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Les mineurs anglais : ascension et déclin d’une avant-garde vaincue par la bourgeoisie

Par Gaston Lefranc (24 janvier 2008)
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Il est courant de comparer la politique de Sarkozy à celle mise en œuvre par Margaret Thatcher en Angleterre au début des années 1980. En fait, pour le moment, Sarkozy avance dans ses réformes en s’appuyant principalement sur la collaboration des principales directions syndicales à l’élaboration même de celles-ci. Cependant, il est tout à fait possible que, face à une montée de la combativité prolétarienne, le pouvoir du capital en France soit amené à utiliser une méthode d’affrontement plus dure, similaire à celle mise en œuvre par la bourgeoisie britannique. La récente publication (septembre 2007) du livre Margaret Thatcher face aux mineurs de Pierre-François Gouiffès (édition Privat) (1) nous donne l’occasion d’évoquer la fameuse grève des mineurs de 1984-1985, décrite à juste titre comme un tournant majeur de la lutte de classe en Grande-Bretagne et dont nous pouvons tirer bien des leçons pour nos combats actuels en France.

Éléments sur l’importance du secteur charbonnier au Royaume-Uni et du syndicat des mineurs

L’industrie charbonnière comptait 216 000 mineurs au milieu du XIXe siècle, 800 000 en 1900, 1 100 000 en 1913 (dont 800 000 syndiqués, soit 20 % des syndiqués), avant de redescendre à 700 000 en 1940, 280 000 entre 1972, un peu plus de 200 000 en 1984-1985 (moins de 3 % des syndiqués), jusqu’à la chute finale après la défaite de 1985 : on compte aujourd’hui 5 000 mineurs.

Dès le XIXe siècle, les mineurs constituent l’avant-garde du mouvement ouvrier. La nature du travail à la mine fait d’eux des militants syndicaux, à la fois solidaires, disciplinés et autonomes. Dès 1831, ils sont capables de mener une grève coordonnée au niveau national. Vivant à proximité des mines, ils forment une communauté relativement isolée du reste de la classe ouvrière, mais leurs actions suscitent l’admiration.

Le secteur charbonnier est nationalisé sous le gouvernement travailliste d’Attlee en 1947 : ainsi se constitue l’entreprise d’État NCB (National Coal Board) (2). En 1944, la réorganisation du syndicalisme minier aboutit à la création d’un syndicat unique, le NUM (National Union of Mineworkers), fédération de 19 unions régionales. Depuis l’origine, le NUM est divisé entre une « droite » liée à la direction du parti travailliste et une « gauche » (courant dirigé par des réformistes de la gauche du Labour et du parti communiste). Les statuts du NUM prévoient à cette époque qu’une grève nationale ne peut être lancée que si les deux tiers des adhérents la votent lors d’un scrutin interne national (3).

La montée en puissance de la « gauche » syndicale avant le déclenchement de la grève de 1972

En 1964, le retour au pouvoir des travaillistes (gouvernement Wilson) est marqué par une continuité dans la politique économique (gel des salaires), ce qui alimente la montée en puissance de la « gauche » syndicale, qui prend la tête des syndicats des transports et de la mécanique à la fin des années 1960. Au sein du NUM, on observe le même phénomène et, en octobre 1969, de jeunes militants mineurs, dont Arthur Scargill, lancent une grève sauvage (4) qui part du Yorkshire sur des revendications salariales. Pour la première fois, les piquets volants ou mobiles (flying pickets) sont mis en œuvre : les grévistes des sites en grève vont mettre en place des piquets de grève sur des sites qui ne le sont pas encore. Moyen très efficace puisque la grève s’étend rapidement, implique 130 000 mineurs et aboutit à une victoire revendicative. La gauche syndicale obtiendra en outre une modification des statuts du NUM en 1970 : le seuil pour le lancement de la grève nationale est abaissé à 55 %.

Le développement des grèves pousse le gouvernement travailliste à vouloir encadrer le droit de grève, en permettant au ministère du travail d’imposer une période de conciliation de 28 jours ou un vote à bulletins secrets en cas de menace de grève. Les grèves, les tensions au sein du Labour, et la menace de troubles plus sérieux obligent le gouvernement à renoncer à ses projets même s’il obtient le soutien des bureaucrates du TUC (5).

Les grèves victorieuses de 1972 et 1974

Après les élections de 1970, le gouvernement conservateur d’Edward Heath reprend, en les durcissant, les projets de Wilson sur l’encadrement étatique du droit de grève, permettant au ministère du travail de décréter une période de conciliation sans grève de 60 jours ou de demander un vote sur une proposition d’accord de sortie de conflit. Il durcit également les sanctions contre les responsables des grèves sauvages. En réponse, les grèves se multiplient, puisqu’on passe de 2,8 millions de journées de grève en 1967 à 24 millions en 1972. Entre 1970 et 1974, Heath devra décréter 5 fois l’état d’urgence pour faire face aux conséquences des grèves des mineurs (deux fois), des dockers (deux fois) et des salariés du secteur électrique (une fois).

En novembre 1971, les dirigeants du NUM lancent une grève des heures supplémentaires sur des revendications salariales. Le gouvernement ne cédant pas, les adhérents du NUM votent à 58 % le lancement de la grève nationale, qui débute le 9 janvier 1972. Le gouvernement sous-estime complètement la force du NUM et n’utilise même pas la période de conciliation prévue par la nouvelle loi. Pourtant, la grève est totale et les unions régionales les plus radicales mettent immédiatement en œuvre les piquets volants avec un sens de l’organisation admirable : en moins d’une semaine, les transports de charbon, l’accès aux centrales électriques, les dépôts de charbon, sont presque totalement bloqués afin de maximiser l’effet de la grève. Les piquets de grève sont tenus 24h sur 24h et le NUM rémunère ceux qui les tiennent (l’équivalent de 26 euros par jour en équivalent 2007). Les piquets volants sont respectés par les salariés des autres secteurs, les TUC ayant d’ailleurs donné une consigne en ce sens. Le gouvernement est totalement pris de cours ; les premières coupures électriques causées par la pénurie de charbon ont lieu le 10 février pour les industriels et le 16 février pour les particuliers. La police, mal préparée, ne parvient pas à casser les piquets, et les affrontements sont gagnés par les grévistes. Par exemple, devant le dépôt de coke de Saltley le 10 février, 15 000 mineurs et grévistes solidaires d’autres secteurs repoussent 1 000 policiers. Le 18 février, alors que l’économie est menacée de paralyse complète si la grève se poursuit, le gouvernement est contraint de satisfaire les revendications salariales des mineurs (et même au-delà, des revendications extra-salariales que le NUM a ajoutées comme condition à la reprise du travail).

En novembre 1973, renforcé par la crise pétrolière, les mineurs imposent à la direction du NUM le rejet de l’offre salariale de la direction des mines et la grève des heures supplémentaires (6). Le scénario est identique à 1972 : galvanisés par ce succès, les mineurs votent le 4 février 1974 à 81 % le déclenchement de la grève nationale, qui débute le 10 février. Le gouvernement conservateur décide alors de dissoudre le Parlement et de convoquer de nouvelles élections législatives, espérant pouvoir s’appuyer sur l’onction du suffrage universel pour affronter les mineurs. Les conservateurs sont battus et le gouvernement travailliste s’empresse de mettre fin à la grève en satisfaisant les revendications des mineurs.

Leçons des grèves de 1972 et 1974

Même si le secteur charbonnier était depuis longtemps sur le déclin, les 280 000 mineurs ont, grâce aux piquets de grève, démontré que leur poids économique était déterminant et pouvait faire plier le gouvernement. Malheureusement, la direction du NUM est parvenue à imposer aux mineurs la limitation des revendications à des exigences économiques (salaires, conditions de travail...) et donc l’arrêt de la grève une fois celles-ci satisfaites. Pourtant, les mineurs étaient probablement prêts à continuer la grève (7) si la direction du NUM y avait appelé.

La direction du TUC a la responsabilité la plus lourde. En 1972 et 1974, elle ne s’est pas appuyée sur le mouvement des mineurs pour appeler à la grève générale. Pourtant, au début des années 1970, des grèves très puissantes, mais dispersées, ont été menées dans le secteur de l’électricité, chez les dockers, les infirmiers, les travailleurs de Ford, etc. Si le TUC avait rempli son rôle officiel de représentants des intérêts des travailleurs, il aurait œuvré à la centralisation des luttes, dans la perspective de renverser le gouvernement bourgeois, seul moyen de satisfaire pleinement les aspirations des travailleurs. En 1972 et 1974, les sondages d’opinion ont constamment indiqué que la population soutenait majoritairement la grève des mineurs. Toutes les conditions étaient réunies pour qu’un appel à la grève générale soit massivement suivie et pose directement la question du gouvernement ouvrier.

Non seulement le TUC n’a pas œuvré dans ce sens, mais il a tout fait pour stabiliser le régime bourgeois. Ainsi, le 9 janvier 1974, les dirigeants du TUC se sont-ils engagés auprès du gouvernement à ce que les syndicats n’utilisent pas les concessions éventuelles faites aux mineurs pour renforcer les revendications salariales des autres secteurs ! Ces bureaucrates ont alors clairement montré leur solidarité avec le gouvernement, indiquant qu’ils feraient tout pour assurer la pérennité du régime bourgeois qui garantit leurs privilèges.

Les préparatifs de la grève de 1984-1985

Après les grèves victorieuses de 1972 et 1974, le gouvernement travailliste cherche des dispositifs astucieux pour diviser les mineurs entre eux sans provoquer une levée de boucliers. Il réussit à imposer en 1977 un système de rémunérations complémentaires liées à la productivité, induisant une différenciation des salaires en faveur des mineurs des puits les plus productifs, cassant l’uniformité nationale des grilles. Pour cela, il bénéficie de la complicité du dirigeant du NUM (Joe Gormley) qui passe outre le vote défavorable de la conférence nationale de son syndicat.

Mais, pendant l’hiver 1978-1979 (année record pour le nombre de journées de grève), les bureaucrates syndicaux sont débordés et n’arrivent pas à empêcher l’éclatement de multiples grèves, avec piquets volants, centrées sur les salaires, notamment chez les cheminots et les camionneurs.

Thatcher a pris le contrôle du parti conservateur en 1975 et réfléchit dès ce moment aux moyens de faire face à une confrontation avec les mineurs : avoir les stocks de charbon les plus importants possibles les enceintes mêmes des centrales électriques, recruter à l’avance des transporteurs routiers non syndiqués, équiper et préparer les forces de l’ordre, envoyer des flics non originaires de la région pour éviter les risques de fraternisation avec les grévistes, recruter des informateurs parmi les permanents syndicaux (pour anticiper le déploiement des piquets volants) (8)…

En 1979, Thatcher remporte les élections législatives, lance les privatisations et les restructurations industrielles. L’objectif est clairement de faire exploser le chômage pour discipliner la force de travail devenue incontrôlable. Ainsi, entre fin 1979 et fin 1980, le chômage augmente de 1,3 à 2,1 millions ! Mais Thatcher n’est pas encore prête à affronter les mineurs qui, en 1981, portent triomphalement à la tête du NUM Arthur Scargill (9), leader de la « gauche » syndicale. Cette année-là, le gouvernement doit reculer face aux grèves sauvages des mineurs et abandonner son plan de fermetures des mines.

Mais il continue à s’y préparer, profitant de la récession de 1981-1983 pour constituer d’importants stocks de charbon, si bien que, mi-1983, il se considère capable de faire face pendant 6 mois à une grève totale des mineurs. En outre, le gouvernement profite de la passivité de la bureaucratie du TUC pour interdire en 1980 les piquets volants et en 1982 les grèves « de solidarité ». En 1984, le gouvernement impose un vote majoritaire à bulletins secrets avant tout lancement d’une grève. Le gouvernement met fin à l’immunité juridictionnelle des syndicats, qui pourront payer de lourdes amendes si ces interdictions ne sont pas respectées sur le terrain (10). En septembre 1983, le congrès du TUC valide la ligne conciliatrice dite du « nouveau réalisme » visant à renouer avec le gouvernement et le patronat. En 1984, renforcé par sa victoire aux élections législatives de 1983, le gouvernement est donc prêt à affronter les mineurs.

La grande grève des mineurs de 1984-1985

Suivant le scénario des grèves de 1972 et 1974, la conférence du NUM vote en octobre 1983 la grève des heures supplémentaires contre les fermetures de sites et la proposition salariale de la direction de NCB. Mais Scargill, échaudé par trois tentatives, entre janvier 1982 et mars 1983, où il n’a pas atteint la majorité des 55 %, renonce à organiser une consultation nationale pour le lancement de la grève. Sa tactique consiste à lancer des grèves locales dans les bastions combatifs (Yorkshire, Pays de Galle, Écosse) et à étendre la grève par les piquets volants sur les autres sites miniers (11).

Le 5 mars 1984, la grève éclate dans le Yorkshire et en Écosse ; le comité exécutif du NUM soutient officiellement ces grèves régionales le 8 mars. Le 15, tous les puits gallois rejoignent d’eux-mêmes la grève (12). La tactique des piquets volants s’avère d’abord très efficace : le 12 mars, 81 sites miniers sur 165 sont arrêtés ; le 15, seuls 11 sites fonctionnent normalement. Le NUM obtient une belle victoire en arrêtant presque totalement la production de charbon, sans consultation nationale en faveur de la grève ; la police est à ce moment-là prise de vitesse.

Cependant, un premier tournant a lieu avec la défection de certaines unions régionales, dans le Nottinghamshire et les Midlands (dont les puits sont plus rentables et ne sont pas directement menacés de fermeture). Elles organisent des scrutins régionaux autour du 17 mars qui se prononcent contre la grève. Les mineurs sont ainsi profondément divisés, avec une majorité des deux tiers en grève et déterminés, et une minorité d’un tiers qui reprend le travail là où des scrutins régionaux se sont prononcés dans ce sens (13).

La direction du NUM prend acte de la défection d’un tiers des mineurs et réoriente les piquets volants (14) vers le blocage des centrales thermiques et des sites sidérurgiques. Même si la situation varie selon les régions (15), les piquets volants ont une efficacité limitée et, bien souvent, les salariés des centrales thermiques et des sites sidérurgiques franchissent les piquets quand l’accès du site est dégagé par la police. Si les cheminots et camionneurs syndiqués refusent de transporter du charbon, le recours massif à des chauffeurs non syndiqués limite fortement l’efficacité de ce soutien. Les mineurs restent donc relativement isolés ; en revanche, la solidarité financière entre travailleurs est très importante et va aider les grévistes à tenir pendant un an.

La bataille autour du site sidérurgique d’Orgreave est emblématique : du 23 mai au 18 juin 2004, 10 000 travailleurs (principalement des mineurs, mais aussi des cheminots et dockers) s’opposent à plusieurs milliers de policiers (16) et tentent en vain de s’opposer à l’entrée et à la sortie des camions chargés de coke.

Mais, malgré toutes les déconvenues, les grévistes ne cèdent pas. Thatcher ne cache pas sa détermination à gagner cette guerre de classe : « Nous avons eu à combattre l’ennemi de l’extérieur aux Malouines (17). Nous devons également être conscients de l’ennemi intérieur, qui est à la fois beaucoup plus difficile à combattre et beaucoup plus dangereux pour la liberté » (19 juillet 1984).

Un espoir renaît chez les mineurs quand, pour la première fois de leur histoire, suite à une provocation de la direction de NCS, qui demande aux agents de maîtrise de NACODS de franchir les piquets de grève s’ils veulent continuer à être payés, les 16 000 agents de maîtrise (chargés de la sécurité et de l’entretien des mines) syndiqués au NACODS votent la grève à 82 % le 28 septembre 1984, avec préavis d’un mois qui laisse le temps de la négociation. L’enjeu est énorme car, si les agents de maîtrise se mettent en grève, toutes les mines devront fermées pour raisons de sécurité. Mais finalement, le gouvernement n’a pas beaucoup de mal à acheter la collaboration des dirigeants du NACODS qui renoncent à la grève.

Les mineurs continuent alors la grève, de façon majoritaire (18), avec peu d’espoirs de succès. La direction de NCS lance des campagnes d’incitation au retour au travail, et quelques milliers de mineurs reprennent le travail lors de l’automne 1984. Le 27 février, la direction de NCS annonce fièrement que le cap des 50 % de mineurs non grévistes est désormais franchi (19). Enfin, le 3 mars 2005, une conférence spéciale des délégués du NUM décide, à une courte majorité (98 contre 91), d’appeler à la fin de la grève sans le moindre accord avec la direction de NCS. Une minorité de grévistes crie à la trahison, mais tous reprennent le travail en marchant solennellement à travers les rues des communautés minières derrière la bannière de NUM. Les mineurs sont évidemment meurtris par cette défaite, qu’ils refusent d’ailleurs majoritairement d’admettre (20).

La répression fut massive, féroce, et politique (21) : 11 291 arrestations de militants, 8 392 condamnés (dont 200 emprisonnés (22)), 7 000 blessés, 500 mineurs licenciés pour faute durant la grève et le NUM fut condamné à 200 000 livres d’amendes.

La trahison des bureaucrates du TUC et du parti travailliste et les fautes de Scargill

La situation objective de 1984-1985 est bien plus défavorable aux mineurs que celle de 1972-1974. En 1984, le poids économique des mineurs a baissé et le gouvernement est bien mieux préparé, si bien que les mêmes erreurs et trahisons produisent des effets différents.

Les dirigeants du TUC, qui avaient adopté une ligne conciliatrice avec le gouvernement lors de leur congrès en septembre 1983, n’ont apporté qu’un soutien verbal à la grève des mineurs. Se soumettant au nouveau cadre législatif qui interdit les grèves de solidarité, ils n’ont pas appelé les autres salariés à se mettre en grève. Ils n’ont même pas appelé les salariés à ne pas franchir les piquets de grève volants mis en place par les mineurs. Les dirigeants des syndicats de l’électricité et de la sidérurgie ont même pris violemment position contre les piquets volants. En revanche, les directions des syndicats des transports (cheminots, routiers, dockers) ont apporté un soutien concret aux grévistes (refusant de transporter du charbon, venant en aide aux mineurs sur les piquets) ; mais ils n’ont pas été jusqu’à appeler à la grève, hormis lors de quelques journées d’action.

Neil Kinnock, dirigeant du parti travailliste, n’a pas soutenu davantage les grévistes. Affichant une fausse neutralité, il renvoie dos-à-dos le gouvernement et les mineurs et participe à la campagne médiatique ordurière contre les mineurs grévistes, qualifiés de violents, d’anti-démocrates. Le Sun va ainsi par exemple jusqu’à qualifier Scargill de nouveau « Führer ».

Arthur Scargill est un dirigeant qu’on ne peut guère assimiler à un agent de la bourgeoisie au sein du mouvement ouvrier, il a défendu sincèrement ce qu’il pensait être les intérêts de ses camarades. Mais il a commis des fautes extrêmement graves. La principale est d’avoir fait croire aux mineurs qu’ils pourraient gagner tout seuls et qu’il n’était pas nécessaire de s’adresser à la direction du TUC, que Scargill méprisait ouvertement. Scargill a voulu être le meilleur défenseur des intérêts des mineurs, sans comprendre que cela nécessitait de s’adresser aux autres travailleurs et de ne pas se cantonner à une grève sectorielle. Il a même été jusqu’à dire, alors qu’une grève des dockers avait éclaté en juillet 1984 : « La grève des dockers est la grève des dockers, la grève des mineurs est la grève des mineurs. » Attitude criminelle, aveuglement d’un réformiste de « gauche » prisonnier de son étroitesse corporative, qui n’a pas su envisager d’autre perspective qu’une grève sectorielle économique. En outre, il a commis l’erreur de diriger les piquets volants contre les mineurs non grévistes sans se donner la peine de les convaincre, en n’organisant pas d’assemblées générales, etc. (23) Tactiquement, Scargill aurait dû s’appuyer sur les grèves du Yorkshire et d’Écosse pour envoyer des équipes discuter avec les mineurs des autres sites. Les grévistes auraient alors pu imposer la grève aux bureaucrates du Nottinghamshire et des Midlands. Enfin, Scargill a péché par des méthodes autoritaires révélant ses traits de bureaucratisme : il n’a rien fait pour stimuler l’auto-organisation des mineurs qui auraient ainsi pu, par la multiplication des initiatives décidées dans le cadre de la démocratie ouvrière, œuvrer à l’extension de la grève et corriger la ligne erronée défendue par Scargill. Pour les révolutionnaires, en effet, « l’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes » et la question de la démocratie ouvrière, de la prise en main de leur action par les grévistes eux-mêmes, n’est donc pas un ornement, mais une condition même de toute victoire.

Leçons à tirer pour la lutte de classe d’aujourd’hui

Il y a beaucoup à apprendre de cette grande grève des mineurs, de sa force et de ses limites. Sa force réside dans la puissance d’un syndicat unique qui utilise l’arme décisive des travailleurs la grève avec piquets – et qui se donne pour objectif de maximiser les nuisances pour les capitalistes, sans se soumettre aux limites imposées par l’ordre bourgeois. C’est cette arme décisive que les bureaucrates d’aujourd’hui s’acharnent à effacer des mémoires, hurlant avec les bourgeois contre ceux qui osent encore y avoir recours. Aujourd’hui en France, les étudiants s’approprient cette arme décisive, sans malheureusement être aussi bien organisés que les mineurs britanniques et même si son effet est bien moindre, puisqu’ils n’occupent évidemment pas la même position dans les rapports de production, ne pouvant bloquer l’économie du pays.

Il est aussi crucial de comprendre pourquoi les mineurs ont perdu. La cause principale est d’une terrible actualité et réside dans le poids de la bureaucratie syndicale qui a fait son maximum pour empêcher la montée vers la grève générale, lourde de menaces pour l’ordre bourgeois et donc pour elle-même. Ce qui a manqué à l’époque, et ce qui manque aujourd’hui, c’est un parti révolutionnaire puissant capable d’expliquer aux travailleurs la politique collaboratrice des bureaucrates, de stimuler l’auto-organisation, d’expliquer l’impasse du réformisme de gauche et d’avancer la seule perspective politique d’émancipation : le gouvernement des travailleurs, par les travailleurs et pour les travailleurs, à partir de laquelle le combat pour la grève générale peut être mené jusqu’au bout quand les conditions en sont réunies.


1) Haut fonctionnaire qui a travaillé dans le cabinet de Jean-Louis Borloo. Notre article n’est pas un compte-rendu de son livre, mais une brève analyse marxiste qui utilise les nombreuses informations contenues dans son ouvrage.

2) NCB possède alors non seulement les 1 400 puits de mines, les usines à briques, les fours à coke, mais aussi les 140 000 logements de mineurs et centres associés (magasins, laiteries, piscines....).

3) Même s’il est raisonnable de lancer un appel à la grève nationale uniquement quand la base y est prête, cette procédure référendaire de nature bourgeoise (aggravée par ce seuil de 66 % imposé par les bureaucrates pour limiter l’exercice effectif de la grève) est condamnable. On pourrait en revanche envisager une autre procédure pour lancer la grève nationale, fondée sur la démocratie ouvrière : que la direction du syndicat organise des assemblées générales des adhérents sur chaque site, explique clairement la situation, propose la grève et la soumette au vote de ces AG.

4) Sauvage dans le sens où elle n’a pas été précédée d’un scrutin national du NUM autorisant la grève.

5) Trade Union Congress : confédération (unique) des syndicats britanniques.

6) Le président du NUM, Joe Gormley, a été mis en minorité par le comité exécutif, ce qui reflète la radicalisation de la base.

7) Ainsi des cadres dirigeants de l’opérateur électrique anglais écrivent-ils : « Si le comité exécutif NUM avait refusé l’offre de NCB [l’entreprise publique qui gère les mines], ce comité n’aurait eu aucune difficulté à persuader ses membres de poursuivre la grève. Si les dirigeants du syndicat avaient eu pour objectif la chute du gouvernement et l’interruption totale de la fourniture d’électricité, cet objectif aurait pu être réalisé à ce moment-là » (cité par P.-F. Gouiffès, p.70).

8) En 2005, Le Guardian révèlera qu’une taupe faisait partie de la direction de NUM pendant la grève de 1984-1985, apportant des informations précieuses aux services de police.

9) Élu avec 70 % des voix, il a fait du refus absolu de toute fermeture de mine le cœur de sa campagne pour la présidence du NUM. Scargill s’appuie sur une équipe homogène de la gauche syndicale avec le secrétaire général Peter Heathfield et le vice-président Mick MacGahey (lié au parti communiste).

10) Le 9 mars 1984, le NUM prend conscience des risques et transfère 8,5 millions de livres dans une banque de l’île de Man.

11) Contrairement à 1972 et 1974, les piquets volants ne seront pas exclusivement mobilisés sur les sites extérieurs aux mines, mais ils seront envoyés sur les sites miniers non encore en grève.

12) Tous les puits gallois resteront en grève totale jusqu’au dernier jour de la grève, sans aucune défection.

13) 119 puits seront totalement arrêtés pendant la plus grande partie de la grève, alors que 42 puits des Midlands et du Nottinghamshire fonctionneront normalement pendant toute la grève.

14) P.-F. Gouiffès estime à un peu plus de 20 000 le nombre de mineurs qui participent aux piquets volants (en dehors du site où ils travaillent).

15) Les piquets volants sont organisés par les unions régionales. C’est au Pays de Galles que les actions de blocage sont les plus efficaces.

16) Pendant toute la durée de la grève, P.-F. Gouiffès estime que plus de 10 % des effectifs totaux de la police seront affectés à la répression des mineurs (environ 20 000 policiers).

17) Les révolutionnaires britanniques devaient se positionner en faveur de la défaite de leur propre impérialisme lors de cette guerre avec l’Argentine et combattre le gouvernement pour l’affaiblir dans cette guerre. On vérifie ici que cette position, valable quel que soit le gouvernement du pays colonial ou semi-colonial attaqué par une puissance impérialiste, n’a rien d’idéologique, mais a une portée éminemment pratique : une défaite britannique aurait affaibli le gouvernement Thatcher face aux mineurs.

18) Un sondage révèle que deux tiers des mineurs continuent de soutenir la grève le 29 septembre 1984.

19) Ceci signifie toutefois que plus de 75 % des deux tiers des mineurs grévistes du départ ont fait grève jusqu’au bout, pendant un an.

20) Selon un sondage, un quart seulement des mineurs considère que la grève se conclut sur une défaite (un septième considère même que la grève débouche sur une victoire !).

21) Le 29 mars 1984, un parlementaire travailliste révèle par exemple que 19 militants de NUM du Yorkshire ont été interrogés par la police sur leurs choix politiques et leur opinion concernant Arthur Scargill. Tous les dirigeants du NUM ont été mis sur écoute.

22) Six mineurs seront toujours en prison en mars 2006, un an après la fin de la grève.

23) Malgré ces fautes de Scargill, les sondages de mars 2004 indiquaient qu’entre 60 et 70 % des mineurs étaient favorables à la grève.

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