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Note de lecture sur "Des souris dans un labyrinthe"
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
http://garap.org/lectures/lecture14.php
Des souris dans un labyrinthe : Décrypter les ruses et manipulations de nos espaces quotidiens
Editions La Découverte 2010
Résumé
« L'enjeu de ce livre est d'apprendre à lire l'espace en analysant ses agencements, ses fonctionnements et leurs significations, car l'espace, quand on le regarde attentivement, dit toujours quelque chose. Il délivre implicitement un message que l'on peut saisir en décryptant les logiques économiques, symboliques, fonctionnelles, marchandes, etc... et en faisant quelques hypothèses. »
Un espace sans frontières
Le premier chapitre explore ce que l’auteure appelle la fluidité de l’espace par la disparition d’oppositions : ville/campagne, jour/nuit, public/privé. Cet espace indifférencié qui construit notre modernité serait une automobilité : une pratique sociale qui consiste à ne pouvoir traverser un espace qu’en voiture et dans lequel la distance ne se compte plus en kilomètres, mais en temps. La voiture est une seconde maison habitée par un GPS auquel nous obéissons. La voiture est une bulle personnelle, un prolongement de soi, indispensable pour se déplacer d'un espace dupliqué à un autre. Les espaces dupliqués sont les paysages identiques (intérieurs ou extérieurs) que l'on retrouve partout : centre commerciaux, zone d'activités à l'entrée des villes, lotissements.
La fluidité est primordiale car l'immobilité est une catastrophe. Les autoroutes, entrecoupées de lieux de transit, transforment le conducteur en consommateur. La campagne devient une banlieue infinie irriguée par un vaste réseau routier entrelardé de ronds-points permettant cette fluidité. Les rond-points sont un rouage de l'espace sans limite et sans entrave, ils permettent le choix. L'étalement urbain créé des aires métropolitaines aux limites fluctuantes dans lesquelles la gentrification redéploie les classes sociales : les pauvres dans les cités, la classe moyenne en périurbain, les riches investissent les centre villes.
La ville fonctionne de plus en plus tard, l'opposition jour/nuit s'estompe. Des caméras et des réverbères sont là pour sécuriser les rues, les parcs, l'en dehors, car la ville et la violence sont intimement liées. Les espaces publics sont des espaces d'interdiction conçus pour intercepter, rejeter, filtrer. Les palais institutionnels, les hôpitaux, les bibliothèques et les écoles imposent à travers leurs architectures et leurs agencements des fonctions d’autorité, de soumission ou de transmission.
La mise en scène d’espaces à consommer sans modération
Dans les espaces de la mobilité, le consommateur occupe toute la place. Il est séduit en permanence par les artifices de mondes enchantés que sont devenus les magasins, les centres commerciaux et les musées. L'imaginaire des vacances et la notion de loisirs imprègnent ces espaces fabriqués.
« L'espace fabriqué se caractérise par sa volonté de produire une totalité fermée, un paradis hors du monde centré sur le loisir ».
Les prémisses de ces espaces d’étourdissement et de ravissement sont les expositions universelles qui perdurent malgré le tourisme de masse et les parcs d'attractions. Les espaces fabriqués sont des espaces régressifs dans lesquels le plaisir artificiel vient cacher la recherche du profit.
Le modèle de Las Vegas est un exemple saisissant de transformation d'une excitation permanente en art de vivre. Dans cette ville qui fonctionne 24h/24 et qui est centrée sur les jeux de hasard, rien n'est laissé justement au hasard. Le loisir devient une performance sans fin ni justification et l'appât du gain se transmet dans une architecture folle. Le monde merveilleux de Disney fonctionne sur le même modèle magique, et aussi sur le rêve et l'enfance. Le succès de ces parcs d'attractions repose sur la sécurité et la familiarité. Il s'agit aussi de maintenir le visiteur dans un état second hors du temps historique.
Les paradis artificiels que sont, entre autres, le Club Med, les villages Center Parcs ou les Iles Maldives mettent en scène un cadre authentique dans une autarcie touristique. Ce sont des mondes clos séparés des autochtones avec des forfaits tout compris. Les vacances sont devenues synonymes de voyages, et dans un monde en mouvement perpétuel, faire une pause pour ne rien faire est vécu comme un vide, un ennui et donc une angoisse ; d'où la fabrication du divertissement payant et permanent pour occuper les esprits aliénés.
La mise en scène de la transparence
Il s'agit de faire tomber les murs, d'unifier et de soumettre l'existence à l'entreprise selon le slogan de Nokia« je n'ai pas une vie professionnelle et une vie privée, je n'ai qu'une vie ». Pour vivre dans une espace ouvert, fluide et vaste où le regard ne s'arrête pas, le verre est devenu le matériau à la mode. C'est la transparence totale car il sépare sans coupure visuelle. Désormais le caché, au lieu d'être associé à la surprise ou la découverte, est synonyme de dissimulation.
Les espaces ouverts sont l'organisation des lieux de travail. Tout a été rationalisé afin de rendre visible les processus et d'accélérer la taylorisation en empêchant l'intimité par le regard des autres (observant/observé, écoutant/écouté). L'espace de travail se transforme en scène de théâtre avec ses codes et ses rôles. Les salles de repos ou de sports, les jeux en équipes sont autant d'atouts pour développer l'esprit de compétition en entreprise.
La gestion par le regard sévit particulièrement dans les chaînes de restauration rapide dans lesquels le flux des clients et les files d'attentes induisent une pression sur les salariés (et donc un autocontrôle). Cesespaces dupliqués fonctionnent par un service hyper réactif, des choix standardisés et calibrés. On retrouve ces mêmes composantes dans les banques, au bureau de poste et dans les supermarchés. Les salariés sont constamment sous le regard des usagers mais aussi des chefs et des caméras.
La mise en scène de soi et la fin de l’intimité
L'habitat est-il encore un refuge intime à l'abri du regard des autres et un lieu d'expression personnelle ? On peut maîtriser son ouverture sur l'extérieur via le rôle des volets et des rideaux. Mais l'intérieur des habitations est standardisé par les émissions de télé axées sur la décoration et le catalogue Ikea.
La maison perdure comme un espace normé et sexué. La maison est assimilée à la famille et donc à la séparation des sexes : l'homme défend l'usage symbolique, la femme défend l'usage pratique.
L'ordinateur apparaît comme une fenêtre ouverte sur le monde qui se pare d'une réalité augmentée plus attractive que la réalité extérieure. Les réseaux sociaux deviennent les nouvelles scènes virtuelles d'espaces sans contacts, dans lesquels des individus clones mettent en avant leurs bulles dupliquées dans un univers mondialisés dont le moteur reste la consommation.
Analyse
Ce livre, plus qu'une étude scientifique précise, est une incitation à observer le monde qui nous entoure, grâce notamment aux anecdotes et aux exemples que l'auteure utilise. C'est une incitation à être un spectateur et non à agir pour transformer le réel. Comme beaucoup de bouquins de notre époque, les conclusions sont navrantes car les auteurs sont des participants actifs de la société capitaliste. On peut se poser la question de la pertinence de l'ouvrage notamment par rapport à la critique du quotidien et de l'urbanisme opérés en leur temps par les situationnistes. Aucune référence dans ce livre ne cite le travail de l'Internationale Situationniste. Par contre les notes de bas de page renvoient à des sociologues et des philosophes comme Michel Foucault, Henri Lefebvre, Friedrich Nietzsche. De l'essentialisme, du subjectivisme, du post-modernisme : des idéologies bourgeoises.
Le but d'un tel ouvrage est-il de faire du fric, être estampillé « révolte officielle » ou les deux à la fois ? Lorsque l'on regarde le site de l'auteure, on se demande en quoi l'engagement militant qu'elle revendique1ne participe-t-il pas de la duplication des espaces ou en tout cas de la digestion parfois difficile par les masses des conséquences de l'aménagement de l'espace. On apprend sur son site qu'elle possède sa propre agence d'architecture2 et qu'elle est : « consultante sur les problématiques d’espace, de travail et d’organisation », avec des missions en entreprises d’accompagnement du changement, de situations critiques d’accueil, de travail sur l’impact des bureaux paysagers ; et un travail collaboratif avec des professionnels, space-planners, aménageurs, architectes comme DEGW, SATO, Chaix et Morel & associés, etc. sur leurs projets d’espaces tertiaires3. Elle est aussi présidente de l’association Archinov4 qui a organisé par exemple en janvier 2016 une rencontre débat sur le thème « Réinventer le lieu de travail ». Elle est membre de l'association Planète Surélévation5, de l'idéologie verdâtre sur la vertu écologique de la densification des espaces urbains à l’œuvre dans toutes les métropoles, mais rien sur les modalités de valorisation de l'espace par la bourgeoisie. En somme, l'auteure est une petite bourgeoise qui travaille à un aménagement des lieux et des conditions d'exploitation/d'habitation au profit des patrons/propriétaires sous le prétexte d'un meilleur environnement pour les prolétaires.
« Si l’on accepte cette spécialisation de l’urbanisme, on se met du même coup au service du mensonge urbaniste et social existant, de l’État, pour réaliser un des multiples urbanismes pratiques possibles, mais le seul urbanisme pratique pour nous, celui que nous avons appelé urbanisme unitaire, est par là abandonné, puisqu’il exige la création de conditions de vie tout autres. »
« Ceux qui discourent sur les pouvoirs de l’urbanisme cherchent à faire oublier qu’ils ne font rien d’autre que l’urbanisme du pouvoir. Les urbanistes, qui se présentent comme les éducateurs de la population, ont dû eux-mêmes être éduqués par ce monde de l’aliénation qu’ils reproduisent et perfectionnent de leur mieux. »
Bulletin numéro 6 de l'Internationale Situationniste, Critique de l'urbanisme, août 1961
Observer et analyser l'environnement direct nous expose la structuration de la société capitaliste. L'architecture est le reflet des rapports sociaux qui composent le système : les bourgeois siègent dans des grands bureaux, des grosses demeures, des buildings toujours plus haut ; quand les prolétaires vivent dans des maisons et des cités toutes pareilles, consomment dans des zones commerciales toutes identiques, desespaces dupliqués. Ces espaces dédiés en premier lieu à la consommation, ces zones d'activités que l'on trouve à l'entrée de toutes les villes que l'on appelle aujourd'hui « aires urbaines », sont une expression de la domination du capital sur le territoire et ses habitants. L'organisation institutionnelle des aires urbaines se déclinent souvent en grand : Grand Paris, Grand Lille, Grand Lyon, Grand Genève etc... La terminologie du marketing doit rendre les choses plus positives et fastueuses pour attirer et mystifier les prolétaires consommateurs.
Il s'agit d'analyser les espaces du quotidien qui nous entourent, aussi bien l'environnement global que le plus proche comme le lieu de travail, la rue, les transports et les habitations.
L'aménagement du territoire est soumis à des impératifs marchands, à des logiques de spéculation immobilière et de copinage entre politiques et patronat (nombre de bâtiments de bureau et de logements sont vacants, les projets inutiles pullulent comme l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, le centre commercial Europa City à Gonesse, un Las Vegas européen à Nîmes...), à des besoins de déplacements plus rapides pour augmenter la productivité (lignes de train à grande vitesse, aéroports, autoroutes). Les espaces naturels sont vus comme des lieux touristiques qui doivent être aménagés et rentabilisés. L'aménagement répond aussi à des besoins pour la bourgeoisie de contrôler et réprimer la population. Quand Napoléon III demande au baron Hausmann d'embellir Paris, l'objectif sous-jacent est de réorganiser la capitale pour diviser et éloigner les foyers de contestation ouvrière ; et créer de larges avenues pour envoyer l'armée en cas d'insurrection. Plus récemment, les vieux quartiers populaires des centre-ville de Marseille ou Toulouse ont fait l'objet d'une gentrification et d'une restructuration intense pour plaire aux touristes aisés.
Ces vingt dernières années ont vu la généralisation de l'organisation des bureaux en open-space. Le mythe libéral du travail coopératif sur un plateau de production est un prétexte pour stimuler la compétition et la surveillance panoptique entre les salariés. Les nuisances de l'espace ouvert au travail sont évidentes : bruit, manque d'intimité, stress. Pour contrer cela, des stratégies d'isolement apparaissent: casque sur les oreilles, pause cigarette, télétravail. Les entreprises sont des lieux d'absence de choix pour les salariés. L'aménagement du bureau est imposé et sa personnification dépend de la volonté de l'employeur, ainsi que de la stabilité du poste de l'employé à la même place. L'intimité se reporte alors sur les smartphones, les clés USB et les réseaux sociaux.
Dans les supermarchés, les files d'attentes ni trop courtes ni trop longues, en flux tendu, sont faites pour maintenir une pression sur l'employé afin qu'il soit productif sans arrêt. Les grands magasins d'ameublement imposent un circuit aux clients pour les faire déambuler dans différents univers qui poussent à la consommation. Il s'agit d'accueillir la foule et de la retenir en la séduisant. L'aménagement d'un magasin n'est jamais anodin et les techniques visuelles de marketing sont utilisées pour maximiser les profits. Les concepteurs d'environnement public et privé exploitent souvent les mêmes ressorts que sont la nostalgie de l'enfance, la soif d'authenticité et le besoin de sécurité.
Les routes à l'entrée des agglomérations sont le lieu privilégié des panneaux publicitaires qui constituent à eux-seuls une pollution visuelle. Des dizaines de pancartes nous indiquent des fast-foods, des magasins pour susciter l'acte marchand. Les rues des centre-ville sont remplies de petits magasins, de bars et de restaurants appareillés d’une diversité de luminaires pour attirer toutes sortes de clientèles. Les rues des vieux quartiers sont souvent pavées pour créer une sensation d'authenticité. Les transports urbains sont aussi les proies de la publicité. Des milliers de panneaux recouvrent les murs des stations de métro et RER, des affiches habillent la carrosserie des bus. Le réseau RATP est truffé de caméras, dans les stations et mêmes dans les nouvelles rames de métro. La consommation et la surveillance sont les deux facettes de l'aménagement urbain. Les digicodes et les badgeuses aux entrées des immeubles de logements ou de bureaux forment un agglomérat d'espaces fermés, un fantasme sécuritaire dans lequel tout serait sous contrôle.
Les habitations pourraient apparaître comme un refuge face à la marchandise. Mais bien au contraire, elles sont aussi des lieux d'expression de la société spectaculaire marchande, des lieux de personnalisation formatée. La mise en scène de l'intimité répond souvent à des critères d'appartenance sociale. L'opulence d'une maison bourgeoise, la vétusté d'un immeuble HLM, engendrent des réactions comportementales sur les habitants. On prendra plus facilement soin d'un cadre si on en a les moyens. Une architecture oppressante engendre un mal espace, un mal être.
L'intime se retrouve alors dans l'espace virtuel sans limite. L'ultra-connectivité de notre époque entraîne une mise en scène de soi sur les réseaux sociaux, où l'individu-roi s'affiche et se vend comme une marchandise ; où chacun étale sa vie pour se sentir exister, se sentir important aux yeux des autres et satisfaire un narcissisme. Les discussions se détournent des bars et de la rue au profit de l’espace virtuel dépourvu de contacts humains. Dans l’absolu, Internet pourrait être utilisé comme un lieu de connexions favorisant la subversion et l'organisation de la révolution prolétarienne mondiale, mais la réification achevée, dont il est à la fois un résultat et un facteur aggravant, limite autant le fondement que la portée d’une telle possibilité. Internet reste avant tout un supermarché.
Le labyrinthe, en tant qu'espace de la société spectaculaire marchande, offre l'illusion de la liberté de choix et d'action mais la réalité est une mobilité contrainte par la domination du capital sur l'existence. La sortie du labyrinthe est conditionnée par la recomposition du prolétariat en classe pour soi, c’est à dire en force révolutionnaire autonome, seule capable d’opérer l’avènement d’une société sans classes ni État.
« L'urbanisme est l'accomplissement moderne de la tâche ininterrompue qui sauvegarde le pouvoir de classe : le maintien de l'atomisation des travailleurs que les conditions urbaines de production avaient dangereusement rassemblés. La lutte constante qui a dû être menée contre tous les aspects de cette possibilité de rencontre trouve dans l'urbanisme son champ privilégié. L'effort de tous les pouvoirs établis, depuis les expériences de la Révolution française, pour accroître les moyens de maintenir l'ordre dans la rue, culmine finalement dans la suppression de la rue. «Avec les moyens de communication de masse sur de grandes distances, l'isolement de la population s'est avéré un moyen de contrôle beaucoup plus efficace», constate Lewis Mumford dans La Cité à travers l'histoire. »
« La plus grande idée révolutionnaire à propos de l'urbanisation n'est pas elle-même urbanistique, technologique ou esthétique. C'est la décision de reconstruire intégralement le territoire selon les besoins du pouvoir des Conseils de travailleurs, de la dictature anti-étatique du prolétariat, du dialogue exécutoire. Et le pouvoir des Conseils, qui ne peut être effectif qu'en transformant la totalité des conditions existantes, ne pourra s'assigner une moindre tâche s'il veut être reconnu et se reconnaître lui-même dans son monde. » Guy Debord, La société du spectacle, l'aménagement du territoire.
A lire
Guy Debord, La société du spectacle
Mike Davis, Au delà de Blade Runner
Big Brother Awards http://bigbrotherawards.eu.org/
Les bulletins de l'Internationale Situationniste http://inventin.lautre.net/livres.html#IS
Détruire l’urbanisme et son monde http://www.zones-subversives.com/2014/08/detruire-l-urbanisme-et-son-monde.html
Critique de l'urbanisme et politiques de la dominationhttp://www.senscritique.com/liste/Critique_de_l_urbanisme_et_politiques_de_la_domination/199891
Références :
3
http://www.degwfrance.com/ « Pour DEGW France les espaces de travail sont des outils stratégiques ou profit d’une nouvelle culture du travail fondée sur la performance collective, le bien être, l’échange et les synergies »
http://www.sato-associes.fr/
http://www.chaixetmorel.com/
4 « Mouvement des architectes et de leurs partenaires pour le développement de l’innovation depuis 2007 »