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L’UNEF, pouponnière politique

Lien publiée le 2 mai 2014

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

(Le Monde) A l'entrée du marché Saint-Marc de Rouen, Jean-Baptiste Prévost a l'assurance des habitués. Vêtu d'un coupe-vent rouge frappé du nom du maire socialiste sortant, il se précipite, tract à la main, sur un jeune couple. Il fait beau et chaud pour un dimanche de mars ; un accordéon donne à la scène des airs de bal musette.

Tout juste trentenaire mais déjà ancien président de l'Union nationale des étudiants de France (UNEF) de 2007 à 2011, Jean-Baptiste Prévost, membre du cabinet de la ministre de l'enseignement supérieur, Geneviève Fioraso, est 33e sur la liste d'Yvon Robert. Les municipales, c'est l'épreuve du feu, sa première campagne pour un mandat politique.

Depuis quelques mois, le jeune homme jongle avec ses agendas ministériel et électoral. Le jeudi, souvent, mais aussi le week-end, il débarque à Rouen pour une réunion publique, un tour de ville à vélo avec le maire ou du porte-à-porte. « Quand les équipes de la présidentielle de 2012 ont redécouvert le porte-à-porte, ironise-t-il, elles ont dit : “On importe la méthode Obama.” A l'UNEF, on l'a fait pendant dix ans dans les cités universitaires… »

La méthode UNEF. Comme Jean-Baptiste Prévost, d'autres anciens responsables du syndicat étudiant sont ces jours-ci en campagne, appliquant leur militantisme de terrain. Bruno Julliard (président de 2005 à 2007) et Karl Stoeckel sont candidats à Paris, sur les listes d'Anne Hidalgo. Yassir Fichtali (président de 2001 à 2005) se présente à Saint-Ouen, Mathieu Hanotin à Saint-Denis.

Mais il y a aussi Tania Assouline et Anne Delbende à Montreuil, Tristan Lahais àRennes, Michael Delafosse à Montpellier, Benjamin Vételé à Blois… La liste n'est pas exhaustive.

LE « TRAUMATISME FONDATEUR » DU 21 AVRIL 2002

Car c'est toute une génération UNEF, celle des années 2002-2012, qui tente aujourd'hui de prendre le pouvoir dans les mairies, au Parlement ou dans les cabinets ministériels… « C'est d'abord l'histoire d'une bande de potes », assure Jean-Baptiste Prévost. Ils partent en vacances ensemble, sont parrains de leurs enfants respectifs et se retrouvent pour les fêtes d'anniversaire.

Beaucoup étaient, le 9 février, chez Bruno Julliard pour ses 33 ans. Quelques jours plus tôt, le 17 janvier, ils fêtaient la « dépendaison de crémaillère » de l'UNEF. Tout un symbole : le 112, boulevard de Belleville, à Paris, c'est le siège du syndicat depuis 2001. C'est là que la « bande de potes » s'est formée au combat syndical, avant d'accéder aux ors de la République.

Certes, les mobilisations exceptionnelles (Mai 68, le projet Devaquet en 1986 ou le contrat d'insertion professionnelle en 1994) ont marqué le militantisme étudiant. Mais la génération 2002-2012 a une cohésion particulière, qu'elle doit au « traumatisme fondateur » du 21 avril 2002 : l'accession de Jean-Marie Le Pen au second tour de l'élection présidentielle.

« Les jeunes ont massivement relevé la tête, estime Bruno Julliard. Une nouvelle génération de militants est entrée à l'UNEF. Le syndicat a réussi à s'unir, faisant fi des luttes intestines, dans cette bataille contre l'extrême droite. »

Lycéens ou étudiants de gauche, ils découvrent que le corps électoral peut ruerdans les brancards. « C'est le déclenchement de mon engagement, raconte Jean-Baptiste Prévost. J'ai participé aux manifestations étudiantes à Rouen. Et j'ai réalisé, surtout, le danger pour la gauche de rompre avec les classes populaires. »

Ce sera leur obsession : comprendre les aspirations du « mouvement social », et les porter. « En 2002, poursuit Jean-Baptiste Prévost, la droite prend le pouvoirpour dix ans et l'UNEF se met en mode défensif pour empêcher que les étudiants ne perdent des droits. »

« UNE ASSURANCE QUE L'ON GARDE TOUTE SA VIE »

L'épreuve de force survient quatre ans plus tard. Car cette génération UNEF, c'est aussi celle du 10 avril 2006. Ce jour-là, le premier ministre, Dominique de Villepin, annonce que « les conditions ne sont pas réunies » pour l'application du « contrat première embauche ».

Le CPE était supposé favoriser l'embauche de jeunes en autorisant l'employeur àrompre le contrat de travail dans les deux premières années sans avoir à donnerde motif. Le mouvement étudiant a balayé la réforme, pourtant votée par le Parlement.

« Ce fut une vraie épreuve militante, exténuante, difficile et exaltante, dit Jean-Baptiste Prévost. Cela a beaucoup renforcé nos liens avec Bruno, qui était alors président. Mais c'est aussi une leçon politique : le mouvement social doit trouversa place au PS, car l'engagement politique ne peut pas se retrancher dans sa tour d'ivoire. »

L'épreuve a durci le cuir des jeunes militants. L'UNEF est une redoutable école de militantisme. Elle offre une formation idéologique rigide, apprend à lancer une pétition, à organiser une manifestation, à structurer un discours devant un amphi, à négocier avec un gouvernement.

« Cela donne une assurance que l'on garde toute sa vie », confie Yassir Fichtali, président de 2001 à 2005. Avec le CPE, le mouvement s'accélère. Il faut prendredes décisions rapidement, organiser la mobilisation sans ruiner l'UNEF. « J'étais trésorier, je peux vous dire qu'on jouait notre peau », raconte Jean-Baptiste Prévost.

En quelques semaines, les responsables du syndicat apprennent à faire bon usage des médias. « En apparence, les portes de l'UNEF étaient ouvertes tout le temps, se souvient Bruno Julliard. En réalité, nous avons parfois tout fait pouréviter que les médias voient certains aspects de la mobilisation. »*

FORMÉS DANS L'OPPOSITION, PAS DANS « LE CONFORT DU POUVOIR »

Pour évoquer des sujets sensibles sans éveiller la curiosité, ils inventent des codes secrets. Alors qu'il se plaint du « silence du gouvernement » devant un journaliste, Bruno Julliard est justement appelé par… un conseiller de Matignon, Gonzague de Pirey. Quand il raccroche, il lâche à un comparse de l'UNEF : « J'ai eu des nouvelles des gonzes… Elles me rappellent ce soir… »

Bruno Julliard apprend à affronter Jean-François Copé, porte-parole du gouvernement, sur les plateaux de télévision, à ne pas se laisser balader parNicolas Sarkozy, alors ministre de l'intérieur. Il faut aussi recadrer les ardeurs des anciens de l'UNEF devenus responsables du PS, comme Julien Dray ou Jean-Christophe Cambadélis. Bruno Julliard rappelle alors à François Hollande, premier secrétaire, qu'il doit « tenir ses troupes ».

Adjoint à la culture du maire de Paris depuis 2012, devenu l'un des porte-parole d'Anne Hidalgo, candidate à la Mairie de Paris, il a gardé l'habitude de monter au filet. Exemples de ses tweets : « En l'absence de Paul Bismuth, NKM fait de la retape pour remplir son meeting ce soir : spam Facebook + SMS à la chaîne… Fébrilité ? » (19 mars) ou « Pour la 98e fois, là vraiment, la dynamique de campagne d'NKM est lancée. Bon certes dans une salle à moitié vide, sans projet et sans équipe » (10 février)…

« On s'est formés dans l'opposition, pas dans le confort du pouvoir, affirme Raphaël Chambon, aujourd'hui directeur adjoint du cabinet du ministre destransports, Frédéric Cuvillier. C'est une éducation militante qui habitue à la dureté du combat tout en restant ferme sur les principes. Voyez la crise que l'UNEF a traversée dans les années 1990 parce qu'elle avait péché par proximité avec lepouvoir politique de gauche. Elle en a perdu son indépendance. »

BEAUCOUP CHOISISSENT… LE PS

Autre caractéristique de cette génération : elle a rompu avec les aînés socialistes.« C'est une génération qui refuse les mentors », poursuit Raphaël Chambon. Yassir Fichtali se souvient : « La rupture avec Julien Dray est intervenue assez vite après mon élection. Nous n'avions pas envie d'être un élément dans un dispositif politique visant à canaliser les mouvements de jeunesse. »

Une rupture qui n'a rien de définitif. Après l'UNEF – « l'ENA buissonnière », plaisante Jean-Baptiste Prévost –, beaucoup choisissent… le PS, comme Bruno Julliard qui se dit « aubryste », voire la gauche du PS. Nombreux sont ceux qui se reconnaissent en Benoît Hamon, faisant de lui un « tuteur » de facto de l'UNEF.

La plupart confient en effet leurs « gros doutes » sur la politique menée par le président de la République. « C'est grâce à eux que François Hollande a été élu, rappelle Pouria Amirshahi, président de l'UNEF de 1994 à 1998, député socialiste des Français de l'étranger. Ils se sentent floués et ils ont raison. »

S'ils doutent, ils se montrent bons soldats et jurent vouloir le succès de la gauche.« On n'a pas envie que les combats que nous avons menés pendant dix ans passent par pertes et profits », résume Bruno Julliard.

Si bien que la « bande de potes » de l'UNEF est chaque été fidèle au rendez-vous de l'université d'été du PS à La Rochelle, après des vacances rituelles dans une maison louée, en Italie, au Portugal ou en Dordogne.

Là, ils se lèvent tôt, visitent les sites des environs puis se retrouvent en fin d'après-midi. « On joue alors au Trivial Pursuit et au Risk, un jeu de stratégie dont le but est de conquérir le monde, sourit Isabelle Dumestre, ancienne de l'UNEF. On s'engueule toujours parce que personne n'aime perdre. Sans conséquence. D'ailleurs, on parle de racheter une ferme à restaurer dans la Creuse. On discute jusque très tard dans la nuit, on refait le monde. »

Il faut pourtant commencer par gagner les municipales sur des sujets plus terre à terre. Au marché Saint-Marc de Rouen, Jean-Baptiste Prévost et le maire se fontinterpeller par un homme qui se plaint des passages piétons effacés devant la gare. Yvon Robert tente de rassurer cet électeur potentiel, qui demeure sceptique.

Jean-Baptiste Prévost dégaine une brochure : « C'est notre programme ! Vous verrez ce qu'on propose pour la voirie. » Refaire le monde attendra : « Y a à faire, pour la voirie », grommelle le monsieur.