« Assistés », vous avez dit « assistés » ? – Anti-K

Par Isabelle This Saint-Jean - Economiste et femme politique (PS)

Parmi le florilège des vieilles rengaines réactionnaires qui saturent le débat public, celle de la nécessité de « renforcer les contrôles sur les chômeurs » occupe une place centrale. N’est-ce pas d’ailleurs une simple idée ; style="margin: 0px; padding: 0px; border: 0px; font-style: inherit; font-variant: inherit; font-weight: 600; font-stretch: inherit; font-size: inherit; line-height: inherit; font-family: inherit; vertical-align: baseline; color: rgb(155, 3, 2); text-decoration: none;" target="_blank">de « bon sens », puisque, souvenons-nous, « il suffit de traverser la rue » pour trouver un emploi et qu’en outre, toute cette histoire nous coûte « un pognon de dingue » ?

Réduisant le chômage à une question de responsabilité individuelle, ces préjugés véhiculent implicitement l’idée qu’en tout chômeur sommeille un « tricheur », prêt à mentir sur la réalité de sa recherche d’emploi et donc sur son statut (puisque « la recherche active d’emploi » constitue l’un des ; style="margin: 0px; padding: 0px; border: 0px; font-style: inherit; font-variant: inherit; font-weight: 600; font-stretch: inherit; font-size: inherit; line-height: inherit; font-family: inherit; vertical-align: baseline; color: rgb(155, 3, 2); text-decoration: none;" target="_blank">trois critères qui définissent aujourd’hui le chômage), et, ce, afin de bénéficier de manière indue d’un système d’indemnités trop généreux.

Ces inepties ont été au cœur de l’argumentation déroulée par Emmanuel Macron et son gouvernement afin de tenter de justifier sa réforme de l’assurance chômage. Cette réforme, unanimement dénoncée par toutes les organisations syndicales et les partis politiques de gauche, les chômeurs en payeront le prix fort. Bien sûr, les extrêmes droites et la droite dite républicaine dans leur course à l’échalote populiste ne sont pas en reste dans la surenchère démagogique. Dans la lignée d’un Laurent Wauquiez en 2011et de son « cancer de l’assistanat », c’est donc « Sus à l’assistanat », au nom de « la valeur travail » et du « mérite »… naturellement !

D’abord une épreuve

Face à cela, faut-il rappeler les innombrables travaux de recherche et les multiples données qui attestent du fait que le chômage constitue d’abord une épreuve1 pour celles et ceux qui le subissent ? Ainsi en 2019, vous aviez ; style="margin: 0px; padding: 0px; border: 0px; font-style: inherit; font-variant: inherit; font-weight: 600; font-stretch: inherit; font-size: inherit; line-height: inherit; font-family: inherit; vertical-align: baseline; color: rgb(155, 3, 2); text-decoration: none;" target="_blank">2,6 fois plus de risque d’être pauvre si vous étiez au chômage (près de 40 % des chômeurs étaient pauvres). Plus des deux tiers subissaient une situation dite de ; style="margin: 0px; padding: 0px; border: 0px; font-style: inherit; font-variant: inherit; font-weight: 600; font-stretch: inherit; font-size: inherit; line-height: inherit; font-family: inherit; vertical-align: baseline; color: rgb(155, 3, 2); text-decoration: none;" target="_blank">« privation matérielle et sociale » (c’est-à-dire que pour des raisons financières, elles ne pouvaient pas faire face aux dépenses de la vie courante, comme chauffer son logement ou acheter des vêtements neufs)2. Les chômeurs représentaient plus d’un tiers des adultes en situation de « grande pauvreté » (; style="margin: 0px; padding: 0px; border: 0px; font-style: inherit; font-variant: inherit; font-weight: 600; font-stretch: inherit; font-size: inherit; line-height: inherit; font-family: inherit; vertical-align: baseline; color: rgb(155, 3, 2); text-decoration: none;" target="_blank">un cumul entre la pauvreté monétaire au seuil de 50 % et des « privations matérielles et sociales sévères »). La même année, leur revenu disponible annuel moyen, comme médian, était presque ; style="margin: 0px; padding: 0px; border: 0px; font-style: inherit; font-variant: inherit; font-weight: 600; font-stretch: inherit; font-size: inherit; line-height: inherit; font-family: inherit; vertical-align: baseline; color: rgb(155, 3, 2); text-decoration: none;" target="_blank">deux fois plus faible que celui des actifs occupés et bien inférieur même à celui des inactifs.

Le chômage a de lourds impacts psychologiques et sociaux et il est souvent associé à un sentiment, plus ou moins accusé, de honte et de culpabilité

Par ailleurs, depuis l’étude pionnière réalisée en 1931 sous la direction de Paul Lazarsfeld, d’innombrables travaux en sociologie montrent que pour la très grande majorité des individus, le chômage a de lourds impacts psychologiques et sociaux et qu’il est « souvent associé à un sentiment, plus ou moins accusé, de honte et de culpabilité, qui pousse à réduire ses activités sociales, à restreindre ses contacts avec autrui, à dissimuler sa condition »3. Les chômeurs subissent, pour reprendre les mots de Pierre Bourdieu, « ce terrible repos qui est celui de la mort sociale » et cette « expérience de la déréliction »4. Les chiffres de la surmortalité et des problèmes de santé, y compris mentale, auxquels font face les chômeurs sont glaçants5. Et nous pourrions multiplier les données qui dessinent un bien sombre tableau.

Un serpent de mer

Toutefois, ne faut-il pas surtout redire que le contrôle des chômeurs est, pour reprendre le titre d’un article du Point (journal peu suspect de complaisance ici), ; style="margin: 0px; padding: 0px; border: 0px; font-style: inherit; font-variant: inherit; font-weight: 600; font-stretch: inherit; font-size: inherit; line-height: inherit; font-family: inherit; vertical-align: baseline; color: rgb(155, 3, 2); text-decoration: none;" target="_blank">« un serpent de mer » ? Non seulement, il existe déjà, mais il a même été constamment renforcé ou maintenu depuis des décennies par les différents gouvernements, notamment lors du second quinquennat de Jacques Chirac et encore plus avec celui de Nicolas Sarkozy et la « loi relative aux droits et devoirs des demandeurs d’emplois » portée par Laurent Wauquiez en 2008.

L’annonce faite par Emmanuel Macron lors de son allocution télévisée du 9 novembre de les augmenter encore de 250 000 en six mois (précisées récemment par le directeur général de Pôle emploi avec en particulier un raccourcissement de douze à trois mois de la période qui permet au demandeur d’emploi contrôlé ; style="margin: 0px; padding: 0px; border: 0px; font-style: inherit; font-variant: inherit; font-weight: 600; font-stretch: inherit; font-size: inherit; line-height: inherit; font-family: inherit; vertical-align: baseline; color: rgb(155, 3, 2); text-decoration: none;" target="_blank">de prouver sa recherche active d’emploi) ne sont donc qu’une étape supplémentaire de ce long processus. 400 000 contrôles ont ainsi été réalisés en 2019. Et pourtant les radiations administratives sont stables depuis des années (; style="margin: 0px; padding: 0px; border: 0px; font-style: inherit; font-variant: inherit; font-weight: 600; font-stretch: inherit; font-size: inherit; line-height: inherit; font-family: inherit; vertical-align: baseline; color: rgb(155, 3, 2); text-decoration: none;" target="_blank">entre 40 ; style="margin: 0px; padding: 0px; border: 0px; font-style: inherit; font-variant: inherit; font-weight: 600; font-stretch: inherit; font-size: inherit; line-height: inherit; font-family: inherit; vertical-align: baseline; color: rgb(155, 3, 2); text-decoration: none;" target="_blank">000 et 50 ; style="margin: 0px; padding: 0px; border: 0px; font-style: inherit; font-variant: inherit; font-weight: 600; font-stretch: inherit; font-size: inherit; line-height: inherit; font-family: inherit; vertical-align: baseline; color: rgb(155, 3, 2); text-decoration: none;" target="_blank">000 par mois depuis 2002). Ces dernières représentent moins de 8 % des sorties de listes au troisième trimestre 2021, chiffre lui aussi relativement stable sur la même période (entre 11 % et 8 %, hormis durant la crise sanitaire selon nos calculs).

Selon une étude de 2018 de Pôle emploi, en 2016 seuls 14 % de l’ensemble des demandeurs d’emploi contrôlés ont fait l’objet d’une sanction

Selon une ; style="margin: 0px; padding: 0px; border: 0px; font-style: inherit; font-variant: inherit; font-weight: 600; font-stretch: inherit; font-size: inherit; line-height: inherit; font-family: inherit; vertical-align: baseline; color: rgb(155, 3, 2); text-decoration: none;" target="_blank">étude de 2018 de Pôle Emploi, en 2016 seuls 14 % de l’ensemble des demandeurs d’emploi contrôlés ont fait l’objet d’une sanction (soit environ 20 000 demandeurs d’emploi) dont 60 % pour des demandeurs d’emplois non indemnisés. Ils représentaient donc moins de 0,7 % des personnes indemnisées (je vous fait grâce du pourcentage sur l’ensemble des demandeurs d’emplois!).  En outre la quasi-totalité de ces radiations (97 %) ont été prononcées pour une durée de 15 jours seulement et ont été suivies d’une réinscription du demandeur d’emploi dans les deux tiers des cas.

Selon un ; style="margin: 0px; padding: 0px; border: 0px; font-style: inherit; font-variant: inherit; font-weight: 600; font-stretch: inherit; font-size: inherit; line-height: inherit; font-family: inherit; vertical-align: baseline; color: rgb(155, 3, 2); text-decoration: none;" target="_blank">rapport de la Cour des comptes de septembre 2020, en 2019, le montant des « préjudices subis et évités au titre de fraudes » sur les allocations chômage (ARE) versées par Pôle emploi s’est élevé à 212 millions d’euros. Des chiffres à rapprocher ; style="margin: 0px; padding: 0px; border: 0px; font-style: inherit; font-variant: inherit; font-weight: 600; font-stretch: inherit; font-size: inherit; line-height: inherit; font-family: inherit; vertical-align: baseline; color: rgb(155, 3, 2); text-decoration: none;" target="_blank">des 37,6 milliards d’euros d’allocations versées cette année-là et qui font que ces préjudices (qui à 62 % concernent des reprises d’activité) représentent donc 0,56 % – moins de 1 % – du montant total des indemnités versées !

Et puisqu’on parle finances, faut-il souligner que sur les 144 milliards de dépenses publiques en faveur de l’emploi et du marché du travail, les « mesures de soutien du revenu », c’est-à-dire essentiellement les allocations chômage (45,4 milliards d’euros dont 37,6 milliards d’euros pour l’allocation de retour l’emploi (ARE) et 3,6  milliards d’euros pour l’allocation spécifique de solidarité), représentent moins d’un tiers (31,5 %) ? 75,2 milliards sont dédiés aux mesures d’« incitations à l’embauche » pour les entreprises dont 60,5 milliards de mesures d’allègement du coût du travail : 27 milliards pour l’allègement sur les bas salaires et 22 milliards pour ; style="margin: 0px; padding: 0px; border: 0px; font-style: inherit; font-variant: inherit; font-weight: 600; font-stretch: inherit; font-size: inherit; line-height: inherit; font-family: inherit; vertical-align: baseline; color: rgb(155, 3, 2); text-decoration: none;" target="_blank">la réduction du taux de cotisation maladie (bascule du CICE). Assistés, vous avez dit assistés ?…

• ; style="margin: 0px; padding: 0px; border: 0px; font-style: inherit; font-variant: inherit; font-weight: 600; font-stretch: inherit; font-size: inherit; line-height: inherit; font-family: inherit; vertical-align: baseline; color: rgb(155, 3, 2); text-decoration: none;" target="_blank">1.Terme utilisé notamment par Didier Demazière dans son ouvrage Sociologie des chômeurs, Editions La Découverte, Paris, 1995, 2006, p. 86 et sq.
• ; style="margin: 0px; padding: 0px; border: 0px; font-style: inherit; font-variant: inherit; font-weight: 600; font-stretch: inherit; font-size: inherit; line-height: inherit; font-family: inherit; vertical-align: baseline; color: rgb(155, 3, 2); text-decoration: none;" target="_blank">2.Au moins cinq items dans une liste de 13 : ; style="margin: 0px; padding: 0px; border: 0px; font-style: inherit; font-variant: inherit; font-weight: 600; font-stretch: inherit; font-size: inherit; line-height: inherit; font-family: inherit; vertical-align: baseline; color: rgb(155, 3, 2); text-decoration: none;" target="_blank">https://www.insee.fr/fr/statistiques/5759045
• ; style="margin: 0px; padding: 0px; border: 0px; font-style: inherit; font-variant: inherit; font-weight: 600; font-stretch: inherit; font-size: inherit; line-height: inherit; font-family: inherit; vertical-align: baseline; color: rgb(155, 3, 2); text-decoration: none;" target="_blank">3.D. Demazière, op. cit., p. 3.
• ; style="margin: 0px; padding: 0px; border: 0px; font-style: inherit; font-variant: inherit; font-weight: 600; font-stretch: inherit; font-size: inherit; line-height: inherit; font-family: inherit; vertical-align: baseline; color: rgb(155, 3, 2); text-decoration: none;" target="_blank">4.P. Lazarsfeld, M. Jahoda et H. Zeisel, Les Chômeurs de Marienthal, éditions de Minuit, « Documents », 1981 ( traduction de « Die Arbeitslosen von Marienthal », 1933); texte réédité in Le Monde diplomatique, juin 2003 ; style="margin: 0px; padding: 0px; border: 0px; font-style: inherit; font-variant: inherit; font-weight: 600; font-stretch: inherit; font-size: inherit; line-height: inherit; font-family: inherit; vertical-align: baseline; color: rgb(155, 3, 2); text-decoration: none;" target="_blank">https://www.monde-diplomatique.fr/2003/06/BOURDIEU/10178
• ; style="margin: 0px; padding: 0px; border: 0px; font-style: inherit; font-variant: inherit; font-weight: 600; font-stretch: inherit; font-size: inherit; line-height: inherit; font-family: inherit; vertical-align: baseline; color: rgb(155, 3, 2); text-decoration: none;" target="_blank">5.Pour une bonne synthèse voir : P. Meneton, M. Plessz, É. Courtin, C. Ribet, M. Goldberg et M. Zins, « Le chômage : un problème de santé publique majeur », La revue de l’IRES, n°91-92, jan. 2018, ; style="margin: 0px; padding: 0px; border: 0px; font-style: inherit; font-variant: inherit; font-weight: 600; font-stretch: inherit; font-size: inherit; line-height: inherit; font-family: inherit; vertical-align: baseline; color: rgb(155, 3, 2); text-decoration: none;" target="_blank">http://www.ires.fr/index.php/publications-de-l-ires/item/5581-le-chomage-un-probleme-de-sante-publique-majeur