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Bien fait, Valérie !
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http://www.liberation.fr/politiques/2014/09/12/bien-fait-valerie_1098096
Bien fait, Valérie !
Valérie Trierweiler et François Hollande, le 14 septembre 2013. (Photo : LIONEL BONAVENTURE.AFP)
La crise conjugale présidentielle en dit long sur la crise de la représentativité politique que connaît une France élitiste dirigée par des Mad Men en costard cravate.
Côté féminité, la «fille de la ZUP d’Angers» a été construite par les médias comme une «pute» et une «hystérique». Classique: la pute couche par intérêt et sa présence dans l’espace public dérange. Quant à «l’hystérique», il suffit qu’une femme l’ouvre et c’est le monologue de l’utérus dominé par l’émotion, l’irrationalité et l’irresponsabilité. Pas étonnant que Valérie Trierweiler se soit donc retrouvée à la Salpêtrière, haut lieu de production de la femme hystérique brought to you par Charcot au XIXe siècle, le jour où Hollande a bien été obligé d’avouer ses cabrioles avec Gayet. Jouvent, le psychiatre de service chapitré par l’Elysée, s’est contenté d’assommer Valérie Trierweiler à coups de somnifères et de lui piquer ses portables. On l’enferme aussi pour qu’elle la ferme tandis que se joue son sort à l’Elysée, le fameux communiqué de rupture en dix-huit mots.
POLITIQUES DU SILENCE
Ces politiques du silencing ont tout à voir avec la fameuse frontière entre public et privé dont on déplore la disparition et avec la masculinité de Hollande. Leur violence justifie amplement la publication et le succès du livre obscène qu’est Merci pour ce Moment. Depuis sa sortie, les commentateurs n’ont pas eu de mots assez durs pour vilipender l’immaturité affective et politique de Valérie Trierweiler. Certes, le script de l’aliénation amoureuse typiquement féminine conduisant tout droit à la tentative de suicide ou à la dépression est le sien. Mais Iacub n’avait pas fait mieux avec ses amours de midinette jalouse d’Anne Sinclair et une partie de la presse l’avait encensée. Et le scénario de l’amour fou, des baisers de cinéma au vaudeville en passant par les bouquets de roses et les SMS de reconquête sont aussi le lot d’un François Hollande rivé à son iPhone en plein sommet de l’OTAN.
HOLLANDE : LA MASCULINITÉ HÉGÉMONIQUE
Au lieu de s’acharner sur la féminité de Trierweiler, que n’occupe-t-on de la masculinité hégémonique de Hollande. Celle d’un énarque macho, blanc non marqué par la classe –ça, c’est pour «les sans-dents» ; d’un conquistador en veston comme le sont les rejetons de la masculinité moderne qui vient supplanter la masculinité militaire au XVIIe siècle. Comme l’a montré l’historienne des masculinités, Raewyn Connel, les transformations de la masculinité sont indissociables de la naissance du capitalisme qui donne naissance à une nouvelle forme de masculinité rationnelle et calculatrice. Celle des experts et des techniciens, administrative comme celle des énarques. Cette forme de masculinité qui prend appui sur l’Etat et sa raison est aussi celle qui a inventé le nouvel ordre des genres moderne et misogyne.
LA FRONTIÈRE PRIVÉ/PUBLIC
On déplore sur les antennes et les chaînes de radio que la frontière entre le privé et le public est malmenée. C’est vrai et c’est une bonne chose parce qu’il faut voir d’où elle vient et à qui elle profite. Instaurée au XVIIIe siècle, elle autorise une division du travail, y compris politique que justifie une conception de la différence sexuelle antagoniste. Aux femmes, le privé de la domesticité, aux hommes la chasse gardée de l’espace public pour s’y exprimer et travailler. Des femmes trop émotionnelles pour qu’on leur accorde le droit de vote.
Mine de rien, c’est cette organisation politico-sexuelle et l’inévitable procès en illégitimité qu’elle engendre qu’attaque le livre de Valérie Trierweiler. L’impossibilité où elle s’est retrouvée d’avoir un statut tout en occupant une position : celle de première dame. La ségrégation spatiale à l’Elysée avec cette «aile Madame» séparée du reste du Palais. Cette reconduction permanente de la captivité domestique avec un Hollande qui décide de ses sorties en public ou pas à Tulle ou en Afrique du Sud.
«Ce qui lui importe, c’est mon silence», dit Valérie Trierweiler d’un Hollande fasciné par les journalistes. Merci pour ce Moment brise ce silence. Le silence imposé à Danièle Mitterrand et bien entamé par Cécilia Attias. C’est «l’hystérique» qui se rebiffe avec les moyens du bord -le potin- contre l’Elysée. Le bastion d’une masculinité obsolète mais néanmoins puissante dans une France si peu transformée par le féminisme. Qu’on le veuille ou non cette crise conjugale en dit long sur la crise de la représentativité politique que connaît une France élitiste dirigée par des Mad Men en costard cravate, qui n’a pas su recomposer sa classe politique. Pour y inclure non seulement les femmes mais aussi les «sans dents» et tous les sans-voix. Ils sont nombreux et ils votent.
Auteur de La trilogie des Queer Zones (Amsterdam) et de Comprendre le Féminisme (Max Milo).
Marie-Hélène BOURCIER sociologue, maître de conférence à l’Université de Lille 3