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D’ABORD, ILS SONT VENUS POUR ASSANGE…

Assange

Lien publiée le 15 avril 2019

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://lundi.am/D-abord-ils-sont-venus-pour-Assange-par-LeakyWeek

« Jeter Assange en prison vise à décourager quiconque de suivre son inspiration pour publier sans compromis ce qui expose les crimes et mensonges des puissants. »

L’arrestation le 11 avril 2019 de Julian Assange dans l’ambassade d’Équateur par la police métropolitaine de Londres est un coup de poignard pour une liberté de la presse déjà fort mal en point. Elle met aussi en lumière des rapports géopolitiques souterrains que WikiLeaks n’a eu de cesse d’exposer depuis sa création. Enfin, elle est le produit d’un travail de sape, au long cours, de l’image d’Assange, révélant la puissance d’un tourbillon médiatique dans lequel beaucoup se seront laissé emporter. Retour sur quelques éléments clé et remise de pendules à l’heure...

Lorsque 2.487 jours avant son arrestation, Julian Assange se réfugia à l’ambassade d’Équateur pour y demander l’asile politique, c’était au motif que les États-Unis voulaient sa peau. Le risque était grand ­- disait-il ­- que le fondateur de WikiLeaks se fasse extrader ­- via la Suède ­- aux États-Unis, où un “grand jury”, cour spéciale dont les agissements sont secrets, commençait une enquête pour “conspiration à fins d’espionnage”. Certains trouvaient là le fondement d’une haine éternelle, irréconciliable, vis à vis d’Assange, au motif qu’il aurait ainsi tenté d’échapper à un interrogatoire par les autorités judiciaires suédoises dans le cadre d’une enquête pour viol et agression sexuelle [1]. En réalité, depuis son arrivée à l’ambassade il proposa aux autorités Suédoises de venir l’y interroger (l’interrogatoire à l’étranger ou via vidéo est la norme pour la Suède, y compris pour des crimes de sang). Comme l’a par la suite démontré la journaliste Stefania Maurizi en obtenant la publication de centaines de pages de leurs correspondances [2], les autorités suédoises en coordination avec les autorités britanniques ont durant des années repoussé cet interrogatoire. Il aura bien lieu en 2016, à la suite de quoi l’enquête sera fermée.

L’arrestation d’Assange ce jeudi 11 avril 2019 doit sonner comme un dur rappel à la réalité. La publication dans la foulée d’une inculpation et d’une demande d’extradition par les US confirme l’hypothèse de départ, entre-temps validée par le gouvernement de l’Équateur et l’ONU : Le risque pour Assange d’être extradé vers les États-Unis était depuis le début bien réel. Aujourd’hui poursuivi aux USA pour “conspiration de fraude informatique” avec Chelsea Manning, cette accusation d’apparence bénigne semble n’être que la pointe émergée de l’iceberg. Une accusation qui ne semble pas liée à la défense de la liberté d’expression ni même au journalisme pourrait démobiliser ses soutiens (après tout, 5 ans au maximum à passer en prison lorsqu’il vient d’en passer 7, de sa propre initiative enfermé à l’ambassade...). En réalité la menace est bien plus brutale : S’il mettait les pieds aux États-Unis dans le cas d’une extradition pour “fraude informatique” tout indique [ id="nh225-3" target="_blank">3] que d’autres chefs d’inculpation pourraient alors se greffer ­- dont la fameuse “conspiration pour espionnage” ­- et qu’Assange risque bel et bien de passer sa vie derrière les barreaux, voire pire...

Si Assange risque si gros c’est bien qu’il a, par la publication au fil des ans de documents historiques exposant les mensonges et les crimes des nations, suscité l’embarras au plus haut niveau, défiant les puissants, devenant ainsi l’homme-à-abattre [4] pour les USA.

Au cours de ses 13 ans d’existence, WikiLeaks n’a eu de cesse de jeter en rafale des pavés dans la mare d’un journalisme d’investigation croupissant. En osant publier des documents confidentiels impénétrables, puis des caches entières de documents administratifs, militaires puis diplomatiques, WikiLeaks a démontré au monde entier les réalités d’une asymétrie informationnelle dont usent les États pour cacher leurs crimes. WikiLeaks nous a montré, sans filtre, la routine des États pour oppresser en silence, loin de toute attention à l’ombre d’acronymes et de règles administratives complexes. Le pari initial était que chacun, porteur ou non d’une carte de presse, pourrait participer à des entreprises visant à exposer et inquiéter les puissants, par l’analyse collective de documents confidentiels. Au fil des années, la stratégie de WikiLeaks a évolué, afin de maximiser l’impact de ses “releases”. Des partenariats sont noués avec les grands noms de la presse, forçant des alliances internationales, parfois entre mastodontes et micro-organismes, pour s’assurer que ces documents soient lus et propagés au travers du prisme de la presse grand public. Par son rôle précurseur dans le data-journalisme, WikiLeaks inspire des méthodes et des moyens pour une nouvelle ère d’investigation.

De la video “collateral murder” détaillant dans toute son horreur la “gamification” de la guerre et le meurtre de civils ; aux Guantanamo Files exposant l’institutionnalisation de la torture ; aux Syria Files exposant la corruption du régime d’El Assad ; aux câbles diplomatiques du State Department US exposant 30 ans de mensonges d’États ; en passant par les DNCLeaks et les mails de Podesta ­- un watergate puissance 10 ­- révélant que le parti au pouvoir de la candidate Clinton conspirait contre ses propres membres dans des intrigues dignes des pires moments du régime Stalinien ; à Vault7 exposant les méthodes dernier cri de la CIA pour s’infiltrer dans n’importe quel matériel informatique à l’échelle mondiale ; sans oublier de nombreux documents relatifs à des négociations d’accords internationaux (ACTA, TTIP, etc.) ; WikiLeaks n’a eu de cesse de lever le voile sur des mécanismes obscurs par lesquels les États s’émancipent du droit international, de leurs constitutions, de la défense de leurs citoyens et du respect de la dignité humaine.

Pour une génération entière biberonnée au rêve d’un Internet qui rendrait “auto-magiquement” les individus plus libres et les espaces plus démocratiques, WikiLeaks a fait l’effet d’une douche froide, en utilisant l’outil informatique comme une fenêtre sur un monde brutal, secret, dans lequel les empires trahissent, mentent, torturent et assassinent. Une voie express, sans filtre, vers l’éveil géopolitique, parfois aride comme un fichier au format texte brut, brutale comme une roquette tirée d’un hélicoptère de combat Apache...

Comment se fait-il alors que certains doutent encore de la nature profondément journalistique de WikiLeaks ? Un organe qui protège ses sources (aucune n’a à ce jour été compromise, Chelsea Manning s’est hélas fait dénoncer par une balance à qui elle s’était confiée…) ; pour publier des documents d’intérêt général révélant des crimes et des mensonges ; qui a publié en 13 ans un trésor de centaines de milliers de documents, tous authentiques ; qui noue des partenariats avec les groupes de presse les plus réputés ; qui reçoit de nombreux prix destinés aux journalistes. Pourtant certains aujourd’hui semblent farouchement opposés à la défense d’Assange comme journaliste.

Loin de nous l’idée de signer un blanc-seing à Julian Assange, de l’exonérer de tout défaut, de valider en bloc sa personnalité et tout ce qu’il a pu exprimer. Quiconque enfermé pendant 7 ans dans une pièce d’un petit appartement sans balcon servant d’ambassade, sans jamais voir la lumière du jour ni mettre le pied dehors, verrait sa santé physique et mentale se dégrader. N’importe qui d’entre nous livré à de pareilles conditions serait susceptible de twitter des bêtises tard la nuit et de se faire des ennemis... mais il ne s’agit pas non plus de justifier ce qui apparait parfois comme des propos haineux, misogynes, conspirationnistes ou tout simplement stupides, livrés par Assange sur Twitter.

Il s’agit de comprendre les mécanismes politiques et médiatiques d’une “character assassination”, l’assassinat d’une personnalité par sa réputation au fil du temps. Depuis 2010 et la première publication de WikiLeaks de nature à faire vaciller la légitimité du gouvernement US, une horde de comptes twitter, de journalistes aux ordres, de politiciens et d’idiots utiles n’ont eu de cesse de propager des mensonges, omettre des faits et monter en épingle le moindre détail permettant de détruire l’image d’Assange comme hérault de l’information libre et d’un journalisme de combat. Des articles entiers dédiés à son hygiène, des témoignages de stagiaires ayant passé 3 jours dans son entourage rapportant des traits de caractères supposément autoritaires, narcissiques, manipulateur, etc. Et bien entendu en trame de fond l’affaire suédoise et l’instrumentalisation de deux femmes pour peindre l’image d’un homme détestable, remplaçant dans les colonnes et dans les esprits au fil du temps la ligne et la stratégie politique sans compromis de l’organisation qu’il a créé.

Certes, Julian Assange en mêlant la cause de sa survie à celle de son organisation n’a parfois pas aidé en prenant autant d’espace. Mais il faut admettre que ces causes sont irrémédiablement liées par l’éternelle tactique des puissants qui consiste à attaquer le messager pour détourner le regard du message, et qu’il s’agissait pour Assange d’une stratégie de survie élémentaire. Le jour ou l’attention se serait détournée de lui aurait été le moment opportun pour que la police britannique puisse en toute impunité le capturer et le livrer à la vindicte des USA.

En conclusion, et comme l’ont déjà affirmé Edward Snowden, Glenn Greenwald, Reporters Sans Frontières, The Guardian et bon nombre d’autres institutions [5] pourtant plus souvent complaisantes qu’adverses à l’égard des puissants, l’arrestation d’Assange est un coup porté à la liberté d’information dans son ensemble. Sa capture est voulue à tout prix pour l’exemple au mépris du droit international et des promesses faites dans le passé par un gouvernement Équatorien manifestement acheté par les US (l’Équateur a opportunément reçu un prêt de 10 milliards par le FMI [6]...). Jeter Assange en prison vise à décourager quiconque de suivre son inspiration pour publier sans compromis ce qui expose les crimes et mensonges des puissants. Ne nous y trompons pas, et au-delà des désaccords avec certains des propos d’Assange, il est urgent de reconnaître la portée de l’héritage de WikiLeaks : de ce qu’il inspire pour le présent et pour le futur d’une presse libre et d’une information qui permettrait de collectivement et durablement rétablir les rapports de force, d’inquiéter les dominants et d’espérer un jour les faire payer pour leurs crimes et mensonges.

Défendons Assange contre son extradition par le Royaume-Uni et contre le sort lugubre que lui réservent les USA ! Défendons l’humain et le journaliste sans distinction, pour ce qu’il a créé, pour ce qu’il représente et pour ce qu’il inspire chaque jour depuis la naissance de WikiLeaks !

LeakyWeeks

[1] Cette plainte avait enregistrée par la police alors que les deux victimes s’y étaient présentées, après avoir chacune eu des relations sexuelles consenties avec Assange, afin de le forcer à réaliser un test HIV. Les deux victimes ont depuis déclaré pour l’une ne pas avoir été violée et pour l’autre d’avoir été manipulée par la police afin de porter plainte pour viol.

[2] l’article : https://www.repubblica.it/esteri/2018/02/13/news/few_documents_many_mysteries_how_our_foia_case_is_unveiling_the_questionable_handling_of_the_julian_assange_case-188758273/

[3] Voir https://shadowproof.com/2019/04/11/justice-department-charges-julian-assange-with-computer-crime-but-alleges-conspiracy-to-abet-espionage/

[4] Voir entre autres https://www.washingtontimes.com/news/2010/dec/2/assassinate-assange/

[5] Knight Center at Columbia University (USA)