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Afr. du Sud: l’ANC remporte les élections sur fond de désillusion

international

Lien publiée le 8 mai 2014

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

(Mediapart) Le poids historique de l'ANC a suffi à faire réélire Jacob Zuma à la tête du pays le plus prospère d'Afrique, mais la « nation arc-en-ciel » reste l'une des plus inégalitaires au monde et sa classe politico-économique est rongée par la corruption.

« Nous avons une belle histoire à raconter ! » C’est avec ce slogan qui, en anglais, peut également se comprendre d’une autre manière (« Nous avons un bilan à faire valoir ! »), que Jacob Zuma a mené sa campagne de réélection pour un second mandat de président de l’Afrique du Sud. C’était une manière pour lui de s’abriter derrière l’héritage de son parti, l’African National Congress (ANC), au pouvoir depuis la chute de l’apartheid il y a vingt ans, plutôt que de devoir concourir en s’appuyant sur ses cinq années à la tête du pays (voir notre série de reportages en Afrique du Sud en 2009).

Comme attendu, l’ANC et son président Jacob Zuma ont remporté ces élections législatives, même s'il accuse un léger moins par rapport au précédent scrutin. Le parti revendique même une « majorité écrasante ». Selon des résultats partiels portant sur plus de 60 % des bureaux de vote à 13 heures (heure de Paris), le parti menait, jeudi, avec 63 % des voix, contre 67 % cinq ans plus tôt. Preuve s'il en fallait que le parti de Nelson Mandela, de Walter Sisulu, d’Oliver Tambo, de Chris Hani ou de Dulcie September reste une force historique qui continue de dominer la vie politique sud-africaine. Mais c’est une force en perte de vitesse et de crédibilité. Les années Thabo Mbeki (1999-2009) avaient été marquées par un accroissement des inégalités sociales et les errements d’un président guère à l’aise dans sa fonction de successeur de Mandela. La demi-décennie Zuma aura été marquée par l’incapacité à réduire ces inégalités et par la corruption. La corruption des élites politico-économiques – blanches comme noires – mais aussi du président lui-même, qui semble perpétuellement en train de batailler contre un nouveau scandale. Le dernier en date, qui a éclaté juste avant l’élection, repose sur 17 millions d’euros de travaux qu’il a fait effectuer dans sa villa familiale aux frais du contribuable. Difficile à avaler dans un pays où une famille sur sept continue de loger dans un abri de fortune (cabane, hutte ou tente), et 30% de la population vit sous le seuil de pauvreté de deux dollars par jour…

Les statistiques compilées par l’hebdomadaire britannique The Economist (voir graphique ci-dessous) permettent de se faire une bonne idée du chemin parcouru depuis vingt ans par le pays. Il est considérable en termes d’égalité, d’accès à l’éducation, ou de réduction de la pauvreté. Même le taux de criminalité, qui suscite une paranoïa universelle, entretenue par les Sud-Africains eux-mêmes, a fortement diminué. Mais le bilan en matière de santé ou d’indicateurs sociaux demeure très en deçà des espérances. L’Afrique du Sud reste l’un des pays les plus inégalitaires au monde, malgré l’émergence, bien réelle, d’une classe moyenne noire et des « black diamonds », l’élite noire qui a fait fortune.

 © The Economist

Le chômage continue de toucher plus d’une personne sur trois et la plupart des habitants des townships, les bidonvilles à la mode sud-africaine, n’ont pas vu leurs conditions de vie s’améliorer. Ces derniers mois, pas un jour n’est passé sans une éruption de violence spontanée dans un des townships autour de Johannesburg ou de Pretoria : magasins pillés, pneus brûlés dans les rues, jets de cailloux contre la police. Ces manifestations de colère intitulées « service delivery protests » visent directement l’ANC et son incapacité à fournir aux plus démunis les services minimums qu’ils attendent du gouvernement : transports publics, écoles fonctionnelles, eau potable, égouts, partage équitable des terres…

Cette révolte des townships touche l’ANC en son cœur. Il a même été interdit à certains de ses candidats d’entrer dans les quartiers. Surfant sur ce ressentiment à l’égard du parti au pouvoir, l’ancien leader des jeunes de l’ANC, le très controversé Julius Malema, a créé son propre parti, l’Economic Freedom Fighters (« les combattants de la liberté économique ») qui propose un programme ultra-populiste mais qui séduit les jeunes désaffectés : nationalisation immédiate et sans indemnités des entreprises minières et des banques. Plusieurs syndicats, dont le plus important du pays, celui des métallurgistes, ont rompu avec l’ANC, alors qu’ils avaient toujours accompagné le parti. Les séquelles de la mort de 34 mineurs en 2012 lors des grèves réprimées par la police sont toujours palpables, car cet événement n’a pas été perçu comme une bavure isolée mais comme le symptôme d’une classe dirigeante qui a oublié ses racines ouvrières. Une nouvelle grève est d’ailleurs en cours depuis quatre mois dans ces mêmes mines.

Jacob Zuma en mars 2014Jacob Zuma en mars 2014 © MyANC.net

À côté de ces héritiers historiques de la lutte anti-apartheid, l’Alliance démocratique (DA), le second parti du pays, autrefois refuge des Blancs progressistes, attire désormais à lui les classes moyennes noires et a même entrepris de faire campagne dans les townships.« Pour la première fois depuis qu’il y a des élections libres et ouvertes à tous en Afrique du Sud, l’ANC n’a pas considéré sa victoire comme acquise »explique le politologue Steven Friedman dans le New York Times« Même si la compétition n’est pas à la hauteur, le fait que l’ANC l’a prise au sérieux est significatif. »

Pour l’ancien journaliste et analyste politique Justice Malala, qui écrit dans le Guardian britannique, « le retour en arrière sur ces vingt dernières années est amer. Nous avons parcouru tellement de chemin, et pourtant nous avons échoué à transformer véritablement notre pays. Il est vrai que, comme l’ANC le dit, "Nous avons une belle histoire à raconter". Mais cette histoire est obscurcie par le double mal de la corruption et de dirigeants médiocres, qui ne nous ont pas permis d’aller aussi loin que nous l’aurions pu sur ce chemin. »

Comme de nombreux partis de libération qui ont accédé au pouvoir de manière incontestable en raison de la légitimité de leurs combats, l’ANC n’est pas parvenu à organiser le pluralisme politique. L’organisation est restée un parti attrape-tout, où cohabitent néo-libéraux et communistes, réformateurs et conservateurs, unis dans la seule perspective de contrôler les leviers du pouvoir le plus massivement possible. Malgré la médiocrité de ceux qui ont succédé à Nelson Mandela, les Sud-Africains continuent à faire confiance à l’ANC, mais dans une proportion déclinante. La fin de la domination absolue n’est pas pour cette élection, mais elle s’approche, sur un fond de désillusion.