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Le gouvernement cède au patronat, misant sur la résignation des syndicats

Lien publiée le 4 juillet 2014

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

(Mediapart) Manuel Valls a annoncé mercredi le report partiel de la mise en œuvre du « compte pénibilité », mesure phare de la dernière réforme des retraites, jugée essentielle par les syndicats mais décriée depuis des mois par le Medef. À moins d’une semaine de la conférence sociale, l’exécutif confirme chaque jour davantage sa ligne libérale.

« J’ai mal au cœur. J’ai appris la nouvelle ce matin par le journal des patrons alors que François Hollande vante tous les jours le dialogue social comme le socle de sa politique. » C’est un syndicaliste réformiste, proche de François Hollande, qui parle sous couvert d’anonymat. D’habitude peu critique sur l’action gouvernementale, il est cette fois « abattu ».

À cinq jours de la grande conférence sociale, sans même prévenir les syndicats de salariés, le premier ministre a lâché une bombe sociale mercredi dans une interview au quotidien Les Échos (à lire ici), en annonçant un report partiel de la mise en œuvre du « compte pénibilité ». Une mesure phare de la dernière réforme des retraites, jusque-là défendue par le PS comme la contrepartie à l’allongement de la durée de cotisations, et comme un symbole de l’équilibre social-démocrate de sa politique.

Manuel Valls répond ainsi aux exigences des organisations patronales qui menaçaient de boycotter la conférence sociale si le gouvernement ne reportait pas le compte pénibilité attendu pour le 1er janvier 2015, perçu comme une « usine à gaz ». Concrètement, le gouvernement propose que la mesure ne soit mise en œuvre que pour quatre critères sur dix. Ces quatre critères (travail de nuit, travail répétitif, travail posté et travail en milieu hyperbare) correspondent essentiellement aux grandes entreprises de l’industrie et préservent les petites entreprises, notamment du bâtiment. « Il vaut mieux commencer par les grandes boîtes qui ont des DRH sachant faire avant de basculer vers les petites. Les plus belles réformes sont celles qui fonctionnent », justifie un conseiller social du pouvoir.

Manuel Valls, le 28 avril 2014Manuel Valls, le 28 avril 2014 © Reuters

Mais dans le même entretien, le premier ministre ne s’arrête pas là, loin de là. Il affiche sa volonté de réformer le code du travail. « Je vais aussi demander (aux partenaires sociaux) d’engager des discussions sur les simplifications possibles du Code du travail, avec toujours la volonté de rendre le fonctionnement de l’économie plus souple, plus efficace », explique Manuel Valls. Il appuie la proposition du ministre du travail François Rebsamen de suspendre la mise en œuvre des seuils sociaux pour les entreprises franchissant la barre de 10, 30 ou 50 salariés. Et il annonce que la législation sur le temps partiel va être complétée « afin d’écarter tout risque juridique quand des contrats de moins de 24 heures par semaine sont établis avec l’accord individuel du salarié ». Là encore, il s’agissait d’un des acquis défendus jusque-là par la majorité comme la preuve de l’équilibre social de sa politique – c’était une des compensations à l’accord sur la flexibilité (Ani) – et un chiffon rouge pour les principales organisations patronales.

« Valls mélange tout dans le même panier : la pénibilité, le pacte de responsabilité, les seuils sociaux, le code du travail. C’est une très grande maladresse de sa part. On va droit vers le durcissement de l’opposition idéologique dans les prochains mois entre le patronat et les syndicats de salariés. Il n’y aura pas de discussions ouvertes sur la simplification du code du travail entre partenaires sociaux. C’est désormais impossible », pointe Jean Grosset, le numéro deux de l’Unsa qui a conseillé François Hollande durant la campagne présidentielle.

« Ce qui s’est passé aujourd’hui est inacceptable. Le dialogue social, c’est mettre autour de la table, tout le monde, malgré les désaccords. C’est convoquer les organisations, discuter avec elles, dire pourquoi tu vas arbitrer politiquement en faveur du patronat mais en expliquant pourquoi ! » rage encore Jean Grosset.

« En terme d’image, l’exécutif perd sur tous les fronts. Il donne l’image d’un gouvernement faible qui cède à la surenchère patronale, qui bafoue le dialogue social en mettant de côté les syndicats alors que nous discutons de la pénibilité avec les organisations patronales depuis onze ans, que le compte tel qu'il a été inscrit dans la loi puis discuté dans le cadre de la concertation confiée à Michel de Virville (ancien DRH de Renault et auteur d’un rapport récent sur la mise en œuvre du compte, ndlr) était juste et équilibré et il encourage le patronat à faire monter de plus belle les enchères pour arriver à ses fins : rogner les droits des salariés surtout s’ils sont nouveaux », renchérit Hervé Garnier, secrétaire national à la CFDT. Le patronat avait déjà obtenu plusieurs concessions sur le compte pénibilité, notamment sur le financement de la mesure.

Le gouvernement a donc réussi l’exploit de s’aliéner les deux syndicats qui ont signé tous les grands projets de l’exécutif depuis mai 2012. Au PS, les députés les plus critiques, ceux de l’Appel des 100, y ont vu une nouvelle provocation, au lendemain de leur vote pour le budget rectificatif et avant le scrutin sur le budget de la Sécurité sociale. « Les patrons l'ont exigé ! Le compte pénibilité, acquis majeur de la réforme retraites, sera en partie reporté. Insupportable ! » a par exemple tweeté Philippe Noguès. « Sortir des blocages, c'est prendre en compte sans retard la pénibilité pour les retraites », a également protesté Christian Paul, quand l’aile gauche du PS a publié un communiqué au titre évocateur « réformer, ce n'est pas céder au chantage du Medef ».

Quant au député Gérard Sébaoun, après avoir évoqué le sujet dans l’hémicycle (« Je repense à cet ouvrier d'une mine de gypse à qui j’ai dit que grâce à ce texte il aurait une retraite anticipée et des possibilités de reconversion », a-t-il lancé à la ministre Marisol Touraine), il s’en est pris directement à Matignon:

Même le député Christophe Castaner, peu coutumier de critiques à l’encontre de l’exécutif, est sorti de sa réserve. L’élu compte parmi les proches de l’ancien premier ministre Jean-Marc Ayrault, qui a, durant de longs mois, défendu mordicus sa réforme des retraites en s’appuyant notamment sur le compte pénibilité et qui, en privé, s’est agacé ces derniers mois du glissement libéral de François Hollande

L'obsession du « mouvement » de Manuel Valls

Les dernières annonces de Manuel Valls ne sont qu’une nouvelle illustration de ce glissement annoncé par le chef de l’État lors de sa conférence de presse du 14 janvier dernier, avec le fameux pacte de responsabilité. À l’Élysée comme à Matignon, les responsables socialistes sont intimement convaincus que la seule chance de relancer l’économie française et de lutter contre le chômage est d’aider les entreprises. Sauf que ce pari suppose que le patronat utilise les milliards d’euros du CICE et du pacte de responsabilité pour créer des emplois et investir, et pas pour augmenter les dividendes des actionnaires. Voilà pourquoi, dans le fond, l’exécutif cède en rafale à des exigences du Medef ou de la CGPME.

Le choix de Manuel Valls à Matignon ne pouvait que conforter cette politique. Les mots qu’il emploie dans son dernier entretien aux Échos sont révélateurs (et conformes à ses positions passées de blairiste revendiqué). Il ne s’agit plus d’idéologie assumée, ni du dialogue social si cher au social-démocrate Jean-Marc Ayrault mais de « mouvement ». « Mon obsession, c’est le mouvement, la réforme. Face au risque d’enlisement, face à la crise de confiance, économique et d’identité que notre pays traverse, je n’ai qu’une seule attitude : dire la vérité et dépasser les intérêts particuliers. Je veux sortir la France de ses blocages », explique le premier ministre.

« Il faut être pragmatique. C’est la prise en compte de la vraie vie… Nous avons la volonté d’aller vite et de recréer un climat de confiance avec les entreprises. C’est un geste d’apaisement », explique-t-on aussi au ministère du travail, à propos du report partiel du compte pénibilité. Il y a quelques semaines, François Rebsamen, en charge du travail et du dialogue social, racontait déjà en privé que plusieurs responsables de la fédération du bâtiment étaient venus dans son bureau et l’avaient convaincu de la trop grande difficulté du dispositif.

François Rebsamen, ministre du travail, le 15 mai 2014François Rebsamen, ministre du travail, le 15 mai 2014 © Reuters

« Il faut ramener du réalisme et de la simplification dans la vie économique », expliquait récemment ce proche de François Hollande, entré au gouvernement début avril. Il est d’ailleurs persuadé que la CFDT finira par accepter la suspension de l’application des seuils sociaux en échange de mesures de démocratie sociale, comme la représentation syndicale dans les très petites entreprises ou les carrières des délégués syndicaux, souvent hachées.

Rebsamen le défend d’autant plus que l’exécutif fait le pari que les syndicats dits réformistes, soutiens de la politique gouvernementale depuis deux ans, vont finir par rentrer dans le rang. « Tout cela va rentrer dans l’ordre. La question, c’est ce que fait le patronat. Je suis bien plus inquiet de la capacité du Medef sur la durée de garder un cap réformiste », explique un proche de François Hollande.

Si tous les syndicats ont condamné les annonces de Valls, ils devraient tous participer à la grande conférence sociale prévue les 7 et 8 juillet – la CGT n’a pas encore tranché et FO laisse planer la menace d’un boycott auquel l’exécutif ne croit pas une seconde. « On ne va pas imiter le patronat. La conférence sociale est utile. Nous voulons trouver des solutions pour les cinq millions de chômeurs et la reprise économique », explique Hervé Garnier de la CFDT.

« On pourrait nous aussi faire une tribune des syndicats comme les organisations patronales (dans le JDD) pour prendre en otage le gouvernement mais le patronat sait s’unir dans la désunion, pas nous », ironise Éric Aubin, négociateur de la CGT. Dans le camp du non à chaque grande réforme (accord sur l’emploi, retraites, pacte), la centrale de Montreuil, elle-même affaiblie par ses divisions internes, dénonce depuis des mois « la comédie du dialogue social ». « Nous avons un gouvernement qui négocie avec un seul syndicat : la CFDT et un patronat avec lequel il est quasi impossible de discuter. S’il continue de la sorte, il ne fera rien pour les droits des plus faibles, des millions de salariés, précaires et chômeurs », déplore Éric Aubin. La conférence sociale des 7 et 8 juillet s’annonce tendue.

La boîte noire :

Toutes les personnes citées ont été interrogées mercredi par téléphone.