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Parler politique n’est pas toujours bien vu au bureau

Lien publiée le 25 mars 2014

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

(Le Monde) Professeur dans un collège d'Ile-de-France et militant communiste, Hervé est devenu, pour ses collègues, « le coco qui ne va jamais être d'accord par principe ». Son engagement s'est rapidement transformé en étiquetage politique« Je me suis dévoilé un peu au réfectoire sur des sujets d'actualité, et on m'a vite fait des remarques », raconte le jeune professeur, qui a tenu à s'exprimer sous couvert de l'anonymat.

Au bureau, apprendre à tenir sa langue est une façon de se protéger. Hervé ne discute pas de politique avec son principal adjoint, qu'il devine de droite. «Tant que les conflits portent sur le pédagogique ou l'actualité, ce n'est pas grave, c'est même sain. Mais dès qu'on entre dans le domaine purement politique, c'est plus difficile, on touche trop à l'individu, estime le professeur, qui regrette toutefois l'absence d'une vraie réflexion idéologique. Nous sommes constamment dans le pragmatique, dans les politiques d'enseignement, mais nous ne pouvons paspérenniser des initiatives intéressantes puisque nous n'avons pas de discussion de fond avec la hiérarchie.»

Juridiquement pourtant, rien n'empêche d'afficher ses engagements au travail. Tout salarié, en tant que citoyen, a le droit d'avoir une opinion politique, à condition de ne pas faire de militantisme.

« PASSIBLE DE SANCTIONS »

« Inonder, par exemple, ses collègues et ses clients de mails contenant des propos politiques est passible de sanctions », précise Nadine Regnier-Rouet, avocate au barreau de Paris, spécialisée en droit du travail.

Si parler politique n'est pas toujours bienvenu une fois la porte du bureau franchie, c'est souvent lié à la culture d'entreprise. Notamment dans les grands groupes où, bien plus que dans les PME, « les comportements sont ritualisés, et les discours policés. On ne va pas s'empoigner au sujet des élections », estime Pierre Blanc-Sahnoun.

Ce coach de cadres dirigeants évoque une autre spécificité concernant les catégories socioprofessionnelles : « La parole politique est plus libre chez les ouvriers que chez les cadres, dont la réputation repose aussi sur le savoir-être, les réseaux, les rapports de force. »

13 % « NON, PAS DU TOUT »

Une étude IFOP-Cadremploi publiée le 17 mars montre ainsi que 40 % des cadres interrogés répondent « plutôt non » lorsqu'on leur demande s'ils parlent facilement de politique avec leurs collègues, et 13 % « non, pas du tout ».

Président d'une agence de communication, Vincent Viollain figure sur la liste électorale de l'UMP-UDI-Modem pour les municipales, dans le 10e arrondissement à Paris. Son associé est, lui, sur une liste du Parti socialiste. Et pourtant, lorsqu'ils se croisent à la machine à café, l'ambiance est apaisée et la discussion sereine. « Il ne faut pas s'imaginer un grand débat permanent avant une échéance électorale. Tout en ayant une liberté de ton, nous abordons le sujet politique le moins possible au bureau », raconte M. Viollain.

Pour lui, le lieu de travail n'est pas celui de la parole politique. « Je n'ai même pas à éviter d'en parler, une journée de travail est rythmée par les réunions avec mes clients. Je travaille directement avec deux jeunes, je pense qu'ils connaissent mon engagement mais je n'en ai jamais discuté avec eux. J'estime que je n'ai pas à leur en parler. »

CONTRE LES DISCRIMINATIONS

Jean-Luc Petithuguenin, PDG fondateur de Paprec, va plus loin. Il a édicté dans son entreprise de recyclage de quelque 4 000 salariés une « charte de la laïcité et de la diversité ». Celle-ci interdit aux salariés d'exprimer « leurs convictions politiques ou religieuses dans l'exercice de leur travail », au nom de son combat contre les discriminations et du « meilleur vivre ensemble ».

Attaché à la problématique de l'évitement du politique en milieu professionnel, le sociologue Romain Pudal s'est penché sur la parole politique à la caserne. « Je me suis rendu compte que l'évitement n'est pas du désintérêt. Dans un milieu comme la caserne des pompiers, où faire état de ses opinions politiques n'est pas de bon ton et paraît agressif ou mal placé, on en discute quand même à l'occasion d'une affaire, au détour d'un débat sur l'école ou sur une intervention armée. »

Si elle n'est pas évincée du bureau, la politique recouvre une autre modalité d'expression. « Les salariés sont préoccupés par la situation économique, personne ne veut ignorer le réel », affirme Ronan Chastellier. Ce sociologue voit dans l'entreprise une agora des temps modernes, un nouveau lieu de débat : « On parle de politique, mais de façon indirecte, moins idéologique et frontale. »

« BON SALARIÉ »

La confrontation directe reste dévolue aux organisations sociales. « Si vous commencez à trop parler de politique, vous avez l'air d'un syndicaliste », ironise Pierre Blanc-Sahnoun. La revendication claire d'un discours politique n'est pas bien vue, les idées extrêmes le sont encore moins.

« Se revendiquer de la Ligue communiste révolutionnaire ou du Front national est rarement bon pour la carrière, poursuit le conseiller d'entreprise, qui regrette le polissage de la parole politique au bureau. Lorsqu'une entreprise met sous silence des voix minoritaires, elle perd quelque chose. On perçoit comme bon le salarié qui s'intéresse avant tout à produire de la valeur et évite les discussionsextraprofessionnelles pouvant casser son image. Mais les solidarités ne se créent pas autour du chiffre d'affaires. On ne tombe pas amoureux d'une courbe de croissance. »