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Les BRICS ça coule : retour sur la situation en Chine
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
http://www.tantquil.net/2015/07/11/les-brics-ca-coule-retour-sur-la-situation-en-chine/
Où va la Chine ? L’actualité, ce n’est pas que la Grèce. C’est aussi un Krach boursier chinois d’une ampleur comparable à celui de 2008… dont on ne sais pas encore à l’heure actuelle s’il sera jugulé, ou en tout cas reporté. Avant de revenir plus en profondeur prochainement sur ce Krach, voici un petit état de la situation actuelle de la Chine, du prolétariat, et de ses luttes.
Depuis le début de la crise de 2008, la plupart des « experts » en économie parcourant les plateaux télé, crient haut et fort que la croissance mondiale va finalement repartir, et ce, notamment grâce au développement des nouvelles puissances économiques qu’ils appellent aussi parfois BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud).
7 ans après, force est de constater qu’on en est loin. En fait, c’est même carrément la merde pour l’ensemble de ces pays. La crise s’est propagée et les touche de plein fouet. Du coup à Tantquil, on s’est dit que ce serait plutôt une bonne idée de faire un panorama de la situation actuelle pays par pays pour constater que, quoique l’on en dise, les BRICS ça coule.
Depuis la fin de l’année 2014, la Chine est devenue la première puissance économique du monde devant les États-Unis.
Enfin bon ça c’est si on ne regarde que les chiffres, en réalité on en est encore loin. Le PIB des USA, c’est-à-dire ce qui est produit par les entreprises du pays en un an, est encore supérieur de plus de 40% à celui de la Chine. En fait le FMI qui fait le classement, à sa propre méthode de calcul et les résultats dépendent de si l’on prend en compte ou non les différences de pouvoir d’achat entre ces deux pays. Mais en réalité, savoir qui est premier ou deuxième importe peu. Malgré le fait que le PIB de la Chine continu à augmenter de près de 7% par an, son économie est clairement dans le rouge depuis plusieurs années. À travers plusieurs articles nous tenterons expliquer pourquoi les capitalistes chinois sont actuellement dans la merde et en quoi ce n’est pas près de s’arranger.
Où en sont les ouvriers chinois ?
Pour commencer, il est important de voir ce qui se passe au niveau du prolétariat chinois et des luttes sociales depuis ces dernières années. En effet, les chiffres de la croissance masquent une situation de crise qui pousse de plus en plus de chinois dans la lutte malgré les répressions gouvernementales. Si les grèves sont interdites depuis 1982, les conflits du travail sont pourtant passés de cent mille en 1993 à plus d’un million par an en 2009. Aujourd’hui il y a presque 100 000 manifestations par an en Chine alors qu’il n’y en avait eu seulement 8 300 en 1993 et c’est en constante augmentation[1].
Pour éviter la répression étatique liée à l’interdiction des manifestations et de la grève, les ouvriers chinois utilisent des moyens de luttes alternatifs en organisant des promenades collectives ou en dormant sur les chaines de montage pour empêcher la production. Bien évidemment les syndicats sont interdits à l’exception de celui dirigé par le parti communiste. Du coup des syndicats clandestins s’organisent où certaines luttes s’en passent préférant se passer de forme de représentation. Des luttes comme celle de 2010 à l’usine Toyota mobilisent des milliers de travailleurs qui s’organisent sur la base des « trois non » :
- refus de travailler
- refus des représentants
- refus d’avoir des revendications
Ils ont fait ainsi monter le rapport de force jusqu’à obtenir d’importante augmentation de salaire. Depuis le début des années 2000, la plupart des grandes grèves débouchent sur des augmentations de salaire et l’État cède régulièrement face aux grévistes en augmentant le salaire minimum. Entre 2009 et 2011, le salaire minimum a en moyenne augmenté de 30%.
Un pays loin d’être uniforme
Mais les prolos chinois sont loin d’être tous logés à la même enseigne. La Chine est un grand territoire et son économie reste très différente selon les provinces. Les plus gros investissements étrangers se concentrent dans les villes proches de la côte et la Chine intérieure reste majoritairement paysanne. Elle n’est pas non plus un territoire uniforme centralisé ou en libre marché. Elle est administrée en provinces, et les accessions à la direction du Parti Communiste Chinois passent souvent par les résultats des dirigeants locaux. Pour avoir l’autorisation de travailler dans une ville, les ouvriers chinois ont besoin d’obtenir un passeport intérieur (le Hukou) particulièrement difficile à obtenir. Cela limite donc clairement les mobilités de travailleurs. Les paysans qui sont poussés à rejoindre la ville pour travailler à l’usine, mais doivent le faire clandestinement, car ils n’ont pas ce Hukou. En fait, ces travailleurs venus de la campagne sont obligés de travailler au black et sont employés dans les usines demandant le moins de qualification. Aujourd’hui le « travail informel » représenterait 53% des travailleurs contre seulement 18 % en 2000. Ils reçoivent en moyenne un salaire trois fois moins élevé que les travailleurs ayant un permis.
Le problème c’est qu’il n’y a pas assez d’usines pour embaucher tous ces nouveaux ouvriers venant de la campagne. Ces nouveaux ouvriers ne peuvent bosser que dans des manufactures nécessitant des travailleurs peu qualifiés. Mais depuis les années 2000 ce sont les usines technologiquement avancées et qui ont principalement besoin de travailleurs qualifiés, qui portent la croissance chinoise. En effet, au cours des 40 dernières années la production chinoise a pas mal évolué et ses besoins en travailleurs aussi.
Pour résumer, les investissements dans l’industrie chinoise affluent depuis sa rentrée dans le marché mondial en 1971. Depuis lors, la production est principalement tournée vers l’exportation de marchandises aux quatre coins du monde, mais ce qui y est produit en majorité a relativement évolué selon les années.
La période du T-shirt.
Dans les années 1970, l’économie était principalement tournée vers la production de marchandises nécessitant peu de machines (l’industrie légère) comme le textile par exemple. Pour leur permettre de travailler dans ces usines, les travailleurs n’avaient besoin que d’une formation très sommaire voir pas de formation du tout. On pourrait appeler ça la période du T-shirt.
La période du Grille-pain.
Dans les années 1990 et avec les développements des industries, la Chine s’est mise à produire majoritairement des appareils électriques nécessitant plus de machines, des industries plus lourdes, mais peu de connaissances technologiques. Pour leur permettre de travailler dans ces usines, il est nécessaire de former les ouvriers à l’utilisation de machines complexes. On pourrait appeler ça la période du Grille-pain.
La période de l’iPhone.
Enfin depuis le milieu des années 2000, l’économie chinoise se tourne de plus en plus vers l’assemblage de produits de hautes technologies principalement liés à l’informatique et à la téléphonie. Pour leur permettre de travailler dans ces usines, il est nécessaire de former longuement les ouvriers à l’utilisation de machines de pointes. On pourrait appeler ça la période de l’iPhone.
Bien sûr cela ne veut pas dire que durant ces périodes les entreprises chinoises produisent uniquement ce type de marchandises, mais que c’est ce type de production qui est le moteur de l’économie et de l’exportation du pays.
Aujourd’hui la Chine doit donc faire avec l’afflux annuel de plusieurs dizaines de millions de travailleurs des campagnes vers les villes sans avoir la possibilité de tous leur donner un taf. Du coup, on a un taux de chômage qui atteint entre 10 et 15% des travailleurs dans les villes (même si officiellement il est de 4,2%). Ce chômage touche presque uniquement les travailleurs peu qualifiés. Les industries chinoises manquent de main-d’œuvre qualifiée qui serait à même de travailler dans ses usines fabricants les Samsung S6 et autre iPhone 5. Du coup, lorsqu’il y a des grèves dans ces usines, les capitalistes sont bien obligés de céder et d’augmenter les salaires, car ils galèrent à trouver d’autres ouvriers qualifiés pour remplacer ceux trop contestataires.
À cela il faut ajouter la baisse des naissances qui ne va pas aider les capitalistes dans les années à venir. En effet, la politique de l’enfant unique, fait que l’augmentation de la population chinoise commence à ralentir. En fait depuis 2015, elle a commencé à stagner et devrait décroitre à partir de 2025[2]. La population active à même déjà commencé à baisser depuis 2013 notamment à cause du vieillissement de la population. Dans ce cadre-là, les patrons vont avoir du mal à maintenir la « compétitivité » (entendre par là, l’exploitation des travailleurs) dans leurs usines.
Une baisse de la rentabilité.
Au final, si l’on ajoute à ces augmentations de salaire, les taxes chinoises, la réévaluation de la monnaie chinoise et les grèves à répétition, produire en Chine devient de moins en moins rentable pour les capitalistes. En fait pour eux, cela peut même plus être plus rentable de relocaliser leur production aux États-Unis[3]. En effet depuis la crise les prolos ricains s’en sont pris plein la gueule et les salaires ont énormément chuté. À tel point que Général Electric par exemple, a décidé de rapatrier sa production de frigo aux USA. Tout comme Motorola qui a rouvert ses usines au Texas, le sud des États-Unis ayant les salaires les plus bas du pays.
Mais au-delà de l’augmentation des salaires, des conflits du travail et de la concurrence avec les autres pays, les capitalistes investissant en Chine sont dans la merde beaucoup plus profondément qu’il ne parait.
Le problème c’est que depuis le milieu des années 2000, trouver des endroits rentables où investir la thune déjà gagnée est de plus en plus difficile. Tout comme écouler l’ensemble des marchandises produites par les usines. Mais on verra le détail de tout cela et de comment ça se passe dans un prochain article sur le sujet.
La plupart des chiffres utilisés dans ce texte sont issus de l’excellent bouquin de notre camarade Mylène Gaulard Karl Marx à Pékin, « Les racines de la crise en chine capitaliste ». Si vous voulez approfondir le sujet ou souhaitez plus de détails, n’hésitez pas à vous le procurer.
[1] L’augmentation est spectaculaire. Mais pour donner un ordre d’idée, il faut rapporter ce chiffre d’1 million de conflits sociaux par an à l’ensemble de la population active d’environ 920 millions de travailleurs. Pour exemple il y a eu environ 125 000 entreprises en France en 2005 pour une population active de 29 millions. Si l’on divise cela par l’ensemble de la population active. Il y a donc en réalité quatre fois plus de conflits du travail en France qu’en Chine. (L’appellation conflit du travail regroupe à la fois des grèves classiques, perlées, du zèle mais aussi les débrayages, refus d’heures sup’, les pétitions ou d’autres formes alternatives de lutte). Si la vitesse à laquelle augmente le nombre de conflits sociaux continue, la Chine n’aura aucun mal à dépasser la France sur ce terrain-là.
[2] Aujourd’hui la croissance démographique Française (0.48) est déjà plus forte que celle chinoise (0.44)
[3] Le Coût salarial Unitaire, c’est-à-dire le salaire et les charges mise en relation avec la productivité de l’usine seulement d’un tiers inférieur en Chine à celui des Etats-Unis. Natixis le détail d’ailleurs dans une étude disponible ici :