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Syndicalisme et écologie
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
http://www.contretemps.eu/emploi-environnement-syndicalisme-ecologie/
Dans cet article, Aviva Chomsky propose un éclairage sur les controverses nées au sein des gauches états-uniennes dans la foulée de la publicisation de la résolution dite du Green New Deal par deux parlementaires issus de la gauche du Parti démocrate[2], et plus particulièrement au sein des gauches syndicales et écologistes. Plutôt que de postuler que les tensions qui marquent les relations entre le mouvement syndical et le mouvement écologiste seraient le reflet d’une irréconciliable opposition d’intérêts, Aviva Chomsky éclaire ici le rôle des médias conservateurs américains dans la construction rhétorique de cette division.
À rebours du sempiternel rabâchage du discours affirmant que les préoccupations environnementales portées par le salariat se heurteraient inévitablement au dilemme « emploi contre environnement » (et qu’il n’y aurait pas d’alternative à cet antagonisme), elle propose d’identifier les points de convergences qui contribuent actuellement à la construction d’une cause commune écolo-syndicale.
Aviva Chomsky est une historienne américaine, professeure à l’Université de Salem (Massachussetts). Spécialiste de l’histoire du travail dans les espaces latino-américains, elle a notamment contribué à façonner une histoire connectée, puis une histoire globale du travail, en étudiant les migrations du travail entre l’Amérique du Sud et les Etats-Unis. Elle a surtout contribué à travailler à rapprocher l’historiographie des mondes du travail de l’histoire environnementale lors de la publication d’un ouvrage remarqué en 2008 : Linked Labor Histories: New England, Colombia, and the Making of a Global Working Class[1].
***
Alors qu’il est question de canicule[3], de météo extrême, de feux sauvages[4], ou de fonte des glaces[5], la planète ressemble désormais à ce que les médias désignent de plus en plus comme un terrain d’enregistrement [record territory], alors même que le rythme que prend le changement climatique bouscule toutes les anticipations. Dans une telle situation, dans un pays dont le président et l’administration semblent s’obstiner à réaliser tout ce qu’ils peuvent imaginer pour que la situation empire, le Green New Deal (GND) semble offrir au moins une modeste opportunité pour tracer un autre chemin.
Vous savez, le GND est cette résolution[6] qui a été introduite en février dernier à la Chambre des Représentants par Alexandria Ocasio-Cortez (élue démocrate, New York) et Edward Markey (élu démocrate, Massachussetts). Sans surprise, la proposition s’est rapidement trouvée sous le feu de la droite. Elle a pourtant suscité des controverses à gauche aussi. Vous auriez pu penser que les syndicats de salariés et les organisations environnementales auraient forcément plaidé avec enthousiasme en faveur d’un investissement fédéral massif dans des emplois décents et une transition juste pour sortir des énergies fossiles. Mais savez-vous si le mouvement syndical soutient ou s’oppose actuellement au GND ? Et qu’en est-il des organisations environnementales ? Si vous n’êtes pas certains de la réponse à ces questions, vous n’êtes pas seul.e.
Cette résolution de 14 pages plaide pour « une mobilisation nationale, sociale, industrielle et économique à une échelle sans précédent depuis la Seconde guerre mondiale et le New Deal ». Son objectif : réduire les émissions carbones américaines à un équivalent-zéro [net zero] en une décennie, tout en garantissant un nombre significatif de nouveaux emplois et une protection sociale aux travailleurs américains. Lisez et vous verrez qu’il s’agit d’une tentative de surmonter les divisions historiques entre le mouvement ouvrier américain et les mouvements environnementaux, en articulant un plaidoyer pour de bons emplois et une protection sociale des travailleurs avec des objectifs environnementaux aussi évidents que nécessaires.
Dans cette perspective, la proposition du GND est extraordinairement plus ambitieuse que les décisions modestes de l’accord climatique de Paris ou que les autres accords internationaux. Le GND définit des objectifs ciblés qui sont à la fois spécifiques et réalisables sur le contrôle du changement climatique, tout en articulant nettement cela avec les droits sociaux, le droit du travail et le droit de l’environnement. Reconnaissant l’urgence d’un changement systémique dans des termes euphémisés, il appelle à une sorte de mobilisation nationale d’une ampleur que les américains n’ont pas connu depuis la seconde guerre mondiale. En le décrivant ainsi, cela ressemble à une initiative que les mouvements syndicaux et écologistes devraient soutenir naturellement et sans aucune réserve. Pourtant, l’histoire de ces mouvements est marquée à la fois par des incompréhensions et des désaccords réels sur différents enjeux, auxquels ces mouvements doivent désormais se confronter. Et les médias contribuent à exagérer l’opposition du mouvement syndical à cette proposition, tout en ignorant ce que les organisations environnementales ont à dire.
L’une des controverses sur le GND porte sur l’importance future des énergies fossiles. Un certain nombre d’organisations environnementales pensent que ces ressources énergétiques n’ont pas leur place dans notre avenir, et qu’elles doivent rester dans le sol. Elles citent les travaux scientifiques sur le climat et affirment l’urgente nécessité d’accélérer vers une réduction drastique des émissions carbones. Or, le GND évite de s’en prendre directement aux industries fossiles. En fait, il n’utilise même pas le terme « énergie fossile ».
Vu d’une autre perspective, certains syndicats espèrent que les nouvelles technologies telles que le captage, le stockage et la valorisation du carbone (CCUS) pourra rendre ces énergies plus efficientes et plus propres. Ils affirment que si l’addition de carbone dans l’atmosphère pourrait réduire significativement ou permettre une relative compensation des émissions, cela permettrait alors à l’humanité de continuer à brûler du gaz, du pétrole, ou même du charbon, et ainsi de préserver les emplois dans ces secteurs. De plus, les syndicats ont aussi d’autres préoccupations. Par exemple, ils ont tendance à considérer avec scepticisme les promesses de « transition juste » du GND en faveur des travailleurs des énergies fossiles qui seront contraints de se reconvertir, en rappelant le fardeau qui s’abattit sur les travailleurs et leurs communautés lorsque les industries ont fermé par le passé. Ils craignent aussi que, s’ils ne bénéficient pas de protections et de régulations du commerce international, les industries polluantes se contentent simplement d’exporter leurs émissions plutôt que de les réduire.
Dans la mesure où le GND se présente davantage sous la forme d’une déclaration d’intention que d’un plan définitif, ses arguments manquent de précision et de réponses claires lorsqu’il traite des grands enjeux. Selon le texte de cette proposition, l’orientation à adopter pour permettre la réalisation des grands objectifs « doit être élaborée par l’intermédiaire de consultations, de collaborations et de partenariats transparents et inclusifs en associant les communautés les plus exposées, les plus vulnérables, les syndicats, les coopératives de travailleurs, les groupes de la société civile, le monde académique et le monde de l’entreprise ». Les syndicats comme les organisations environnementales sont déjà mobilisés pour s’assurer que leurs voix soient entendues dans ce processus.
Les forces de droite se sont empressées de ridiculiser publiquement le GND en le qualifiant non seulement de proposition complètement irréaliste, mais aussi profondément anti-américaine. Dans ces circonstances, il n’est probablement pas surprenant qu’un récent sondage[7] indique que 69% des républicains et seulement 36% des démocrates se disent « très » informés sur ce sujet. De la même manière, 80% des républicains se disent déjà « fortement opposés » au GND, alors que seulement 46% des démocrates le « soutiennent fortement ». Et 40% des sondés[8] indiquent qu’ils ont entendu des appréciations « plutôt négatives » à ce propos, alors que seulement 14% ont entendu des appréciations « plutôt positives ». L’une des raisons de ces écarts réside dans le fait que Fox News a consacré plus de temps[9] à ce sujet que n’importe quelle autre chaîne d’information télévisée. De plus, le Président Trump est naturellement rentré dans le débat, en tweetant[10] que le GND conduirait à éliminer « les avions, les voitures, les vaches, le pétrole, le gaz et les militaires ». De telles assertions, bien qu’elles soient fantaisistes, ont été largement diffusées. Pourtant, même les médias de masse ont majoritairement relayé des appréciations négatives.
Les discours de la droite comme des médias de masse ont donc diffusé l’idée selon laquelle les syndicats ont une opposition ferme au GND, en l’exagérant fréquemment et en tordant la nature de cette opposition. Pour comprendre sérieusement les positions syndicales tout comme pour connaître les préoccupations des écologistes, les lecteurs sont ainsi contraints de suivre des publications radicales sur internet ou rechercher les sites des organisations environnementales.
Les médias, le mouvement syndical et le Green New Deal
Le Washington Examiner[11], Fox News[12], et d’autres titres de droite se sont montrés enchantés lorsque des représentants syndicaux, dont Richard Trumka, le président[13] de l’AFL-CIO, ont critiqué[14] ou exprimé des réserves à propos du GND, un événement sur lequel d’autres grands médias[15] se sont aussi répandus[16]. Cependant, la position syndicale est significativement plus complexe que ce qu’ils veulent bien en dire.
Dans une interview d’une heure au Club économique de Washington en avril – présentée par l’Examiner sous le titre[17] « l’AFL-CIO s’oppose au GND » – Trumka a consacré moins de 30 secondes à répondre à une question sur ce sujet. Interrogé s’il soutenait le GND, il a répondu : « pas dans sa rédaction actuelle… Car nous n’avons pas été consultés dans le processus, et les intérêts des travailleurs n’ont donc pas été complètement intégrés. Nous voudrions donc que beaucoup de modifications soient faites afin que les travailleurs et nos emplois soient protégés dans ce plan ». Ce qui ne correspond pas exactement à un rejet inconditionnel.
Sa brève réaction a trouvé des échos dans une lettre[18] envoyée en mars par le comité de l’énergie de l’AFL-CIO à Ocasio-Cortez et Markey, signée par les présidents du syndicat des mineurs (United Mine Workers) et des électriciens (International Brotherhood of Electrical Workers). Entre autres informations, ils protestent contre l’absence de voix syndicales dans l’élaboration de cette proposition. Ils insistent aussi sur le risque de perte d’emplois, ainsi que sur le fait que le GND n’est « pas ancré dans une approche fondée sur l’ingénierie » pour répondre au changement climatique. Cela reflète les espoirs syndicaux dans le perfectionnement de technologies qui pourraient permettre aux Etats-Unis de répondre aux objectifs climatiques, tout en continuant à extraire et à consumer des énergies fossiles (en conservant ainsi des emplois dans ce secteur de l’économie).
Le sénateur républicain du Wyoming, John Barrasso, un vieil allié des industries du charbon, du pétrole et du gaz, et un féroce anti-syndicaliste[19] dans ses votes au Congrès, est le premier à avoir dévoilé l’existence de cette lettre dans un tweet[20] qu’il titrait : « L’AFL CIO, qui représente 12,5 millions de travailleurs et comporte 55 fédérations syndicales, éreinte le Green New Deal ». Aussi bien les forces de droite que les médias de masse se sont accordés sur cette interprétation. Le Washington Post, par exemple, a titré[21] son article « l’AFL CIO critique le GND », alors que l’Examiner qualifia[22] la fédération de « premier adversaire » de cette résolution.
Pourtant, deux informations manquent dans ces articles. Premièrement, les membres du comité de l’énergie de l’AFL-CIO sont issus de seulement huit fédérations, dont la plupart sont étroitement dépendantes de l’industrie des énergies fossiles. Deuxièmement, la lettre elle-même était bien plus nuancée que la couverture médiatique ne le suggère, et même ses signataires étaient loin d’être unanimes. Il est vrai que l’un d’entre eux, Terry O’Sullivan, le président des Laborers International Union of North America[23], a affirmé qu’il était radicalement opposé au GND, considérant[24]que c’était « exactement la manière dont il ne fallait pas » prendre en charge les infrastructures et le changement climatique. Il écrit que le fait de relier ces enjeux pourrait provoquer « un désastre économique et social ». A contrario, dans un article qui fut ignoré des médias et intitulé « Le syndicalisme prend parti pour le GND », un autre signataire, le président du syndicat des métallurgistes (United Steelworkers) Leo Gerard estimait que cette lettre constituait évidemment un soutien au GND.
La lettre[25] du comité de l’énergie expose une vision singulière de la manière de répondre à la crise :
« le développement et le déploiement de technologies comme le solaire, l’éolien, le nucléaire, l’hydroélectricité, la capture et l’usage du carbone, le stockage de batteries, les trains à grande vitesse restreignent ou éliminent les émissions de carbone. Nous savons que l’accroissement de la production de gaz naturel a diminué les émissions dans le secteur de l’énergie et offert une nouvelle opportunité pour la construction et les emplois industriels. Nous devons investir dans l’efficience énergétique des secteurs industriels et commerciaux, mettre aux normes et rénover les écoles et les bâtiments publics, et rendre nos communautés plus sûres et résilientes. Tous ces investissements doivent s’accompagner de normes rigoureuses dans le domaine du travail et de l’approvisionnement afin de soutenir des emplois syndiqués qui soutiennent les familles de classe moyenne».
Tout cela présente une forte synchronisation avec le vocable du GND, puisque celui-ci appelle aussi à renforcer l’efficience énergétique, à réaliser des rénovations et améliorations du bâti, et à assurer des garanties pour les travailleurs. Les différences paraissent ténues, mais il est nécessaire de les mentionner. Le comité de l’énergie insiste d’abord sur des investissements dans de nouvelles technologies de capture et de stockage du carbone (CCUS), alors que le GND plaide[26] uniquement pour « des solutions low-tech qui ont fait leurs preuves pour augmenter le stockage de carbone dans le sol, comme la protection des terres et la reforestation ». Pour des raisons évidentes, les CCUS sont la solution favorite[27] des industries fossiles[28] : c’est une technologie ambitieuse qui nécessitera des investissements fédéraux massifs dans les grandes entreprises de l’énergie et qui offre la promesse (même illusoire) que les énergies fossiles pourraient encore être extraites et consumées. De nombreuses organisations environnementales affirment[29]que ce développement ne représente pas simplement un cadeau aux entreprises fossiles, mais surtout une diversion grossière par rapport au véritable défi qui consiste à mettre fin aux usages du pétrole, du charbon et du gaz.
La lettre du comité de l’énergie défend ensuite l’usage du gaz naturel comme un moyen pour aller vers une réduction des émissions de carbone – il est vrai que le gaz naturel émet moins de carbone que lorsque que l’on brûle du charbon ou du pétrole. En fait, jusqu’à récemment, la transition de centrales thermiques au charbon vers des centrales utilisant du gaz naturel a rempli un rôle pour réduire légèrement[30] les émissions américaines. Il n’en reste pas moins que le gaz naturel est une énergie fossile : plus nous en brulons, plus nous contribuons au changement climatique. Cela ne rentre aucunement dans la catégorie des « ressources énergétiques propres, renouvelables et décarbonées » que définit le GND. Gardez à l’esprit que pendant plus d’une décennie de réductions de ses émissions, les Etats-Unis ont continué à émettre bien plus[31] de gaz à effet de serre par personne que la plupart des autres pays et, dans les deux dernières années, ses émissions de dioxyde de carbone ont recommencé à augmenter[32]. Nos chiffres d’émissions par personne sont toujours au-dessus[33] de ceux, par exemple, de l’Europe ou du Japon. Réaliser la transition vers une source d’énergie fossile légèrement plus propre tout en continuant à brûler autant de carbone n’avance pas à grand-chose pour empêcher le désastre climatique.
Ces désaccords sont réels. Néanmoins, la droite caricature la réponse de l’AFL-CIO en faisant croire qu’elle condamnerait le GND comme une proposition fantaisiste et anti-travailleurs.
Vu depuis la gauche, certaines organisations environnementales comme les Amis de la terre [Friends of the Earth] ont aussi caricaturé[34] la position de l’AFL-CIO en écrivant : « avec la position de son comité de l’énergie, l’AFL rejoint le camp des climato-sceptiques comme les frères Koch, le Parti républicain ou les majors pétrolières. Nous encourageons l’AFL et d’autres syndicats à repenser leur position ». Un tel langage ne fait que contribuer à exacerber une division entre syndicalistes et écologistes, tout en ignorant les préoccupations syndicales quant au sort des travailleurs des industries concernées, alors que ce sont eux qui paieront le véritable tribut pour la réduction des émissions de carbone.
Les Amis de la terre auraient plutôt pu retenir les mots de Richard Trumka[35] lors du Global Climate Action Summiten 2018. La fédération, disait-il, ne remet pas en question l’expertise scientifique sur le climat.
« J’ai appris quelque chose à propos de la science dans les mines. Quand le patron nous intime l’ordre d’ignorer les risques meurtriers de notre travail… ce bois qui s’affaisse au-dessus de nos têtes… cette toux qui annonce la silicose… la science est la seule à nous dire la vérité. Et aujourd’hui, encore, la science nous dit la vérité : les effets du réchauffement climatique nous menacent, nous travailleurs, ainsi que nos emplois et notre économie ».
Il posait ensuite une question :
« Votre programme pour combattre le réchauffement climatique demande-t-il plus aux malades et aux retraités des mines de charbon qu’il n’en demande à vous et à votre famille ? S’il en est ainsi, vous devriez le réviser de nouveau ».
Ou, comme le formule Sara Nelson, Présidente de l’association des hôtesses de l’air qui est l’un des principaux soutiens au GND :
« le scepticisme provient généralement des lieux où les gens s’opposent à quelque chose dont ils pensent que cela constitue une attaque contre leurs emplois, leurs moyens de subsistance et leurs communautés… Nous devons faire en sorte de démontrer aux communautés qui ont été blessées que nous prenons vraiment au sérieux ce que nous disons lorsque nous affirmons qu’aucun travailleur ne sera abandonné à son sort ».
De plus, pour les syndicats, la dérégulation du commerce internationale est aussi contestable du point de vue environnemental que de celle du droit du travail. Le président Gerard, du syndicat des métallurgistes, expliquait que[36]
« La fédération des métallurgistes [USW] a vigoureusement exigé que les politiques climatiques incluent des mesures strictes pour assurer que les emplois américains dans les industries énergivores et exposées à la concurrence commerciale ne soient pas décimés par la décision de multinationales américaines de s’affranchir des régulations sur le contrôle des pollutions en délocalisant leurs usines vers des pays qui ignorent les enjeux de la pollution ».
Pourquoi le syndicalisme hésite : une histoire enchevêtrée
Alors que les sceptiques pourraient voir la position de Gerard sur le commerce comme l’expression d’un intérêt corporatiste à la protection des emplois au détriment de la crise planétaire, il s’agit aussi d’une réponse cruciale d’un point de vie purement climatique. En plus de la transition du charbon vers le gaz naturel, un autre facteur permettant un léger déclin des émissions de dioxyde de carbone aux Etats-Unis réside dans la désindustrialisation et la délocalisation de la production industrielle au Mexique, en Chine, ou au Vietnam. Ce phénomène illustre le caractère illusoire de la réduction des émissions de carbone. Bien entendu, l’atmosphère ne se préoccupe pas qu’une usine soit implantée aux Etats-Unis ou en Chine, puisque ce sont l’ensemble des émissions globales qui réchauffent notre planète.
Alors que la direction de l’AFL-CIO est restée prudente quant au Green New Deal, certaines de ses fédérations l’ont soutenu avec enthousiasme, à commencer par les syndicats des services et ceux du secteur public. Avec ses trois millions de membres, la Fédération internationale des employés des services, qui n’est pas actuellement membre de l’AFL-CIO, a apporté son soutien inconditionnel au GND lors de sa convention de début juin[37]. Fort de ses 50.000 membres, le syndicat des hôtesses de l’air s’est rallié à la position de sa présidente, Sara Nelson, en expliquant[38] que leur secteur d’activité « ne constitue pas la solution au changement climatique qui détruit des emplois. Le changement climatique en lui-même est un tueur d’emplois », dans la mesure où les épisodes météorologiques extrêmes et les perturbations croissantes contraignent à annuler toujours davantage de vols et à rendre le trafic aérien plus dangereux.
La fédération de l’Etat du Maine et de nombreux conseils du travail[39] ont suivi, ainsi que quelques syndicats locaux. Alors que la fédération internationale des électriciens, par exemple, s’est montrée rétive à soutenir le GND, au moins l’un de ses syndicats locaux en est signataire[40]. « Nous sommes tous pour les emplois verts » a déclaré Loui Antonellis, le responsable du local 103 à Boston. « Nous avons défendu les technologies vertes depuis bien longtemps ». (Pour une liste plus complète des soutiens syndicaux, voir ici[41]).
Il y a un contexte – pensez à cela comme une histoire profondément enchevêtrée – qui permet de mieux comprendre la difficile réponse syndicale au GND. Pour commencer, le mouvement syndical aux Etats-Unis s’est rarement exprimé d’une seule voix. De plus, ce mouvement s’est désormais retranché sur des positions nettement défensives. La part de syndiqués au sein du salariat a chuté[42] d’un niveau très élevé[43], autour de 35% dans les années 1950, jusqu’à moins de 11% de nos jours, en raison de la désindustrialisation, de la mécanisation, des coupes budgétaires, des attaques contre le secteur public, et d’une violente réaction patronale contre les syndicats qui débute dès les années 1970. Les productions domestiques les plus pourvoyeuses d’emplois, comme les salariés de l’automobile, les métallurgistes et les mineurs – tous ces secteurs dans lesquels l’avenir sans énergie fossile est un défi qu’il faut imaginer – ont été les plus rudement affectées. Cette situation éclaire le contexte dans lequel s’expriment leurs suspicions quant aux propositions face au changement climatique.
La position de faiblesse du mouvement ouvrier aux Etats Unis contribue aussi à nourrir l’opposition de l’AFL-CIO à la notion selon laquelle les Etats qui polluent le plus devraient être ceux qui devraient réduire le plus leurs émissions. En conséquence, cette position se diffuse bien au-delà au sein du mouvement syndical international. L’AFL-CIO, par exemple, s’est opposée[44] au Protocole de Kyoto en 1997 parce qu’il exigeait de plus fortes réductions des émissions de la part des pays qui polluent le plus et, depuis lors, l’organisation a constamment soutenu[45] la position du gouvernement américain selon lequel il ne devrait pas être exigé des pays riches de suivre les normes de réduction des émissions à moins que la même exigence soit imposée aux pays pauvres également.
Les organisations écologistes et le Green New Deal
Vous ne l’apprendrez probablement pas grâce aux médias, mais les organisations écologistes sont également divisées sur le GND. Nombreuses sont celles qui estiment que la proposition est trop faible. Son langage, disent-elles, autorise toujours l’extraction des énergies fossiles, leur usage, leur export, ainsi que l’expansion de l’énergie nucléaire.
Après tout, le GND ne vise pas à réduire à zéro émissions carbone, mais à une émission équivalente à zéro [net zero]. Si l’on traduit, cela signifie que les émissions de dioxyde de carbone pourront continuer aussi longtemps qu’un système de compensation restera en application pour permettre ces mises en équivalences. Bien que le comité de l’énergie de l’AFL-CIO affirme que l’objectif « net zero » va trop loin, de nombreuses organisations environnementales critiquent[46] l’incapacité du GND à défendre l’objectif de « zéro émissions ». En fait, même l’objectif de zéro émissions constitue un problème pour certains écologistes, qui soulignent que l’énergie nucléaire, malgré son caractère non renouvelable et son potentiel dévastateur sur l’environnement, reste une forme de production énergétique à zéro émissions. Face à cela, plusieurs organisations environnementales plaident pour que nous passions à des sources énergétiques qui soient à la fois 100% renouvelables et sans aucune émission.
Tout comme les syndicats, ces organisations écologistes radicales se plaignent[47] d’avoir été oubliées lors des discussions pour élaborer le GND et de n’avoir ainsi pas eu l’opportunité[48] de défendre la transition vers des énergies 100% renouvelables et ce qu’ils appellent[49] « le 100% décarboné ». Alors qu’elles appellent à une « transition juste », comme les syndicats, leur objectif principal se concentre sur les Amérindiens ou les autres communautés frontalement affectées par l’extraction des énergies fossiles, ainsi que sur les travailleurs de ces industries. Contrairement à leurs critiques à l’encontre du mouvement syndical, ces positions des écologistes n’ont pas retenu l’attention des médias de masse.
Nombreux sont ceux, parmi les 600 signataires de la lettre[50] dressant une critique radicale du GND, à appartenir à de petites organisations locales ou ancrées dans une communauté religieuse[51]. Plusieurs grandes organisations environnementales comme le Sierra Club, le Conseil national pour la défense des ressources, et le Fonds de défense environnemental étaient ostensiblement absentes de ces signataires. D’autres comme Greenpeace, les Amis de la terre, 350.org, le mouvement Sunrise, le réseau Rainforest Action, le réseau Indegenous Environmental, et Amazon Watchont toutefois signé. Tout comme l’a fait le réseau syndical pour la soutenabilité [Labor Network for Sustainability[52]], la voix la plus radicale pour soutenir l’action contre le changement climatique au sein du mouvement syndical.
Le réseau Indigenous Environmental a écrit[53] :
« Nous restons préoccupés parce qu’à moins que certaines modifications ne soient faites dans cette résolution, le GND laissera la possibilité aux industries et aux gouvernements de continuer à nuire aux communautés indigènes. De plus, comme le répètent depuis des années nos communautés qui sont sur la ligne de front de la crise climatique, la manière la plus efficace et directe de répondre au problème consiste à laisser les énergies fossiles dans le sol. Nous ne devons plus laisser aucune marge de manœuvre aux industries fossiles pour déterminer l’avenir économique et énergétique de ce pays. Et tant que le GND ne sera pas davantage explicite sur cette demande et ne mettra pas un terme à ces actions nocives, nous ne pourrons pas pleinement soutenir cette résolution ».
D’autres organisations comme 350.org[54] ont apporté leur soutien au GND malgré des réserves. Greenpeace l’a même encensé[55], tout en se montrant prudente sur le fait que « les industries du pétrole, du gaz et du charbon vont combattre becs et ongles pendant qu’ils continueront de charger notre atmosphère de nuisances. Afin de construire le futur vert que nous voulons, la législation fédérale DOIT aussi interrompre tous les grands projets d’expansion pétrolière, gazière ou charbonnière, comme les pipelines ou les nouveaux forages ».
L’avenir du GND
Malgré les défis provenant à la fois des mouvements syndicaux et écologistes, dont ils espéraient qu’ils soient parmi leurs plus fervents soutiens, la résolution GND de Markey et Ocasio-Cortez a permis pour la première fois d’imposer un débat public profond sur ce que pourrait être une politique climatique juste et ambitieuse. Pour les organisations écologistes locales, les syndicats, les acteurs non gouvernementaux, le Congrès, et les médias, alors même que les périodes caniculaires se multiplient[56], que l’Arctique fond[57], et que les épisodes météorologiques extrêmes appartiennent désormais aux informations quotidiennes[58], la question de ce qui devrait être fait s’est enfin imposée comme un sujet majeur, et cela jusque dans la campagne pour l’élection présidentielle de 2020[59]. Dans le débat politique, l’urgence de la crise climatique est reconnue pour la première fois et la question de savoir comment diminuer drastiquement les émissions de carbones tout en assurant la justice sociale se retrouve au premier plan. Ce sont exactement les débats dont nous avons besoin au moment où chacun doit être mobilisé parce que l’avenir de la civilisation humaine est, pour la première fois de son histoire, elle-même en question.
Publication initiale sur le site Nation of Change, 7 août 2019.
Traduction Renaud Bécot.
Notes
[1] https://www.dukeupress.edu/linked-labor-histories
[2] Pour un résumé en français, Romaric Godin a bien synthétisé la manière dont le Green New Deal participe à revitaliser l’idée d’un socialisme à l’américaine. Ce GND est porté par les courants les plus à gauche du Parti démocrate, qui acquièrent une audience de plus en plus importante depuis la campagne de Bernie Sanders lors des élections primaires des Démocrates en 2016. Voir Romaric Godin, « Quel socialisme pour le XXIe siècle », Mediapart, 14 août 2019. En ligne : https://www.mediapart.fr/journal/international/140819/quel-socialisme-pour-le-xxie-siecle
[3] https://www.nytimes.com/2019/07/24/world/europe/record-temperatures-heatwave.html
[4] https://www.usnews.com/news/best-states/articles/2019-07-24/record-breaking-heat-fuels-alaska-wildfires
[5] https://www.theguardian.com/world/2019/jul/09/glacial-melting-in-antarctica-may-become-irreversible
[7] https://www.vox.com/energy-and-environment/2019/4/22/18510518/green-new-deal-fox-news-poll
[8] http://filesforprogress.org/memos/the_green_new_deal_is_popular.pdf
[9] https://www.vox.com/energy-and-environment/2019/4/22/18510518/green-new-deal-fox-news-poll
[10] https://twitter.com/realDonaldTrump/status/1094375749279248385
[23] Note de traduction. Le LIUNA représente principalement des travailleurs des secteurs de la construction, du BTP et de l’énergie.
[39] NDT. Les « conseils du travail » américains sont des structures interprofessionnelles territoriales, rassemblant donc les syndicats présents dans différents secteurs d’activités. Bien qu’ils présentent des spécificités nationales, ce sont des structures qui peuvent être comparées aux « Unions locales » française.
[51] NDT. Contrairement à la situation française où le lien entre « religion » et « écologie » est fréquemment assimilé à une position conservatrice, l’implication de communautés ou associations religieuses dans les luttes environnementales est un phénomène plutôt marqué « à gauche » aux Etats-Unis. En effet, le mouvement pour la justice environnementale américain est né dans la foulé du mouvement des droits civiques, en livrant une critique des grandes organisations environnementalistes américaines (comme le Sierra Club) selon laquelle ces organisations étaient incapables de lier la question écologique à des enjeux de justice sociale et de lutte contre les discriminations raciales. Tout comme le mouvement pour les droits civique, l’animation du mouvement pour la justice environnementale bénéficiait largement de la mobilisation de communautés religieuses locales.