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Bordeaux résiste à l’hiver social
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
https://lemediapresse.fr/social/bordeaux-resiste-a-lhiver-social/
Dans la capitale girondine, les mobilisations des Gilets jaunes ne faiblissent pas malgré les mutilations causées par les armes des forces de l’ordre. À quelques kilomètres, les Ford de Blanquefort continuent à se battre pour leurs emplois alors que la multinationale a refusé l’offre de reprise et que l’État envisage de racheter l’usine.
Noël approche, et la place Pey-Berland, surplombée par la Cathédrale Saint-André, décorée d’un immense sapin qui trône entre la mairie et la statue dédiée à Jacques Chaban-Delmas, offre à Bordeaux une apparence de quiétude. Pourtant, entre l’église et les rails du tramway qui quadrille la ville d’Alain Juppé, le promeneur attentif pourra remarquer quelques stigmates des derniers samedis : pavés descellés, rares douilles de grenades lacrymogènes… Depuis le 17 novembre, les Gilets jaunes se mobilisent dans la capitale girondine.
Le 1er décembre, la situation dégénère face à la mairie : les quelques 2000 manifestants, après des jets de projectiles en direction des forces de l’ordre, subissent des salves continues de lacrymos et plusieurs tirs de flashball. Guy B., soixante ans, reçoit une balle de défense dans la joue, qui lui déchire la peau et lui fracture la mâchoire. Peu de temps après, Frédéric R., 35 ans, perd une main en tentant d’éloigner une grenade assourdissante GLI-F4. Alors que les manifestants le transportent dans une rue adjacente, un camion de pompiers traverse la foule sous les applaudissements. Tandis qu’ils prennent en charge le blessé, les secours reçoivent une salve de lacrymogènes à quelques mètres de leur véhicule.
Une semaine plus tard, les manifestants sont bien plus nombreux, estimés à 4500 par la préfecture. Sur les quais de Garonne, un autre cortège, celui de la marche pour le climat, accueille une foule dense ainsi que plusieurs députés insoumis qui participent ce week-end du 8 décembre à la convention nationale du mouvement. Aux abords du Grand Théâtre, de nombreux véhicules de police stationnent devant l’antenne régionale de la Banque de France. Dans Sainte Catherine, l’immense avenue commerciale de la ville, les passants se mélangent aux Gilets jaunes tandis que des gens immortalisent la scène avec leurs smartphones depuis le haut de la rue. Près de l’hôtel de ville, les manifestants sont maintenant répartis sur l’ensemble de la place Pey-Berland.
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Légende : Manifestation des Gilets Jaunes, Place Pey-Berland, le 1er décembre, Bordeaux // Crédits : Téo Cazenaves pour Le Média
QUATRE PERSONNES MUTILÉES
Les Gilets jaunes scandent le slogan « Macron Démission » sous des salves régulières de lacrymogènes. À côté d’une vitrine, de jeunes gens fournissent du sérum physiologique à un couple de personnes âgées en gilet jaune. Plusieurs heures d’une dense fumée blanche. Sur le cours Alsace-Lorraine, des barricades commencent à s’enflammer. Un manifestant est évacué par les pompiers. Antoine B., étudiant bayonnais de 26 ans, vient de perdre sa main dans l’explosion d’une grenade(1). La police avance peu à peu et boucle Pey-Berland. Les gens se réfugient dans les rues du centre-ville, où l’air est devenu irrespirable. Dans Sainte-Catherine, les quelques passants qui continuent leurs courses n’en reviennent pas. La police charge par les rues adjacentes. Les plaques de bois qui protègent une agence SFR grossissent la barricade. Sur le cours Victor Hugo, avenue parallèle, des poubelles brûlent. Les forces de l’ordre tentent des percées avant qu’un camion de pompier ne vienne éteindre les feux à toute vitesse. En contrebas, des manifestants ont forcé les portes d’une Société Générale. Les meubles et les documents nourrissent le brasier.
Un peu plus haut, une sono artisanale crache du Rage Against The Machine. « Fuck you, I won’t do what you tell me ». Un skateur quinquagénaire s’amuse à foncer à toute vitesse sur les braises dans une ambiance irréelle. Dans la soirée, en haut de Sainte Catherine, les vitrines de l’Apple Store sont brisées, les téléphones volés. Deux jours plus tard, deux personnes seront jugées en comparution immédiate. Sadio K., tout juste dix-huit ans, n’avait aucun casier judiciaire. La justice a cependant décidé de l’envoyer quatre mois en prison. Pour cette même journée du 8 décembre, Marien, 27 ans, aura la main brisée par un tir de flashball. Jean-Marc M., 41 ans, perdra un œil, lui aussi atteint par le projectile des forces de l’ordre, bien qu’elles aient théoriquement l’interdiction absolue de viser la tête. Un bilan sordide : quatre personnes mutilées par les armes de la police pour les seuls 1er et 8 décembre. Sur les quatre mains arrachées lors des mobilisations au niveau national, deux l’ont été dans la capitale girondine.
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Légende : Manifestation des Gilets Jaunes, Cours Alsace-Lorraine, le 8 décembre, Bordeaux // Crédits : Téo Cazenaves pour Le Média
ALAIN JUPPÉ ET « LES GILETS JAUNES RESPONSABLES »
Le lendemain, Alain Juppé évoquera des « conséquences absolument désastreuses ». « Cela doit cesser », poursuit l’ancien Premier ministre qui avait cédé en 1995 sous la pression populaire. Et, tout en appelant le gouvernement à faire un geste, exhorte « les Gilets jaunes responsables [à] cesser d’appeler à manifester, au risque de convoquer les casseurs à casser ». Les « bons Gilets jaunes » n’auraient-ils pas entendu le message ? Une semaine plus tard, le 15 décembre, ils sont aussi nombreux (4500) à se rassembler, malgré les annonces du gouvernement, selon les chiffres de la préfecture, alors même que la mobilisation faiblit à Paris pour le bonheur des éditorialistes et grâce à un dispositif policier inédit. « Un gros cortège étudiant est allé rejoindre les Gilets jaunes, Place de la Bourse », témoigne le militant insoumis Clément Agostini. « Les gens étaient équipés. C’est assez surprenant de voir un couple de retraités avec masques et lunettes de protection », poursuit-il. Discrètes, les formations politiques et syndicales se joignent tout de même au mouvement : « Je crois qu’il y a un gros effort de la part de toutes les organisations pour ne pas ramener leurs banderoles et leurs sigles. Nous [la FI], le NPA, souvent très présent, ou la CGT, nous faisons l’effort de ne pas nous montrer. » Les affrontements, qui n’ont pas atteints l’ampleur de la semaine passée, sont restés cantonnés à la place Pey-Berland. À Bordeaux, de nouvelles mobilisations sont déjà prévues pour le samedi 22 décembre. Dans les rangs, comme la semaine précédente, d’étranges tee-shirts blancs, bleus et rouges accompagneront les Gilets jaunes : ceux des Ford Blanquefort, qui continuent de lutter pour sauver leur usine.
FORD BLANQUEFORT, LE COMBAT CONTINUE
Le 13 décembre, Ford annonce son refus de l’offre de reprise de l’usine de Blanquefort porté par les franco-belges de Punch, alors même que celle-ci satisfaisait le gouvernement et les représentants syndicaux. Une désillusion malvenue pour les travailleurs du géant automobile, qui se battent depuis plus de dix ans pour sauver leurs emplois. Après l’annonce de Ford, le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, avait évoqué une « trahison » de la part de la multinationale. Aujourd’hui, il évoque la possibilité d’un rachat par l’État, qui permettrait ensuite de la vendre au repreneur potentiel. Une solution à laquelle veut croire la CGT : « Si l’objectif est de sauver l’usine et les emplois, on est évidemment partant pour cette solution-là », souligne Philippe Poutou, interrogé par Le Média. « Ce sont des choses dont on discute depuis un moment avec eux [l’État] : ils se sont aperçus que Ford ne jouait pas le jeu et sont bien obligés de chercher des solutions qui contournent, voire qui forcent la main à Ford. » Le délégué syndical, ancien candidat à la présidentielle, dénonce le cynisme de la multinationale : « Ce repreneur-là, Ford ne l’a jamais pris au sérieux, n’a jamais discuté, n’a jamais étudié son projet, quoi qu’il en dise. Pourquoi sont-ils aussi obsédés que ça par la fermeture de l’usine ? Les choix des multinationales ne sont pas toujours rationnels. J’imagine bien la décision de dirigeants, très haut, qui ne veulent pas s’emmerder. Parce qu’en fait, s’il y a reprise, ça engage malgré tout la multinationale pour un, deux ou trois ans, parce que ça suppose une production de transition. »
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Légende : Manifestation des Ford Blanquefort, 22 septembre 2018, Bordeaux // Crédits : Téo Cazenaves pour Le Média
Les discussions étaient pourtant engagées depuis plusieurs mois entre l’État, l’entreprise et les salariés : « l’État, pendant un moment, a pensé qu’il suffirait qu’ils discutent avec eux pour les convaincre : ils se sont cassés les dents, Ford les a envoyé bouler. C’est ça aussi la colère du ministre, la colère de Macron. Maintenant, on en est à des solutions “originales”, comme dirait Le Maire. […] Nous, on espère bien que le résultat final, c’est la préservation de l’usine et des quatre cents emplois qui sont concernés », poursuit Philippe Poutou.
Pour forcer la main à la multinationale, Benjamin Griveaux a évoqué hier des moyens inédits. Le porte-parole du gouvernement a notamment menacé de bloquer les opérations de l’entreprise sur les appels d’offres publics. « Ils ont aussi d’une certaine manière une opération de boycott. Ce sont des moyens de pression dont on discute avec l’État depuis longtemps », précise le porte-parole du NPA, qui a appelé avec ses collègues à une opération de boycott des véhicules produits par la marque. « Il y a un espoir qui revient du côté de tous ceux qui ont intérêt à garder leur boulot. Tout ce que fait le gouvernement, c’est aussi parce qu’on est derrière : on n’est pas très costauds, mais si on n’avait pas refusé la fermeture comme on le fait jusqu’à maintenant, si on n’avait pas mené la bataille centrée là-dessus, on n’aurait pas poussé le gouvernement à agir jusque-là. »
« FERMER UNE USINE, C’EST FABRIQUER DE NOUVEAUX GILETS JAUNES »
Une lutte qui résonne avec les mobilisations des gilets jaunes ? « Nous, on est pour la révolte sociale : malgré les aspects hétérogènes du mouvement des gilets jaunes, on s’inscrit là-dedans. Se battre contre la fermeture de l’usine, contre les licenciements, contre le chômage, ça rejoint tout à fait le combat pour un niveau de vie digne, pour des revenus, pour vivre normalement. C’est ce qu’on a d’ailleurs dit au gouvernement à plusieurs occasions : fermer une usine, c’est fabriquer de nouveaux gilets jaunes. Il y a un lien direct. On participe donc aux manifs. De manière pas très organisée, parce qu’on est tellement pris dans la bataille… on y va comme on peut », détaille Philippe Poutou, qui voit dans le mouvement le spectre de la lutte des classes. « On est pour un mouvement social qui pose tous ces problèmes-là, et qui remet au goût du jour la lutte des classes, Même si le mouvement des gilets jaunes ne se revendique pas de la lutte des classes en tant que tel, c’est quand même ce problème qui est posé : comment la population, tous ceux qui aujourd’hui sont victimes de la crise, qui sont en train de souffrir, soit au chômage, soit qu’ils n’arrivent pas à vivre de leur boulot, petits artisans, petits paysans, commerçants, salariés, chômeurs, retraités, comment on arrive à se battre ensemble pour notre vie, pour notre avenir ? », poursuit l’ouvrier. « On est pour que ce mouvement se construise et arrive avec des revendications de partage des richesses. On veut vivre. »
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Légende : Manifestation des Gilets Jaunes, Place Pey-Berland, le 1er décembre, Bordeaux // Crédits : Téo Cazenaves pour Le Média
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Légende : Manifestation des Gilets Jaunes, Place Pey-Berland, le 1er décembre, Bordeaux // Crédits : Téo Cazenaves pour Le Média
Légende de l’image de une : Manifestation des Gilets Jaunes, Place Pey-Berland, le 1er décembre, Bordeaux
Crédits : Téo Cazenaves pour Le Média
Note :
(1) Lire à ce sujet l’entretien accordé à nos confrères de Mediabask. Il y réaffirme son intention de porter plainte contre Christophe Castaner, « responsable de l’utilisation de ces grenades ».