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Comparution immédiate : 31 minutes et au trou
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
https://grozeille.co/la-comparution-immediate-video/
La comparution immédiate, dernier rejeton de la plus ancienne procédure de « flagrant délit », a une sale histoire : employée, selon ses détracteurs, pour intimider voire moraliser à demi-mot les classes populaires, inféodée à une politique du chiffre, c’est une forme de procès particulièrement expéditive qui dure en moyenne 31 minutes. La comparution immédiate serait le témoin de la tendance autoritaire et répressive du système judiciaire, ce que confirmeraient ses usages privilégiés (contre des personnes pauvres et souvent racisées ou en lien avec des opérations de maintien de l’ordre) ainsi que sa rare sévérité (puisque 70% de celles et ceux qui y passent sont condamnés à de la prison ferme).
Pour y voir plus clair, le premier épisode de notre émission se propose d’analyser en détail le fonctionnement et les conséquences de la comparution immédiate, suivant l’idée que sous les questions judiciaires techniques se cachent des enjeux politiques.
Le plan :
– 00:05 Introduction
I/ La comparution immédiate du point de vue du droit et de la procédure
– 1:50 a. Le déroulé de la procédure
– 3:56 b. Une justice sous pression policière
– 5:18 c. Une loterie nationale
– 6:02 d. Le résultat d’une politique du chiffre
II/ Les conséquences de cette procédure sur les acteurs
– 8:15 a. Les magistrats
– 10:01 b. Le prévenu
– 13:36 c. La victime
III/ Le rôle social et historique de la Comparution immédiate : une gestion des illégalismes des pauvres et des militants ?
– 15:32 a. Une justice de classe
– 17:13 b. Un instrument de répression politique
– 18:38 c. L’opacité de la justice
– 20:44 Conclusion
La retranscription complète et sourcée de la vidéo :
Grozeille vous parle aujourd’hui de la comparution immédiate.
Quand on se représente un procès en général on s’imagine quelque chose de long avec des mois voire des années entre l’interpellation du prévenu et le verdict du procès. Et bien avec la CI vous pouvez vous retrouver arrêté le lundi, interrogé pendant 24 à 48h en garde à vue, jugé en 30mn le mercredi et passer les années qui suivent en prison.
La comparution immédiate c’est une forme de procès particulièrement accéléré puisqu’elle dure en moyenne 31 mn1. Et cette seule durée doit déjà nous interpeller : on sent bien que quelque chose cloche quand un procès dure moins longtemps qu’un épisode de Secret Story. C’est à dire qu’on consacre aujourd’hui plus de temps à savoir qui a volé le shampoing de Jonathan dans la maison des secrets qu’à déterminer la culpabilité ou non d’un prévenu qui risque de finir en prison.
I/ La comparution immédiate du point de vue du droit et de la procédure
a. Le déroulé de la procédure
Mais se focaliser sur le seul moment du procès risque de nous empêcher de comprendre le fonctionnement de l’ensemble de la procédure.
Tout commence par une interpellation, sinon on ne se retrouverait pas devant le tribunal. Le prévenu est arrêté par la police qui le place en garde à vue et rédige un procès verbal, c’est à dire la liste des faits qui sont reprochés au prévenu. Ça peut être plein de choses, mais selon la complexité apparente de l’affaire et l’importance des peines encourues, la suite ne sera pas la même.
Si vous êtes majeur et qu’on vous reproche un délit et non un crime, vous enchaînez après votre garde à vue, qui dure 24 à 48h, sur un rapide entretien avec un procureur, et ce dans un délai de 20h après la fin de votre garde à vue. Celui ci va décider si vous passerez ou non en comparution immédiate. S’il en décide ainsi à l’issu de votre entretien, vous retournez en cellule, non-plus au commissariat mais dans les cellules du palais de justice où vous allez être jugé. Si le tribunal a le temps, vous passez directement en procès, sinon vous passez encore une nuit en cellule et le lendemain matin à 9h un avocat commis d’office – à moins que vous n’en connaissiez déjà un – prend connaissance de votre dossier, en même temps que le juge. Puis dans la journée toutes les parties sont convoquées au procès : le prévenu, la victime s’il y en a une, les témoins, les avocats, le procureur avec qui vous vous êtes entretenu…
La particularité de ce jugement est d’être bien plus rapide que les autres, ce qui signifie qu’il dure en moyenne quelques dizaines de minutes. Lors du procès le prévenu peut demander le report de son audience pour prendre le temps de préparer sa défense. Cette demande ne peut pas lui être refusée mais c’est au juge de décider s’il passera les deux à trois semaines avant son procès en détention provisoire, c’est à dire en prison ou en liberté conditionnelle, c’est à dire chez lui avec par exemple obligation de pointer au commissariat une fois par jour pour vérifier qu’il ne se soit pas enfui. En général ce droit au report est très peu utilisé et les prévenus sont jugés juste après leur garde à vue. Dans l’immense majorité des cas (70%2 des cas) les prévenus qui passent en comparution immédiate sont condamnés à des peines de prison ferme.
b. Une justice sous pression policière
L’objectif de cette procédure particulière est de punir au plus vite les délits, c’est en quelque sorte un état d’urgence judiciaire puisqu’on s’éloigne d’un certain nombre de principes de la justice au nom de l’efficacité et de la rapidité de la réponse.
La séparation police/justice par exemple est mise à mal puisque les magistrats se retrouvent avec des dossiers qui sont constitués presque exclusivement du procès verbal établit par la police à l’encontre du prévenu ce qui transforme la conviction policière en une vérité judiciaire3. Selon Serge Portelli, juge aux comparutions immédiates : « il faut se poser la question : les policiers ont-ils bien vu ce qu’ils disent ? Car les policiers sont des témoins comme les autres, ils peuvent se tromper. »4
Par ailleurs si nous avons repris en introduction l’ensemble de la procédure de l’arrestation jusqu’à la sentence, c’est parce que le jugement n’a pas lieu uniquement lors du procès comme ce devrait être le cas en principe. En réalité l’orientation du dossier par le procureur va influer sur la peine prononcée puisque « les substituts eux-même affirment recourir à la comparution immédiate afin d’inciter le tribunal à une grande fermeté » c’est pourquoi « le choix effectué lors de la phase préalable au jugement influe considérablement sur le déroulement de la procédure, attribuant aux parquetiers des fonctions de « juges ou préjuges » »5. Le problème de ce pré-jugement, c’est qu’il n’est pas explicite, aussi l’avocat de la défense n’est pas présent, et généralement les suspects ne se rendent pas compte qu’ils parlent à un procureur, c’est à dire à celui qui va chercher à les faire condamner par la suite6.
c. Une loterie nationale
Un autre principe auquel contrevient la comparution immédiate est celui de l’unicité de la loi, à tel point que certains juristes parlent de l’orientation des dossiers comme d’une loterie nationale7. La loi est censée être indépendante de la situation géographique du jugement tant qu’il a lieu sur le territoire national. Or les procureurs, qui choisissent quelle procédure appliquer à quelle affaire, ont énormément de dossiers à traiter et ont finit par mettre en place des barèmes fixant les conditions pour passer en comparution, ce qui leur permet de gagner du temps. Par exemple à Marseille le barème du TGI incite les procureurs à envoyer les délits liés aux stupéfiants en comparution immédiate, alors qu’au TGI de Paris ce seront plutôt les outrages, et à Nice les atteintes aux biens8. Donc pour des mêmes faits, que vous soyez à un endroit ou à un autre de la France, vous ne serez probablement pas jugé de la même façon.
d. Le résultat d’une politique du chiffre
Depuis son instauration en 1983 et malgré les entraves aux principes de la justice que nous venons de passer en revue, la comparution immédiate est une procédure de plus en plus utilisée, et les réformes des lois Perben (9 septembre 2002) et Perben II (9 mars 2004) élargissent toujours plus son champs d’action. Aujourd’hui, la quasi-totalité des délits, passibles de six mois à dix ans de prison, peuvent y être jugées. Et les chiffres suivent : alors qu’en 2000 seuls 8,5 % des jugements étaient des comparutions immédiates, ce pourcentage est passé à 12 % en 2012, représentant ainsi près de 45 000 cas par an9.
L’évolution du recours à la comparution immédiate de 2000 à 2017. Graphique mis à jour par Grozeille en 2019 (les chiffres pour 2018 ne sont pas encore parus).
En réalité ce constat est notamment le résultat d’une politique du chiffre mise en place par les gouvernements successifs pour montrer l’efficacité de la justice à travers des chiffres puisqu’un flagrant délit c’est une affaire élucidée en même temps qu’elle est constatée pour la police, donc ça booste les statistiques par rapport aux enquêtes longues pour lesquelles il faut du temps, et dont on n’est pas sûr de l’aboutissement, et ça fonctionne aussi du coté de la justice. Maitre Eolas résume ce constat en expliquant que cette procédure est inspirée « par une logique toute technocratique de gestion des stocks et des flux : une CI, c’est un dossier entré et sorti le même jour. C’est très bon pour le chiffre, et le chiffre, c’est la drogue de la Chancellerie. »10.
Ces chiffres ont par exemple été utilisés en 2006 lors d’une campagne de publicité du Ministère de la Justice sur des affiches qui répondaient à la question « la justice est lente ? » en soulignant le grand nombre d’affaires de comparution immédiate annuelles 11.
En plus des chiffres, cette façon de faire permet de communiquer à travers la presse locale sur l’efficacité de la police et de la justice en répondant au sentiment d’insécurité des populations locales12.
Le problème c’est qu’on sacrifie l’impartialité de la justice au nom d’une communication avantageuse pour les ministères de la défense et de la justice puisqu’on crée des distinctions entre les délits pour réprimer avant tout les plus visibles, c’est à dire ceux qui constituent le sentiment d’insécurité, et non pas tous les délits de la même façon. C’est pourquoi les délits « urbains » sont largement plus réprimés par cette politique tandis que les délits financiers, les infractions à la législation du travail et d’autres formes de délits eux ne sont quasiment pas concernés par ce type de procès13.
La chercheuse Chowra Makaremi : résume d’ailleurs très bien la dimension instrumentale de l’usage qui est fait de la comparution immédiate : « dès qu’il y a un débat sur l’insécurité on réforme la comparution immédiate »14 et donc en pratique on ne punit par cette procédure qu’une partie de la population : les plus précaires, les marginaux15.
En pratique, les répercussions de cette procédure sur les acteurs sont nombreuses. Que ce soit pour les magistrats, la victime et son avocat, ou encore le prévenu et son avocat.
II/ La CI du point de vue des acteurs : rapidité et gestion vs. la vie et les droits
a. Les Magistrats
A Paris les magistrats ont des comparutions immédiates toute la semaine et ont rendu 5343 jugements en 2017, soit plus de 20 affaires par jour en moyenne réparties sur deux chambres. Autant vous dire que les audiences qui commencent à 9h le matin et sont supposées s’arrêter à 18h se terminent souvent après 22h16…
La conséquence de cette pression c’est que les magistrats sont fatigués et irritables et que la la gestion du temps devient une priorité à l’audience. Les juges comme les avocats se demandent « à quelle heure on va bien finir », les avocats et les témoins sont parfois sommés de « faire vite ».17 Pour aller le plus vite possible le tribunal présente trois ou quatre affaires d’affilée, et ne sort qu’après pour délibérer sur toutes les affaires qui viennent de passer, ce qui fait que les magistrats se mélangent parfois et assimilent les cas entre eux.
L’autre résultat de cette pression sur les magistrats, c’est la systématisation des peines : tel délit entraîne telle sanction. Ce qui va à l’encontre d’un grand principe de la justice pénale depuis les années 60 qui est l’individualisation des peines18.
Ce principe préconise au juge d’adapter la sanction au circonstances de son acte, ce qui permet d’aggraver la sanction, par exemple en cas de récidive, ou de l’atténuer, si l’auteur est mineur par exemple. Et c’est assez communément admis : on ne veut pas d’une justice rendue par un robot, il faut que la peine ait un sens et non pas qu’elle soit un automatisme.
Et cette systématisation entraîne dans l’immense majorité des cas des peines de prison ferme, ce qui se trouve tragiquement bien résumée par le titre d’une étude de Laurent Muchielli et Emile Raquet intitulé : « Les comparutions immédiates au TGI de Nice, ou la prison comme unique réponse à une délinquance de misère ».
En plus de contrevenir à ce principe de la philosophie du droit moderne, l’automatisation de la prison ferme s’avère contre-productive puisqu’elle se fait au détriment de peines alternatives qui pourraient s’avérer plus adaptées au profil du prévenu et ainsi faciliter sa réinsertion, sachant que la prison accroît les risques de récidives par rapport à ces autres formes de privations de liberté19.
b. Le prévenu
Si vous êtes prévenu, que vous soyez condamné ou innocenté à l’issu de votre procès, vous allez connaître un certain nombre d’humiliations avant même votre passage au tribunal. Or des relaxes, il y en a en CI, par exemple lors des émeutes de 2005 dans les banlieues, où « au début des émeutes les dossiers transmis par la police ne tenaient pas la route »20, les prévenus s’avérant donc innocents.
Tout d’abord vous serez privé de liberté pendant 24 à 72h, c’est à dire que si vous aviez un emploi, vous êtes probablement viré parce que vous n’avez pas pu prévenir votre employeur, n’ayant droit qu’à un seul coup de fil. Une fois passée la garde à vue où ceux qui vont ont arrêté vous aurons interrogé nuit et jour, vous êtes déféré au tribunal de Paris où vous répondez cette fois ci aux questions d’un magistrat, dont vous n’apprendrez qu’au moment du procès qu’il est procureur, et que son rôle est donc de demander votre condamnation21.
Ensuite vous êtes de nouveau privé de liberté en attendant votre procès, qui peut avoir lieu n’importe quand le jour suivant. Pendant ce temps, vous êtes placé dans les geôles du tribunal correctionnel, qui, dans le cas du tribunal de Paris étaient jusqu’en 2017 placées dans les sous-sols humides et insalubres du Tribunal, comme le montre Raymond Depardon dans son film Flagrants Délits.
Ensuite, après ces deux à trois jours d’enfermement où vous aurez manqué de sommeil, de nicotine ou d’autres substances, vous rencontrez votre avocat dans les geôles, quelques heures avant votre jugement.
Les trois quarts des prévenus sont assistés d’avocats commis d’office, de permanence pour la journée qui traitent donc plusieurs affaires qu’ils ont découvertes le matin même22.
Votre avocat n’aura accès au dossier qu’après l’entretien avec le procureur, c’est à dire après 24 à 48h d’interrogatoire sans sa présence, par la police puis par le procureur. Dans son « Vade Mecum pour la comparution immédiate », Maitre Eolas explique que « Nous sommes un des derniers pays occidentaux à pratiquer ainsi [et que] les États-Unis assurent depuis 1966 l’accès effectif à un avocat à toute personne arrêtée »
En pratique les prévenus arrivent donc complètement hagards et sales devant le tribunal puisqu’ils sortent de plusieurs jours d’enfermement solitaire, et ne disposent que de quelques minutes pour être entendus par le juge, qui est sous pression depuis le matin pour essayer de finir la journée dans les temps, et qui va devoir décider de leur destin. Les plaidoiries sont généralement d’autant plus courtes que l’avocat n’a eu que quelques heures pour se préparer, à tel point qu’il se contente parfois d’accepter les réquisitions du procureur.
c. La victime
Toute cette urgence dans la procédure se répercute aussi sur la victime du délit qui n’a souvent pas le temps de se constituer partie civile pour demander une indemnité et n’est présente à l’audience que dans la moitié des cas23. L’obligation de prévenir les victimes du procès se traduit souvent par un message laissé sur le répondeur quelques heures avant l’audience, et si vous n’êtes pas disponible tant pis. Outre ses disponibilités, la victime peut avoir besoin de temps pour surmonter le choc de ce dont elle a été victime avant de se retrouver confrontée de nouveau au prévenu dans la salle d’audience, ce qui est impossible en comparution immédiate.
On a dit tout à l’heure que cette procédure était prévue pour des délits, et que les crimes ne pouvaient donc pas y passer. Mais certaines affaires considérées comme des crimes sont parfois requalifiées en délits pour gagner du temps. C’est notamment le cas des viols qui sont dans 60 à 80 % des cas requalifiés en agressions sexuelles, malgré l’illégalité de la procédure, comme l’explique un excellent article du Monde Diplomatique « Quand le viol n’est plus un crime ». Outre le fait que les peines encourues soient bien moins importantes pour un délit que pour un crime, la rapidité avec laquelle est traitée l’affaire ne permet pas à la victime de raconter ce qu’elle a vécu ni d’entendre ce que le prévenu a à dire, ce qui peut freiner sa reconstruction. Ce fut notamment le cas en Novembre 201624 lors du procès en comparution immédiate du grand-père adoptif d’une adolescente violée pendant six ans par celui ci. Or en l’absence d’enquête, qui aurait nécessité bien plus de temps « le dossier était vide », et si la victime peut dans certains cas souhaiter passer au plus vite sur le traumatisme, elle peut aussi ressentir le besoin d’explications, d’entendre ce que les différentes parties ont à dire, faire venir des témoins. Autant de choses qui sont difficilement réalisables dans le temps de la comparution immédiate où les débats sont tellement courts que la mission d’information du sénat se félicite de constater que ceux ci durent jusqu’à « 35 à 40 minutes pour des affaires contestées et complexes ou des affaires de violences conjugales ou d’agressions sexuelles »25.
III/ Le rôle social et historique de la Comparution immédiate : une gestion des illégalismes des pauvres et des militants ?
Le principe de la comparution immédiate date originellement de 1863 et s’appelait alors « procédure de flagrant délit ». L’objectif était de traiter rapidement les petits délits urbains et l’audience concentrait déjà à l’époque les pauvres et les marginaux.
Si la comparution immédiate est dangereuse d’un point de vue individuel, que l’on soit victime ou prévenu, c’est aussi un instrument politique qui nuit collectivement à certains groupes, et « spoiler alert » : ce n’est pas à la bourgeoisie que ça va nuire, mais plutôt aux marginaux et aux militants politiques.
Toutes les enquêtes sociologiques constatent la grande homogénéité des profils 26: il s’agit d’une population masculine, jeune, déjà condamnée et aux ressources précaires.
a. Une justice de classe
A l’issue de votre garde à vue, lorsque le procureur décide si vous passerez ou non en comparution immédiate, il le fait en fonction de quelques critères définis : la gravité des faits, un cas de récidive ou l’absence de garanties de représentation suffisantes. Les « garanties de représentations » sont des éléments qui prouvent que vous allez bien venir au procès et non pas vous enfuir.
Le problème étant que des causes différentes amènent à la même conséquence : or être célibataire et au chômage n’est pas censé être illégal, ça ne devrait donc pas être critère aggravant comme les deux autres. 27
Concrètement si vous êtes propriétaire de votre maison, que vous avez un CDI et une famille, vous aurez plus fréquemment le droit à un procès classique, tandis que si vous êtes chômeur et locataire, rien ne vous retient donc vous irez en comparution immédiate parce que le procureur craindra que vous ne vous enfuyez.
Mais même une fois en comparution immédiate, cette même distinction sociale s’applique de nouveau si vous demandez le renvoi de votre procès pour avoir le temps de préparer votre défense : dans un cas vous rentrerez chez vous en attendant votre procès, alors que dans l’autre vous attendrez en détention provisoire, c’est à dire en cellule.
b. Un instrument de répression politique
Depuis les années 2000 la comparution immédiate est une arme politique utilisée à l’encontre des mouvements sociaux. En 2005 lors des émeutes dans les banlieues et en 2006 lors du mouvement contre le CPE la Chancellerie a fortement incité les parquets à utiliser cette procédure et a rapidement publié des communiqués sur les sanctions ainsi prononcées dans le but d’intimider les autres manifestants. Les procès ne sont plus ceux des prévenus mais ceux des mouvements en question, et les condamnés le sont « pour l’exemple ».
Plus récemment lors de nuit debout, des manifestations de soutien à Adama, ou le 1ermai 2018 la comparution immédiate a permis à la police de faire juger avec une sévérité accrue par rapport aux autres formes de procès, ceux qu’elle arrêtait lors de ces événements.
Le 1er mai 2018 283 personnes ont été arrêtées, 102 placées en garde à vue, et 48h après commençaient les premiers procès en comparution immédiate.
Une fois arrêté un grand nombre de manifestants « parfois loin du cortège, et bien après sa dispersion. Manifestement pour certains c’est juste qu’on les avait sous la main »28 c’est aux prévenus de prouver que les déclarations de la police sont fausses, sans quoi ils sont condamnables. Malheureusement cette contre-enquête s’avère impossible à mener puisque le prévenu est emprisonné et que son avocat n’a que quelques heures pour lire son dossier. Dans le cas du premier mai les dossiers de la police étaient tellement vides que les premiers inculpés passés en comparution immédiate ont tous été innocentés, mais le résultat est là : deux à trois jours de détention pour avoir participé à un mouvement politique : de quoi intimider ceux qui voudraient se joindre au mouvement.
c. L’opacité de la justice
Si tout le monde peut venir assister aux jugements en comparution immédiate, en revanche le reste de la procédure est très peu documenté pour les non-juristes. Pour son documentaire Délits Flagrants, le photographe et réalisateur Raymond Depardon a passé des années à demander des autorisations et a bien failli jeter l’éponge, jusqu’à ce qu’un magistrat lui dise « vous êtes ma mauvaise conscience, il faut que je vous donne cette autorisation ».
Et malgré ces années de démarches, lorsqu’il a filmé les geôles insalubres du sous-sol du TGI de Paris où étaient placées les prévenus le tribunal a fait pression sur lui pour lui faire supprimer les images.29
Plus récemment France culture a également été censurée après un reportage pour lequel ils avaient pourtant demandé et obtenu des autorisations comme le révèle médiapart30.
Conclusion
La Comparution Immédiate est donc une procédure qui cristallise de nombreux travers des institutions judiciaires. Il s’agit notamment des discriminations sociales auxquelles elle aboutit, de son entrave aux droits de la défense, de sa banalisation de la prison ferme, de sa faible prise en compte de la psychologie des victimes, ou encore de son instrumentalisation politique lors des mouvements sociaux.
Et les précautions prises par la Justice à l’encontre des médias montrent bien que les magistrats et les avocats ne sont pas à l’aise non plus avec cette procédure, qu’elle est leur « mauvaise conscience ». C’est pour ça qu’il est important d’en parler et d’en analyser le fonctionnement pour en faire un sujet politique et non une simple technique judiciaire.
Des oeuvres pour aller plus loin :
– Délits Flagrants (1994) de Raymond Depardon
– Surveiller et punir (1975) de Michel Foucault
– Le procès des comparutions immédiates (2017), émission de Médiapart
– L’intervention du sociologue Benoit Bastard dans le podcast « Angle droit » (2016)
Quelques outils pratiques :
– Un compte rendu des comparutions immédiates de trois gilets jaunes en Décembre 2018
– Une courte fiche pour savoir se préparer et faire face à une comparution immédiate éventuelle
– Un guide d’autodéfense judiciaire plus complet (192p) du collectif CADECOL, 2016
Notes
1. | ↑ | Le Canard Enchaîné, 31 minutes et au trou, Dominique Simonnot, 25 novembre 2009 citant : Conseil Lyonnais pour le respect des lois 2008 Le Rapport 2016 de l’Observatoire régional de la délinquance et des contextes sociaux fait quant à lui état d’une durée moyenne de 29mn. |
2. | ↑ | Le chiffre de 70% est donné par / target="_blank">un rapport du ministère de la justice de 2012 pour la période 1995-2010 |
3. | ↑ | Rapport d’information du sénat 12 octobre 2005 |
4. | ↑ | Libération Les «flags», source aberrante de surpopulation carcérale, Dominique SIMONNOT 16 avril 2003 « L’avis de Serge Portelli, juge aux comparutions immédiates ». |
5. | ↑ | Citation d’une conférence de Bruno Cotte président de la Chambre Criminelle |
6. | ↑ | C’est ce qu’explique Raymond Depardon dans un entretien à propos de son film Délits Flagrants |
7. | ↑ | Viennot Camille, « Celerite et justice penale : L’exemple de la comparution immédiate », Archives de politique criminelle, 2007/1 (n° 29), p. 117-143. Voir les pages 122 pour la barémisation, et 126 pour la loterie nationale |
8. | ↑ | Sacha Raoult et Warren Azoulay, « Les comparutions immédiates au tribunal de grande instance de Marseille », Les rapports de l’Observatoire n°8, ORDCS, juillet 2016. |
9. | ↑ | Graphique réalisé par Laurent Mucchielli pour l’ORDCS et mis à jour en 2019 par Grozeille pour couvrir la période 2000-2017 à partir des statistiques officielles du ministère de la justice |
10. | ↑ | Maitre Eolas, Vade Mecum pour la comparution immédiate 1, 2009 |
11. | ↑ | Viennot Camille, op cit. |
12. | ↑ | Sarah Bosquet, Dans le moteur de la machine à incarcérer : les comparutions immédiates, Observatoire International des Prisons (2017).
« L’un des buts est de montrer (via la presse locale notamment) que l’on réprime sévèrement certains faits, différents selon la zone géographique et l’époque », remarque Warren Azoulay, chercheur à l’Observatoire régional de la délinquance et des contextes sociaux (ORDCS). |
13. | ↑ | Voir à ce propos les annuaires du ministère de la Justice qui détaillent les nombre de condamnations en comparution immédiate pour les différents types de délinquances |
14. | ↑ | Chowra Makaremi, La comparution immédiate, intervention à l’EHESS en Juin 2012 lors du colloque « Au coeur de l’Etat » |
15. | ↑ | Chowra Makaremi, op cit. vers 2mn : « on peut parler de clientèle pénale qui a connu une particularité assez constante qui est son homogénéité en terme de classe, d’age, de genre et de race, et je désigne par là des groupes socialement construits… ». Ou encore à 4mn : « une étude sur 310 cas confirme ce qui saute aux yeux de n’importe qui : le public des comparutions immédiates est masculin, jeune, et étranger ». |
16. | ↑ | La comparution immédiate accusée d’aggraver la surpopulation carcérale Le point, 2018 |
17. | ↑ | ORDCS 2016, op cit. p14 |
18. | ↑ | Ce principe est par ailleurs la cause d’un effet pervers puisque les prévenus doivent se justifier de toute leur vie et plus seulement de leur acte délictueux, comme on le voit aux réquisitoires des procurreurs qui ne portent plus uniquement sur les faits mais aussi sur la vie privée du prévenu : « il passe ses journées à ne rien faire à la maison » cf reportage TF1 du 13 Mai 2018 à 46mn. Alors que dans les textes être chômeur n’est pas un délit ni une circonstance aggravante. |
19. | ↑ | Depuis la loi pénitentiaire de 2009, la prison ferme est considérée comme la peine de dernier recours, notamment en raison de ses effets désocialisants. Une étude de la DAP a démontré, en 2011, que le risque de récidive était accru pour les personnes ayant exécuté leur peine en milieu carcéral par rapport à celles ayant exécuté leur peine en milieu ouvert. http://www.justice.gouv.fr/loi-du-15-aout-2014-12686/vrai-faux-12716/ |
20. | ↑ | Le Monde « Les émeutes, la prison… et maintenant ? » le 23 mai 2006 |
21. | ↑ | Depardon, op cit. Explique et montre un prévenu qui tend la main au procureur (que celui ci refuse de serrer) après son entretien parce qu’il ne se rend pas compte du rôle que va jouer la personne avec qui il vient de s’entretenir lors du procès. |
22, 23. | ↑ | ORDCS 2016, op cit. p15 |
24. | ↑ | Le parisien, Créteil : 15 ans de prison après un procès de 3 heures, 2016 |
25. | ↑ | Rapport d’information n° 17 (2005-2006) de M. François ZOCCHETTO, fait au nom de la commission des lois et de la mission d’information de la commission des lois, déposé le 12 octobre 2005 |
26. | ↑ | ORDCS 2016, op cit. |
27. | ↑ | Viennot Camille, op cit. p.123 |
28. | ↑ | Le monde, Mais où sont les black blocs 2018 |
29. | ↑ | Voir dans l’émission l’extrait de son entretien où Depardon détaille cet évènement |
30. | ↑ | Michaël Hajdenberg, « Surprise en plein dérapage, la justice censure France Culture », Mediapart, 16 mars 2017. |