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    Lénine sur Tolstoi

    Lien publiée le 11 septembre 2014

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    Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

    http://solidarite-internationale-pcf.over-blog.net/article-sur-tolstoi-lenine-explique-les-le-ons-que-peuvent-tirer-les-militants-revolutionnaires-de-l-oeuvre-124548680.html

    Mort de Tolstoi

    Par Vladimir Ilitch Lénine

    Traduction réalisée en 1968 par une équipe Editions sociales/Editions du Progrès (cf plus bas) reprise par http://solidarite-internationale-pcf.over-blog.net/

    « Il expliquera aux masses la critique du capitalisme faite par Tolstoi, non pour que les masses se bornent à maudire le capital et le pouvoir de l'argent, mais pour qu'elles apprennent à s'appuyer, à chaque pas de leur vie et de leur lutte, sur les conquêtes techniques et sociales du capitalisme, pour qu'elles apprennent à se fondre en une seule armée de millions de combattants socialistes, qui renverseront le capitalisme et créeront une société nouvelle sans misère du peuple, sans exploitation de l'homme par l'homme. »

    Léon Tolstoi est mort. Son importance mondiale comme artiste, sa renommée mondiale de penseur et de prédicateur traduisent, l'une et l'autre, l'importance mondiale de la révolution russe

    Léon Tolstoi s'est fait connaître comme grand écrivain dès l'époque du servage. Dans une série d'œuvres géniales qu'il composa au cours de sa carrière littéraire de plus d'un demi-siècle, il peignit surtout la vieille Russie d'avant la révolution, demeurée, même après 1861, dans un état de demi-servitude, la Russie rurale, la Russie du propriétaire foncier et du paysan. Décrivant cette période historique de la vie russe, Léon Tolstoi a su poser dans ses écrits un si grand nombre d'immenses problèmes, il a su atteindre à une telle puissance artistique que ses œuvres se classent parmi les meilleures de la littérature mondiale. La période de la préparation de la révolution dans un des pays opprimés par les tenants du servage apparut, grâce à la peinture géniale de Tolstoi, comme un pas en avant dans le développement artistique de l'humanité tout entière.

    Tolstoi artiste n'est connu que d'une infime minorité, même en Russie. Pour que ses œuvres grandioses puissent effectivement être mises à la portée de tous, il faut lutter et lutter encore contre l'ordre social qui a condamné des millions et des dizaines de millions d'hommes à l'ignorance, à l'hébétement, à un labeur de forçat et à la misère; il faut la révolution socialiste.

    Et Tolstoi n'a pas seulement créé des œuvres d'art que les masses apprécieront et liront toujours, quand, après avoir brisé le joug des grands propriétaires fonciers et des capitalistes, elles se seront créé des conditions humaines d'existence, il a su rendre, avec une force remarquable, l'état d'esprit des grandes masses, opprimées par le régime actuel; décrire leur situation, exprimer leur sentiment spontané de protestation et de colère. Appartenant surtout à l'époque qui va de 1861 à 1904, Tolstoi a incarné, dans ses oeuvres, avec un relief extraordinaire – comme artiste, comme penseur et prédicateur – les traits historiques particuliers de la première révolution socialiste tout entière, sa force et sa faiblesse.

    Un des principaux traits distinctifs de notre révolution, c'est qu'elle fut une révolution bourgeoise paysanne, à une époque où le capitalisme avait atteint un degré de développement extrémement élevé dans le monde entier et relativement élevé en Russie. Ce fut une révolution bourgeoise, car elle avait pour tâche immédiate de renverser l'autocratie tsariste, la monarchie tsariste et de détruire la propriété foncière des hobereaux, et non de renverser la domination de la bourgeoisie. La paysannerie, surtout, ne se rendait pas compte de ce qu'était cette dernière tâche, ni en quoi elle différait des objectifs plus proches et plus immédiats de la lutte. Ce fut aussi une révolution bourgeoise paysanne, car les conditions objectives avaient mis en avant le problème de la transformation des conditions fondamentales de la vie des paysans, de la destruction de l'ancien régime moyenâgeux de possession foncière, du « déblaiement du terrain » pour le capitalisme; les conditiobs objectives poussèrent les masses paysannes dans l'arène d'une action historique plus ou moins indépendante.

    Dans les oeuvres de Tolstoi se sont exprimées et la force et la faiblesse, et la puissance et l'étroitesse du mouvement paysan de masse. Sa protestation chaleureuse, passionnée, parfois impitoyablement acerbe, contre l'État et l'Église officielle policière, traduit les sentiments de la démocratie paysanne primitive, au sein de laquelle des siècles de servage, d'arbitraire et de brigandage administratifs, de jésuitisme clérical, de mensonges et d'escroqueries, ont accumulé des montagnes de colère et de haine. Sa négation intransigeante de la propriété foncière privée traduit la mentalité de la masse paysanne à un moment historique de l'ancien régime moyenâgeux de possession foncière, des hobereaux, de la couronne et des « apanages » avait fini par former un obstacle intolérable au développement du pays et devait, inéluctablement, être détruit de la manière la plus rigoureuse et la plus impitoyable. Sa dénonciation incessante du capitalisme, empreinte du sentiment le plus profond et de la plus véhémente indignation, exprime toute l'horreur du paysan patriarcal qui voit s'avancer sur lui un nouvel ennemi, invisible, inconcevable, venant de la ville ou de l'étranger, détruisant tous les « fondements » de la vie rurale, apportant une ruine sans précédent, la misère, la mort par la famine, l'ensauvagement, la prostitution, la syphilis – tous les fléaux de l' « époque de l'accumulation primitive », aggravés au centuple par le transfert sur le sol russe des procédés les plus modernes de brigandage, élaborés par Monsieur Coupon, (1)

    Mais, en même temps, l'ardent protestaire, l'accusateur passionné, le grand critique, montra, dans ses oeuvres, une incompréhension des causes de la crise qui fonçait sur la Russie et des moyens d'en sortir, digne tout au plus d'un naif paysan patriarcal, mais non d'un écrivain de formation européenne. La lutte contre l'Etat féodal et policier, contre la monarchie, se réduisit, chez lui, à nier la politique, conduisit à l'enseignement de la « non-résistance au mal », aboutit à l'écarter complètement de la lutte révolutionnaire des masses en 1905-1907. La lutte contre l'Eglise officielles'accompagnade la prédication d'une religion nouvelle, épurée, c'est-à-dire d'un nouveau poisonépuré, raffiné, à l'usage des masses opprimées. La négation de la propriété foncière privée conduisit non pas à concentrer toute la lutte contre l'ennemi véritable, la propriété foncière des hobereaux et son instrument de domination politique, la monarchie, mais à des soupirs rêveurs, vagues et impuissants. La dénonciation du capitalisme et des fléaux qu'il apporte aux masses s'accompagna d'une attitude absolument apathique à l'égard de la lutte libératrice que mène à l'échelle mondiale le prolétariat socialiste international.

    Les contradictions dans les vues de Tolstoi ne sont pas celles de sa pensée strictement personnelle; elles sont le reflet des conditions et des influences sociales, des traditions historiques au plus haut point complexes et contradictoires, qui ont déterminé la psychologie des différentes classes et des différentes couches de la société russe à l'époque postérieureà la réforme, mais antérieureà la révolution.

    Aussi n'est-il possible de porter un jugement exact sur Tolstoi qu'en se plaçant au point de vue de la classe qui, par son rôle politique et sa lutte lors du premier règlement de ses contradictions, lors de la révolution, a prouvé sa vocation de chef dans le combat pour la liberté et pour l'affranchissement des masses exploitées, prouvé son attachement indéfectible à la cause de la démocratie et ses capacités de lutte contre l'étroitesse et l'inconséquence de la démocratie bourgeoise (y compris la démocratie paysanne): ce jugement n'est possible que du point de vue du prolétariat social-démocrate.

    Voyez le jugement que portent sur Tolstoi les journaux du gouvernement. Ils versent des larmes de crocodile, protestant de leur respect à l'égard du « grand écrivain », et défendant en même temps le « Saint » Synode. Or, les saints pères viennent de perpétrer une vilenie, particulièrement abjecte, en dépêchant des popes auprès du moribond, afin de duper le peuple et dire que Tolstoi « s'est repenti ». Le Saint Synode a excommunié Tolstoi. Tant mieux. Il lui sera tenu compte de cet exploit à l'heure où le peuple réglera ses comptes avec les fonctionnaires en soutane, les gendarmes en Jésus-Christ, les sinistres inquisiteurs qui ont encouragé les pogroms antijuifs et les autres exploits de la bande tsariste des Cent-Noirs.

    Voyez le jugement que portent sur Tolstoi les journaux libéraux. Ils s'en tirent avec ces phrases creuses, ces poncifs libéraux, ces lieux communs professoraux sur la « voix de l'humanité civilisée », l' « écho mondial unanime », les « idées de la vérité, du bien », etc., pour lesquels Tolstoi avait si fort – et si justement – stigmatisé la science bourgeoise. Ils ne peuvent pas exprimer clairement et franchement leur point de vue sur les opinions de Tolstoi concernant l'Etat, l'Eglise,la propriété foncière privée, le capitalisme – non parce que la censure les en empêche; au contraire, la censure leur permet de se tirer d'embarras! – mais parce que chaque affirmation dans la critique faite par Tolstoi est une gifle administrée au libéralisme bourgeois; parce que le seul énoncé intrépide, franc, d'une âpreté implacable, des problèmes les plus douloureux, les plus maudits de notre temps, porte un coup droit aux phrases stéréotypées, aux pirouettes banales, aux mensonges « civilisés » évasifs de notre presse libérale (et libérale populiste). Les libéraux sont tout feu, tout flamme pour Tolstoi, contre le synode – et en même temps, ils sont pour... les adeptes desViekhi, avec lesquels « on peut discuter », mais avec qui « on doit » s'accomoder au sein d'un même parti, « on doit » travailler ensemble en littérature et en politique. Or, les gens des Viekhi reçoivent les embrassades d'Antoni Volynski (2)

    Les libéraux mettent en avant que Tolstoi a été une « grande conscience ». N'est-ce pas là une phrase creuse que répètent sur tous les modes le « Novoie Vrémia » (3) et tous ses pareils? N'est-ce pas là une échappatoire aux problèmes concrets de la démocratie et du socialisme, posés par Tolstoi? Cela ne met-il pas au premier plan ce qui, en Tolstoi, exprime ses préjugés et non sa raison, ce qui, en lui, appartient au passé et non à l'avenir, à sa négation de politique et sa prédication d'auto-perfectionnement moral, et non à sa protestation véhémente contre toute domination de classe?

    Tolstoi est mort, et la Russie d'avant la révolution a sombré dans le passé, la Russie dont la faiblesse et l'impuissance se sont exprimées dans la philosophie et ont été dépeintes dans les oeuvres du génial artiste. Mais il y a, dans son héritage, ce qui ne sombre pas dans le passé, ce qui appartient à l'avenir. Cet héritage, le prolétariat de Russie le recueille, et il l'étudie. Il expliquera aux masses des travailleurs et des exploités le sens de la critique tolstoienne de l'État, de l'Église, de la propriété foncière privée, non pour que les masses se bornent à leur auto-perfectionnement et à des soupirs en invoquant une vie selon Dieu, mais pour qu'elles se lèvent pour porter un nouveau coup à la monarchie tsariste et à la grande propriété foncière qui, en 1905, n'ont été que légèrement entamées et qu'il faut anéantir. Il expliquera aux masses la critique du capitalisme faite par Tolstoi, non pour que les masses se bornent à maudire le capital et le pouvoir de l'argent, mais pour qu'elles apprennent à s'appuyer, à chaque pas de leur vie et de leur lutte, sur les conquêtes techniques et sociales du capitalisme, pour qu'elles apprennent à se fondre en une seule armée de millions de combattants socialistes, qui renverseront le capitalisme et créeront une société nouvelle sans misère du peuple, sans exploitation de l'homme par l'homme.

    Notes:

    --1) « Monsieur Coupon »: expression imagée employée dans les années 80 et 90 pour désigner le capital et les capitalistes. Elle fut lancée par l'écrivain Gleb Ouspenski dans ses essais « Graves péchés 

    --2) Antonius Volynsky, prélat orthodoxe ultra-réactionnaire

    --3) « Le temps nouveau », quotidien des milieux réactionnaires publié à St-Pétersbourg entre 1868 et 1917

    Extrait du « Social-démocrate », n 18, 16 (29) novembre 1910 – in Oeuvres, tome XVI, p 340-345 – Editions sociales/Editions du Progrès – 1968

    Traduction supervisée par Roger Garaudy – Réalisée par Michèle Coudrée, Robert Chabanne, Nikita Siberoff, Olga Tatarinova