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Pour 2019, Macron souhaite une "écologie industrielle", mais pas nous

écologie

Lien publiée le 14 janvier 2019

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://lundi.am/Pour-2019-Macron-souhaite-une-ecologie-industrielle-mais-pas-nous

« Le but premier de l’écologie industrielle n’est paradoxalement pas l’écologie : ce qui est en jeu ici, c’est bien l’idée de perpétuer coûte que coûte un système économique non viable et une production toujours plus grande. »

Nous avons, nous aussi, entendu les vœux qu’Emmanuel Macron a formulés lundi soir pour la nouvelle année 2019, même si on s’est demandé si cela valait la peine de déroger à la loi de sobriété qui interdit l’usage du poste de télévision. À vrai dire, on était bien trop curieux de le voir s’empêtrer dans ses contradictions pour ne pas écouter, car on se demandait un peu de quoi Macron allait pouvoir se flatter au sujet de l’écologie. L’année 2018, qui devait make the planet great again, fut au contraire l’année de toutes les défaites écologiques : projet Montagne d’Or en Guyane, autorisation pour Total d’importer de l’huile de palme pour la fabrication d’agrocarburants, autorisation du glyphosate pour quelques années encore, démission de Nicolas Hulot, absence des représentants français à la COP 24… Et depuis le 18 décembre, pour couronner cette année décidément très « verte », l’État français est maintenant poursuivi par quatre associations environnementales pour « inaction climatique » [ id="nh97-1" target="_blank">1].

En marge d’un discours moralisateur qui ne tient pas compte du mouvement des Gilets jaunes et moins encore de ses revendications, quelques formulations heureuses ont été retenues, comme par exemple lorsqu’il est fait référence au « cours d’une mondialisation parfois incompréhensible », à un « système administratif devenu trop complexe et manquant de bienveillance » devant amener à « inventer de nouvelles manières de faire et d’être ensemble », ou encore, lorsqu’il s’agit de critiquer ouvertement « le capitalisme ultralibéral et financier, trop souvent guidé par le court-terme et l’avidité de quelques-uns ». Mais en fin de discours, tandis qu’il formule son troisième vœu pour l’année à venir, nous relevons une expression qui ne nous est pas familière et qui nous fait nous interroger sur le sens à accorder aux propos qui ont précédé : il s’agit de la mention d’une « écologie industrielle ».

Qu’est-ce qu’une écologie industrielle ? On se demande où le Président est allé chercher cette expression tandis qu’il ne manque pas d’oxymores plus répandus et tous plus inventifs les uns que les autres pour qualifier l’idée saugrenue d’une économie capitaliste respectueuse de l’environnement. Ainsi dans la lignée des expressions telles que « développement durable » ou « croissance verte », ou même, plus absurde encore, « capitalisme vert », voilà un autre terme qui vient s’ajouter au vocabulaire fantaisiste des gestionnaires et des décisionnaires. En réalité, le terme existe depuis la fin des années 1980 [2] et n’a pas été inventé pour l’occasion, quoi qu’il ne se soit pas encore répandu dans la sphère médiatique. On peut en trouver la définition suivante sur le site du Ministère de la transition écologique et solidaire : « L’écologie industrielle et territoriale (EIT) est un levier pour mobiliser les acteurs de terrain en faveur de la transition écologique. Elle se concrétise par la mise en commun volontaire de ressources par des acteurs économiques d’un territoire, en vue de les économiser ou d’en améliorer la productivité : partage d’infrastructures, d’équipements, de services, de matières… » [; id="nh97-3" target="_blank">3]

S’appuyant sur le principe de l’économie circulaire, l’écologie industrielle a pour objectif de quantifier les flux de ressources (d’eau, d’énergie, de matière) dans le but d’optimiser leur utilisation. Il s’agit donc de donner les moyens aux entreprises de créer des liens entre elles afin qu’elles puissent s’échanger et se prêter ces différentes ressources, et à terme, de parvenir à une véritable synergie industrielle (ou « symbiose ») qui œuvre pour réduire l’impact environnemental.

A première vue, le principe est louable et mérite qu’on s’y intéresse : plus de sobriété, responsabilité des entreprises au sujet de l’environnement, recyclage, réduction de la consommation d’énergie, relocalisation… Seulement voilà, en se plongeant un peu plus dans les explications, on se rend compte rapidement que tout n’est pas blanc, ou plutôt tout n’est pas vert, et qu’il est nécessaire de revenir sur certaines ambiguïtés afin de dire de quoi il s’agit véritablement. Par exemple, lorsqu’on lit que l’économie industrielle «  s’adresse ainsi tant aux acteurs publics en charge du développement territorial, qu’aux entreprises en recherche de performance économique, sociale et environnementale, et à l’ensemble de la société civile qui doit réinterroger ses besoins et ses modes de production et de consommation… » : tout d’abord, nous nous permettons de douter du fait que la performance économique puisse se coupler à une « performance » écologique et sociale. Ensuite, faire peser la responsabilité d’une consommation irresponsable sur la société civile lorsque celle-ci ne se voit pas offrir le choix de « bien » consommer (un écolo parfait est impossible au sein d’une société capitaliste, voir notre tract [4]) est de la plus grande hypocrisie. Combien de personnes souhaiteraient modifier leurs habitudes alimentaires, leurs moyens de se déplacer ou leur façon de travailler, tandis que cela n’est tout simplement pas rendu possible et qu’ils n’ont pas d’autre choix pour le moment que de poursuivre sur la même voie ?

Un point positif de cette économie industrielle est cependant qu’elle pose le problème du caractère limité des ressources et de la nécessaire gestion ou maîtrise de celles-ci, et de l’énorme gaspillage actuel qui a lieu dans le secteur industriel pour produire et distribuer les différents produits.

Mais en réalité, l’écologie industrielle prétend moins fabriquer des industries écologiques qu’une écologie des industries, en prenant comme modèle les écosystèmes naturels, et en proposant sur le même principe un « écosystème industriel » : « Lorsque l’on réfléchit aux implications de l’analogie entre les écosystèmes naturels et le système industriel, l’une des premières idées qui vient à l’esprit est celle des « chaînes alimentaires ». De même que dans les écosystèmes naturels, où certaines espèces se nourrissent des déchets ou des organismes d’autres espèces, on pourrait imaginer un processus similaire de valorisation des déchets entre les différents agents économiques. » [5]. Oui mais voilà où réside le problème : l’économie capitaliste repose sur le principe du profit et nécessite une production toujours plus importante, tandis les écosystèmes n’obéissent à aucune loi de « valorisation » marchande des déchets. L’analogie repose en outre sur des idées fausses qui visent à présenter l’économie industrielle comme potentiellement écologique ; il est facile d’y opposer quelques contre-arguments : 1) tous les déchets ne se valorisent pas, et les déchets sont loin d’être le problème le plus grave du point de vue écologique ; 2) la valorisation des déchets est-elle réellement une solution écologique ? pour valoriser des déchets, il faut consommer des ressources, construire des infrastructures, etc., donc continuer de faire tourner la machinerie économique qui est précisément à l’origine du réchauffement climatique ; 3) cette « solution », quand bien même elle serait bonne théoriquement, dépend du bon-vouloir des entreprises et sera abandonnée en cas de non rentabilité ; à court-terme pour maximiser le profit, il est préférable pour les entreprises de s’en tenir à ce qui est déjà là (énergies fossiles, etc.), puisque la mise en place du système de valorisation a un coût. Les petites mesures « vertes » prises dans le sens de la valorisation des déchets ne serviront probablement qu’à cacher l’immense continuation d’une production toujours plus polluante.

On notera également qu’il est ironique de voir que parmi les acteurs de l’écologie industrielle se trouve l’industrie nucléaire : or on doute de la capacité à inscrire les déchets nucléaires dans un circuit permettant leur « valorisation ». L’absurdité de l’écologie industrielle comme « valorisation des déchets » – recyclage de l’idée de recyclage –, est déjà bien attestée par les pratiques de recyclage du plastique, qui n’ont aucunement permis de stopper la croissance de la production de plastique.

En fait, les principaux avantages qui sont mis en avant, une fois exposés le respect de l’environnement et la réduction de l’impact sur les écosystèmes, sont ceux de la « compétitivité des entreprises » et de « l’attractivité des territoires » : et ce n’est pas anodin si le terme d’écologie industrielle est apparu pour la première fois sous la plume de responsables de General Motors dont la principale préoccupation est de contribuer au développement de la compagnie. On a donc sous les yeux les acteurs d’un système économique, à juste titre critiqué pour son inadaptation face aux exigences climatiques, dont ils sont les premiers à bénéficier, qui cherchent à se donner une belle image pour continuer de produire comme ils l’ont toujours fait, tout en s’accordant plus de liberté et de pouvoir : « Dans la politique traditionnelle de lutte contre la pollution, l’Etat édicte des normes contraignantes que les entreprises doivent respecter. Au delà de cette attitude réactive, l’écologie industrielle implique que l’initiative vienne des entreprises tout autant que des autres acteurs socio-économiques ou politiques, car une meilleure utilisation des ressources accroît leurs performances, leur compétitivité et l’attractivité du territoire. » [; id="nh97-5" target="_blank">5]

Le but premier de l’écologie industrielle n’est paradoxalement pas l’écologie : ce qui est en jeu ici, c’est bien l’idée de perpétuer coûte que coûte un système économique non viable et une production toujours plus grande. Mais ce n’est pas parce qu’on utilise moins de ressources et qu’on est plus soucieux de son impact environnemental qu’on doit être autorisé à produire toujours plus. « On le voit, l’écologie industrielle s’intéresse à l’évolution du système industriel dans sa globalité et à long terme. Les problèmes d’environnement ne constituent donc qu’un aspect, parmi d’autres, de l’écologie industrielle, qui œuvre pour l’avènement d’un système industriel plus « élégant », c’est-à-dire capable de générer des richesses et du bien-être avec moins de ressources et moins d’impacts sur la Biosphère. » [6] De ce fait, il n’y a pas de remise en question de la structure dans lequel s’inscrit la production, ni même de l’objectif financier de ces activités de production, mais uniquement de quelques aspects concernant la façon de produire et qui peuvent être améliorés de manière superficielle.

En résumé, l’écologie industrielle est une démarche inscrite dans le système économique actuel et œuvrant pour celui-ci, et dont l’objectif est de l’adapter de sorte qu’il réponde aux exigences environnementales pour qu’on cesse de le critiquer et de menacer son bon fonctionnement. Elle ne cherche donc pas à trouver des solutions salutaires au regard de la crise socio-environnementale actuelle, mais seulement à perpétuer un même système de production et d’échange en donnant à celui-ci les moyens de se poursuivre tout en ayant l’air éthique et durable. Même si à la fin, il s’agit toujours d’être plus attractif et plus compétitif, de faire plus de bénéfices, en bref, de s’enrichir.

L’écologie industrielle est en fin de compte un outil de management des entreprises parmi d’autres, qui s’appuie sur les deux principes communs à toute pratique de management : 1) produire plus de valeur avec le moins de dépenses possibles (voilà à quoi servent la « circularité » et la « solidarité » de l’économie) ; 2) gérer la continuation de la catastrophe. Car on se doute bien que ce n’est pas en appliquant un peu de vernis vert sur les plaies béantes de notre monde que le ravage va cesser. Comme l’explique très bien l’article « L’écologie peut-elle se passer d’une critique du capitalisme ? » [; id="nh97-7" target="_blank">7], la nature même de notre économie mondialisée fait qu’elle est arrivée à l’exploitation toujours plus poussée des ressources naturelles et humaines, et à l’utilisation polluante des énergies les plus rentables (le pétrole).

Le premier vœu adressé par notre Président lui-même était celui de la vérité : « on ne bâtit rien sur des mensonges ou des ambiguïtés » a-t-il dit. Dans ce cas, cessons de perpétuer le mensonge qui consiste à affirmer qu’il y a compatibilité entre un système économique qui repose sur la compétitivité et le profit d’une part, et le respect de l’environnement ainsi que la préservation de la biodiversité d’autre part, et hâtons-nous de faire de l’écologie en dehors des règles et des bornes imposées par le capitalisme.

[1] Lire à ce sujet notre rapport sur « l’Affaire du siècle » https://grozeille.co/laffaire-du-siecle-dernier-recours-avant-la-catastrophe/

[2] Apparu en 1989 à l’initiative de Robert Frosch et Nicolas Gallopoulos, « tous deux responsables de la Recherche chez General Motors. C’est dans un numéro spécial de la revue “Scientific American” (« Pour la Science » en français) consacré à la “gestion de la planète Terre”, qu’ils précisent qu’un écosystème industriel pourrait fonctionner comme un écosystème biologique. » (Écologie industrielle et territoriale : le guide pour agir dans les territoires, p9)

[3https://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/lecologie-industrielle-et-territoriale

[4] «  les conditions de possibilités pour devenir un « saint » écolo ne sont pas réunies. Sans capitalisme, sans cargos, sans agriculture intensive, sans autoroutes et sans wifi, l’écolo ne survit pas. A cet égard, les actions individuelles sont politiquement nulles. (…) La vie que nous défendons n’est pas compatible avec la croissance de l’économie mondialisée. » https://www.facebook.com/400907550728882/photos/a.439069110246059/453397438813226/?type=3&theater

[5http://france-ecologieindustrielle.fr/lecologie-industrielle-une-demarche-pragmatique-et-integree

[6] Ibid.

[7https://grozeille.co/lecologie-se-passer-dune-critique-capitalisme/