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Le pouvoir hongrois imprime sa marque sur l’école
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
(Le Monde) C'est un fascicule blanc encadré d'un liséré de rouge et vert, les couleurs du drapeau hongrois, avec, en couverture, deux lignes en pointillé où les élèves doivent inscrire leur nom et la date. La « profession de foi nationale » – préambule de la nouvelle Constitution – est distribuée à tous les écoliers de 13 ans à 14 ans. Agrémenté de chromos historiques, depuis saint Etienne, le roi qui a converti laHongrie au christianisme autour de l'an mil, jusqu'à Jozsef Antall, le premier ministre conservateur élu après la chute du communisme, ce texte insiste sur les« accomplissements spirituels extraordinaires des Hongrois ».
Mais pour les détracteurs de la ligne nationaliste en honneur depuis le retour de Viktor Orban au pouvoir, en 2010, le petit livre blanc est l'instrument d'un culte patriotique. « Cette profession de foi est une sorte de prière », affirme Laszlo Miklosi, président de l'Association des enseignants d'histoire, fondée en 1989, à l'aube du changement démocratique en Europe de l'Est.
Une autre version du préambule, destinée aux élèves de 10 ans, reproduit une image du « sacrifice de Titusz Dugovics », un soldat chrétien qui, au XVe siècle, aurait entraîné dans la mort un adversaire ottoman, plutôt que de le laisser planter son drapeau sur une forteresse. Les historiens ont établi que cet acte d'héroïsme a été inventé au XIXe siècle pour servir les sentiments nationalistes. « La leçon implicite, dit M. Miklosi, est que la foi compte plus que la science et la légende plus que la réalité. »
CENTRALISATION ET RETOUR AUX VIEUX PRINCIPES
Le portefeuille de l'éducation a été confié à Rosza Hoffmann, membre du Parti démocrate-chrétien (KDNP), allié du Fidesz de M. Orban et farouche défenseur des valeurs chrétiennes. Après des démêlés avec les étudiants, Mme Hoffmannn a perdu la responsabilité des universités, mais garde la haute main sur l'enseignement obligatoire, auquel elle a imprimé sa marque : centralisation et retour aux vieux principes.
Les 120 000 enseignants du primaire, du secondaire et des écoles maternelles sont désormais sous la tutelle d'un « Institut Klebelsberg », du nom du ministre qui a bâti le système éducatif au début du régime ultraconservateur de Miklos Horthy, dans les années 1920. Depuis septembre 2013, ceux du secteur public, soit l'immense majorité, sont tenus de s'affilier à un « corps pédagogique national »devenu le seul interlocuteur officiel, au détriment des syndicats.
Le gouvernement a rendu obligatoires les cours de catéchisme ou d'éthique – le choix est laissé aux parents –, une mesure approuvée, selon un récent sondage, par 63 % de la population. Certains s'inquiètent cependant des critères employés dans cette matière, qui est notée : « Mon fils de 10 ans a eu 2 sur 5 en morale, se plaint une mère sur un forum en ligne, parce qu'il n'a pas su répondre à la question : “Pourquoi est-ce bien de vivre en Hongrie ?” » L'enfant avait vanté les espaces verts et les pâtisseries de sa ville, mais ce n'est manifestement pas ce qu'on attendait de lui.
À CULTIVER « POUR QUE NOTRE NATION PUISSE ÊTRE FORTE »
L'un des trois livres de morale aujourd'hui en usage dresse dès la page 4 une longue liste des « vertus » à cultiver « pour que notre nation puisse être forte », en commençant par la foi, l'espérance et la charité, sans oublier l'héroïsme et la piété religieuse. Ecrans et téléphones portables y sont souvent présentés comme nocifs, car ils détournent des activités « saines », telles que le sport ou les danses folkloriques.
Le gouvernement s'attaque maintenant aux manuels scolaires, qu'il juge pléthoriques. Le 17 décembre, le Parlement a adopté une loi assurant leur gratuité pour tous les élèves du primaire. Mais il n'y aura plus le choix qu'entre deux ouvrages par matière et par niveau, contre quinze actuellement, et ils seront conçus par une commission où, sur douze membres, ne figure qu'un seul enseignant : les autres seront délégués par les ministères, ou par la très réactionnaire Académie hongroise des arts.
Pour Judit Szarvas-Baller, présidente d'une commission qui rassemble éditeurs et distributeurs, mais n'a plus voix au chapitre, un tel changement n'obéit pas seulement à des contraintes financières : « C'est par cette méthode que l'on peutinfluencer la manière de penser des futures générations. » Les éditeurs voient ainsi la main du gouvernement dans le rachat récent, par des investisseurs hongrois, d'une filiale de l'entreprise finlandaise Sanoma qui couvre un tiers du marché des manuels scolaires.
LES SALAIRES DES ENSEIGNANTS ONT ÉTÉ REVALORISÉS
Chargé auprès du premier ministre des relations avec la presse internationale, Ferenc Kumin confirme le projet de renouveler les manuels d'ici à 2018. « Afin d'améliorer le niveau des élèves, explique-t-il, car les résultats du dernier test PISA, en 2012, ont été un choc pour tout le monde » : la Hongrie a obtenu 488 points, contre 496 en moyenne dans l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), et 477 points seulement enmathématiques. Dans le même but, les salaires des enseignants ont été revalorisés, tandis que la scolarisation en maternelle devient obligatoire dès l'âge de 3 ans.
L'argument ne convainc pas la philosophe Agnes Heller, 84 ans, l'une des plus sévères critiques du « bonapartisme » de Viktor Orban. « L'uniformisation n'a jamais amélioré un système éducatif », proteste, lors d'un entretien à Budapest, cette disciple de Georg Lukacs, jadis contrainte de s'exiler à cause de la dictature communiste. Elle voit dans les réformes actuelles une « nouvelle étape » de la concentration du pouvoir par le Fidesz : « Ils veulent infantiliser toute la population,et pas seulement les enfants. »