniser une politique familiale obsolète, le pouvoir actuel, sans défense immunitaire ni vision du monde propres à la gauche – sans armature minimale de type Pierre Mendès France –, semble simplement verser dans l’austérité au nom de la doxa libérale en vigueur.

Il apparaît ainsi qu’en vertu d’une prétendue justice fiscale corrigeant des inégalités profitant aux plus riches (la réforme du quotient familial), la politique de François Hollande met en cause le caractère universel – épouvantail du Medef – de la politique familiale : on paye selon ses moyens, on perçoit selon ses besoins. Or la logique libérale, c’est exactement l’inverse : on paye selon ses besoins, on perçoit selon ses moyens. D’où l’ambiguïté consistant à soumettre aux conditions de ressources les allocations familiales, peut-être bientôt les frais de santé, ou encore l’école et pourquoi pas la justice : au prétexte d’un souci d’équité redistributive, on intronise la loi du plus riche exonéré de toute solidarité.

En mai 2013, un rapport du Conseil d’État sur le financement de la branche famille, fustigeait en termes mesurés mais sévères cette exonération patronale, réclamée à grands cris par les intéressés et depuis consentie par François Hollande : « Certaines organisations professionnelles d’employeurs prônent un désengagement complet des entreprises de tout financement de la branche famille, arguant à la fois du handicap de compétitivité-prix que constituerait désormais leur contribution, et de l’absence de toute condition d’activité professionnelle pour bénéficier des prestations familiales depuis 1978. Cette approche néglige cependant la diversification accrue des objectifs de la politique familiale et en particulier l’importance de sa contribution à la conciliation de la vie professionnelle et de la vie familiale, de l’ordre selon les hypothèses de 10 à 15 milliards d’euros, soit de 1,4 à 1,8 point de cotisation patronale famille. Ces actions ont un impact positif sur le taux d’activité et contribuent ainsi au dynamisme global du marché du travail et à l’augmentation de la croissance potentielle. Les entreprises bénéficient directement au premier chef de la politique ainsi conduite. »

Le PCF, notamment par la voix de l’économiste Catherine Mills, propose une nouvelle ponction, au taux actuel de la cotisation patronale consacrée à la politique familiale, sur les quelque 320 milliards de revenus financiers (dividendes et intérêts) des entreprises et des banques. Un tel écot rapporterait 15 milliards d’euros à la Cnaf (caisse nationale des allocations familiales).

Nicole Questiaux ne en 1930Nicole Questiaux, née en 1930

Le « social-démocrate » François Hollande s’avère gourmand d’économistes libéraux, au point de citer dans sa conférence de presse du 14 janvier, l’air de ne pas y toucher, Jean-Baptiste Say (à quand Frédéric Bastiat, idole de Raymond Barre ?). L’hôte de l’Élysée a choisi la main invisible du marché chère à Adam Smith, tournant le dos à ce qu’écrivait la socialiste et ancienne ministre Nicole Questiaux, dans Le Pouvoir du social (1979) : « Là où les mécanismes de l’économie libérale ne suffisent pas à résoudre les problèmes, la main invisible du pouvoir politique prend en charge leur solution. »

Le Medef peut exulter. En 2014, 35 ans après cette profession de foi socialiste de Nicole Questiaux, le deuxième président socialiste de la Ve République, dompté par le marché, va proclamant : là où la main invisible du pouvoir politique ne suffit pas à résoudre les problèmes, les mécanismes de l’économie libérale prennent en charge leur solution. La suppression des cotisations familiales pour les entreprises d’ici 2017 en est donc la plus récente et flagrante illustration.

Fin de l’universalité, atteinte à la solidarité, perte de vue du souci nataliste – alors que le nombre de naissances baisse pour la première fois en France selon l’Insee : n’est-ce pas ce qui s’appelle risquer de perdre sur tous les tableaux ?...