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Iran: Un capitalisme enturbanné en quête d’hégémonie régionale
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Les récentes mobilisations sociales qui ont secoué la République islamique d’Iran ont mis une nouvelle fois en lumière le rejet de la politique régionale menée par la mollahrchie.
En effet, les slogans hostiles au soutien par le régime au Hezbollah libanais ou à la dictature de Bachar al-Assad ont fleuri dans toutes les manifestations. Des portraits du général Ghassem Soleimani, commandant de la force Qods des Gardiens de la Révolution, qui dirige notamment les interventions militaires en Syrie et en Irak, ont été brûlés en nombre. Mais quelle est réellement cette politique et quelles en sont les conséquences pour la région et pour la société iranienne ?
Un chaos régional bénéfique au régime iranien
Le chaos régional qui frappe le Moyen-Orient est la conséquence directe des interventions impérialistes qui se sont succédé depuis 1991, de l’offensive néolibérale des dernières décennies, ainsi que de la nature dictatoriale des différents États de la région.
Paradoxalement, la République islamique a profité de l’intervention impérialiste américaine en Irak en 2003, des soulèvements populaires en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, ainsi que de l’émergence de l’État Islamique, pour affirmer sa place de grande puissance régionale.
Dans ce marasme régional et avec l’affaiblissement de l’Irak et de la Syrie, la République islamique d’Iran et l’Arabie saoudite sont devenues les deux principales puissances. Elles se livrent à une confrontation par forces interposées pour étendre leur influence et défendre leurs intérêts économiques et géostratégiques.
L’accord sur le programme nucléaire de Téhéran, la levée des sanctions les plus lourdes et l’accès aux avoirs bloqués ont redonné au régime de Téhéran des marges de manœuvre pour renforcer sa présence dans la région. Ainsi, sous couvert de lutte contre Daesh, la mollahrchie a augmenté l’aide matérielle et humaine apporté au gouvernement irakien et aux milices chiites à sa solde.
D’autre part, le régime de Téhéran a également accru son soutien à la dictature de Damas et au Hezbollah libanais.
Un soutien sans faille à la dictature syrienne
L’engagement militaire et financier de la République islamique au côté du régime d’Assad a été déterminant dans le maintien au pouvoir du dictateur syrien.
En effet, depuis 2011, le soutien du régime iranien à Bachar al-Assad a été sans faille. Ainsi, en Syrie, le nombre de combattants étrangers liés à l’Iran est plus important que l’armée du régime syrien : plus de 70 000 contre 50 000 pour le régime, à l’été 2016 (1).
Ces combattants sont des Gardiens de la Révolution, des combattants du Hezbollah libanais et de milices diverses (afghanes, irakiennes, pakistanaises...). Les Afghans, y compris des enfants soldats pour la plupart réfugiés en Iran, sont souvent enrôlés de force et expédiés comme chair à canon sur le terrain.
En janvier 2018, l’hodjatoleslam Zohair Mojahed, un commandant de la division des Fatimides (milice composée d’Afghans, fils des émigrés Afghans otages du régime de Téhéran, encadrés par les Gardiens de la Révolution), déclare que 2 000 Afghans ont été tués et 8 000 autres blessés en Syrie. Le gouvernement afghan a demandé à Téhéran de rapatrier les Afghans envoyés en Syrie. Sans succès.
Cet engagement militaire et financier est à la hauteur des enjeux pour le régime de Téhéran. En effet, la chute de Bachar al-Assad aurait constitué un revers majeur pour l’influence régionale de la mollahrchie, d’autant que la Syrie est « le pont » stratégique entre Téhéran et le Hezbollah libanais. Le soutien de la République islamique au régime dictatorial syrien et celui de l’Arabie saoudite à des forces djihadistes réactionnaires se sont faits au prix de l’écrasement du soulèvement démocratique du peuple syrien.
La rivalité avec l’Arabie saoudite
Les deux théocraties réactionnaires que sont la monarchie saoudienne et la République islamique d’Iran se livrent à une lutte acharnée pour l’hégémonie régionale.
Le soutien des Gardiens de la Révolution aux Houtis du Yémen se situe dans ce cadre. Au Yémen, l’investissement de Téhéran est limité. Il a pour objet de pousser la monarchie saoudienne à s’enliser dans une guerre à moindre coût pour le régime iranien. Et, encore une fois, peu importe le désastre dans lequel sombre le peuple yéménite.
Le conflit a officiellement débuté en mars 2015 avec l’intervention d’une coalition arabe sous commandement saoudien. Il a causé plus de 10 000 morts et provoqué la pire épidémie de choléra de l’histoire. D’après l’ONU, le pays est le théâtre de la « pire crise humanitaire au monde » et 8,4 des 30 millions d’habitants sont directement menacés par la famine.
Dans cette rivalité macabre, la monarchie saoudienne et la mollahrchie actionnent l’ensemble des leviers à leur disposition. Les deux théocraties réactionnaires « mobilisent » les populations sur la base de leurs identités religieuses et/ou ethniques respectives, et accentuent les tensions sectaires. Cette guerre par forces interposées est un désastre pour la région et pour les populations. Elle ne sert que les intérêts étatiques et capitalistiques de l’Arabie saoudite et de la République islamique d’Iran.
L’émergence de Daesh et la recomposition partielle des alliances
La politique sectaire menée par le pouvoir de Bagdad, soutenu par la République islamique, a largement nourri le terreau sur lequel a prospéré Daesh. Celui-ci a puisé sa force propulsive dans le délitement de la société irakienne résultant des interventions impérialistes et de l’exclusion des populations sunnites par les gouvernements irakiens et les milices chiites soutenues par le régime de Téhéran.
Cet engrenage tragique fait l’affaire des grandes puissances. En effet, les États de la région se sont engagés dans une nouvelle course à l’armement dont l’issue ne peut être que la continuation de la guerre. Le grand bénéficiaire en est l’industrie de l’armement qui se voit ainsi offrir des perspectives de profits considérables et durables.
Et ce d’autant que la défaite de l’État Islamique a accentué la rivalité entre Ryad et Téhéran. Avec l’accession de Donald Trump à la Maison Blanche et le changement de leadership en Arabie saoudite, c’est l’axe Washington–Ryad–Tel Aviv qui se reconstitue comme l’un des deux pôles réactionnaires dans la région.
En effet, l’administration Trump a pris fait et cause pour la monarchie des Saoud, remettant en cause la politique de compromis engagé par Barak Obama autour du programme nucléaire iranien, et s’aligne sur Netanyahou contre les droits nationaux du peuple palestinien.
Au jeu des alliances régionales et des moyens financiers, Téhéran n’est pas en position de force.
La solitude internationale des Mollahs
La République islamique, contrairement à la monarchie saoudienne, n’a pas dans la région de véritables alliés étatiques sur qui compter. Les pouvoirs irakien et syrien sont trop faibles. Par ailleurs, l’alliance entre Téhéran et Moscou sur le terrain syrien ne signifie pas une concordance d’intérêts et de vues sur l’ensemble des sujets, ainsi que sur les ambitions régionales de la mollahrchie.
Ainsi par exemple, Poutine entend développer avec l’État d’Israël davantage de coopération bilatérale en matière de politique, de commerce, d’économie, de culture et sur le terrain scientifique. Par ailleurs, la Russie et l’Arabie saoudite entretiennent de bons rapports politiques et des coopérations notamment sur le terrain de la production pétrolière et gazière. La visite à Moscou du Prince Ben Salman à l’automne 2017 marque clairement le rapprochement à l’œuvre qui s’était traduit au préalable par une convergence de vues au sein de l’OPEP.
Les interventions extérieures de l’Iran aggravent la crise économique du pays
La mollahrchie ne dispose pas de moyens financiers comparables à ceux de l’Arabie saoudite ou des Émirats arabes unis. Ainsi, pour mener ses interventions extérieures et pour financer les milices qui lui sont inféodées en Irak, en Syrie et au Liban la République islamique détourne une grande partie de la rente pétrolière et des richesses du pays. De l’aveu même du président Rohani, l’équivalent du tiers du budget de l’État échappe au contrôle du gouvernement et à l’impôt. Une grande part se trouve directement accaparée par les Gardiens de la Révolution.
L’augmentation des dépenses militaires est particulièrement considérable dans le nouveau budget. L’accroissement le plus remarquable est celui du budget des Gardiens de la Révolution, qui augmente de 55 %. Au cours de quatre années de la présidence d’Hassan Rohani, le budget militaire du pouvoir iranien a augmenté de 70 %. Cette augmentation s’explique par l’implication grandissante de la mollahrchie dans la guerre en Syrie et une perspective de conflit de plus en plus ouvert avec l’Arabie saoudite.
De plus, une partie importante des dépenses militaires est financée par des fondations et holdings appartenant à la direction des Gardiens de la Révolution. Ces organismes sont sous le contrôle direct de Khameneï, le « Guide suprême ». Ces fondations sont exonérées d’impôts et certaines d’entres elles font partie des plus grandes holdings du Moyen-Orient.
Setâd-ejrayi-e farman-Emam (Siège pour l’exécution des ordres de l’imam), Khatam-ol Anbia ou encore la banque Ansâr, en sont les plus importantes. En 2013, Setâd-ejrayi-e farman-Emam détenait une participation dans une quarantaine d’entreprises, et les recettes du groupe avoisinaient alors les 95 milliards de dollars. Cette prédation qui sert également à l’enrichissement des dignitaires du régime et à la corruption accentue les difficultés sociales et économiques du pays et provoque la montée de la colère populaire.
Un capitalisme clérical
La politique régionale de la République islamique est, comme celle de tous les États, dictée par ses intérêts économiques et géostratégiques. Elle n’a aucun autre but idéologique et aucun rapport avec l’anti-impérialisme ou avec le soutien au peuple palestinien. Les droits des minorités nationales, la mollahrchie n’en a que faire. Le meilleur exemple étant l’état de guerre permanent que la République islamique impose dans les régions kurdes d’Iran. L’ambition du régime bourgeois-clérical de Téhéran est d’ordre capitalistique.
Par exemple, à la faveur des divisions entre les partis kurdes irakiens (UPK et PDK) qui portaient notamment sur le contrôle du pétrole et qui ont fait échouer le référendum pour l’indépendance, le régime de Téhéran met la main sur le brut produit à Kirkouk. Ainsi, le gouvernement irakien, proche de la mollahrchie, détourne le pétrole de la région kurde de Kirkouk vers la raffinerie iranienne de Kermanshah.
Bagdad et Téhéran ont également relancé un projet de construction d’un oléoduc pour acheminer le pétrole des champs irakiens de Kirkouk vers le centre de l’Iran, avant d’être exportés. Hamid Hosseini, le secrétaire général iranien de la Chambre de commerce Iran-Irak, a déclaré que l’Iran voulait construire un pipeline capable de prendre jusqu’à 650 000 barils par jour de pétrole kurde pour ses raffineries et ses exportations. Ces transactions sont supervisées par le service responsable des investissements iraniens en Irak au sein du bureau du président. Elles sont dirigées par les Gardiens de la révolution et par le général Ghassem Soleimani, commandant de la force Qods, qui s’intéresse également de près au secteur pétrolier iranien en Irak.
Ce pipeline remplacerait les routes d’exportation existantes pour le pétrole brut en provenance du nord de l’Irak via la Turquie et la Méditerranée, et contrerait ainsi le projet d’Ankara de devenir un hub énergétique pour l’Europe.
La montée de la colère
Les mobilisations populaires de janvier 2018 ont exprimé un rejet de l’ensemble du régime de Téhéran. La République islamique est contestée dans ses fondations mêmes. Le mouvement était l’expression d’une colère profonde que la répression féroce du régime ne pourra étouffer durablement.
Les jeunes et les travailleurs qui étaient dans la rue ont exprimé avec force le rejet de la dictature théocratique, des politiques libérales dévastatrices et de la corruption, ainsi que le refus de la politique régionale de la mollahrchie.
La justice sociale, l’égalité et la liberté sont au centre des slogans et de la contestation populaire. La satisfaction de ces revendications passe par le renversement de la République islamique et des États réactionnaires de la région, ainsi que par une opposition aux ingérences impérialistes.
* Babak Kia est militant de Solidarité socialiste avec les travailleurs d’Iran (SSTI), du Nouveau parti anticapitaliste (NPA, France) et de la IVe Internationale.
Notes