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La grève qui a changé le Royaume-Uni

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Lien publiée le 11 mars 2014

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

(Le Monde) N'essayez pas de dire du bien de Margaret Thatcher au Rusty Dudley. Dans ce pub décrépi de Goldthorpe, un ancien village minier du Yorkshire, l'ancien premier ministre britannique est le diable incarné. « Elle a tué cette communauté et sonavenir », éructe Lin, le visage parcheminé. « Impossible de lui pardonner. Ça fait vingt ans que je n'ai pas eu d'emploi », ajoute Graham. A 64 ans, cet ancien mineur ne s'est jamais remis de la fermeture des exploitations de charbon.

Il y a exactement trente ans, le 12 mars 1984, le Syndicat national des mineurs (National Union of Mineworkers, NUM) lançait une grande grève nationale, pourprotester contre la fermeture d'une vingtaine de mines de charbon. La lutte, d'une violence inouïe, durera un an. Elle s'achèvera par une défaite complète des mineurs.

Cette bataille représente un tournant majeur dans l'histoire récente du Royaume-Uni. L'affaiblissement des syndicats, commencé quelques années plus tôt, est officiellement entériné. La logique de la concurrence et de la mondialisation s'impose. Le thatchérisme triomphe. Il ne sera remis en question par aucun des successeurs de la Dame de fer, même pas les travaillistes Tony Blair et Gordon Brown.

PERTES STRUCTURELLES

A l'époque pourtant, la lutte était loin d'être gagnée pour Margaret Thatcher. « Beaucoup pensaient que le NUM avait le pouvoir de faire tomber le gouvernement », rappelle Chris Collins, de la Fondation Margaret-Thatcher. Au début des années 1980, la Dame de fer avait préféré éviter une grève des mineurs, estimant ne pasêtre prête à faire face à la toute-puissance du syndicat. Mais, en 1984, elle s'y résout.

Le National Coal Board (NCB), l'entreprise nationalisée qui gère les mines depuis 1947, accumule les pertes de façon structurelle. Les mines du Yorkshire, qui sont les plus profondes et donc les moins rentables du pays, mais aussi parmi les plus militantes d'un point de vue syndical, sont dans son collimateur.

Margaret Thatcher planifie méticuleusement la bataille. Elle fait constituer des stocks de charbon en secret. Et décide d'annoncer les fermetures peu avant l'été, quand le pays a moins besoin de ce carburant indispensable pour chauffer les habitations. Elle supprime aussi certaines allocations sociales aux grévistes.

Le NUM, sous la houlette de son très combatif secrétaire général, Arthur Scargill, se jette à corps perdu dans la lutte. « On ne se battait pas pour de meilleuresconditions de travail ou pour une hausse des salaires, mais pour notre survie », se rappelle Chris Kitchen, actuel secrétaire général du NUM, alors simple gréviste.

SURVIVRE

Rapidement, l'argent se fait rare. Les grévistes survivent comme ils le peuvent, avec seulement 1 livre sterling par jour versée par le NUM, dont les coffres se vident vite. « On dépendait en grande partie de la générosité de nos voisins et de nos amis, témoigne Chris Skidmore, un ancien gréviste. On n'avait même pas de quoi s'acheter les produits de base, du savon ou du papier toilette. » Epuisés, les mineurs finissent par renoncer, en mars 1985, sans avoir obtenu aucune concession.

« Dans ma mine, on a perdu 3 000 emplois immédiatement, puis 2 500 l'année suivante, puis encore 2 000 celle d'après », se souvient Chris Skidmore. Trente ans plus tard, le village de Goldthorpe s'est partiellement vidé de sa population. L'alcoolisme et la drogue ont fait des ravages. Le chômage y reste généralisé.

L'impact social de la victoire de Margaret Thatcher ne fait guère de doute. Mais quelles leçons en tirer d'un point de vue économique ? Ou, pour poser la question d'une manière provocante : écraser les mineurs en valait-il la peine, d'un point de vue froidement comptable ?

« NOUS SOMMES PLUS RICHES »

Les économistes britanniques répondent de façon quasi unanime par l'affirmative. Jonathan Portes, directeur du National Institute of Economic and Social Research (NIESR), penche plutôt à gauche. S'il estime que Margaret Thatcher s'est montrée cruelle, et qu'elle aurait pu mieux accompagner et aider les mineurs, il considère néanmoins que sa décision était la bonne. « A partir des années 1970, le Royaume-Uni n'avait pas d'avantage comparatif dans les mines de charbon : ça pouvait être produit moins cher à l'étranger. Autoriser les importations de charbon a fait baisser la production britannique régulièrement, jusqu'à sa quasi-disparition, mais le pays y a gagné économiquement. Nous sommes plus riches, en moyenne, grâce à cela. »

Un point de vue partagé par Nicholas Crafts, de l'université de Warwick : « Les fermetures ont peut-être été trop rapides, et le suivi des mineurs pour aider à leur reconversion n'a pas été assez efficace. Mais le secteur minier était d'une taille démesurée, qu'il fallait réduire. »

La victoire de la Dame de fer représente cependant bien plus qu'une restructuration du secteur minier : c'est un renversement complet des rapports de force entre patronat et syndicats. « Cela signifie l'affaiblissement du pouvoir des travailleurs, ce qui était l'objectif de Margaret Thatcher, poursuit Nicholas Crafts. Il fallait que quelqu'un tienne tête au secteur public. »

« HIVER DU MÉCONTENTEMENT »

Il rappelle que les grandes entreprises publiques (chemin de fer, acier, charbon…), toutes nationalisées au lendemain de la seconde guerre mondiale, étaient souvent gérées en dépit du bon sens à la fin des années 1970. « Il fallaitmettre deux personnes dans les locomotives là où une seule aurait suffi, par exemple. Dans les syndicats du livre, aucun équipement électronique n'était accepté. »

Pour le dire en termes économiques, aucun gain de productivité n'était réalisé, affaiblissant progressivement l'avantage concurrentiel de ces entreprises.

Les syndicats de la fonction publique s'étaient montrés particulièrement inflexibles, ce qui avait conduit aux grandes grèves de l'hiver 1978-1979. Cet « hiver du mécontentement », quand les poubelles n'étaient plus ramassées et les pompes funèbres n'enterraient plus les morts, avait d'ailleurs conduit à la victoire de Margaret Thatcher.

Pour Nicholas Crafts, l'affaiblissement du militantisme des syndicats est un point positif. Il souligne que le déclin relatif de l'économie britannique, débuté au lendemain de la seconde guerre mondiale, s'est inversé depuis trente ans. En 1979, le produit intérieur brut par habitant (en valeur réelle) britannique était inférieur à celui de la France, de l'Allemagne et des Etats-Unis. En 2007, il est passé juste devant celui de la France et de l'Allemagne, et l'écart avec les Etats-Unis s'est réduit.

« Mais attention : cela s'est accompagné d'une forte augmentation des inégalités », précise Nicholas Crafts. Outre-Manche, le fameux coefficient « Gini », qui mesure les disparités de revenus, a fait un bond dans les années 1980, avant de se stabiliser depuis vingt ans. Cela fait du Royaume-Uni le 6e pays le plus inégalitaire de l'Union européenne.

Vu de Goldthrope, un tel argument est bien sûr inadmissible. Ici, où la pauvreté se vit au quotidien, le coefficient de Gini n'est pas un chiffre abscons. Les habitants du village ont décidé de « célébrer » au mois d'avril le premier anniversaire de la mort de Margaret Thatcher, avec une fête dans la rue… Mais pour le reste des Britanniques, ces festivités seront perçues comme un vestige du passé. Pour l'immense majorité d'entre eux, l'écrasement sans état d'âme des mineurs est considéré comme un mal nécessaire.