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En Allemagne, une forêt disparaît, des zadistes évacués
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Depuis près d'une semaine, la police rhénane évacue les occupants de Hambach, près de Cologne. Ces militants écologistes défendent une forêt millénaire, promise à une destruction imminente pour l'exploitation par un géant de l'électricité d'un charbon très polluant, le lignite.
La vidéo, prise ce week-end dans la forêt de Hambach, près de Cologne, a fait le tour des réseaux sociaux. On y voit une militante écologiste tout juste délogée d’un arbre par la police. L’air éreinté, la voix fêlée, la gorge nouée, elle s’adresse longuement aux fonctionnaires casqués à ses côtés – et ils l’écoutent en silence. «Vous croyez sans doute avoir gagné. Mais vous n’avez pas gagné, car cette forêt et cette terre, vous en avez besoin vous aussi.»
L’Allemagne devra bientôt composer avec le pénible souvenir de l’évacuation de la forêt de Hambach. Depuis des jours, des forces de l’ordre surnuméraires expulsent des militants écologistes agrippés à des arbres. La police accède ainsi à la requête du géant de l’électricité RWE, soutenu par les autorités politiques locales, dont l’ambition est de raser la forêt afin de produire toujours plus de ce charbon très polluant : le lignite. En résumé, on retrouve tous les ingrédients des luttes écologistes.
Hambach, surnommée affectueusement «Hambi», se trouve à cinquante kilomètres de Cologne. C’est l’une des plus anciennes forêts d’Allemagne. Agée de 12 000 ans, riche de quelque 140 espèces protégées, elle est promise à une disparition certaine. Le groupe de production d’électricité RWE, qui en est propriétaire depuis 1978 et qui en a déjà détruit 90%, souhaite raser bientôt 100 des 200 hectares restants afin de permettre l’expansion d’une mine de lignite à ciel ouvert.
Travaux fatals
Hambach est aussi l’une des plus anciennes ZAD d’Europe. Les premiers occupants sont arrivés en 2012. Au fil des ans les ont rejoints des hippies, des anars, des punks, des défenseurs de la cause animale, des militants LGBT+, des antifas, faisant de «Hambi» une zone à défendre autant qu’une utopie sylvestre. Tous ces gens ont construit des cabanes, vécu en communauté, nettoyé la forêt de ses déchets, tenté de mettre des bâtons dans les roues de RWE – avec plus ou moins de bonheur. Mais depuis ce week-end, le Goliath de l’électricité a gagné : dimanche, on comptait neuf blessés chez les zadistes, et 34 interpellations. Peu à peu la ZAD se vide, les quartiers aux noms pittoresques qui la constituaient sont démantelés.
Depuis quelques semaines, la rumeur bruissait d’une intervention policière de grande ampleur. Tout le monde savait que les travaux de déboisement d’octobre seraient fatals. Mais les arguments invoqués pour justifier l’évacuation n’ont pas manqué de surprendre. RWE estime que les cabanes dans les bois construites par les militants «contreviennent aux normes incendie». Un danger opportunément découvert au terme de six ans d’occupation.
Mais cette évacuation ne se fait pas sans résistance. Ce week-end, une manifestation de soutien à Hambach a rassemblé près de 5 000 personnes. «Soulignons que ces gens ne sont pas venus à l’appel d’associations de défense de l’environnement. Ils sont venus protester spontanément et pacifiquement. On sent un réel et nouveau mouvement de défense de la nature en Allemagne», estime Ann-Kathrin Schneider, experte énergie et climat pour l’Union pour l’environnement et la protection de la nature en Allemagne (Bund). Elle ajoute que de manière générale, l’opinion allemande est hostile au charbon.
Enjeu crucial
Chez les politiques, en revanche, on se garde d’évoquer le sujet, la chancelière étant engluée dans une énième querelle avec son ultraconservateur ministre de l’Intérieur, Horst Seehofer (le différend concerne cette fois le sort du patron des renseignements intérieurs, Hans-Georg Maassen). Ce dernier, dont les liens avec l’extrême droite sont étroits, avait sérieusement mis en doute la réalité des chasses à l’homme à Chemnitz.
En vérité, l’une des seules personnalités politiques à avoir pris la défense de Hambach ces derniers jours est Sahra Wagenknecht, cheffe du groupe parlementaire de Die Linke au Bundestag, et fondatrice du mouvement citoyen Aufstehen. Cependant, Wagenknecht – c’est aussi le cas des Verts – n’est pas au gouvernement. Les politiques au pouvoir, de leur côté, ne commentent guère la situation. «De manière générale, ils sont paralysés par ce qui se passe. C’est tellement honteux de déloger des militants pacifistes afin de produire du charbon sale qu’ils ne savent même plus quoi dire», analyse Ann-Kathrin Schneider.
Pourtant, la politique énergétique est un enjeu crucial en Allemagne, pays qui a annoncé sa sortie du nucléaire dès 2011, et qui par conséquent s’est tourné vers le lignite pour sa production d’électricité. De fait, aujourd’hui, le pays ne respecte pas l’accord de Paris sur le climat qu’il a pourtant signé en 2015.
Mardi, une commission spéciale se réunissait de nouveau afin de discuter des modalités d’une sortie du charbon. Encore faut-il que le calendrier contente tout le monde. A la table des négociations de cette «commission charbon», en face des associations environnementales telles que Bund, on trouve l’industrie charbonnière, soutenue à la fois par les autorités politiques de Länder producteurs (Rhénanie-du-Nord-Westphalie, Brandebourg, Saxe-Anhalt, Saxe), et par les syndicats. Il sera donc très difficile de mettre tout le monde d’accord. «Nous demandons une sortie du charbon pour 2030, ajoute Ann-Kathrin Schneider. Les industriels ne veulent rien avant 2040. Mais alors, ce ne serait pas respecter l’accord de Paris… Il y a quelque chose d’anachronique dans cette histoire : comment l’Allemagne, pays avec une image si "verte", peut-elle produire et exporter tant de charbon polluant ?»