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    Ces quatre jours où Hollande a « redessiné » la carte de France

    Lien publiée le 8 juin 2014

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    Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

    (Les Echos) Jusqu’au bout, le suspens a plané sur la carte de France des 14 régions présentée la semaine dernière par le chef de l’Etat. Lobbying, revirements... Plongée dans les coulisses de la négociation finale.

    Ombres et « lumière »

    En cette fin de matinée du vendredi 30 mai, François Hollande en est encore à chercher « la lumière ». Celle d’un quinquennat plus dur que prévu. Celle, aussi, de la réforme territoriale, sur laquelle il planche depuis de longues semaines et qu’il doit annoncer trois jours plus tard. Le chef de l’Etat inaugure à Rodez le musée Pierre Soulages, maître de la peinture abstraite et créateur de l’« outrenoir ». Il file la métaphore : « L’artiste, l’entrepreneur, l’ouvrier, l’acteur politique : chacun crée. Et de ce noir-là se dégage une lumière, une espérance ». François Hollande fait aussi une référence à la future carte des régions, dont il a promis de réduire le nombre de moitié. « Il faut que les territoires soient plus puissants pour qu’ils puissent mener à bien des politiques culturelles et économiques ». Les éléments de langage sont prêts. Pas le redécoupage, même si le sort de plusieurs régions est déjà scellé : l’Ile-de-France restera seule, comme Paca et la Corse. Le mariage de Bourgogne et de la Franche-Comté est tranché, comme celui de Midi-Pyrénées et du Languedoc-Roussillon. Dans les jardins du musée, François Hollande s’isole quelques instants avec Martin Malvy. « Il m’a écouté mais il n’a pas dit son choix », raconte le président de Midi-Pyrénées. Lui n’est pas hostile à un rapprochement avec le Languedoc-Roussillon. Mais le patron de cette région, Christian Bourquin, qui n’est pas là, tempête et résiste. En vain. Au même moment, les membres du gouvernement se retrouvent à Matignon pour un déjeuner consacré à la réforme. L’ensemble de la carte est évoqué mais le sort de la Bretagne et des Pays de la Loire est « la question la plus lourde ». Un participant raconte : « La quasi totalité des ministres, même les Bretons, étaient favorables à leur fusion. Ségolène Royal est la seule à pousser l’idée d’une Bretagne seule ». L’ex présidente de Poitou-Charentes s’imagine davantage unie aux Pays-de-Loire qu’à la puissante Aquitaine. Manuel Valls penche vers la fusion mais ne tranche pas. D’autant que le principal défenseur du statu quo breton, Jean-Yves Le Drian, est absent. En déplacement à Singapour, mais « très inquiet », selon des élus, le ministre de la Défense gère l’affaire par téléphone. Surtout avec le président, dont il est un proche. Déjà, un Hollandais confie : « Cette réforme, ça ne va pas être triste… »

    « Top 14 »

    En ce samedi, les pronostics vont bon train. Le résultat final figure pourtant déjà noir sur blanc, comme un clin d’œil, sur l’agenda officiel du président. Ce samedi soir, François Hollande assiste à la finale du « Top 14 »... de rugby. Ce soir-là, l’Elysée oscille, selon les scénarios, « entre douze et quatorze » régions. Le chiffre ne sera définitif que dans l’après-midi du lundi. Avant le match, le président rencontre Manuel Valls à 18 heures pour une énième réunion de calage. Les grandes lignes de la réforme sont là : report des élections en novembre 2015, renforcement du poids des régions, suppression des départements après 2020. Manque le plus sensible : la carte. Cela fait des semaines que l’Elysée fait marcher le crayon et la gomme sans trouver la solution. A cet instant, la fusion Bretagne-Pays de la Loire est encore « une hypothèse forte et crédible » assure un haut responsable. Mais ne fait toujours pas consensus...« Normalement, tout aurait dû être calé à ce moment-là. Mais ça crispait, ça bloquait », regrette un observateur. D’autant qu’il ne suffit pas de trouver un découpage cohérent sur le plan géographique, économique et identitaire. Il faut de surcroît arbitrer entre les desiderata contradictoires de barons régionaux tous socialistes -Alsace mise à part. Des hommes et des femmes qui, pour la plupart, connaissent François Hollande par cœur.

    Dominos

    Dimanche, les soutiers de la réforme territoriale sont au milieu du gué. François Hollande se rend à Trévières, dans le Calvados, pour rendre hommage aux victimes de la guerre, accompagné de son ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve. Le cas de la Normandie est pourtant tranché depuis les européennes. Le séisme des élections a eu raison de la piste défendue par Laurent Fabius et Martine Aubry d’une vaste région « Manche Mer du Nord » englobant Haute et Basse Normandie, Nord-Pas de Calais et Picardie. Pas question d’offrir la région sur un plateau au FN. C’est un argument que brandit aussi Daniel Percheron, le président de la région Nord-Pas de Calais, pour ne pas être uni à la seule Picardie. Ce dimanche, il obtient satisfaction. Le Nord-Pas-de-Calais reste seul, ce qui n’a rien d’incohérent vu sa taille. Mais que faire, alors, de la Picardie, dans ce qui ressemble de plus en plus à un jeu de dominos ? Elle rejoindra la Champagne-Ardenne, dont la fusion avec l’Alsace-Lorraine suscite des réticences. Comme nombre d’élus, le président picard, Claude Gewerc, ne l’apprend que 24 heures plus tard, par un coup de fil de Bernard Cazeneuve. La surprise est complète. Car, jure-t-il, le scénario n’a jamais été évoqué. « L’Elysée a fait ses arbitrages », lui dit-on. « Le manque de concertation avec les élus locaux a été total », regrette-t-il. La nouvelle entité laisse plus d’un élu sceptique. « Ca n’a pas de sens », tacle un ministre.

    Pavé breton

    En bons marins, les bretons savent qu’une course n’est jamais gagnée d’avance. Ils ont aussi appris à naviguer par vents contraires. Jean-Yves Le Drian, mais aussi le président de la commission des lois à l’Assemblée, Jean-Jacques Urvoas, sont à pied d’oeuvre pour faire changer François Hollande de cap. Le ministre de la Défense n’a cessé de répéter au président, dont il est un très proche : « Fusionner la Bretagne avec les Pays de Loire sera compris par les Bretons comme une disparition de la Bretagne, qui est une réalité depuis 1.200 ans. Ça va enflammer la région », a-t-il plaidé. « Le Drian, il est têtu le bougre ! Il s’est dit : avec Hollande, on ne sait jamais... », s’amuse un poids lourd du PS. Les partisans d’une Bretagne seule ont pour eux le souvenir, cuisant pour l’exécutif, du mouvement des bonnets rouges. D’autres, y compris des proches du chef de l’Etat, y voient dans cet « isolationnisme » une aberration économique. Selon l’Elysée, c’est lors du déjeuner de lundi entre François Hollande et Manuel Valls que le choix est arrêté. « Entre le fromage et le dessert », ironise un ténor de la majorité. A 15h 30, le président reçoit Jean-Yves Le Drian. « Tu es sûr ? », vérifie une dernière fois le chef de l’Etat. Le ministre n’en démord pas. En sortant, il n’a plus aucun doute : la Bretagne poursuit sa course en solitaire.

    Tweets et lobbying

    Tout l’après midi, le mercato des régions de l’ouest continue dans une confusion croissante. Les Pays de la Loire n’ont donc plus de promise. Les portables « chauffent », le lobbying est intense. « On a reçu cinquante coups de fils chacun d’élus locaux », confie un conseiller. François Hollande prend lui-même le combiné pour tester les scénarios auprès des élus. Le président des Pays-de-la-Loire, Jean-Jacques Auxiette, est appelé. « Le président de la République, raconte-t-il, m’a fait part de la volonté de nos voisins bretons de rester à 4 départements et a évoqué d’autres hypothèses ». En l’occurrence une fusion avec Poitou-Charentes. Le téléphone à peine raccroché, Jacques Auxiette s’ouvre de la conversation aux élus présents dans la salle avec lui. Les réseaux sociaux s’emballent. Jean-Marc Ayrault réagit, lui aussi. L’ex Premier ministre, ancien maire de Nantes a beaucoup consulté. Il envoie un SMS au chef de l’Etat. « Pas question d’être avec Poitou-Charente, ça ne passera jamais », prévient-il. François Hollande lui promet de le rappeler. Mais l’ancien locataire de Matignon n’entend pas rester les bras ballants. « Pour l’Ouest, l’intérêt des populations est la fusion Pays-de-la-Loire/Bretagne autour des métropoles Nantes et Rennes », tweete-t-il. Comprendre : nous marier avec le fief du chabichou est une aberration. Son message ne passe pas inaperçu. Une solution est arrêtée, aux allures de compromis très Hollandais : laisser les Pays de la Loire seuls, eux aussi. « Jean-Yves ne veut pas bouger », justifiera le chef de l’Etat auprès de Jean-Marc Ayrault. La solution a aussi l’avantage de « préserver l’avenir ». En laissant aux parlementaires la possibilité de célébrer plus tard une éventuelle union. « On crée les conditions possibles pour que deux célibataires se mettent en couple », plaisante un conseiller. Reste un problème de taille : casser la région Centre, trop petite pour rester seule, trop pauvre pour ne fusionner qu’avec le Limousin. Depuis des semaines, « elle courtisait les Pays de la Loire pour ne pas être seule », raconte un baron local. Son célibat a pourtant été envisagé au cours de l’après-midi. Brièvement. Ce sera finalement un triumvirat avec Poitou-Charentes et Limousin, que beaucoup d’élus estiment bancal. A 20 heures, une réunion d’urgence est convoquée dans le Salon vert de l’Elysée, autour de François Hollande. Il s’agit notamment d’« associer » Marylise Lebranchu et André Vallini, les ministres de la Décentralisation et de la Réforme territoriale, aux derniers arbitrages. L’occasion, aussi, d’une dernière discussion, même si « la carte restera inchangée ». L’ambiance est tendue. « On n’a pas refait de grands débat philosophique. Il fallait décider vite. Cette carte est un compromis », raconte un participant. Un compromis qui ne fait pas que des heureux. Ségolène Royal a perdu face à Jean-Marc Ayrault, qui n’avait pas eu gain de cause face à Jean-Yves Le Drian. Le lendemain, au Conseil des ministres, la ministre de l’Ecologie fait grise mine. « Elle faisait la gueule. Elle était marquée », glisse un de ses collègues. Mais l’affaire fait au moins un heureux : le président du Limousin, Jean-Paul Denanot. Heureux, mais surpris : le lundi matin, ce proche du chef de l’Etat avait été informé d’un mariage... avec l’Aquitaine.

    « XXX »

    L’Elysée, qui a dû renoncer à publier sa tribune dans la presse régionale dès le lundi matin, espérait au moins pouvoir « accrocher » les JT du 20 heures. Raté. Retardé par cette ultime réunion, le texte de François Hollande n’est diffusé qu’après 21 heures. Titré « réformer les territoires pour réformer la France », il est envoyé aux journaux - pressés par leurs horaires de bouclage - avec un « XXX » en lieu et place du nombre de régions. La chose n’aurait jamais dû être révélée ; elle l’est. Sur les réseaux sociaux, les internautes se déchaînent contre l’« improvisation ». Jusqu’au sommet de l’Etat, certains ne cachent pas leur étonnement devant ce « raté dramatique ». Devant l’absence de « storytelling » aussi. Un membre du gouvernement grince des dents : « C’est un texte administratif, techno, qui aurait pu être signé par le ministre de l’Intérieur. Cette réforme méritait qu’il emmène le pays. Là, il parlait aux élus et pas à la population, alors qu’il a besoin de la population face aux élus ». Un fidèle du chef de l’Etat tempère : « Dans trois ans, qui se souviendra de ça ? C’est une réforme tellement importante qu’il est normal qu’il y ait frottement quand elle rentre dans l’atmosphère ».