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Avignon en grève, intermittents en force
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
(Mediapart) La décision de ne pas jouer les spectacles d'ouverture du 68e festival d'Avignon constitue un sérieux coup de semonce pour le gouvernement et la mission de concertation lancée par Manuel Valls.
Avignon, de notre envoyé spécial. « Grève ensemble plutôt que crève seul(e) », disait une affiche brandie par une intermittente avignonnaise. L'appel lancé aux intermittents en début de semaine par la ministre de la culture, Aurélie Filippetti, à mettre fin au mouvement, n'aura donc pas résonné à proximité du palais des Papes.
Au contraire des hourras et bravos lancés par l'AG des intermittents réunis en ce matin du vendredi 4 juillet devant le palais lorsqu'ils ont appris que les artistes et techniciens du In avaient voté la grève pour les représentations du soir. « Je n'annulerai pas le festival d'Avignon et je peux donc annoncer que même s'il y a grève, le festival est commencé et je m'en réjouis malgré tout », a déclaré Olivier Py, le directeur du festival, tout en précisant que ce ne serait « pas une édition du festival comme les autres ».
Cette décision constitue un revers pour le gouvernement, dont plusieurs voix avaient jugé que la mission de concertation lancée par le premier ministre serait suffisante pour garantir le bon déroulement des festivals d'été en pariant sur les divisions internes au mouvement. Le collectif du In, qui n'est pas composé seulement d'intermittents mais aussi de vacataires et de salariés permanents ou non, s'était prononcé en début de semaine, à 80 %, pour que le festival ait lieu. Mais il avait aussi, jeudi 3 juillet, voté la grève pour le jour d'ouverture du festival, lors duquel deux spectacles devaient se tenir.
Une décision suivie ce matin par les artistes et techniciens du Prince du Hombourg, mis en scène par Giorgio Barberio Corsetti dans la cour d'honneur du palais des Papes et ceux de Coup fatal, signé par Serge Kakudji, Fabrizio Cassol et Alain Platel dans la cour du lycée Saint-Joseph. Pour Pierre Routin, ingénieur du son employé à la cour d'honneur, « il fallait faire quelque chose au-delà de la traditionnelle prise de parole d'avant spectacle ».
Le combat des intermittents continue ainsi à mettre la pression sur le gouvernement et le processus de concertation confié à l'ancienne directrice du festival d'Avignon, Hortense Archambault, au député PS Jean-Patrick Gille, et à l'ancien directeur du travail Jean-Denis Combrexelle. « C'est un moment très important, juge Marc Slyper de la CGT Spectacle. C'est une réponse cinglante aux pressions des directeurs de festivals, au premier ministre, à la ministre de la culture, à tous ceux qui ont agréé cet accord détestable négocié en toute déloyauté et n'ont cessé de répéter que les festivals devaient se tenir normalement parce qu'il n'y avait plus de problème maintenant qu'une pseudo-concertation était lancée. »
Le propos est sensiblement le même du côté du collectif du In, qui a adressé, à quelques heures du match France-Allemagne, un « carton rouge au gouvernement » et annoncé que les prochains spectacles du festival ne se tiendraient pas en présence de ministres de Manuel Valls, déclarés persona non grata à Avignon. Pour Xavier, l'un des porte-parole de ce collectif : « Il y aura d'autres actions. Pour le moment, nos appels aux médiateurs sont restés sans réponse, et nous les invitons à venir nous rencontrer ici. »
Lors d'un point tenu devant l'opéra d'Avignon, ce collectif a estimé que la grève entraînant l'annulation des deux spectacles d'ouverture « était une décision douloureuse mais symbolique et nécessaire », car « ce qui est en jeu ici, c'est la défense des droits sociaux de notre pays. Il n'y a pas que la voie libérale pour survivre dans le monde d'aujourd'hui ».
Cette convergence des luttes et des discours entre les différentes coordinations, la CGT Spectacle, le collectif du In et de nombreux représentants des compagnies du Off bat pour le moment en brèche les fractures annoncées au sein du spectacle vivant, relayées par de nombreux médias prompts à monter en épingle un clivage insurmontable entre une poignée « d'extrémistes » et une majorité d'artistes et de techniciens « raisonnables » empêchés de travailler.
« Le collectif du In a pris la décision de la grève à huis clos, même s'ils avaient les informations de la CGT spectacle et des coordinations et si nous avions pu communiquer avec eux, précise Marc Slyper. Et le vote s'est déroulé à bulletins secrets, ce qui est fondamental pour maintenir l'unité car personne ne se regarde ensuite en chien de faïence, même si on se demande qui a voté pour ou contre. » Le syndicaliste ne cache donc pas sa satisfaction : « L'unité de la profession est sauve malgré les pressions », se réjouit-il.
« Ce que nous défendons, nous le défendons pour tous »
« Il était important de renvoyer une autre image que la division qui s'était exprimée devant les médias lorsqu'un petit groupe avait envahi le plateau de la cour d'honneur où nous faisions la générale du Prince du Hombourg », précise Pierre Routin, en référence à un épisode qui s'est déroulé mercredi 2 juillet au soir.
La CGT Spectacle, au lendemain de cette interruption des répétitions de la cour d'honneur, s'était d'ailleurs fendue d'un communiqué se prononçant « fermement et clairement contre les blocages », tout en mettant en garde les membres du gouvernement « sur le caractère désinvolte de leurs déclarations publiques. Faire croire que nous avons obtenu satisfaction alors que la convention a été agréée et est entrée en application depuis le 1er juillet, va produire des effets dévastateurs pour tous les chômeurs, intérimaires, intermittents et précaires ».
Même Olivier Py qui avait récemment, à l'occasion d'un reportage télévisé sur les blocages de représentations qui se sont produits à Montpellier, parlé de « casseurs » (regarder la vidéo à 6 min du début) avant de regretter ce terme, s'affiche aujourd'hui sur la même longueur d'ondes : « On me demande souvent si je soutiens ce mouvement. Mais je ne soutiens pas ce mouvement, j'en fais partie. C'est un mauvais accord et il est important d'arriver à une situation juste. »
En dépit de dissensions persistantes sur les modalités d'action, plus que sur la nécessité de trouver un régime d'indeminisation chômage satisfaisant pour le monde du spectacle et l'ensemble des précaires, le maintien d'une dynamique unitaire constitue sans doute le principal combat des intermittents qui se poursuit désormais en Avignon.
La grève décrétée pour le soir d'ouverture ne paraît pas menacer le déroulement des prochaines représentations du festival, même si Olivier Py a jugé vendredi en fin de matinée que « nous ne savons pas ce qui va se passer dans les jours à venir », tout en estimant le manque à gagner de cette journée d'ouverture sans spectacles à 29 000 euros.
La CGT a certes déposé un préavis de grève qui court durant tout le mois de juillet, mais Marc Slyper explique qu'elle « n'appelle pas à la grève reconductible parce que le fait qu'un festival ne se tienne pas constitue une catastrophe à la fois culturelle, sociale et économique. » D'autres journées de grève sont cependant possibles, notamment le 12 juillet prochain.
Que va-t-il se passer désormais ? « Nous sommes contents de pouvoir rencontrer le Medef et de lui montrer nos propositions, même s'il s'agit d'une simple table ronde et pas de renégociation, explique Paul-Marie Plaideau, membre de la coordination des intermittents et des précaires du Languedoc-Roussillon. Mais nous réclamons toujours l'abrogation du protocole Unedic et la renégociation des annexes 8 et 10 sur la base des propositions du comité de suivi. »
Ce chargé de production, qui a été l'un des animateurs des 27 jours de grève qui ont, lors du Printemps des comédiens de Montpellier lancé la phase active de la contestation, l'assure : « Il a fallu la grève de Montpellier pour que la plate-forme de concertation soit lancée, et il faut donc continuer les actions si on veut obtenir de nouveaux droits sociaux. Mais ce mouvement peut aussi devenir l'occasion de réformer le Festival Off d'Avignon. »
Ce dernier est en effet aussi la cible des coordinations d'intermittents qui en contestent certaines logiques marchandes. La conférence de presse du Off, prévue jeudi 3 juillet en fin d'après-midi à la mairie d'Avignon, a ainsi été empêchée de se tenir par des manifestants brandissant une gigantesque banderole sur laquelle était inscrit : « Ce que nous défendons, nous le défendons pour tous ».
En attendant de savoir comment va se dérouler ce «festival militant », la mairie annexe d'Avignon, située place des Carmes, à proximité du QG des coordinations, a été rebaptisée, « mairie annexe IV, VIII et X » en référence au protocole d'indemnisation chômage des précaires, intérimaires et intermittents, dont une partie de l'avenir se joue ici dans les prochains jours.