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Défendre corps et âme la dernière zone humide d’un département
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
http://www.bastamag.net/Defendre-avec-corps-et-ame-la
Elle fait partie des « enterrés ». Camille a décidé le 8 septembre d’être ensevelie volontairement sous un ensemble de troncs et de terre, seul le buste demeurant à l’air libre. Objectif : empêcher un projet de barrage dans le Tarn. Celui-ci engloutirait la dernière zone humide du département au profit d’une poignée de producteurs de maïs. « Il en faudra plus qu’une bousculade et une cheville foulée pour que je recule face à cette injustice. Ce n’est pas une question d’arbres et de rivières, c’est une forme de vie humaine, digne et réfléchie qui est en jeu au Testet ». Voici son témoignage.
En tant qu’étudiante d’origine colombienne, défendre corps et âme la dernière zone humide d’un département de France ne faisait pas partie de mon programme pour fêter mon anniversaire cette année. Pourtant, le matin du lundi 8 septembre, j’y étais. Cela fait des années que les habitants de la zone aux alentours de la forêt de Sivens dans le Tarn (à 30 km d’Albi) s’opposent à ce projet de barrage. Un projet qui implique le déboisement et donc la mort de 19 hectares d’une forêt et d’une zone humide où cohabitent environ cent espèces protégées.
Il ne s’agit pas seulement de défendre cet écosystème important pour la région et pour la planète entière, mais de constater qu’une fois de plus il s’agit d’une lutte inégale et injuste entre, d’un côté des gens du commun qui subissent et de l’autre, des décideurs politiques et économiques tout puissants qui en tirent profit.
Matraques et lacrymos
La semaine dernière, les vidéos et les photos ont commencé à circuler et les alarmes à retentir : sur les images, on pouvait voir des soldats en tenue de robocop, des gendarmes, s’attaquant frontalement à l’abri que les résistant-es qui campaient sur la ZAD du Testet avaient monté comme refuge. C’était à coup de matraques et de lacrymos qu’on a décidé de répondre à la demande légitime d’un groupe d’habitant-es. Ceux-ci vont subir les conséquences de ce projet disproportionné, dévastateur et qui coûte très cher (8,5 millions d’euros !). Un projet qui est une aubaine pour le groupe économique qui le réalise et le petit nombre d’exploitants dédié à la culture intensive de maïs qui en bénéficieront.
Bien qu’une audience soit prévue au tribunal à la fin du mois, le déboisement a démarré le 1er septembre en toute illégalité. Les gendarmes censés protéger les citoyen-nes, emploient toute leur force et leurs moyens pour les empêcher de s’y opposer.
Consterné-es par ces images, tout comme moi, de nombreux indigné-es ont rejoint la résistance. Plus d’un millier de personnes venues de toute la région et au-delà se sont retrouvées dimanche après-midi pour pique-niquer dans la forêt, sur les bords du Tescou, la petite rivière qu’on voudrait transformer en trou béant.
Le lundi matin, les tracteurs, les voitures, les bœufs et environ 400 personnes demeurent présents, déployées un peu partout pour bloquer les accès. Je me suis retrouvée en première ligne avec près de 100 personnes, y compris le porte parole du collectif du Testet. Cinq collègues se sont enterré-es jusqu’aux épaules sur un chemin et on les a entouré-es pour les protéger, assis par terre.
Nous avons temporairement réussi. Les engins de destruction n’ont pas pu passer leur rouleaux compresseurs sur la forêt, au moins pour ce jour. Les gendarmes qui avancent n’ont eu d’autre possibilité que de poser casques et boucliers et rester debout, bras ballants face à nous. Les heures s’écoulent. Le porte parole du Collectif passe son temps au téléphone, un coup avec le cabinet de la ministre puis avec le vice-président de la région. « La négociation avance bien, ils n’ont pas d’autre choix que repartir », entendait-on sur le barrage. Un espoir un peu rapide comprendra-t-on un peu plus tard.
Une charge suivie d’une perte de connaissance
Vers 13h30 les collègues enterré-es commençaient à sentir la fatigue. La pression des cailloux engourdit leurs membres. Une relève s’organise. J’ai fait partie du deuxième groupe de résistant-es : nous sommes planté-es comme des arbres au milieu du chemin !
La situation se prolonge dans un calme tendu. Bien que les bûcherons ont rebroussé chemin, les gendarmes eux, restent sur leur position. La menace du délogement et de l’entrée des machines demeurent. La pluie tombe et la cinquantaine de manifestant-es qui nous entourent ont dû se réfugier sur les deux côtés du chemin laissant les gendarmes à seulement quelques cinq mètres devant.
Soudain, vers 16h00, alors que les médias sont repartis, une voix rauque résonne à travers un mégaphone, le tracteur qui dormait sur place se réveille, des boucliers et des matraques s’agitent devant mes yeux, la charge est déclenchée. Comme dans un cauchemar : les gaz lacrymogènes, les cris déchirés, le désespoir, les coups, la peur, la pluie. Les troncs et les cailloux qui me recouvrent cèdent sous la pression des piétinements… Je perds connaissance quand une masse vient s’écraser sur mon visage. Dans ma tête, les cris des camarades résonnent comme des prières, comme des appels à la raison.
Ordres insensés
Je crois m’être réveillée quand j’ai senti mes jambes coincées sous un tronc d’arbre, et mon corps tiraillé par des bras bleus qui cherchent à m’extirper du trou. La douleur à ma jambe droite est telle et le gaz qui pénètre dans mes narines tellement puissant que je me m’évanouis de nouveau, accablée par la certitude qu’il ne s’agit pas d’un cauchemar. Ils nous répétaient pendant la semaine être là pour nous protéger. Ils ont obéi aveuglement à des ordres insensés. Ils l’ont fait, ils ont chargé sans le moindre souci pour nos vies ni pour notre intégrité physique.
Transportée à l’hôpital par les pompiers, après être sortie du choc, je m’en tire avec une entorse à la cheville alors que les affrontements continuent contre cette armée de brutes, se faisant gazer et tabasser sans compassion. Les machines ont alors pu rentrer dans le Testet et le travail de destruction a duré deux petites heures. La blessure qu’ils ont encore causée à cette magnifique forêt s’est accentuée et restera ouverte tant qu’ils n’arrêteront pas leur entreprise absurde et démesurée.
Je suis rentrée chez moi dans la Drôme mardi matin. Pour compléter le tableau, les officiers de police du commissariat de Valence ont jugé que ma plainte était irrecevable. Après m’avoir fait savoir que je n’avais « rien à foutre dans ce merdier », et que les violences que j’avais subies de la part de leurs « frères d’armes » n’avaient pas été volontaires, ils n’ont accepté de ne prendre qu’une main courante. Ne pas pouvoir porter plainte, n’est-ce pas encore une fois la preuve que les puissants font tout ce qu’ils peuvent pour nous empêcher nous, le petit peuple, de faire valoir nos droits ?
Pour un monde non bétonné, plus solidaire et moins artificiel
J’en suis consternée, moi qui ai quitté un énorme et merveilleux pays comme la Colombie où les autorités sont jugées pour des crimes contre l’humanité et autres violations systématiques des droits humains. Je me retrouve à être la victime d’un système français en total désaccord avec ce qu’il prétend représenter et qui tourne de plus en plus le dos à ses citoyennes et citoyens.
Il faudra plus qu’une bousculade et une cheville foulée pour que je recule face à cette injustice. Je continuerai à me battre aux côtés de mes sœurs et mes frères qui risquent gros juste pour vouloir protéger une forêt et décider consciemment d’une forme de vie digne dans un monde non bétonné, plus solidaire et moins artificiel. Ce n’est pas une question d’arbres et de rivières, c’est une forme de vie humaine, digne et réfléchie qui est en jeu au Testet.
Camille Erazo
Ce témoignage est extrait du blog http://tantquilyauradesbouilles.wordpress.com/
Photo : source
Nos articles sur la ZAD du Testet contre le projet de barrage de Sivens à retrouver ici.
Un appel pour un moratoire du projet de barrage de Sivens et des études indépendantes peut être signé en cliquant ici.