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Sur la catastrophe en cours et comment s’en sortir
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Sur la catastrophe en cours et comment en sortir (lundi.am)
Serge Quadruppani & Jérôme Floch
Si l’épidémie de Covid a pu temporairement dérouter les gouvernements du monde entier, elle n’en a pas moins désorienté les forces subversives. Qu’elle serve désormais ouvertement de cheval de Troie aux pires poussées réactionnaires autant qu’à l’instauration de dispositifs de contrôle inédits n’est pas surprenant, ce qui l’est davantage c’est l’hébétude dont nous ne parvenons pas à sortir nous-mêmes. Dans ce texte, Serge Quadruppani, Jérôme Floch et quelques autres proposent de recenser ce qui jusqu’à présent fait diversion, les faux amis comme les mauvaises oppositions. Une tentative humble mais salutaire d’y voir clair.
La création par Macron, pour des raisons purement électoralistes, d’un nouvel ennemi intérieur sous la figure du « non-vacciné » est l’ultime étape d’une manipulation où nous sommes tous, d’une manière ou d’une autre, tombés.
Rappelons que c’est ce même Macron qui, au moment d’annoncer le premier confinement, le 12 mars 2020, preuve s’il en est du désarroi qui serpentait alors parmi les dirigeants du monde, en était arrivé à déclarer : « Mes chers compatriotes, il nous faudra demain tirer les leçons du moment que nous traversons, interroger le modèle de développement dans lequel s’est engagé notre monde depuis des décennies et qui dévoile ses failles au grand jour, interroger les faiblesses de nos démocraties. Ce que révèle d’ores et déjà cette pandémie, c’est que la santé gratuite sans condition de revenu, de parcours ou de profession, notre Etat-providence ne sont pas des coûts ou des charges mais des biens précieux, des atouts indispensables quand le destin frappe. Ce que révèle cette pandémie, c’est qu’il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché. Déléguer notre alimentation, notre protection, notre capacité à soigner notre cadre de vie au fond à d’autres est une folie. »
Ce bref accès de lucidité ayant été rapidement surmonté, le gouvernement s’est orienté ensuite sur l’essentiel de sa tâche, à savoir relancer la machine économique. Rien d’étonnant à cela, les gouvernants font ce pour quoi ils ont été placés au gouvernail. On est davantage impressionné par le nombre de gens qui, plutôt que de se battre non contre ce qui a produit le virus – le productivisme et ses zoonoses, et ce qui a empêché de le contenir – l’absence de stratégie de prévention et la destruction de l’hôpital, embrayent sur la propagande gouvernementale en faisant porter désormais toute la responsabilité de la prolongation de la « crise sanitaire » sur les non-vaccinés, ces pelés ces galeux d’où viendrait tout le mal. C’est une réalité indéniable : celles et ceux qui aujourd’hui, majoritairement, remplissent les urgences, ne sont pas vaccinés [1]. Sous forme de tribunes et de déclarations à triples négations, on entend dire que non, on ne va pas s’abstenir de les réanimer, mais qu’enfin, la question devrait être posée. On en est donc à évoquer l’abolition du principe même pour lequel, dans le monde tel qu’il est, on aura toujours envie de défendre l’hôpital : le soin pour tous, que les malades se soient ou non conformés, avant la maladie, aux consignes des autorités médicales. Et comme à chaque fois qu’une exception s’imposerait au nom de l’urgence, son champ d’extension pourrait ensuite s’étendre à l’infini. Car sur cette pente, rien n’interdirait de poser un jour la question du niveau de soins à apporter à quiconque ne se serait pas montrés assez vertueux dans la gestion de son capital biologique : alcoolique, drogué, fumeur, conducteur ivre... Cette menace brandie d’apartheid hospitalier, si elle a peu de chance, dans l’immédiat, de se réaliser, aura au moins pour fonction, aux yeux de la grande majorité des citoyens, de stigmatiser une minorité qui, de son côté, va se sentir renforcée à ses propres yeux dans le rôle de l’unique rebelle radical au système. Le piège est grossier, il est énorme, il risque de marcher. Raison de plus pour le combattre.
Comme la harde poussée par les chasseurs-cueilleurs jusqu’au bord de la falaise, nous voilà à nous entre-regarder, pleins de peur et de hargne, et nous nous trouvons de bien mauvaises mines. Très loin de la splendeur que les bêtes sauvages savent conserver jusqu’à la fin, nous avons des siècles de domestication, d’exploitation et de passions mauvaises imprimés sur nos corps, nous voyons bien que l’ennemi est là, qui a dès longtemps troqué les lances et les arcs pour le flash ball et la propagande numérique. L’ennemi nous pousse vers le gouffre où nous attendent les décombres d’une civilisation déjà morte et qui ne le sait pas. La tentation est grande, pour ne pas y sombrer, d’y pousser les autres, de nous battre, de nous entredévorer. Mais un autre possible peut s’emparer de la harde : tourner le dos à l’abîme et foncer ensemble dans le tas.
C’est à ce changement d’orientation de nos affects que le présent texte voudrait contribuer.
COMPLOT DES COMPLOTISTES ET DES ANTI-COMPLOTISTES
C’est le pouvoir qui engendre le complotisme, en lui et face à lui. Qu’il s’agisse d’un pouvoir despotique, à la chinoise qui craint sans cesse que dans l’ombre on trame le renversement du trône, ou d’un pouvoir divisé en factions, à l’américaine, dont chacune craint les complots des autres, les détenteurs du pouvoir en Chinamérique (c’est-à-dire sur toute la planète) ne cessent de manœuvrer pour contrer ce qui les menace, dans la réalité ou dans leur tête. Comploter sans cesse et voir des complots partout, tel est le destin des gouvernants. On ne saurait donc trop se méfier des accusations de complotisme venant de journalistes enclins à reprendre les bobards du pouvoir. Des complots, il y en a eus, il y en a encore, il y en a plus que jamais. Il est patent, par exemple, que sur le marché électoral, le lancement du produit Macron naguère, comme celui tout récent de Zemmour ont été le résultat des calculs et des manigances de divers pouvoirs économiques, plus nombreux et variés pour le premier que pour le second (et c’est pourquoi, à la fin, il gagnera).
Dans la sphère qui commande à toutes les autres, l’ Economie (nom de code du capitalisme), on peut citer, entre mille autres exemples possibles, Total qui, ayant identifié voilà 40 ans le danger du réchauffement climatique lié aux activités extractives, a déployé toutes ses considérables énergies à le nier, Coca-Cola qui a dépensé depuis 2010, 8 millions d’euros rien qu’en France pour faire oublier les risques liés à ses boissons, ou les lobbies du glyphosate qui ont obtenu que le rapport préliminaire, sur lequel l’Europe devrait s’appuyer pour ré-autoriser l’utilisation de ce poison, exclue à peu près toute la littérature scientifique sur le sujet. On peut dire que ces puissances de l’industrie agro-alimentaire manigancent toutes dans l’ombre, à leur propre bénéfice et aux dépens du bien public : soit la définition même du complot [; id="nh2" style="box-sizing: border-box; background-color: transparent; color: rgb(0, 0, 0); text-decoration: none; font-weight: 700; background-image: linear-gradient(rgba(0, 0, 0, 0) 50%, rgba(0, 0, 0, 0.6) 50%); background-repeat: repeat-x; background-size: 2px 2px; background-position: 0px 21px;" target="_blank">2]. C’est sans doute autour des années 10 du 20e siècle qu’a été lancé pour la première fois sur une échelle mondiale une entreprise de déni à but lucratif, en l’occurrence autour des effets néfastes du plomb dans l’essence [3] : alors que les dits effets étaient connus, les grands groupes automobiles étatsuniens ont multiplié les intrigues, les ententes secrètes et les pressions, y compris judiciaires pour continuer à produire de l’essence plombée. Ils ont aussi stipendié des scientifiques, financé colloques et symposiums pour dire qu’après tout, c’était plus compliqué que ce qu’on croyait, que les études étaient contradictoires, etc. Ce vaste complot visant à organiser le déni a lancé un modèle qui a beaucoup servi ensuite aux industries de l’amiante, du nucléaire, du tabac, des pesticides… De même, les alliances occultes avec certains scientifiques ont permis aux industriels dont c’était l’intérêt, de contester et nier l’existence d’un réchauffement climatique lié aux activités humaines, pourtant démontré par la majorité des experts.
L’ÈRE DES FRANCHISSEMENTS
Il y a donc d’excellentes motifs pour qu’aujourd’hui soit si largement répandue la conviction qu’il existe des complots visant à capter l’autorité de la science médicale, pour la mettre au service d’intérêts étrangers au bien-être et à la liberté du plus grand nombre.
Conviction qui est une excellente raison pour trouver parfaitement légitime la méfiance à l’égard des annonces scientifiques autour de la Covid-19, et en particulier du vaccin, de sa nature et de son efficacité. A plus forte raison si on mesure ce qui été accompli, à l’échelle planétaire, au nom de l’autorité scientifique. On se permettra de rappeler encore une fois ce qu’on écrivait ici-même, dès le 10 février 2020, soit plus d’un mois avant l’annonce du premier confinement en France, à savoir que, le plus inquiétant, c’était de découvrir la « capacité de soumission massive » que le renfort de la légitimité scientifique permettait aux gouvernants de réveiller. On n’en finira pas de s’étonner de la promptitude et de la facilité avec laquelle, en quelques semaines, au printemps 2020, la moitié de la population du monde s’auto-enferma. Pour évaluer aujourd’hui le rapport que tout un chacun peut entretenir avec la connaissance scientifique, on ne peut perdre de vue le rôle qu’elle aura joué, bon gré mal gré, pour justifier une politique de la peur à l’échelle planétaire. [4] Ce mode de gouvernance reprend des techniques de contrôle déjà éprouvée dans l’antiterrorisme [5], les perfectionne, les fusionne, les étend spatialement et moléculairement.
Contrairement à ce qu’on avait pu espérer fin mars 2020,on n’a même pas commencé à tirer les leçons de ce que signifiait ce « franchissement jamais vu jusque-là du seuil d’acceptabilité des populations à l’égard des contraintes liberticides ». C’est qu’il conviendrait d’abord de le replacer dans la continuité de la séquence temporelle qui s’est ouverte à la fin du XXe siècle, avec le triomphe planétaire de l’ultralibéralisme, séquence qu’on peut caractériser comme l’ère des franchissements. Tandis que le réchauffement climatique franchissait un seuil dans la course à l’irréversible, la déforestation et l’élevage industriel entraînaient à une échelle jamais vue le franchissement des barrières inter-espèces avec le résultat qu’on sait en termes de pandémies. Dans le même temps, le caractère toujours plus invasif des techniques de contrôle est venu apporter au gouvernement des humains l’équivalent de leur rapport à la nature. Prolongeant un rapport au non-humain construit depuis des siècles sur le modèle de l’invasion, les politiques de la peur et les paniques morales, alliées à la conquête numérique de l’attention et de l’émotion, ont permis le franchissement des anciennes garanties imposées par quelques révolutions au despotisme étatique. De même que les franchissements opérés dans la guerre à la nature étaient toujours présentés aux noms de raisons acceptées comme excellentes (nourrir ceux qui ont faim, créer des emplois, répondre aux « besoins d’énergie », aller plus vite…) la création de fichiers ADN, au nom du traçage des criminels sexuels, l’état d’urgence pour combattre les terroristes, en attendant l’abolition de la prescription pour punir les pédocriminels : chacun de ces franchissements-là aura été effectué en désignant un ennemi absolument et effectivement indéfendable. Mais c’était à chaque fois un nouveau champ des possibles qui s’ouvrait, pour la « justice infinie » et les exactions sécuritaires. Le plus inquiétant dans ces franchissements, c’est qu’au nom des raisons sur le moment avancées, l’immense majorité des humains, les ont massivement acceptés.
Le rôle de la science dans l’acceptation des franchissements doit d’autant plus être remis en cause que, parmi les explications de l’origine de la pandémie de SARS CoV-2, l’hypothèse d’une fuite de laboratoire a de solides arguments en sa faveur, et qu’elle est même désormais soutenue par beaucoup de scientifiques. [6] Quelle que soit la vérité sur les origines de la pandémie, qu’on ne connaîtra peut-être jamais, les interrogations à ce sujet ont fait apparaître une réalité indiscutée, et lourde de menaces pour l’avenir : dans maints laboratoires à travers le monde, on trafique les virus pour les rendre, sinon plus virulents, du moins plus contagieux – dans l’intérêt de la recherche scientifique et pour une plus grande efficacité des futurs vaccins, c’est entendu [7]. Voilà une occasion où se pose de manière particulièrement urgente la question qu’on aurait pu davantage imposer à propos de technologies menaçant de devenir folles, comme celles du nucléaire, de l’interconnexion des objets (et sa 5G), des nanotechnologies… : quand allons-nous nous décider à débrancher ces Dr. Frankenstein ?
On aurait donc toutes les raisons d’écouter la question que pose Fabrice Lamarck, membre du groupe Grothendieck [8], dans son interview à La Décroissance, à propos des vaccins à ARN messager : « Quel saut dans la ‘chosification’ de l’humain – l’humain traité comme une machine vivante à améliorer – avons-nous franchi avec ces technologies vaccinales ? »
Tant de confusion dans les têtes, tant de désaccords entre (ex)amis, tant de tristesse et d’affects handicapants, tant de paranoïa, tout cela qui définit l’humeur collective présente ne tiendrait-il pas à ça : l’appréhension d’un nouveau franchissement, le sentiment qu’on va faire, ou qu’on a déjà fait un saut… mais dans quel gouffre ?
LA SCIENCE ET NOUS
On a pourtant aussi toutes les raisons d’écouter le cri de rage d’un ami infirmier, à qui j’ai fait lire l’interview de Lamarck : « Je voudrais surtout pas tomber dans le pathos, mais le subjectif est là, et je vais pas le refouler : quand tu as vu des personnes âgées qui ont un nom : Marthe, Francis, Suzanne, Mario, Huguette , Gilberte et tant d’autres, magnifiques, qui ne demandaient qu’à finir leurs vies tranquilles, sereines et entourées, partir en 24 heures, emballées dans des housses mortuaires, sans préparation, sans que leurs proches ne puissent les voir, ne serait-ce qu’une dernière fois, quand tu as vu tes collègues infirmières et aides-soignantes, pourtant pleines d’expérience, et qui savent tenir la « bonne distance » professionnelle avec la mort, te tomber dans les bras et pleurer de détresse, que tu as vu toute l’équipe soignante aller au tapis, frappée de plein fouet par le virus, et les rares soignantes encore valides rester à poste 18h sur 24, que tu as vu le quart des personnes prises en charge mourir en une semaine, les poumons bouffés par le virus, et qu’il s’en fallait à peine d’un mois pour que des vaccins soient disponibles... alors le gus qui te déclare, du haut de son Olympe conceptuel : « c’est la porte ouverte à la modification moléculaire de l’humain », tu as juste envie de lui hurler : « ta gueule, connard ! Tu n’as aucune idée de ce dont tu parles... ! » C’est con, hein ? »
Non, c’est pas con, et d’autant moins que c’est assorti d’une critique des affirmations lamarckienne qui peut s’avérer fort utile pour dissiper les fantasmes attachés à ce vaccin à ARNm souvent au cœur des argumentaires antivax. « Bien, alors le truc affreux [d’après Lamarck] ce seraint ces vaccins à ARN messager modifié « enrobés dans un vecteur complètement artificiel ». Le mot est lâché : « artificiel », sûrement opposé à « naturel ». Ne relevons même pas que bien des produits artificiels se sont révélés forts utiles, et que nombre de produits naturels peuvent être extrêmement nocifs. Le truc ici consiste à faire peur : c’est « artificiel » ! Pas bon ça ! Le vecteur en question est une microparticule avec 4 lipides (dont du cholestérol), 4 sels (chlorures de sodium, de potassium, dihydrogénophosphates de sodium, de potassium), du sucre (saccharose) et de l’eau... (c’est presque Bio !) Non, faut que ça fasse peur ! Car nous disent-ils tout ça « est injecté massivement depuis décembre 2020 sans tests cliniques suffisants tant sur l’innocuité que sur l’efficacité ». C’est évidement faux, les essais de phase I, II, et III ont bien eu lieu, et si la phase III se poursuit c’est pour étudier les effets secondaire inattendus, la durée de protection induite par la production d’anticorps et la mémoire immunitaire induite, et d’envisager le calendrier vaccinal de rappels le cas échéant … à ce jour près de 8 milliards de doses de vaccins contre la Covid ont été administrées, et près de 55% de la population mondiale a reçu au moins une dose (dont seulement 6% dans les pays pauvres). Jamais dans l’histoire des traitements et vaccins il n’y a eu une telle surveillance de pharmacovigilance. »
Et jamais peut-être il n’a été aussi important d’éclaircir nos rapports avec la science en général, et avec la science médicale en particulier. L’humeur antivax est ancienne, en particulier dans des milieux où les ennemis du capitalisme se recrutent en grand nombre. Au risque de déplaire à bien des amis ou des alliés, disons-le sans détour : cette humeur repose pour l’essentiel sur des fantasmes sans fondement. Deux reproches principaux ont alimenté longtemps le refus de la vaccination, et, malgré tous les démentis, ont resurgi à la faveur de celle contre le Covid : son lien avec l’autisme et les accidents consécutifs à la présence d’aluminium. La première rumeur, qui eut d’abord les honneurs du Lancet, a ensuite été démentie et il s’est avéré que celui qui l’avait lancée était un escroc. Quant à la seconde, s’il est vrai que de l’aluminium a bien été ajouté à certains vaccins pour les booster, et que ce métal a, dans quelques cas, déclenché des réactions locales à l’endroit de l’injection, il n’a jamais entraîné d’accidents graves. [9]
Chez beaucoup de nos amis et de nos alliés prévaut une méfiance de principe à l’égard de la science en général et de la médecine standard en particulier. Une fois encore, disons que cette méfiance a bien des motifs légitimes. Mais il nous faut plus que des tisanes au miel si l’on veut prétendre instaurer un rapport critique à la connaissance scientifique de notre temps, en d’autres termes la science produite par la société capitaliste.
Deux particularités des vaccins anti-covid ont particulièrement alimenté les fantasmes : la rapidité effectivement jamais vue jusque-là avec laquelle ils ont été développés, autorisés et mis sur le marché, et la technique de l’ARN messager. Depuis au moins la Seconde Guerre mondiale, qui nous apporta la fabrication industrielle de pénicilline et le nucléaire, un fait n’est plus à démontrer, c’est la capacité du capitalisme à tirer profit des catastrophes qu’il provoque pour développer en un temps record de nouvelles techniques en gestation avant le cataclysme, et les faire passer au stade de la production à grande échelle. Si la mise sur le marché d’un vaccin à ARN messager est bien une nouveauté, cette technique, qui était étudiée depuis trente ans n’est pas une innovation surgie de nulle part. Et, comme le signale l’INSERM, « l’ARN injecté via le vaccin contre la Covid n’a aucun risque de transformer notre génome ou d’être transmis à notre descendance, dans la mesure où il pénètre dans le cytoplasme des cellules, mais pas dans le noyau. Cette donnée est confirmée par 30 ans de recherche plus générale en laboratoire sur les vaccins à acides nucléiques, qui confirment que les molécules d’ARN du vaccin ne se retrouvent jamais dans le noyau. Or, c’est dans ce noyau cellulaire que se situe notre matériel génétique. Même après l’injection du vaccin, lors de la division cellulaire, les noyaux continuent à ne contenir que notre ADN humain naturel. Par ailleurs, l’injection est locale et les cellules qui reçoivent l’ARN codant la protéine Spike sont principalement des cellules immunitaires : en aucun cas l’ARN ne va jusqu’aux cellules des organes reproducteurs (les gonades). Il ne peut donc pas être transmis d’une génération à l’autre. Enfin, l’ARN étranger injecté est instable et ne reste donc pas longtemps dans l’organisme : il produit juste ce qu’il faut de protéine Spike pour entraîner le système immunitaire à réagir en cas d’infection « naturelle » par le virus, avant d’être éliminé. »
Il y a une industrie pharmaceutique, colossale, surpuissante. Elle s’accapare et privatise la recherche [10] et étend toujours plus sa mainmise sur les soins cliniques. Ce qu’elle dépense annuellement en lobbying doit bien équivaloir au PIB d’une poignée de pays entiers. Il suffit parfois de faire ajouter un symptôme à une pathologie dans le DSMIV pour que tout à coup, le public cible d’un médicament soit multiplié par 10 ou 100 ; et donc les profits qui vont avec.
On se gardera pourtant de reprendre à notre compte le vocable de « Big Pharma ». Pas seulement parce qu’on le retrouve systématiquement dans des bouches qui ont très mauvaise haleine, — est-ce un hasard ? — mais parce qu’il charrie une vision simpliste de ce à quoi nous faisons face et ne permet donc pas d’en saisir la complexité, les dynamiques et les rouages. « Big Pharma » est à l’ère des gouvernements biopolitiques revendiqués ce qu’était le mythe des deux cents familles au XIXe siècle. Il n’y a pas plus de gouvernement mondial secret que de Big Pharma, ce à quoi nous faisons face c’est à une coalition d’intérêts qui opèrent et prospèrent au sein d’un ordre du monde et d’une organisation sociale organisés par et pour eux. Il y a donc fort à parier que, à l’instar de toutes les structures étatiques, l’INSERM ne soit pas à l’abri de du lobbying général des grandes compagnies pharmaceutiques comme de l’influence de telle ou telle d’entre elles. Mais c’est justement parce qu’il s’agit d’une coalition d’intérêts particuliers et non pas d’une entité monolithique, qu’on peut compter sur l’existence de contradictions en son sein. Peut-on imaginer que s’il existait le moindre soupçon d’effets secondaires néfastes avec l’ARN, Johnson&Johnson et Astrazeneca les concurrents sans ARN, épargneraient leurs rivaux d’une intense campagne de lobbying pour effrayer la population et récupérer tout le marché ? Et comment s’expliquer, sous le règne omnipotent de « Big Pharma » et du déjà un peu ancien « nouvel ordre mondial » que les stratégies sanitaires, idéologiques et politiques aient étaient aussi radicalement différentes des Etats-Unis à la France, d’Israël au Brésil, de la Suède à la Chine ?
S’il y a une réalité qu’aura démontré la crise de la Covid, c’est que les gouvernants peuvent demander beaucoup en termes de sacrifices à leurs gouvernés, au nom de leur survie biologique. Mais que cette dernière soit manifestement et massivement mise en danger, et la docilité ne pourrait plus être assurée : même le Parti communiste chinois, malgré une capacité sans équivalent à imposer sa vérité à sa population, ne se risquerait pas à répandre un vaccin sur son territoire, et a fortiori à diffuser dans le reste du monde, en sachant qu’il risque d’entraîner des effets secondaires graves.
La vérité est à la fois beaucoup plus simple et complexe. Face à la pandémie, à la profondeur de ce qu’elle venait remettre en cause et au risque qu’elle faisait peser soudainement sur l’économie mondiale, les gouvernants ont paniqué. Et c’est cela que leurs litanies de mensonges devaient recouvrir, alors que tout leur pouvoir repose sur leur prétention à gérer et anticiper, ils ont dû bricoler, dans un premier temps du moins. Non pas pour sauver des vies mais pour préserver leur monde de l’économie. Au moment même où les appareils gouvernementaux de toutes les plus grandes puissances mondiales connaissaient leur plus grande crise de légitimité, certains ont voulu y voir le complot de leur toute puissance. Le complotiste aime les complots, il en a besoin, car sans cela il devrait prendre ses responsabilités, rompre avec l’impuissance, regarder le monde pour ce qu’il est et s’organiser.
FAUT-IL CROIRE À LA SCIENCE OU BIEN À RENARD BUTÉ ?
Connaissez-vous Renard Buté ? Au vu des 10 à 12 000 vues que collectionnent ses vidéos sur YouTube, de ses 3300 abonnés sur Odysee et 8800 sur Facebook, ce personnage est un influenceur parmi tant d’autres de la sphère antivax. Supprimée par YouTube, sa vidéo intitulée « Résistance » reste accessible sur Odysee. D’autres de lui restent disponibles sur YT, dont l’une qui reprend le gros bobard des 25 000 morts provoqués par la vaccination. Dans ses productions, on voit défiler les gourous antivax Perronne, Fouché, Henrion-Caude, Velot, De Lorgeril, reprenant en boucle les mêmes arguments et les mêmes mensonges, déformations, infos biaisées, mélangées, pour certains (Fouché) à des considérations parfaitement justes sur l’usage biopolitique du passe sanitaire - tout comme il peut arriver aux trumpistes de viser juste en dénonçant la collision entre la Big Tech et les Démocrates : la force de ces gens- là tient aussi à la présence, dans ce qu’ils racontent, de ce que Wu Ming 1 appelle des « noyaux de vérité ».
Dans la vidéo « La Résistance », dont le titre est illustré sans honte par des images de la seconde guerre mondiale, le Chant des Partisans en ouverture et Bella Ciao à la fin, on voit défiler les gourous anti-vax sus-cités. Renard Buté y nomme l’ennemi suivant le vocabulaire typique de QAnon : c’est l’ « Etat profond » et les « sociétés secrètes », il nous dit que le vaccin tue, que c’est un génocide qui est en cours, et qu’il faut s’y opposer par toutes sortes de moyens. La vidéo semble vouloir rallier les différentes chapelles antivax, de Réinfocovid au CNTf (organisation délirante, mêlant islamophobie, revendication du revenu garanti et permaculture, et partisane de rapatrier les troupes françaises pour… surveiller les frontières contre la « crise migratoire » et les banlieues), et après un appel à la fraternisation avec l’armée et la police (thème de prédilection du CNTf) débouche sur un autre appel… à la constitution d’une nouvelle banque qui serait entre les mains du peuple. Tout cela se mêle à des thèmes qui peuvent paraître pertinents aux yeux d’opposants radicaux au capitalisme : l’autonomie comme projet de vie, la manière de s’organiser et de faire des manifestations moins contrôlables, la démocratie directe… autant de thèmes et revendications qui pourraient sortir de bouches amies, voire des nôtres. Que ce genre de salmigondis touche pas mal de gens qui pourraient être des alliés, et que des amis proches puissent éventuellement avoir de l’indulgence pour ce genre de Renard fêlé, nous paraît un signe de l’ampleur de la secousse que la crise du Covid a provoquée dans les cerveaux.
La panique sert toujours le pouvoir autant que les faux prophètes. Sur ce point, ce à quoi on assiste depuis deux ans et ce jusque parmi les forces dites révolutionnaires est accablant. En réponse à l’incertitude générale et légitime, aux conditions déconcertantes et à la situation inédite, à une situation ouverte, donc, on a vu se refermer des tombereaux de certitudes crispées et surjouées. Toutes les polarisations des milieux politiques déjà exsangues se sont remobilisées dans une version encore plus caricaturale et autiste d’elle-même. On a vu des de gauche réclamer l’obligation vaccinale des réfractaires, des contempteurs de la biopolitique soutenir bec et ongle le directeur d’un IHU, des humanistes taxer les manifestants anti-passe de sous-humains, des philosophe réputés pour leur clairvoyance boire la soupe des premiers charlatans venus. A l’incertitude générale, certains ont répondu par une politique du coup de volant. En voulant éviter le premier platane, ils sont allés se planter dans le mur d’en face.
LA PEUR, LA PEUR, LA PEUR…
Parmi les batailles tranchées qui ont eu lieu ces derniers mois sur les réseaux sociaux, celles qui ont certainement provoqué le plus grand nombre d’entorses de l’index tournaient autour des manifestations contre le passe sanitaire et/ou la vaccination. S’agissait-il d’une irruption spontanée et populaire de citoyens sincères qui refusent cette mesure de contrôle social (tout le monde avait les gilets jaunes en tête) ou bien avions nous à faire à des complotistes proto-fascistes antisémites, homophobes et illuminés (tout le monde avait la manif pour tous en tête) ? Comme à chaque fois qu’elle se sent dépassée par les évènements, ce qui arrive souvent, « la gauche » s’est surtout concentrée sur la distribution de bons et de mauvais points. Des cases, vite et à tout prix, que l’on mette cette populace dedans et que l’on puisse retrouver fissa le confort moral avec lequel on embaume le cadavre depuis si longtemps.
Les uns y ont donc vu des hordes de mini Bolsonaro revendiquant une liberté individuelle en toc, celle de croire à tout et n’importe quoi et de s’en foutre royalement des amoncellements de cadavres dans les hôpitaux. Les autres y décelaient une saine réticence au contrôle biopolitique et à la rationalité sanitaire aberrante, responsables en premier lieu de l’épidémie en question. Étrangement, personne ne semblait imaginer que ces manifestations pouvaient être tout cela à la fois et contenir des tendances très hétérogènes selon les moments mais surtout les villes où elles se tenaient.
Certes, une fois que l’on a qualifié ce « mouvement » de complexe, contradictoire et « impur », on n’en a pas dit grand-chose. Quelques lecteurs ont très vivement réagi à la publication d’un article sur Lundi Matin à propos de Louis Fouché, docteur-réanimateur marseillais, soutien de Didier Raoult, colibriste et principale figure du mouvement réinfo-covid, très populaire dans les milieux antivax. L’article en question, par-delà un ton dénonciateur un peu fatiguant, ne faisait pourtant qu’énumérer les très nombreuses accointances du Fouché en question avec toutes sortes de figures de l’extrême droite française. En rabattant son refus « naif » et donc sympathique de la biopolitique sur les vieilles lignes de partage de la politique classique, Lundi Matin se faisait le complice de la gouvernementalité biopolitique et de la dictature sanitaire...
Sur ce point se dessine un vrai désaccord. Pas de principe, au nom d’un antifascisme abstrait et idéologique incapable de percevoir ce qui bouge chez les gens ; on se souvient parfaitement de tous ceux qui hurlaient pendant des semaines que les gilets jaunes étaient d’extrême droite avant de ravaler discrètement leur chapeau. Le désaccord porte sur la texture éthique de ce qui agrège ce mouvement.
On a tendance, dans notre tradition très hégélienne de l’ultragauche à considérer que tout ce qui est négatif est intrinsèquement bon. Comme si par la magie de l’Histoire, la contestation de l’ordre des choses produisait automatiquement et mécaniquement la communauté humaine disposée à un régime de liberté supérieur. Pourtant, lorsque l’on se penche sur la nébuleuse anti-vaccin, c’est-à-dire sur les influenceurs et porte-paroles qui captent l’attention sur les réseaux sociaux, organisent et agrègent les énoncés et les rassemblements, on s’aperçoit qu’une écrasante majorité baigne depuis de longues années dans l’extrême droite la plus bête et la plus rance. Militaires à la retraite, invités hebdomadaires de radio courtoisie, lobbyistes contre les violences féminines (oui, oui...), il suffit de passer une heure à « googliser » ces porte-paroles autoproclamés pour avoir une idée assez précise des milieux dans lesquels ils grenouillent. Certes, on pourrait être magnanimes et essayer d’imaginer que l’épidémie de Covid ait pu transformer de telles raclures en généreux camarades révolutionnaires mais comment s’expliquer que les seules caisses de résonances que trouvent leurs théories alternatives sur le virus et l’épidémie soient Egalité et Réconciliation, Sud Radio, France Soir, Florian Phillipot, on en passe et des pires ? En fait, si on se peut se retrouver d’accord sur des énoncés formels, on bute bien vite sur un point fondamental, c’est-à-dire éthique : la manière dont on est affecté par une situation et à la façon que l’on a de se mouvoir en son sein. En l’occurrence, ce qui rend tous ces « rebelles » anti-macron aussi compatibles avec la fange fasciste c’est l’affect de peur paranoïaque qu’ils charrient et diffusent et qui sans surprise résonne absolument avec une longue tradition antisémite, xénophobe, etc. Et c’est là que l’on peut constater une différence qualitative énorme avec le mouvement gilets jaunes. Eux, partaient d’une vérité éprouvée et partagée : leur réalité matérielle vécue comme une humiliation. C’est en se retrouvant, sur les réseaux sociaux puis dans la rue, qu’ils ont pu retourner ce sentiment de honte en force et en courage. Au cœur du mouvement antivax se loge une toute autre origine affective, en l’occurrence la peur, celle qui s’est distillée des mois durant. La peur d’être contaminé, la peur d’être malade, la peur de ne plus rien comprendre à rien ; que cette peur du virus se transforme en peur du monde puis du vaccin, n’a finalement rien de surprenant [11]. Mais il nous faut prendre au sérieux cette affect particulier et la manière dont il oriente les corps et les esprits. On ne s’oriente pas par la peur, on fuit un péril opposé et supposé, quitte à tomber dans les bras du premier charlatan ou sauveur auto-proclamé. Il n’y a qu’à voir les trois principales propositions alternatives qui agrègent la galaxie antivax : Didier Raoult et l’hydroxychloroquine, Louis Fouché et le renforcement du système immunitaires, l’Ivermectine et le présumé scandale de son efficacité préventive. Le point commun de ces trois variantes et qui explique l’engouement qu’elles suscitent, c’est qu’elles promettent d’échapper au virus ou d’en guérir. Toutes disent exactement la même chose : « Si vous croyez en moi, vous ne tomberez pas malade, je vous soignerai, vous survivrez. » Mot pour mot la parole biopolitique du gouvernement, dans sa mineure.
La politique sanitaire gouvernementale et son opposition procèdent des mêmes ressorts intimes et convoquent exactement les mêmes logiques de légitimation. Ce n’est pas un hasard si, Francis Lalanne mis de côté, les principales figures du mouvement antivax sont des scientifiques ou se présentent comme experts. Provax et antivax, complotistes et anticomplotistes, ces couplages font système et suspendent la question pourtant cruciale d’un rapport à la santé commun et communiste, d’une sortie de la biopolitique.
Parce que le pouvoir n’a jamais été aussi technocratique, livide et inhumain, certains tendent une oreille bienveillante aux premiers charlatans venus leur chanter « le vivant ». Mais l’engrenage est vicieux et une fois qu’on a adhéré à une supercherie du simple fait qu’elle prétende s’opposer au gouvernement, on a plus d’autre choix que de s’y enferrer et d’y croire. Lors d’une discussion un lundisoir, une personne du public avait commis quelques blagues peu finaudes à propos d’antivax qui lècheraient des pierres pour se soigner du cancer, et cela a apparemment provoqué quelques susceptibilités. Le problème en l’occurrence, c’est que cette plaisanterie n’était caricaturale que dans sa généralisation certainement abusive. Il n’en est pas moins vrai qu’Olivier Soulier, cofondateur de Réinfocovid assure soigner l’autisme et la sclérose en plaque par des stages de méditation et de l’homéopathie, que ce même réseau promulguait des remèdes à base de charbon aux malheureux vaccinés repentis pour se « dévacciner ». Autre nom, autre star, Jean-Dominique Michel, présenté comme l’un des plus grands experts mondiaux de la santé, il se propulse dès avril 2020 sur les devants de la scène grâce à deux vidéos sur youtube dans lesquelles ils relativise l’importance et la gravité de l’épidémie, soutient Raoult et son elixir, et dénonce la dictature sanitaire à venir. Neurocoach vendant des séances de neurowisdom 101, il est membre d’honneur de la revue Inexploré qui assure soigner le cancer en buvant l’eau pure de l’une des 2000 sources miraculeuses où l’esprit des morts se pointe régulièrement pour repousser la maladie. Depuis, on a appris qu’il ne détenait aucun des diplômes allégués et qu’il s’était jusque là fait remarquer à la télévision suisse pour son expertise en football et en cartes à collectionner Panini. Ses « expertises » ont été partagées par des millions de personnes, y compris des amis et il officie désormais dans le Conseil Scientifique Indépendant, épine dorsale de Réinfocovid, première source d’information du mouvement antivax. Ces exemples pourraient paraître amusants et kitchs s’ils étaient isolés mais ils ne le sont pas.
L’enjeu ici n’est pas de distribuer les mauvais points mais d’assumer que les affects ne sont pas neutres. La peur n’est pas communiste, elle suscite la défiance de tous envers tous et prépare la réaction. C’est d’ailleurs qu’il nous faut partir, de ce qui nous lie plutôt que de ce qui nous glace.
Historiquement, ce qui a fait la rigueur, la justesse et la sincérité politique de notre parti, - et ce qui fait qu’il perdure-, c’est d’avoir toujours refusé de se compromettre avec les menteurs et les manipulateurs de quelque bord qu’ils soient, de s’être accrochés à une certaine idée de la vérité, envers et contre tous les mensonges déconcertants. Que le chaos de l’époque nous désoriente est une chose, que cela justifie que nous perdions tout repère et foncions tête baissée dans des alliances de circonstances en est une autre. Il n’y a aucune raison d’être plus intransigeant vis-à-vis du pouvoir que de ses fausses critiques.
QUE FAIRE DE LA SCIENCE ?
Nous, qui ne voulons ni du despotisme sanitaire d’un gouvernement qui décrète les restrictions de nos libertés en Conseil de Défense (c’est-à-dire exactement dans le moule de l’urgence antiterroriste), ni des délires dopés au numérique des antivax, nous devons nous poser la question : que faire de la Science, et plus particulièrement de la science médicale ? Pour répondre à cette question, on ne pourra certes pas se passer de la critique de la technoscience telle qu’elle s’est développée depuis les années 70 avec Ellul, Charbonneau, Castoriadis, Illich…
S’il y a bel et bien des savoirs scientifiques, il n’y a pas « la science » comme mode de raisonnement rationnel et objectif, homogène. La science et de surcroit dans le capitalisme avancé s’inscrit dans une certaine idée du monde et de la vie. C’est par l’instrumentalisation de la science que les forces techno-productives reconfigurent en temps réel notre quotidien.
Nous ne sommes pas prêts d’oublier que c’est justement la mise en mesure du monde, sa compartimentation proprement scientifique, son objectivation de chaque élément du monde qui a fini par faire de nous des choses, disposées à la gestion. Car c’est bien à cet endroit que nous nous retrouvons coincés : l’inventivité, la recherche, le soin, l’expérimentation, toutes ces caractéristiques du monde vivant, ont été colonisées, écrasées, reconfigurées et calibrées par le monde de l’économie. Pour tout ce qui ne rentre pas dans ce cadrage, pour toutes les tentatives d’un rapport autre au monde, on a laissé une « alternative », les queues de cerise contre le cancer, la méditation pour supporter ses collègues de travail, les OVNI fluo pour continuer à regarder les étoiles. Il y a tout un marché, lucratif et affectif, prêt à accueillir celles et ceux que le désenchantement du monde laisse exsangues.
La prégnance à l’intérieur des sciences d’un développement technique de plus en plus autonomisé, conjugant l’hubris technique, l’arrogance technocratique et la rentabilisation à court terme, a peut-être trouvé son illustration la plus spectaculaire depuis la bombe atomique, dans un laboratoire du côté de Wuhan – joint-venture américano-chinoise à quoi la France a apporté sa petite contribution. Nous savons que le rapport scientifique au monde n’est pas détachable de ses conditions de production – capitalistes, pour être synthétique. Nous savons que d’autres chemins de connaissance sont possibles, qui mettent davantage en jeu l’imaginaire [12]. Mais ce n’est pas parce que « la science » se développe en constante tension avec le pouvoir et qu’elle nourrit la domination technique et productive que cela annihile sa capacité de véridiction. C’est un accès au réel, parmi d’autres.
De même qu’on peut être antinucléaire, conscient que l’électricité en France est à 74% nucléaire, et utiliser malgré tout l’électricité, on peut être conscient des biais qui affectent le savoir médical [13] et considérer que, quand on a un cancer, il n’est pas indigne de ne pas mourir comme Illich mais de se faire opérer, comme ce fut le cas de l’un des soussignés, avec l’aide d’un robot à très haute technologie. En attendant de bâtir une autre société qui donnerait au plus grand nombre une réelle maîtrise sur la production des savoirs, nous sommes condamnés à bricoler notre rapport critique à la connaissance instituée. Pour cela, on peut se laisser guider par quelques idées éprouvées dans les luttes émancipatrices. Par exemple, celle-ci : partout où il y a des pouvoirs institués, il y a des complots, les complots n’ont jamais fait l’histoire, et ils n’expliquent jamais l’essentiel de ce qui se joue dans une époque.
LE VRAI GRAND COMPLOT
Oui, ami complotiste, tu as raison : depuis l’annonce de l’épidémie de covid jusqu’à son arrivée en France au printemps 2020 et ensuite au long de sa gestion, il y a bien eu une grande conspiration. Sauf que ce n’est pas celle que tu t’inventes, et qu’en fait, elle n’avait rien de nouveau : la grande conspiration se déroulait publiquement sous nos yeux depuis disons cinq siècles. On fait ici nôtre la définition qu’en donne Jacques Fradin dans son excellent article :
L’épidémie virale (de 2020) est la conséquence du déferlement économique, colonisation, prédation, extraction, exploitation, consommation, facilités, commodités. Or ce déferlement est le résultat d’une « conspiration », la conspiration des économistes, de la secte à l’église, des entreprises prédatrices extractivistes aux finances du contrôle général, conspiration pour instaurer « le totalitarisme économique », conspiration pour porter « à l’idée » le capitalisme excité et branlant, conspiration pour rendre réflexif (et spirituel) un chemin erratique et désastreux, celui du capitalisme colonial de la terre arasée. Conspiration pour faire du capitalisme des vandales, l’économie au service de l’humanité. L’épidémie invasive est donc « causée » par une conspiration, par un « souffle », celui de l’économicisation, il faut développer l’économie, par la promotion de « l’idée du capitalisme », spiritualisation d’un mouvement historique inconscient de lui-même et qui, sans cette spiritualisation, serait resté un simple havre de pirates.
Le gouvernement a bien menti, sur les masques, sur les risques, sur les mesures à prendre et leurs innombrables exceptions. Il a manœuvré, délibéré en secret, imposé des mesures sanitaires aberrantes et mené une politique de guerre contre sa propre population. Sauf que tout cela, il l’a fait pour son bien. Le bien des gouvernants et des gouvernés. Ce que l’épidémie virale est venue mettre à nu, ce n’est pas l’existence d’un ou de plusieurs complots mais la conspiration du capitalisme, de l’économie. Le souffle commun et religieux d’un ordre du monde qui ne tolère aucune autre logique que la sienne, aucune existence qui s’écarte de sa foi. Il y a certes eu des stratégies différentes, le keynésianisme de Macron, le libertarianisme de Bolsonaro, le contrôle totalitaire chinois. Mais partout il s’est agi de répondre au même impératif : comment préserver ou maintenir le cheptel humain ? Comment s’assurer qu’il reste docile et sauvegarder sa productivité ?
La gauche comme les multiples tendances complotistes ont bien pu jouer leurs partitions et s’hystériser (l’hystérie masculine étant la pire, nous sommes bien d’accord) en dénonçant tel mensonge ou telle contradiction, — le gouvernement qui n’en faisait jamais assez pour les uns, en faisait toujours trop pour les autres —, force est de constater que sa politique était pour l’essentiel d’une cohérence aveuglante. Chaque décision qui pouvait apparaître contradictoire en surface, chaque parole plus ou moins mensongère, s’intégrait à une même logique que l’on peut résumer en deux injonctions : que les corps restent au travail ou disponible à sa reprise, que l’incertitude ne débouche pas sur une crise de foi dans l’ordre économique. Selon les moments et la cible, il a fallu rassurer et faire peur, protéger et exposer au risque. Plus que jamais le pouvoir a coïncidé avec l’économie, il s’est adapté aux lieux, aux corps et aux esprits, il a saisi les opportunités et a su rapidement, avec fluidité, se réorganiser.
Que certains pans du capitalisme aient largement profité de la crise pour assoir ou accélérer leur emprise, c’est une évidence, la domination des GAFAM, ce qu’elle implique de reconfiguration de nos vies, on en parle jusqu’au JT de France 2. Si le propre du complotiste c’est de ne jamais être parvenu à mettre au jour le moindre complot, même par hasard, c’est qu’il se figure une forme du pouvoir dérisoire et périmée. C’est d’ailleurs moins une croyance qui serait fausse qu’une méthode vouée à l’échec. Le propre du pouvoir actuel c’est de s’être étendu, approfondi et éparpillé au point de paraître non pas inatteignable, il nous colle aux fesses, mais insaisissable. La tentative névrotique de débusquer les intentions malignes de sujets malveillants n’est qu’une consécration de notre impuissance à faire surgir une autre réalité que celle qui nous enserre et dans laquelle nous étouffons. La marée monte et l’on s’acharne à dénoncer une vague.
L’anticomplotiste commet fondamentalement la même erreur. Il traque le faux pas du complotiste, son erreur, son mensonge. Il cherche à démontrer ce qui cloche psychologiquement dans ses raisonnements. À l’un comme à l’autre, « on ne la fait pas ». Pour l’un comme pour l’autre, le sentiment d’impuissance face à la désagrégation de monde se console à bon marché : « je sais quelque chose que tu ne sais pas ». Le complotiste dénonce le mauvais dominant, l’anticomplotiste, le mauvais dominé.
Tous les pouvoirs complotent, c’est leur marque de fabrique. Mais si pour gouverner il faut savoir mentir, dissimuler et mener au bout certaines manœuvres secrètes, il faut tout autant exiger l’exact inverse des gouvernés : de la transparence, des visages découverts, des intérêts déclarés, des comportements calculés et calculables. Macron décide les mesures sanitaires dans le huis-clos de son conseil de défense pendant que nous devons faire vérifier notre passe vaccinal et notre identité pour aller boire un café. Si les élites politiques et intellectuelles détestent aussi viscéralement le complotiste, ce n’est pas parce qu’il ferait peser un risque sur la santé de ses concitoyens de par sa mauvaise information ou son égoïsme, mais parce qu’il ne croit plus dans la fiction démocratique. C’est d’ailleurs pour cela que le complotiste nous touche, il ne veut plus croire ceux qui le gouvernent, il n’y parvient même plus, quitte à croire n’importe quoi d’autre. Ses pensées deviennent mystérieuses, ses réseaux opaques, il n’est plus l’homo economicus gérant ses affects, ses idées et ses acte à seule fin de maximiser sa valeur et donc ses profits sur le grand marché de la vie sociale. Dès lors, il n’y a plus que deux possibilités envers ceux qui déraisonnent : les remettre dans le droit chemin par la force et la contrainte ou les utiliser comme figure repoussoir pour mieux gouverner les autres. Fidèle à lui même, Macron a choisi le « en-même temps ».
C’EST À CET ENDROIT PRÉCIS QUE NOUS AVONS COMMENCÉ À PERDRE LA PARTIE
L’ennemi, tout au bout du compte, ce ne sont jamais des humains et leurs manigances, parce que tous, gouvernants et gouvernés, sont pris dans des rapports sociaux dont, suivant leur place dans la hiérarchie des dominations, ils se servent, mais qu’au bout du compte, tous servent. L’ennemi ultime, c’est un rapport social, l’exploitation : exploitation de l’homme par l’homme – ou plutôt des humains, et tout particulièrement des humaines, par d’autres humains, et l’exploitation du non-humain (la « nature ») par les humains.
Depuis au moins 40 ans, on l’a souvent constaté, les différentes formes de « crises » auxquelles nous devons faire face sont autant d’opportunités de reconfigurations et de sophistications pour les gouvernements. Le capitalisme, dans sa plasticité, sait parfaitement s’adapter et digérer les différentes anomalies systémiques, qu’il en soit à l’origine ou qu’il les subisse dans un premier temps. Ce n’est pas un hasard si ses formes actuelles les plus avancées et raffinées sont le management et la cybernétique (qui n’excluent pas, il va sans dire, ses formes antérieures d’accaparement brutal, de destructions coloniales et ses 50 nuances d’exploitation). Ce qu’il y a pourtant eu d’inédit dans cette « crise du covid », ne tient pas seulement à son échelle planétaire, à sa rapidité de propagation et à l’ampleur du risque qui s’est tout à coup abattu sur des milliards d’êtres humains. Ce à quoi nous avons assisté, les bras ballants il faut bien le reconnaître, c’est au vacillement de tout l’appareillage gouvernemental mondial, au même moment. Non pas du fait ses difficultés momentanées à gérer la situation mais par la profondeur de la vérité que contenait le sras-cov2 : toute l’organisation du capitalisme, de l’économie et de la gouvernementalité sur laquelle reposent nos existences et notre survie sont à l’échelle de l’espèce, un suicide. Tout le monde se souvient de la première allocution d’Emmanuel Macron et de ses multiples déclarations de guerre à l’encontre d’un ennemi invisible. Si l’on ne s’en est pas tant moqué, c’est parce que nous comprenions tous que cette guerre, elle ne pouvait se livrer que contre nous-mêmes. Dans cette même déclaration, cela on l’a par contre oublié, le chef de l’État lui-même se devait de le reconnaître : ce que ce minuscule virus venait remettre en cause, c’était la totalité de notre mode de vie et de production occidental et capitaliste.
C’est donc précisément là que se situe le véritable événement de cette syndémie. Pas dans les dispositifs de contrôles qui se sont amplifiés et perfectionnés, pas dans la mise sous tutelle sanitaire et disciplinaire de milliards d’êtres humains, tout cela se sont des continuités et des refondations, mais bien dans cette vérité bouleversante, destituante et première : le monde, c’est-à-dire ce monde, doit être démantelé.
Si le monde de l’économie tient et domine c’est parce que son organisation et son appareillage complexes se doublent d’une foi quasi-métaphysique en sa positivité. Ce ne sont pas juste les infrastructures qui ont vacillé c’est aussi la croyance qui s’est effrité.
C’est à cet endroit précis que nous avons commencé à perdre la partie. Alors que le virus venait révéler la faillite évidente de notre civilisation depuis ses fondements mêmes, nous nous sommes laissés traîner sur le plan de la gestion, bonne ou mauvaise, moins pire ou catastrophique. Au moment où l’idée même que l’on se faisait de la vie se trouvait acculée à être repensée et réinventé, on a critiqué les politiciens. Quand le gouvernement masquait si difficilement sa panique et son incapacité à exercer sa fonction fondamentale et spirituelle, prévoir, on a entendu certains gauchistes même anarchistes caqueter : si tout cela arrive, c’est qu’ils l’ont bien voulu ou décidé. Ironie cruelle, même lorsque l’État se retrouve dans les choux avec le plus grand mal à gouverner, il peut compter sur ses fidèles contempteurs pour y déceler sa toute puissance et s’en sentir finauds.
Faire passer des coups de force, de l’opportunisme et du bricolage pour une planification méthodique, maîtrisée et rationnelle, voilà le premier objectif de tout gouvernement en temps de crise. En cela, il ne trouve pas meilleur allié que sa critique complotiste, toujours là pour deviner ses manœuvres omnipotentes et anticiper son plein pouvoir. C’est en cela que le gouvernant a besoin du complotiste, il le flatte.
D’un point de vue destituant, c’est-à-dire du point de vue de ceux qui ne voient pas d’autre salut que la fin du monde de l’économie, de sa religion mortifère et de ses infrastructures destructrices, la solidarité qui s’est nouée entre gouvernement et complotisme n’est pas sans rappeler le rôle historique de la gauche : la diversion et le fusible. Plutôt que de partir de la vérité fracassante que révélait ce microscopique virus, nous nous sommes cantonné au commentaire sur la gestion. Si l’État a tenu, c’est parce que nous n’avons pas trouvé les ressources pour ne plus croire en lui.
S’il importe de s’attarder autant sur la galaxie antivax et sa proximité avec les fachos, c’est parce que cette galaxie est un boulet qui empêche tout décollage du mouvement contre le despotisme sanitaire. Car celui-ci aurait sans doute pu atteindre un niveau bien supérieur, et au-delà des frontières, en exigeant par exemple la mise à dispositions des techniques de fabrication du vaccin [14]. Le brevet est une fiction. Il contient la séquence ARN qui a été publiée après séquençage du vaccin par des amateurs, au bout de 2 jours. Pour en fabriquer, c’est la technique) qui compte. Comment on encapsule le petit brin. Et ça, ce n’est pas marqué dans le brevet. Si le principal souci des gouvernants avait été notre santé, ils auraient fait en sorte que l’offre de vaccins soit quoi qu’il en coûte la même partout, puisque, comme le démontrent les vagues successives, tant que le Sud pauvre en sera exclu, aucune protection suffisante contre le SARS CoV-2 ne sera jamais atteinte au seul niveau réellement efficace : celui de la planète. Lutter contre l’appropriation privative des politiques sanitaires et pour sa prise en charge collective par la base aurait été, le paradoxe n’est qu’apparent, la seule manière conséquente d’affirmer notre solidarité avec ces 80% de Russes qui préfèrent utiliser de faux passes sanitaires plutôt que de faire confiance à l’Etat poutinien, et plus encore avec le magnifique mouvement guadeloupéen reparti à l’assaut de la Pwofitasyon.
L’affect de peur domine et impose ses mots et son temps, c’est le champ de bataille qu’il s’agit de fuir. Il nous faut partir d’une certaine idée de la vie, de ce qu’elle contient d’irréductible, depuis là conspirer, trouver de l’air ensemble. Dégager les obstacles, balayer les spectres. Francis Lalanne, Emmanuel Macron, Didier Raoult, Olivier Véran, en finir ; et partir de nos expériences et de celles des milliers de médecins et soignants [15]. Il s’agit d’apprendre à prendre soin de nous. Depuis là et là seulement, nous trouverons en temps de pandémie le souffle et la force de partir à l’assaut pour en finir avec cette société pathogène. Comment construire une offensive qui dépasse les fausses oppositions, les faux dilemmes ? Ce pourrait être l’objet d’un prochain texte.
Photo : Bernard Chevalier
[1] On estime qu’il y a 9% de personnes ne sont pas vaccinées dans la population française de 20 ans et plus. Si le vaccin ne marchait pas, statistiquement, les non-vaccinés ne devraient pas représenter plus de 9% des décès. Or, ils représentent actuellement 38% des décès, 41% des admissions en hospitalisation conventionnelle et 52% des entrées en soins critiques. Sur la semaine du 13 au 19 décembre, sur 1 million de vaccinés, 1,5 personnes ont été admises en réanimation chaque jour en moyenne. Sur 1 million de non-vaccinés, 26 personnes ont été admises en réanimation. (info résumée par PKD)
[2] https://www.liberation.fr/environnement/pollution/total-a-nie-pendant-40-ans-la-menace-du-changement-climatique-et-tente-dinfluencer-lopinion-
[3] Cf. Jamie Lincoln Kitman, L’Histoire secrète du plomb, Allia, 2005
[4] Un ami souligne, à juste titre, qu’en France, l’avis du ’conseil scientifique’ n’a été pris en compte par le gouvernement que jusqu’à juin 2020. Ensuite, c’est le conseil de défense qui a arbitré secrètement les décisions sanitaires, instrumentalisant à sa guise les préconisations scientifiques. Les idéologues anti-industriel
s qui tiennent à voir parfaitement coïncider pouvoirs politiques et « scientisme » s’empêchent de comprendre un rapport beaucoup plus complexe. Dans le cas précis, c’est parce que le monde scientifique s’opposait régulièrement aux politiques sanitaires qu’il a été écarté des instances de décisions.
[5] cf. S. Q., La politique de la peur, Le Seuil/Coll. Non Conforme, 2011
[6] Cf. également : « Coronavirus : des chercheurs sur la piste d’un accident de laboratoire », L’Obs (en ligne), 13-14 avril 2021, ainsi que, dans Le Monde (20 mai 2021, en ligne) « Origine du SARS CoV-2 : un an et demi après, plus de questions que de réponses ».
[7] Au pire, il n’y a jamais de fin, puisqu’on en oublierait presque les laboratoires militaires qui se préparent à la guerre bactériologique. Avec des modèles terrifiants, notamment des souches de variole extrêmement virulentes…
[8] Sur la figure de Grothendiek, l’un des plus grands mathématiciens du XXe siècle qui a renoncé à la carrière scientifique pour se consacrer à une écologie radicale, on lira avec profit : https://sniadecki.wordpress.com/2012/05/20/grothendieck-recherche/?utm_source=pocket_mylist
[9] La rédaction du présent texte est contemporaine de la co-traduction du livre de Wuming 1, La Q di Qomplotto, (à paraître en 2022 chez Lux Editeur), dont je ne résiste pas à citer un long passage documentant ce qui est affirmé dans ce paragraphe : « Le fantasme de complot médical le plus populaire et le plus durable était celui sur les vaccins comme cause de l’autisme. Il remontait aux années 90 et depuis lors s’était répandu dans un estuaire de variantes et d’histoires secondaires.
L’idée d’un lien causal entre le vaccin MPR (contre la rougeole, les oreillons et la rubéole) et l’essor de l’autisme était devenue célèbre à la suite de la publication d’une étude en février 1998 sur la prestigieuse revue scientifique The Lancet. L’auteur principal en était Andrew Wakefield, gastro-entérologue, chirurgien hépato-biliaire et professeur à l’University College London (UCL). Wakefiel et son équipe suggéraient une corrélation entre les vaccins et un présumé syndrome intestinal que par la suite, Wakefiel apparelerait « entérocolite autistique ». Dans les années qui suivirent, l’étude avait été jugée non seulement erronée mais en plus frauduleuse : incorrecte dans la sélection des patients, intentionnellement faussée dans les résultats et entachée en amont de conflits d’intérêts.
Wakefield avait reçu 435 000 livres d’un avocat en droit civil, Richard Barr. Ce dernier préparait une plainte contre les producteurs du vaccin MPR, et il avait besoin pièces scientifique à l’appui de son dossier, c’est pourquoi il avait donné à Wakefield les noms de quelques, enfants de ses clients à examiner. Le gastro-entérologue n’avait informé personne, pas même sa propre équipe, du rôle de Barr et de la transaction. La rédaction du Lancet aussi avait été tenue dans l’ignorance.
On avait découvert une autre casserole : en 1997, Wakefield avait déposé un brevet pour un vaccin contre la rougeole, concurrent de celui qu’avait « incriminé » son étude. Après cette série de révélations, dix des onze co-auteurs avaient publiquement pris leurs distance de l’étude. Le 2 février, The Lancet l’avait officiellement retirée, en l’effaçant des archives en ligne. Peu après, Wakefield avait été radié de l’ordre des médecins britanniques. Tout cela avait mis fin à sa première carrière, et donné le départ à sa seconde. L’ex-médecin s’était recyclé en « héros scientifique », victime des puissances de l’industrie pharmaceutique, en se plaçant à la tête de ce qui entretemps était devenu un mouvement international. […] L’hydroxyde d’aluminium présent dans les vaccins avait une fonction d’adjuvant, il servait à renforcer les défenses immunitaires. Les études confirmaient son innocuité, mais les antivax le liaient aux résultats d’autres recherches, dans lesquelles on relevait une quantité anormale d’aluminium dans le tissu cérébral des sujets autistes. En admettant – par pure hypothèse – que l’aluminium y était pour quelque chose, ce métal était partout : dans l’air, dans l’eau, dans les aliments, dans le lait maternel, souvent en quantité supérieures, à différents ordres de grandeur, de celle qu’on trouvait dans le vaccin. Par le simple fait de vivre en ville, un enfant pouvait inhaler de un à dix milligrammes d’aluminium par an, à savoir dix fois la quantité reçue en une fois dans la plus grande partie des vaccins. On en avait eu la confirmation avec des études menées sur l’aluminium résiduel dans les corps des enfants, qui avaient montré que des enfants non vaccinés ou moins vaccinés pouvaient en avoir de plus grandes quantités, tandis que des enfants plus vaccinés en avaient des quantités moindres. Il n’y avait aucune proportionnalité entre les deux états. Abstraction faite de l’autisme, le problème indéniable, le thème à attaquer, c’était un environnement toujours plus pathogène. Alors, pourquoi se fixer sur les vaccins ?
[10] Un ami chercheur nous apporte quelques précisions. L’industrie pharmaceutique n’a pas la mainmise sur la recherche fondamentale, elle s’en octroie le monopole applicatif, en rachetant les start-ups s’il le faut. La technique de l’ARNm, par exemple, est issue de recherche publique fondamentale indépendante, ce sont ses résultats qui sont ensuite privatisés et remobilisés par les canaux industriels.
[11] On serait tenté d’ajouter que l’ampleur prise par les énoncés de Zemmour, - le corps national sain contaminé par le poison de l’étranger-, tient à ce même état de sidération antérieure, mais il s’agirait d’un autre texte.
[12] Cf. Charles Stépanoff, Voyager dans l’invisible. Techniques chamaniques de l’imagination, Paris, La Découverte, 2019
[13] Constitué aussi, comme toutes les sciences, en utilisant parfois des résultats trafiqués et des coups de force logiques. Sur les conditions de production du savoir scientifique, on pourra lire : Paul Feyerabend, Contre la méthode, Esquisse d’une théorie anarchiste de la connaissance, Le Seuil, 1979. Ainsi que : Willia J. Broad, Nicholas Wade, La Souris truquée, enquête sur la fraude scientifique, Points Seuil, 1994. A ce propos, l’un de mes « conseillers scientifiques », Fredéric, m’écrit au sujet du texte de Monchoachi publié sur Lundi Matin : « il m’a immédiatement fait penser à Aimé Césaire et à son magnifique texte « Cahier d’un retour au pays natal » qui suggère un autre mode d’accès à la connaissance que la démarche scientifique occidentale par ’Ceux qui n’ont inventé ni la poudre ni la boussole. Ceux qui n’ont jamais su dompter la vapeur ni l’électricité… ». Pourtant, en prônant la démarche intuitive, la compréhension subjective des choses, il n’est pas si éloigné de la nature réelle des grandes découvertes qui n’ont jamais résulté de recherches hypothético-déductives mais de sauts épistémologiques ; d’intuitions géniales en rupture totale avec les certitudes scientifiques du moment. On parle même, à leur propos de « révolutions » (copernicienne, quantique…) et leur auteurs sont mis à l’index comme Galilée. Darwin n’a pas été mieux traité par ses contemporains et Einstein n’a pas immédiatement réussi à convaincre du bien-fondé de la relativité générale ou restreinte. D’ailleurs, dans le domaine que je connais, un peu mieux, aucune grande innovation thérapeutique n’a été le fruit d’une théorie construite mais plutôt de découvertes fortuites. Ce qui donnerait raison à Feyerabend qui défendait la théorie anarchiste de la connaissance. On ne trouve rien en labourant le même sillon. Reste à comprendre comment on découvre quelque chose qui n’existe pas, en s’opposant à sa communauté et eu s’obstinant en dépit des persécutions ; « ... et pourtant elle tourne ! » Note de l’auteur de la note : mais non, ni Raoult, ni aucun des gourous des antivax n’est Galilée.
[14] Un ami nous précise que la revendication de levée des brevets n’a pas grand sens. Ces derniers contiennent la séquence ARN qui a été publiée après séquençage du vaccin par des amateurs, au bout de 2 jours. Ce qui reste secret et n’est pas inscrit dans le brevet, c’est la technique de fabrication, comment on encapsule l’ARNm.
[15] Remercions ici nos amis soignants qui nous ont fait bénéficier de leur longue familiarité avec les questions ici débattues, Jean-Marc F., Caroline M., Frédéric R. ainsi que le professeur Logos pour son expertise.