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Paris : les transports en commun gratuits, est-ce possible ?
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Anne Hidalgo a annoncé qu'elle allait mener "une étude sur la gratuité des transports en commun" pour les Parisiens, associant élus et experts.
Les transports en commun seront-ils bientôt gratuits pour les Parisiens ? Anne Hidalgo vient d'ouvrir le débat. La maire de la capitale a annoncé, lundi 19 mars, qu'elle allait lancer une étude sur le sujet. La question mérite "d'être posée, sans a priori et sans dogmatisme", explique-t-elle, se fixant pour horizon les prochaines élections municipales de 2020.
Mettre en place cette "gratuité" est-il pertinent ? D'autres villes européennes et françaises ont-elles déjà expérimenté une mesure similaire ? Et avec quels résultats ? Anne Hidalgo peut-elle décider seule d'une telle mesure ? Décryptage.
En France, une trentaine de villes ont déjà franchi le pas
Paris n'est pas la première ville à envisager une telle option. En France, une trentaine de villes, dont Châteauroux et Castres, ont même déjà franchi le pas. Niort, ; target="_blank">dernière ville en date à avoir "basculé", est pour l'heure la plus grosse agglomération française à proposer cette gratuité des transports en commun.
Si le cas de Niort est encore trop récent pour évaluer son impact, le bilan est globalement positif pour de nombreuses villes, explique Bruno Cordier, directeur d'Adetec, un cabinet d'études en transports et déplacements :
"Dans les villes moyennes où la gratuité est en vigueur, on a observé une hausse de la fréquentation des transports en commun – elle a doublé à Châteauroux par exemple – et une diversification du profil des usagers de ces transports, avec plus de familles notamment."
Autre constat : cette hausse de la fréquentation ne conduit pas à une saturation du réseau. "C'est en dehors des heures de pointe que cette fréquentation progresse le plus, les week-ends par exemple", précise le spécialiste.
A l'étranger, Tallinn, en Estonie, est pour le moment la seule capitale à avoir instauré cette gratuité. Là encore, selon Bruno Cordier, depuis 2013 et la mise en place de cette mesure, le bilan est plutôt positif.
"Cela a eu un impact sur les mobilités mais aussi sur la démographie, avec un retour de la population dans le centre-ville. Si bien que la perte de recettes a pu être compensée par une hausse des recettes fiscales liée à l'augmentation du nombre d'habitants."
Plus près de la France encore, l'Allemagne réfléchit également à cette disposition. La gratuité va ainsi être testée ; target="_blank">dans cinq villes du pays, dont l'ancienne capitale Bonn et Essen, qui compte près de 600.000 habitants.
Un manque à gagner de 3,8 milliards d'euros par an ?
Si plusieurs villes ont déjà décidé de basculer, il s'agit pour l'essentiel de communes de taille moyennes, bien plus modestes que Paris. Tallin est certes une capitale mais ne compte ainsi "que" 400.000 habitants. Une telle mesure serait-elle pertinente dans le cas de la capitale française ? L'économiste des transports Yves Crozet en doute :
"Cette mesure peut avoir du sens dans une ville qui a un petit réseau de transport. Le coût du contrôle y est parfois trop important par rapport aux bénéfices que la collectivité en tire. Mais, dans le cas de Paris, la recette commerciale est indispensable. Le réseau nécessite de gros investissements, et les recettes provenant de la billetterie se chiffrent en milliards."
Là où, dans une ville comme Châteauroux, la "billetterie" ne couvrait que 14% du coût total des transports, "elle représente en Ile-de-France 40% du coût du transport, soit environ 3,8 milliards d'euros par an", souligne Bruno Cordier.
Comment compenser ce manque à gagner ? "Si l'on rend les transports gratuits, il va falloir trouver ces milliards ailleurs. Si ce ne sont pas les voyageurs qui paient, ce seront les contribuables qui le feront", indique Yves Crozet, qui craint qu'un tel choix affaiblisse au final le réseau de transport, en empêchant sa modernisation et les investissements.
"Donner l'illusion aux gens que les transports en commun ne coûtent rien ne me semble pas une bonne chose."
"Avant de trancher, Paris doit donc bien mesurer l'impact potentiel de cette décision", poursuit Bruno Cordier. "D'autant qu'une telle décision est difficilement réversible tant le coût politique d'un retour en arrière serait élevé". Pour l'expert, sur le principe, cette idée n'est, en revanche, pas forcément farfelue. "L'usager du transport en commun est le seul à qui on fait payer une partie du coût de l'infrastructure", fait-il observer.
"L'automobiliste, par exemple, ne paye pas pour rouler sur la route. C'est le contribuable, et non l'usager, qui la finance..."
Les marges de manœuvre d'Anne Hidalgo sont limitées
"Il y a dans l'annonce d'Anne Hidalgo une part de démagogie politique", juge Yves Crozet. "C'est un signal envoyé aux électeurs parisiens dans l'optique des prochaines municipales."
"Le problème, c'est que les transports en commun ne relèvent pas de son pouvoir. Dans la capitale, elle a la charge de la voirie, mais c'est la région Ile-de-France qui est le principal acteur et décideur en termes de transports en commun. Les marges de manœuvre d'Anne Hidalgo sont donc limitées."
La présidente LR de la région Ile-de-France, Valérie Pécresse, n'a d'ailleurs pas manqué de réagir à l'annonce d'Anne Hidalgo. "La Ville de Paris ne peut pas faire cavalier seul", a-t-elle mis en garde, mardi matin, sur l'antenne de Radio Classique, posant "deux conditions".
"D'abord, il ne doit pas y avoir un euro en moins de recettes pour Ile-de-France Mobilités [l'ex-syndicat des transports d'Ile-de-France, Stif]. Aujourd'hui, la priorité des priorités, c'est la modernisation des transports", a-t-elle souligné. Deuxième condition : il ne saurait y avoir "d'inégalité entre les Parisiens et les habitants de la banlieue". "Ce serait totalement injuste et ce serait totalement inefficace", a-t-elle insisté.
Le porte-parole du gouvernement Benjamin Griveaux (LREM), à qui l'on prête des ambitions municipales à Paris, a quant à lui émis un "doute sur le caractère électoraliste" d'une telle mesure. "Si on était dans une perspective strictement électorale, on resterait entre nous en train de travailler dans une équipe de campagne sur une proposition qu'on ne mettrait pas sur la table", a balayé Anne Hidalgo. La maire de Paris a par ailleurs "invité" la région Ile-de-France et sa présidente Valérie Pécresse à participer au débat.
L'économiste Yves Crozet voit dans la rivalité entre les deux institutions l'une des faiblesses de la gouvernance actuelle de l'agglomération parisienne. Alors que dans d'autres grandes villes, comme Londres, les compétences en la matière sont concentrées, elles sont en Ile-de-France partagées entre la Ville de Paris et la Région. Deux entités rivales, qui défendent des approches différentes en termes de mobilités, ; target="_blank">comme la récemment montré le dossier des voies sur berge.
Sébastien Billard