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    UKRAINE: "On a enfin fait entendre notre voix"

    international Ukraine

    Lien publiée le 12 mai 2014

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    Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

    http://tempsreel.nouvelobs.com/ukraine-la-revolte/20140511.OBS6767/ukraine-on-a-enfin-fait-entendre-notre-voix.html

    En ce jour de référendum sur l'autodétermination du Donbass, ambiance bonne enfant dans les bureaux de vote. La victoire du "oui" ne fait aucune doute. De notre envoyée spéciale.

    Vu de Yenakiievo, de Torez, ou de Gorlovka, de toutes ces villes moyennes, mi-rurales mi-ouvrières proches de la frontière russe, dès la mi-journée, ça ne faisait pas un pli : Kiev avait perdu. Les autorités de "la république autonome du Donbass" autoproclamée qui ont organisé tant bien que mal ce vote - contre l’avis de Vladimir Poutine qui leur a demandé de le différer - ont largement gagné leur pari. Leur principale difficulté sera juste de ne pas afficher un taux de 100% de "oui" !

    Ici, on est loin des milices encagoulées et armées jusqu’aux dents, des barricades, de ce climat de guerre civile qui règne à Lougansk, à Mariopol ou à Slaviansk, faisant désormais quotidiennement des morts. L’ambiance, dans les bureaux de vote est bon enfant. Au premier étage de la Maison de la Culture de Yenakiievo, la ville natale de Ianoukovitch, le portrait du président déchu est toujours en bonne place sur le mur qui honore les héros de la ville. Celui du sulfureux oligarque Yury Ivanyuschenko, dont la fille vient d’épouser, dans des noces fastueuses, un citoyen monégasque, aussi…

    Non, rien n’a vraiment changé. La vieille administration a donné aux indépendantistes les clés de la ville sans faire d’histoire. "Ils pourraient nous aider plus, mais ils ont peur. Au moins ils ne nous gênent pas", glisse Sergei, 29 ans, qui participe à la tenue du vote. Et malgré la présence de quelques membres des "services de sécurité" qui gardent le bureau de vote, "pour éviter les provocations", personne n’est venu au bureau de vote sous la pression contraint ou forcé.

    Le oui garanti

    Sur les bulletins, une seule et unique question : "Soutenez-vous la création d’une république autonome du Donbass" ? Dans les urnes, transparentes, où les électeurs glissent des bulletins non pliés - on ne verra pas de la journée un seul bulletin en faveur du "non" ! Et n’en déplaise à Kiev, qui a déjà qualifié ce vote de "farce criminelle", il n’est même pas truqué !

    Certes, on pourra toujours chipoter sur l’organisation du scrutin, souvent folklorique. Les anciens listing d’électeurs récupérés bon an mal an, selon la bonne volonté des autorités locales, ne sont pas à jour. Les électeurs inscrivent donc leur nom à la main, sur des feuilles vierges. La surveillance des urnes est plutôt souple ; les votants peuvent tranquillement y mettre plusieurs bulletins - le leur et celui de leur femme, par exemple. On a vu des accesseurs, tous des militants bénévoles, en trimbaler à moitié remplies dans leur voiture sans aucun contrôle, pour les apporter directement dans des villages dont les habitants ne pourraient pas se déplacer. Tout ça n’est pas très orthodoxe… Mais franchement, ce n’est pas le problème.

    La victoire du "oui" ne fait aucun doute. "Oui" de conviction, de suivisme, de crainte de se faire remarquer en s’abstenant d’apporter leur pierre "à la cause" : la lutte "contre la junte de Kiev", peu importe. Dans ces quartiers où tout le monde se connaît, on a vite fait de repérer les "fascistes" comme on appelle désormais ceux qui défendent une Ukraine unie.

    Certes, le taux de participation ne sera sans doute pas aussi important qu’affiché. A Donetsk par exemple, ceux qui sont résolument contre – et on en a rencontrés beaucoup - ne se sont pas déplacés. Ils ont toujours déclaré qu’il n’était pas question de cautionner "cette mascarade" et ils ont tenu parole. Mais ici ? "Les opposants sont très peu nombreux", glisse Olga, l’un des accesseurs de l’école n°6 de Thorez. Et d’après elle, ceux là feront tout, demain, pour se faire oublier. Qui sont ils ? "Sans doute ceux qui ont une affaire, une entreprise, un petit business qu’ils ont peur de perdre et qui ne veulent pas voir l’administration changer". Beaucoup, déjà, seraient d’après elle sur le départ : "Et bien qu’ils partent. On ne les regrettera pas".

    Un parfum de lutte des classes

    Il y a dans ce référendum comme un parfum de lutte des classes. Les nantis contre les pauvres, ou encore, comme on l’entendra souvent, les intellectuels contre les laissés pour compte, convaincus de tenir enfin leur revanche.

    Vu de Yenakiievo, le ressentiment vis-à-vis de la capitale est bien plus social que politique. Entre paysages bucoliques et cheminées d’usines monstrueuses qui crachent une épaisse fumée orangée, la frustration est à fleur de peau. Certes, il y chez les plus âgés la nostalgie de l’Union soviétique… Mais aussi une immense colère, la conviction d’être devenus des citoyens de seconde zone, par rapport à ceux de l’Ouest :

    Là bas, ils ont des privilèges, de l’argent, ils vont travailler en Europe, ils respirent l’air pur des montagnes et il vivent jusqu’à 80 ans. Regardez leur maison, leur train de vie. Et nous, qu’est-ce qu’on a ? La pollution, le chômage, des salaires de misère. Et à cinquante ans, on est vieux ou déjà mort", soupire Sergei, 29 ans, qui participe à l’organisation du référendum.

    A Torez, c’est encore pire. Dans cette ville de 60.000 habitants dédiée au dirigeant communiste français, tout respire la colère, le sentiment de déclassement, la frustration. Sur les 12 mines de charbon que compte la région, il n’en reste plus que deux "et Kiev va les fermer, c’est sûr". Ici, on est persuadé que toutes les richesses de la région sont pillées par la capitale. La plupart des usines encore en activité sont au chômage technique, sous perfusions de subventions. Le salaire moyen ne dépasse pas les 12.000 grivnas (120 euros) par mois. "Personne ne nous entend, personne ne s’occupe de nous", soupire Natalia Ivanovna, qui tient le bureau. "Là-bas, ils nous méprisent. Mais cette fois, on a enfin fait entendre notre voix."

    Natacha Tatu, en Ukraine - Le Nouvel Observateur