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«Pour une pensée critique et émancipatrice» (extraits)
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Le premier livre du séminaire de recherche libertaire ETAPE vient de paraître: «Explorations libertaires. Pour une pensée critique et émancipatrice», avec des contributions de Jérôme Baschet, John Holloway, Sandra Laugier, Christian Laval, Ruwen Ogien, etc. Présentation et extraits. Une rencontre le 13 juin à Paris.
Le séminaire ETAPE (Explorations Théoriques Anarchistes Pragmatistes pour l’Emancipation, http://www.grand-angle-libertaire.net/etape-explorations-theoriques-anarchistes-pragmatistes-pour-lemancipation/) a été créé en juin 2013. Il réunit des militants libertaires de diverses sensibilités, des chercheurs et des sympathisants critiques intéressés par les idées anarchistes. Il s’efforce de réactualiser les idées libertaires dans le dialogue avec d’autres pensées critiques, dans une logique pragmatique et pragmatiste. Il est co-animé Wil Saver (militant de l’organisation politique Alternative Libertaire) et moi-même (sociologue, membre de la Fédération Anarchiste).
Il vient de publier son premier livre collectif aux éditions lyonnaises Atelier de création libertaire :
Explorations libertaires. Pour une pensée critique et émancipatrice, 240 pages, 14 euros, mai 2019 (voir informations et possibilités de commande sur le site de l'ACL: http://www.atelierdecreationlibertaire.com/Explorations-libertaires.html).
Co-auteurs : Jérôme Alexandre, Jérôme Baschet, Patrick Cingolani, Philippe Corcuff, Stéphane Haber, John Holloway, Silien Larios, Sandra Laugier, Christian Laval, Lilian Mathieu, Ruwen Ogien, Irène Pereira, Ivan Sainsaulieu, Cyprien Tasset et Joëlle Zask.
Postface
Quelques enjeux pour un anarchisme pragmatiste aujourd’hui
Par Philippe Corcuff
Larges extraits (la coupure est indiquée par : […])
Sur le temps long, des senteurs mélancoliques s’exhalent de la critique sociale. Des espoirs de sortie du capitalisme ont commencé à se faire jour au début du XIXe siècle et n’ont toujours pas réussi à se concrétiser durablement. Les mots « socialisme » et « communisme » ont même été abîmés par des logiques autoritaires, voire totalitaires. Des améliorations de la condition humaine ont, certes, été conquises de hautes luttes, mais pas un cadre postcapitaliste durable plus favorable à l’émancipation individuelle et collective.
[…]
Anarchisme et pragmatisme
La double réévaluation et relance d’une critique sociale émancipatrice pour le XXIe siècle a tout particulièrement à faire son miel des actions et des réflexions anarchistes, souvent et longtemps marginalisées dans le mouvement ouvrier et socialiste. Or, les pratiques et les pensées anarchistes connaissent aujourd’hui un certain regain dans le monde. Sur le premier plan, l’effervescence grecque apparaît comme une des expériences en pointe, comme le montre le beau film de Yannis Youlountas, Ne vivons plus comme des esclaves (2013)[1]. Sur le second plan, la partie émergée de l’iceberg est constituée par la nouvelle anthropologie anarchiste nord-américaine, avec les figures de David Graeber[2] et de James C. Scott[3]. Cependant, en France l’anarchisme, et tout particulièrement les organisations libertaires, apparaît nettement plus atone.
Mais qu’est-ce que peut signifier aujourd’hui la référence anarchiste, qualificatif que je considèrerai ici comme synonyme de libertaire ? Je l’entends, en premier lieu, non pas comme un désordre – contrairement à une idée reçue fort prégnante – mais, selon la formule de Philippe Pelletier, comme « l’absence d’un principe directeur unique, ce qui n’exclut pas l’existence de règles sociales librement définies » et suppose, par contre, « la pluralité des principes »[4].
Puis, j’envisage les qualificatifs « anarchiste » et « libertaire » dans leurs intersections avec des idéaux de démocratie radicale[5], ce qui est loin de faire l’unanimité dans les galaxies anarchiste et démocratique : en ce qu’ils sont susceptibles d’associer la visée d’autogouvernement de soi et celle d’autogouvernement des collectivités humaines (ou du « peuple » comme produit d’un processus d’autoconstitution, et surtout pas comme une « essence » à la manière des usages xénophobes, nationalistes et néoconservateurs, voire « populistes de gauche », en cours). Cela implique de valoriser les dispositifs d’auto-organisation et d’auto-émancipation. Ce qui va à rebours des tendances dominantes historiquement à gauche, de social-démocratie en social-libéralisme, de léninisme en stalinisme, de républicanisme en gauche radicale actuelle, c’est-à-dire une politique tutélaire, de mise sous tutelle plus ou moins soft des opprimés en leur nom. On n’est pas nécessairement conduit, pour autant, à tirer un trait sur les indispensables minorités actives, militants sur la durée ou mobilisés plus occasionnels. C’est cependant une invitation à ne plus promouvoir ces minorités à l’avant-garde des opprimés, comme si elles menaient un troupeau, mais comme ayant à fabriquer une politique émancipatrice avec les opprimés à partir de leur vie quotidienne, et non pas par en haut et à leur place en répétant des mots d’ordre généraux descendus des milieux dirigeants ou de penseurs supposés omniscients.
La piste de l’auto-émancipation, dans l’activité de minorités actives plus ou moins larges avec les opprimés, ne mène toutefois pas nécessairement à une idéalisation essentialiste des opprimés, du « peuple » ou des « classes populaires », comme un bloc compact qui serait toujours porteur d’émancipation. Cette essentialisation positive des groupes dominés et des mouvements sociaux critiques constitue une forme d’essentialisme inversé par rapport à la tendance à l’essentialisation négative du « populaire » dans les milieux dominants (avec des stéréotypes tels que « les classes dangereuses » ou l’animalisation du « populaire » comme porteur « par nature » d’une violence « sauvage »). Cet essentialisme inversé a encore malheureusement été prédominant parmi les organisations de gauche radicale et libertaire comme parmi les intellectuels de gauche ayant soutenu publiquement le mouvement dit des « gilets jaunes » à partir de novembre 2018[6]. Car il faudrait aussi penser « le côté obscur de la force ». L’historien Marc Ferro a ainsi mis en évidence dans le cours de la révolution russe de 1917 deux mécanismes socio-politiques en interaction dans le cours autoritaire pris par l’événement révolutionnaire, ce qu’il appelle « un absolutisme à double foyer » : un absolutisme « d’en haut », un « absolutisme bolchevik » éliminant progressivement le pluralisme politique, et un absolutisme « d’en bas », un « absolutisme populaire », imposant sous d’autres modalités le bulldozer de l’unanimisme[7]. La notion d’« aliénation » trop facilement pré-adaptée aux usages tutélaires de la politique, en ce qu’elle porte souvent la vision de dominés habités par des « forces étrangères à eux-mêmes » et marionnettes des contraintes sociales, devrait vraisemblablement être abandonnée pour appréhender ce « côté obscur de la force »[8]. La problématique des préjugés et/ou celle du ressentiment, en tant que logique socio-affective, pourraient lui être substituées ; préjugés et ressentiment travaillant une diversité de milieux sociaux en fonction des périodes et des situations, « en haut » et « en bas » des hiérarchies sociales instituées.
Le choix d’un horizon auto-émancipateur, en ne détournant toutefois pas le regard des chausse-trappes balisant le réel, a des conséquences quant au statut des intellectuels professionnels dans les processus émancipateurs. Ils ont bien une place, mais seconde, ce qui met à distance tout à la fois l’arrogance intellectualiste et la stigmatisation anti-intellectualiste. Cela participe de l’émergence possible de ce que j’appelle une intellectualité démocratique, c’est-à-dire la mise en place d’espaces pluriels de dialogues, de coopérations, de tensions et de confrontations entre mouvements sociaux, praticiens d’expérimentations alternatives, organisations politiques, intellectuels professionnels, journalisme indépendant, artistes subversifs et personnes ordinaires, dans la perspective de la production d’idées critiques et émancipatrices globalisantes renouvelées, et cela à partir des traditions héritées[9]. Si on veut prendre vraiment au sérieux le double idéal libertaire-démocratique d’autogouvernement de soi et d’autogouvernement des collectivités humaines, on ne peut pas se constituer en avant-garde qui détiendrait des « solutions » que les militants et plus largement les opprimés n’auraient plus qu’à adopter. Le rôle d’un intellectuel coopératif et pluraliste comme le séminaire Etape serait plutôt de fournir avant tout des appuis méthodologiques dans la formulation des questions et des problèmes. Il s’agit modestement de mettre à disposition des outillages susceptibles d’aider des individus et des groupes – ceux qui souhaitent s’en saisir – à bâtir leurs propres réponses. Cela désappointera ceux qui sont en quête de réponses simples et rassurantes, passant par des hommes politiques providentiels ou par des penseurs providentiels. Dans une telle perspective plus modeste que nombre de prétentions avant-gardistes d’hier, un dispositif comme le séminaire Etape relèverait en quelque sorte de la pratique de la plomberie de la critique sociale émancipatrice : nettoyant certaines canalisations encrassées, donnant quelques coups de marteau sur des tuyaux cabossés ou désajustés, remplaçant certaines pièces trop usagées, tentant de nouveaux embranchements à la place d’autres abandonnés afin d’améliorer la fluidité…
La théorie, dans le cadre du séminaire Etape, prend donc un sens d’abord méthodologique, dans l’usage d’outils destinés à être utilisés dans des pratiques à travers la confrontation au réel. C’est en ce premier sens que l’on peut parler ici de pragmatisme dans la démarche suivie. Un pragmatisme qui emprunte à Michel Foucault la vision de « la théorie comme boîte à outils »[10]. Car les discussions théoriques menées ne le sont pas dans l’univers éthéré du « ciel pur des idées ». Elles viennent d’une certaine façon des rugosités de la pratique et ont vocation à y retourner. Ici le pragmatisme d’une figure pionnière de l’anarchisme, Pierre-Joseph Proudhon, nous sert de poteau indicateur :
« L’idée, avec ses catégories, naît de l’action et doit revenir à l’action, à peine de déchéance pour l’agent. »[11]
La démarche du séminaire Etape est en un second sens, convergent, pragmatiste, parce qu’elle s’efforce de trouver des hybridations entre l’anarchisme et le pragmatisme philosophique américain, c’est-à-dire un courant ayant émergé à la fin du XIXe et au début du XXe siècles, avec Charles Sanders Peirce, William James et surtout John Dewey[12]. La sociologue, philosophe et militante libertaire Irène Pereira a été de ce point de vue pionnière[13]. Le pragmatisme s’intéresse de manière privilégiée aux effets de l’action. Un anarchisme pragmatiste s’intéressera surtout aux effets émancipateurs, individuels et collectifs, de l’action sur le réel, plutôt qu’aux vaines et dérisoires rhétoriques ou aux postures identitaires anarchistes.
Deux défis parmi d’autres pour des anarchistes polyglottes
Dans l’horizon d’une actualisation pragmatiste des idées anarchistes dans la confrontation avec certains enjeux d’aujourd’hui, on devrait saisir au vol une suggestion stimulante du Comité invisible dans son opuscule, Á nos amis : « « Ce n’est pas aux rebelles d’apprendre à parler l’anarchiste, mais aux anarchistes de devenir polyglottes. »[14]. J’aborderai deux domaines parmi d’autres qui constituent des défis de ce point de vue.
Devenir polyglottes, c’est s’efforcer de parler à d’autres usant d’autres langues, plutôt que de se parler surtout à soi, dans les évidences de l’entre-soi. C’est une façon de se coltiner les contradictions du réel en s’arrachant au confort identitaire. L’historien Jérôme Baschet, à partir de l’expérience zapatiste dans le Chiapas mexicain, appelle en ce sens à un dialogue interculturel. Cela ne passe pas par un universalisme uniforme à penchants impérialistes, faisant résonner souvent la violence des uniformes. Un enjeu fort serait d’inventer à la place un « pluniversalisme » interculturel, fabriquant du commun à partir d’expériences et de langages multiples[15]. Un des défis dans ce cadre pour les milieux anarchistes serait de déplacer leur rapport aux religions, qui participe de ces mondes pluriels. Non pas certes abandonner la nécessaire critique des logiques oppressives à l’œuvre dans les institutions religieuses, mais ne plus en faire un absolu, un dogme para-religieux, ne plus sanctifier l’athéisme en nouvel église. Il s’agirait de ne plus considérer les religions comme des « essences » maléfiques compactes, mais d’être également sensible à leurs contradictions, comme nous y invite le pasteur écolo-libertaire Stéphane Lavignotte[16].
Cette interrogation révèle une acuité particulière dans le contexte islamophobe actuel en France[17] et plus largement en Occident. Cela nous incite à critiquer les religions tout en combattant l’islamophobie, et à combattre l’islamophobie tout en luttant contre les fondamentalismes islamistes. Cela pourrait amener à rompre avec l’exclusivisme athée instauré dans beaucoup d’organisations anarchistes. Peut-on se contenter d’être paternalistes face à des femmes voilées et d’en faire, de manière essentialiste, des êtres qui ne peuvent qu’être « aliénés », et donc susceptibles de n’être « libérés » que par une avant-garde révolutionnaire extérieure, en véhiculant ainsi des relents coloniaux ? Ou aura-t-on un jour l’audace d’envisager la possibilité de musulmanes anarchistes et voilées, luttant radicalement contre le patriarcat et les conservatismes islamistes ? On est fort loin de pouvoir envisager une telle chose dans les univers anarchistes existants…Cependant, cela supposerait de ne pas tomber dans un piège inverse, consistant à faire des « musulmans » en général, de manière fantasmatique, « le nouveau sujet révolutionnaire », comme on le sent poindre dans quelques secteurs des gauche radicales et libertaires[18]. Et donc de combattre en même temps l’islamophobie et les islamo-conservatismes (des islamismes légalistes aux djihadismes meurtriers).
Devenir polyglottes plutôt que vouloir que les autres parlent notre langue codée, c’est aussi interroger les impensés de la langue anarchiste, ses rigidités, la passer elle-même au crible libertaire, et donc proposer des hybridations avec d’autres univers intelligibles et sensibles. Cela suppose, par exemple, de rompre avec le virilisme stratégique, s’inspirant d’une pensée stratégique d’origine militaire, qui hante les imaginaires des gauches en général et des militants anarchistes en particulier. La connotation machiste du vocabulaire utilisé, au sens où il entre en résonance avec des valeurs constituées socialement et historiquement dans nos sociétés comme « masculines », a peu souvent été soulignée. Il n’est pas étonnant que la politique occidentale ait été largement pensée et pratiquée sous le prisme d’un imaginaire machiste (y compris les politiques dites « révolutionnaires »), alors que les hommes ont dominé et dominent encore la politique (y compris dans les organisations dites « révolutionnaires »). Les réflexions stratégiques (sur le « comment » de la révolution sociale) à gauche et en terre anarchiste ont ainsi fréquemment été emplies de métaphores d’inspiration militaro-viriliste : « la montée de la lutte des classes », « la guerre de classe », « la conquête », « les rapports de forces » (une expression omniprésente), « accumuler des forces », « le combat », « les affrontements », « la confrontation », « les préparatifs », « la mobilisation », « les périodes offensives et défensives », « les phases de repli et d’assaut », « s’attaquer à », « le moment décisif » ou « central », « le basculement décisif », « le renversement », etc. Ces métaphores contribuent à structurer la vision même de la politique, marquée par un inconscient viriliste.
Le vocabulaire hégémoniquement machiste de la politique a refoulé ce que les métaphores constituées socio-historiquement comme « féminines », et donc dominées, pouvaient nous dire sur d’autres rapports possibles à la politique émancipatrice. La focalisation exclusive sur « les rapports de force » n’a-t-elle donc pas à voir avec l’obsession machiste de « montrer qu’on a des couilles » et qu’« on en a une plus grosse » ? Les thèmes de « l’accumulation », de « la montée », de « la conquête », de « l’assaut » ou du « renversement », comme l’insistance sur « le basculement » dans « le moment décisif »», n’ont-ils pas à voir avec une sexualité vue à travers le pénis et l’orgasme masculin ? Les « préparatifs » ne font-ils pas signe du côté de « préliminaires » menant inéluctablement au coït final ?... Or, inventer de nouvelles formes de relations sociales, cela demande certes l'établissement de « rapports de force » dans des « combats », mais pas seulement. Ainsi le combat ne suffit justement pas à inventer quelque chose qui n'existe pas encore tout à fait de manière stabilisée et élargie, mais au mieux à l’état d’expériences fragiles ou de germes. Cela peut suffire à une politique traditionnelle de la force, mais pas à une politique émancipatrice. Nous avons aussi à imaginer, explorer, expérimenter…Cette critique constitue donc une invitation non pas à abandonner le vocabulaire stratégique des « rapports de force » et du « combat », mais à le métisser avec les mots de l’imagination, de l’exploration, du tâtonnement, de l’expérimentation et de la création, en élargissant ainsi l’espace mental pour penser la stratégie en politique émancipatrice. Semer de telle façon du « trouble dans le genre », dans le sillage du féminisme déstabilisateur de Judith Butler[19], conduirait, par ricochet, à semer du trouble dans les définitions dominantes de la politique. Et, à travers ces deux pôles « force »/« combat » et « fragilité »/« exploration », les codes socio-historiques du « masculin » et du « féminin » seraient aussi en discussion.
La galaxie anarchiste a à sortir de la tendance à l’entre-soi, à mieux se coltiner les contradictions du réel, à bousculer certains de ses modes de pensée les plus routiniers, à rénover ses cadres organisationnels et ses pratiques militantes, à diversifier les expériences sociales et générationnelles de ses acteurs…pour se réinventer. Á ces conditions, elle pourrait devenir un des pôles de la refondation d’une politique émancipatrice pour le XXIe siècle.
Une rencontre publique autour du livre le jeudi 13 juin 2019 à Paris
19h-21h - Bar-restaurant Le Lieu-Dit : 4-6 rue Sorbier, Paris 20e - métros : Ménilmontant (ligne 2) ou Gambetta (ligne 3)
Lors de ce débat public autour du livre, animé par Wil Saver, l’historienne de la Révolution française Sophie Wahnich (directrice de recherche au CNRS) réagira au livre, puis les co-auteurs présents - Jérôme Alexandre, Philippe Corcuff, Silien Larios, Christian Laval, Irène Pereira et Cyprien Tasset - réagiront à ses réactions, puis un débat s’engagera avec la salle.
Voir sur l’agenda de Mediapart : https://blogs.mediapart.fr/415183/blog/100519/critique-et-emancipation-wahnich-pereira-laval-corcuff13-juin-2019-paris
Sommaire d'Explorations libertaires. Pour une pensée critique et émancipatrice
Préface - Du christianisme à la philosophie pragmatiste : d’un anarchisme à l’Autre par Jérôme Alexandre
Critique du capitalisme, mouvements sociaux et émancipation
La Rage contre le règne de l’argent par John Holloway
La critique du capitalisme actuel est-elle nécessairement d’inspiration anarchiste ? (Fragments d’une discussion avec des amis libertaires) par Stéphane Haber
What’s new Pussycat ? Transformations et permanences dans les mouvements sociaux en France par Lilian Mathieu
Témoignage romancé d’une grève en 2007 dans une usine automobile parisienne, par un ouvrier devenu anar définitivement par Silien Larios
Exploration sociologique et politique de la figure des « précaires » par Patrick Cingolani
Révolutions précaires, un manifeste pour une écosophie du précariat par Cyprien Tasset
Expérience zapatiste, postcapitalisme et émancipation au XXIe siècle par Jérôme Baschet
Éthique, commun et politique pragmatiste
Plaidoyer pour la liberté négative par Ruwen Ogien
Commun : de quelques rapports que nous entretenons avec la « tradition libertaire » par Christian Laval
Le Commun : imaginaire ou mouvement réel qui abolit l’ordre existant ? par Ivan Sainsaulieu
Rééquilibrer le commun par l’individualité : la piste Levinas (Quelques réflexions à propos d’un texte de Christian Laval) par Philippe Corcuff
La démocratie, entre la radicalité de Dewey et les expériences paysannes par Joëlle Zask
Anarchisme et pragmatisme par Irène Pereira
Désobéissance et démocratie radicale par Sandra Laugier
Postface - Quelques enjeux pour un anarchisme pragmatiste aujourd’hui par Philippe Corcuff
Les auteurs
Jérôme Alexandre : théologien catholique de sensibilité libertaire, co-auteur, avec Bernard Marcadé, de L’urgence de l’art (Paris, Parole et Silence, 2015), avec Alain Cugno, de Art, foi, politique : un même acte (Paris, Hermann, 2017) et, avec Philippe Corcuff, Haoues Seniguer et Isabelle Sorente, de Spiritualités et engagements dans la cité. Dialogue entre un musulman critique, un agnostique anarchiste, un catholique libertaire et une romancière (Lormont, Le Bord de l’eau, 2018)
Jérôme Baschet : historien, maître de conférences à l’École des hautes études en sciences sociales (Paris), auteur notamment de : La rébellion zapatiste. Insurrection indienne et résistance planétaire (Paris, Flammarion, collection « Champs », 2005, réédition de L’étincelle zapatiste. Insurrection indienne et résistance planétaire, Paris, Denoël, 2002), Adieux au capitalisme. Autonomie, société du bien vivre et multiplicité des mondes (Paris, La Découverte, collection « L’horizon des possibles », 2014, réédition La Découverte/Poche en 2016) et Défaire la tyrannie du présent. Temporalités émergentes et futurs inédits (Paris, La Découverte, collection « L’horizon des possibles », 2018).
Patrick Cingolani : professeur de sociologie à l’université Paris Diderot, auteur notamment de : La précarité (Paris, PUF, collection « Que sais-je ? », 2005, réédition 2017) et Révolutions précaires. Essai sur l’avenir de l’émancipation (Paris, La Découverte, collection « L’horizon des possibles », 2014)
Philippe Corcuff : maître de conférences de science politique à l’Institut d’études politiques de Lyon, membre du laboratoire de sociologie CERLIS (Centre de recherche sur les liens sociaux, UMR 8070 du CNRS, université Paris Descartes et université Sorbonne Nouvelle), co-animateur du séminaire de recherche libertaire Etape, auteur notamment d’Enjeux libertaires pour le XXIe siècle par un anarchiste néophyte (Paris, Éditions du Monde libertaire, 2015)
Stéphane Haber : professeur de philosophie à l’université de Paris Nanterre, auteur notamment de Penser le néocapitalisme. Vie, capital et aliénation (Paris, Les Prairies Ordinaires, 2013)
John Holloway : né en 1947 à Dublin, en Irlande, professeur de sociologie à l’université autonome de Puebla au Mexique, auteur notamment de : Changer le monde sans prendre le pouvoir (1e éd. : 2002 ; traduction française aux Éditions Syllepse en 2008) et de Crack Capitalism. 33 thèses contre le Capital (1e éd. : 2010; traduction française aux Éditions Libertalia en 2012).
Silien Larios : écrivain, a été ouvrier dans l’usine PSA d’Aulnay et est toujours ouvrier dans le secteur automobile, auteur notamment de L’usine des cadavres. Ou la fin d’une usine automobile du nord de Paris (St-Georges-d’Oléron, Les Editions Libertaires, 2013)
Sandra Laugier : professeure de philosophie à l’université de Paris I Panthéon-Sorbonne, auteure notamment de : Une autre pensée politique américaine. La démocratie radicale d’Emerson à Stanley Cavell (Paris, Michel Houdiard Éditeur, 2004) et, avec le sociologue Albert Ogien, Pourquoi désobéir en démocratie ? (Paris, La Découverte, 2010), Le principe démocratie. Enquête sur les nouvelles formes du politique (Paris, La Découverte, 2014) et Antidémocratie (Paris, La Découverte, 2017)
Christian Laval : professeur émérite de sociologie à l’université Paris Nanterre, co-auteur notamment, avec le philosophe Pierre Dardot, de Commun. Essai sur la révolution au XXIe siècle (La Découverte, 2014, réédition La Découverte/Poche, 2015)
Lilian Mathieu : sociologue, directeur de recherche au CNRS, auteur notamment de : Mobilisations de prostituées (Paris, Belin, 2001), La démocratie protestataire. Mouvements sociaux et politique en France aujourd’hui (Paris, Presses de SciencesPo, 2011) et L’espace des mouvements sociaux (Broissieux, Éditions du Croquant, 2012)
Ruwen Ogien (fin des années 1940-4 mai 2017) : docteur en sociologie (1978), docteur en philosophie (1991), directeur de recherche au CNRS en philosophie, auteur notamment de L’État nous rend-il meilleurs ? Essai sur la liberté politique (Paris, Gallimard, collection « Folio essais », 2013)
Irène Pereira : philosophe et sociologue, enseigne à l’ESPE de l’université de Créteil, auteure notamment de : Peut-on être radical et pragmatique ? (Paris, Textuel, collection « Petite Encyclopédie Critique », 2009) et L’anarchisme dans les textes. Anthologie libertaire (Paris, Textuel, collection « Petite Encyclopédie Critique », 2011)
Ivan Sainsaulieu : professeur de sociologie à l’université de Lille, auteur notamment de Conflits et résistances au travail (Paris, Presses de SciencesPo, 2017)
Cyprien Tasset : docteur en sociologie, a soutenu sa thèse en décembre 2015 à l’École des hautes études en sciences sociales (Paris) sur Les intellectuels précaires, genèses et réalités d’une figure critique sous la direction de Luc Boltanski, étudie aussi les expériences de conversion au catastrophisme écologique
Joëlle Zask : professeure de philosophie à l’université de Provence, auteure notamment de : Introduction à John Dewey (Paris, La Découverte, collection « Repères », 2015) et La démocratie aux champs (Paris, Les empêcheurs de penser en rond/La Découverte, 2016), a traduit, présenté et annoté, avec Jean-Pierre Cometti, les Écrits politiques [textes de 1888-1942] de John Dewey (Paris, Gallimard, 2018)
Notes :
[1] Voir le site du film sur lequel Ne vivons plus comme des esclaves peut être visionné gratuitement : <.
[2] Voir, entre autres, en langue française David Graeber, Pour une anthropologie anarchiste [1e éd. : 2004], Montréal, Lux Éditeur, 2006.
[3] Voir notamment en langue française James C. Scott, Petit éloge de l’anarchisme [1eéd. : 2012], Montréal, Lux Éditeur, 2013
[4] Philippe Pelletier, Géographie et anarchie. Élisée Reclus, Pierre Kropotkine, Léon Metchnikoff et d’autres, Paris/Saint-Georges-d’Oléron, Éditions du Monde libertaire/Éditions libertaires, 2013, p. 19.
[5] Sur la tradition de la démocratie radicale, voir entre autres : Sandra Laugier, Une autre pensée politique américaine. La démocratie radicale d’Emerson à Stanley Cavell, Paris, Michel Houdiard, 2004, et supra « Désobéissance et démocratie radicale » ; le texte de Joëlle Zask supra, « La démocratie, entre la radicalité de Dewey et les expériences paysannes » ; Manuel Cervera-Marzal et Éric Fabri (éds.), Autonomie ou barbarie. La démocratie radicale de Cornelius Castoriadis et ses défis contemporains, Neuvy-en-Champagne, Le passager clandestin, 2015 ; et Yohan Dubigeon, La démocratie des conseils. Aux origines modernes de l’autogouvernement, Paris, Klincksieck, 2017.
[6] Voir Philippe Corcuff, « Des ʺgilets jaunesʺ composites et des gauches embrumées : différences avec Mediapart », blog Mediapart, 3 janvier 2019, < et « Et tant pis si les intellectuels de gauche sont fatigués ! », site AOC (Analyse Opinion Critique), 28 janvier 2019, <.
[7] Dans Marc Ferro (présenté par), Des soviets au communisme bureaucratique : les mécanismes d’une subversion, Paris, Gallimard/Julliard, collection « Archives », 1980, pp. 135-175.
[8] Un tel abandon de la notion d’« aliénation » dans le vocabulaire de la critique sociale émancipatrice divergerait alors avec le travail par ailleurs stimulant du philosophe Stéphane Haber pour reproblématiser aujourd’hui la notion d’« aliénation », voir « L’aliénation comme dépossession des besoins vitaux », entretien avec Stéphane Haber, revue Mouvements, n° 54, 2008/2, pp. 41-53, et supra le chapitre 2 de ce livre, « La critique du capitalisme actuel est-elle nécessairement d’inspiration anarchiste ? ».
[9] Voir Philippe Corcuff, « Intellectuels, militants et intellectualité démocratique : vues critiques sur quelques expériences passées », blog Mediapart, 5 septembre 2013, <.
[10] Michel Foucault, « Pouvoirs et stratégies » [entretien avec Jacques Rancière publié en 1977], repris dans Dits et écrits II, 1976-1988, Paris, Gallimard, collection « Quarto », 2001, p. 427.
[11] Pierre-Joseph Proudhon, De la justice dans la révolution et dans l’église [1e éd. : 1858], Paris, Fayard, collection « Corpus des œuvres de philosophie en langue française », tome 3, 1990, p. 1038.
[12] Voir Joëlle Zask, Introduction à John Dewey, Paris, La Découverte, collection « Repères », 2015, et supra « La démocratie, entre la radicalité de Dewey et les expériences paysannes » ; voir également John Dewey, Écrits politiques [textes de 1888-1942], traduits et présentés par Jean-Pierre Cometti et Joëlle Zask, Paris, Gallimard, 2018, et Jean-Pierre Cometti, Qu’est-ce que le pragmatisme ?, Paris, Gallimard, collection « Folio essais », 2010.
[13] Voir, entre autres, Irène Pereira, Peut-on être radical et pragmatique ?, Paris, Textuel, collection « Petite Encyclopédie Critique », 2010, et supra « Anarchisme et pragmatisme ».
[14] Comité invisible, Á nos amis, Paris, La fabrique, 2014, p. 233.
[15] Voir Jérôme Baschet, Adieux au capitalisme. Autonomie, société du bien vivre et multiplicité des mondes, Paris, La Découverte, collection « L’horizon des possibles », 2014, et supra « Expérience zapatiste, postcapitalisme et émancipation au XXIe siècle ».
[16] Dans Stéphane Lavignotte, Les religions sont-elles réactionnaires ?, Paris, Textuel, collection « Petite Encyclopédie Critique », 2014.
[17] Voir l’étude sociologique et historique d’Abdellali Hajjat et de Marwan Mohammed, Islamophobie. Comment les élites françaises fabriquent le « problème musulman », Paris, La Découverte, 2013.
[18] Pour un critique de ce piège, voir Guillaume de Gracia, « Fantasme du nouveau "sujet révolutionnaire" dans les gauches radicales et libertaires : "les Musulmans" ? », site de réflexions libertaires Grand Angle, 11 mai 2018, <.
[19] Voir Judith Butler, Trouble dans le genre. Le féminisme et la subversion de l’identité (Gender Trouble, 1e éd. : 1990), préface d’Éric Fassin, Paris, La Découverte, 2005.