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Royaume-Uni : les grèves pourraient s’étendre au secteur public dès septembre
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Royaume-Uni : les grèves pourraient s’étendre au secteur public dès septembre - Rapports de Force
Sur fond d’une inflation à 10 %, le Royaume-Uni a connu des grèves massives dans le secteur privé cet été. Avant l’entrée en grève imminente des postiers et postières, votée à 97 %, nous avons demandé à Marc Lenormand, maître de conférence en civilisation britannique à l’Université Paul Valéry de Montpellier, de nous expliquer en quoi cette situation est exceptionnelle.
Peux-tu nous faire un état des lieux des grèves au Royaume-Uni ? Quels sont les secteurs touchés ? Depuis quand ?
En fait il me semble qu’il y a une double dynamique. Une engagée depuis l’hiver dernier, qui est une remontée très progressive de la conflictualité sociale dans le secteur privé. C’est la dynamique qui amène à l’ensemble des grèves auxquelles on assiste actuellement sur la question salariale. Après plusieurs années de compression, d’érosion des salaires dans le public et dans le privé, il y a eu des entreprises dans lesquelles les organisations syndicales ont posé des consultations de leurs membres, puis des grèves, sur la question salariale. À côté de cela, il me semble que la grève dans le transport ferroviaire, lancée par le grand syndicat des cheminots RMT est spécifique pour deux raisons. C’est un mouvement, entamé depuis le printemps, qui porte sur une demande de revalorisation salariale à hauteur de l’inflation, mais également sur la préservation des emplois face à des exigences patronales de suppression de postes, en particulier dans les guichets ou sur les trains, avec des postes des contrôleurs qui seraient menacés.
C’est aussi une grève contre l’automatisation, la rationalisation du secteur qui a cette particularité d’avoir été fortement politisée par l’action du gouvernement conservateur qui a développé la rhétorique antisyndicale et antigrève qui lui est coutumière. Et qui est allé là jusqu’à soutenir financièrement les entreprises du secteur ferroviaire, privatisé dans les années 1990, afin que ces dernières ne subissent pas de coût financier et puissent tenir le coup face au syndicat des cheminots. C’est une politisation que l’on peut comprendre de plusieurs manières. D’un côté, la volonté d’imposer ce programme de modernisation/rationalisation/automatisation du secteur ferroviaire. De l’autre, une volonté de briser ou d’affaiblir le syndicat des cheminots qui, depuis maintenant 20 ans, est le syndicat le plus combatif au Royaume-Uni et a mené des grèves victorieuses dans les transports à Londres et dans différentes entreprises du secteur ferroviaire. De plus, il y a une conjoncture politique : la campagne pour désigner le successeur ou la successeur de Boris Johnson à la tête du Parti conservateur et au poste de Premier ministre.
Il y a vraiment une spécialité de ce conflit, qui a été fortement visibilisé et politisé par le pouvoir, là où les autres grèves dans le secteur privé se déroulent, pour l’essentiel, sans ingérence politique directe du pouvoir. Là, il y a des perspectives de résolution, y compris au profit des travailleurs et des travailleuses. Cela a déjà été le cas lors d’une grève extrêmement dure de 30 jours dans l’entreprise privée qui gère les bus de l’agglomération de Leeds — une des grandes villes industrielles du nord de l’Angleterre — où une augmentation de 11 % a été obtenue. Il y a une perspective d’obtention d’augmentation salariale dans les autres grèves qui sont en cours, dans les docks en particulier. Et des grèves se préparent à la poste et probablement bientôt dans les services publics.
Contrairement à ce qu’il est commun de voir en France, où les grèves se reconduisent souvent de jour en jour en assemblée générale, des préavis de 8 jours consécutifs ont été annoncés dans certains secteurs. Est-ce habituel ou est-ce une spécificité de cette séquence ?
Cela est lié aux conditions mises pour pouvoir entrer en grève. Il faut rappeler que nul ne possède de droit individuel à faire grève au Royaume-Uni. La grève est une action collective et le droit du travail prévoit que pour qu’une grève puisse se tenir, il faut qu’une organisation syndicale consulte l’ensemble de ses adhérents et adhérentes par voie postale ou par voie électronique. Il faut qu’au moins la moitié des adhérents participent et que, parmi les participants et participantes, au moins 50 % votent pour la grève. Pour les secteurs clés de l’économie comme les transports ou de la santé, le seuil pour passer à l’action est encore plus élevé, puisqu’il faut que 40 % du corps électoral vote pour la grève.
Cela peut expliquer le fait que l’on va rarement à la grève parce que l’on ne peut pas y aller de manière spontanée. Ainsi, la grève est construite dans la durée par les organisations syndicales qui font un énorme travail de mobilisation, d’informations et de conviction, qui ne fonctionne d’ailleurs pas toujours. Mais une fois qu’on passe à la grève, on y passe de manière sérieuse. Par ailleurs, il y a une obligation de donner un préavis. Par conséquent, si on dit qu’on va faire grève une journée, on va faire la grève une seule journée. Après on va redonner un préavis pour pouvoir faire grève plus tard, après un round de négociation.
Donc, on ne peut pas annoncer faire grève une journée et revoter la grève pour le lendemain. Sinon, on s’émancipe du droit du travail britannique et on s’expose à des licenciements pour rupture de son contrat de travail. De son côté, l’organisation syndicale, si elle soutient cette action, s’expose à des poursuites pénales. Cela explique le fait que pour ce qui est des dockers du port de Felixstowe, le syndicat Unite ait d’emblée annoncé huit jours de grève. Le rythme est donc extrêmement contraint, ce qui explique qu’on a des grèves qui sont annoncées longtemps à l’avance et dont le déroulé ne dévie pas du déroulé prévu.
Faisons le tour des secteurs qui sont en grève aujourd’hui et de ceux qui vont y entrer prochainement.
Il y a eu des grèves dans diverses entreprises privées, depuis le printemps. Parfois, des préavis de grève ont amené à des concessions salariales qui ont été acceptées, comme dans l’aviation. Ce qui fait qu’il n’y a pas eu de grève. L’argumentaire syndical porte sur la plus juste redistribution des profits en faveur des travailleurs/travailleuses, sous la forme d’augmentations salariales. Ce sont des argumentaires construits sur la nécessité ou sur ce que pourraient accorder les directions d’entreprises aux travailleurs/travailleuses.
Dans le secteur des bus, privatisé dans les années 1980, des grèves ont duré longtemps, comme à Leeds. Des mouvements de grève ont eu lieu dans d’autres villes. La grève la plus visible a été celle dans le transport ferroviaire, avec des journées fin juin, de nouveau une journée fin juillet, des journées mi-août, et probablement une nouvelle journée en septembre. Lié à ces journées là, parce que c’est le même syndicat, il y a eu une journée de grève dans la Régie des transports londonienne : bus, métro.
Un mouvement des dockers a démarré récemment à Felixstowe, le plus grand port de container du Royaume-Uni. Et la semaine dernière, les dockers de Liverpool, un autre grand port de containers britanniques, ont voté en faveur d’une action de grève. Elle devrait se tenir entre fin août et début septembre, les dates restent maintenant à poser par le syndicat. On peut imaginer que cela va dépendre un petit peu de l’évolution de la situation à Felixstowe.
Par ailleurs, des consultations sont en cours dans le secteur public : le syndicat GMB, dans le secteur des collectivités locales, vient de lancer la consultation de ses 100 000 adhérents/adhérentes. Le syndicat du personnel dans le secteur de la recherche (UCU) — le principal syndicat dans les universités — vient de faire de même. Enfin, les principaux syndicats de l’éducation et de la santé demandent à leurs membres de se tenir prêts à être consultés à distance sur un préavis de grève.
Nous sommes possiblement au début ou au milieu d’un mouvement qui est encore susceptible de s’étendre assez largement, désormais, vers le secteur public. Celui-ci est relativement à la traîne par rapport au secteur privé, parce que le public a été le secteur le plus visible et le plus en grève au cours des 15 dernières années, en particulier avec des grèves importantes contre les politiques d’austérité. Mais ces politiques ont mené à des suppressions de postes et une austérité salariale qui a fortement appauvri les personnels. Les syndicats ont donc été affaiblis par ces politiques d’austérité, même s’ils restent forts parce qu’aujourd’hui une majorité des personnes syndiquées sont dans le secteur public. Cette année les propositions salariales des employeurs du secteur public sont de 1 %, 2 %, 3 %… alors qu’on attend une inflation de 10 %.
Il y a un effet d’entraînement qui part du secteur privé, en particulier des chemins de fer et de la Poste, susceptible d’entraîner le secteur public. La particularité quand même, c’est que ce soit les chemins de fer ou la poste, on est sur des secteurs anciennement publics. Privatisés, pour ce que est des chemins de fer, dans les années 90, pour ce qui est de la Poste, dans les années 2010, mais avec une histoire d’organisation syndicale extrêmement forte. Par conséquent, le mouvement reflète les forces historiques, mais faiblissantes, du mouvement syndical britannique, sans qu’à l’heure actuelle, on puisse vraiment identifier dans les luttes en cours de logique expansive du mouvement syndical.
Tu disais qu’on est sur une grève du secteur privé, mais en partie sur d’anciennes boîtes publiques. Ce sont aussi de très grosses entreprises. Est-ce qu’il y a une dynamique tous azimuts dans les entreprises de taille moyenne ou de petite taille ?
S’il y a une dynamique dans les petites entreprises, je ne l’ai pas observée depuis la distance qui est qui est la mienne. Cependant, le taux de syndicalisation est extrêmement faible dans les petites et moyennes entreprises, comme dans beaucoup de pays ayant subi des restructurations néolibérales de l’économie. C’est un des grands défis des organisations syndicales que d’arriver à s’implanter chez les prestataires des grandes entreprises. Mais aujourd’hui, la syndicalisation est concentrée dans les secteurs publics et les grandes entreprises privées. Néanmoins, les négociations salariales dans le privé vont avoir des conséquences sur ce qui se passe chez leurs prestataires, dans les petites entreprises et moyennes entreprises.
Puisque tu évoques les prestataires, la question du rapport salarial, c’est-à-dire être salarié ou non, se pose-telle de façon plus aiguë qu’en France ?
Clairement oui, parce qu’on a eu plusieurs vagues successives de néo-libéralisations. Cela a commencé dans les années 1980. Il y a deux logiques parallèles et très fortes : d’un côté, la privatisation des grandes entreprises publiques, de l’autre, la désindustrialisation. Il y a eu un affaiblissement du salariat industriel qui était le bastion historique — comme dans beaucoup de pays — du mouvement ouvrier britannique et des organisations syndicales. Il y a eu une bascule dès cette époque, dans le secteur industriel, vers la disparition de grands groupes industriels, et la multiplication de petites entreprises artisanales, qui ne connaissaient — et ne connaissent aujourd’hui encore — aucune espèce de syndicalisation.
La deuxième étape, c’est le développement, dans les années 2010, de ce qu’on a appelé, les Zero Hour Contracts, les « contrats 0 heure », où on a effectivement une relation contractuelle avec un employeur, mais où, en fait le contrat ne prévoir aucun temps de travail. Donc on peut travailler une heure, 35 heures ou 70 heures. On est à la merci des besoins affichés par l’employeur. Donc le salariat, au sens de personnes bénéficiant d’un contrat de travail prévoyant un certain nombre d’heures, une rémunération, des droits à congés, est un périmètre qui a réduit. Aujourd’hui le syndicalisme, en dépit des efforts pour syndiquer la main d’offre précarisée dans d’autres secteurs, est pour l’essentiel réduit au périmètre du public et des grands employeurs privés, qui maintiennent des relations salariales, où les gens ont un contrat de travail, et dans lesquelles les syndicats ont pu maintenir une présence.
Je pense que les employeurs et les travailleurs, travailleuses dans ces petites entreprises, attendent de voir. De la même manière que dans le secteur public, on attend de voir un petit peu. Les organisations syndicales du secteur public ont retardé et commencent maintenant à lancer des consultations de leurs adhérents/adhérentes pour des grèves qui se dérouleraient entre septembre et octobre. Donc là il y a un attentisme. Ces grèves extrêmement visibles, extrêmement majoritaires, dans le transport ferroviaire, maintenant dans les docks, et très bientôt à la poste, donnent une impulsion. Elles vont aussi donner le la des augmentations salariales qu’il est possible de revendiquer et d’obtenir.
Ce sont des grèves qui démarrent au cœur de l’été. En France, ce n’est clairement pas le moment où on démarre des grèves, est-ce que c’est très différent au Royaume-Uni ? Et est-ce que cela présage une possible montée en puissance sur les mois de septembre et d’octobre ?
Alors on est, à nouveau, dans un contexte social et économique dans lequel les droits collectifs ont été très fortement affaiblis, y compris les droits aux congés. On a parlé d’une grève qui a commencé dans des secteurs dont l’activité n’est pas nécessairement dépendante des congés. La grève du transport ferroviaire est un mouvement qui a commencé au printemps et qui aurait pu s’achever fin juin, si les cheminots/cheminotes avaient obtenu satisfaction de leur revendication. Elle se poursuit et produit des effets de paralysie partielle de l’économie et des transports, aussi bien pour les personnes qui vont travailler que pour les touristes dans l’été. Pour ce qui est des docks, ça ne s’arrête jamais. C’est une économie de flux qui ne s’arrête pas. Il n’est donc pas surprenant que cela ait commencé à ce moment-là. En revanche, on comprend que dans l’éducation la question d’une grève se pose à partir de la rentrée.
Ce mouvement a commencé dans l’été parce qu’il est le produit d’une montée en puissance progressive qui date de l’hiver dernier. On a une remontée progressive de la conflictualité sociale après des années d’atonie. Le dernier cycle de conflictualité importante au Royaume-Uni, date du début des années 2010, principalement dans le secteur public, autour de la lutte contre l’austérité budgétaire et salariale dans les services publics. Ensuite, il y a eu un plancher qui a été atteint. Surtout dans le secteur privé où l’on est tombé à des niveaux de conflictualité qui n’avaient jamais été enregistrés ou jamais atteints depuis la fin du 19e siècle.
Depuis la fin de la pandémie, il y a une remontée progressive des grèves. Il se trouve que l’été a été aussi marqué par des annonces d’un niveau d’inflation tout à fait spectaculaire, à plus de 10 %, qui sont le produit de conditions économiques qu’on connaît un petit peu partout en Europe et dans le monde, mais qui sont tout particulièrement accrues au Royaume-Uni.
Les organisations syndicales attendaient peut-être ce moment-là pour consulter leurs membres. Typiquement dans les secteurs publics, encore récemment, des consultations pour des grèves sur des revendications salariales ont été des échecs. Là, face à 10 % et plus d’inflation attendus et face à des propositions salariales des employeurs comprises entre 5 % et 10 % pour l’essentiel dans le secteur privé, et entre 1 % et 5 % dans le secteur public, il va y avoir des consultations donnant des résultats favorables à des actions de grève.
Comment réagit le patronat pour le secteur privé et l’État pour le secteur public ?
Dans le secteur privé, la réaction du patronat est principalement de vouloir conserver la distribution actuelle des profits. À savoir, pouvoir continuer à verser le maximum de dividendes aux actionnaires. Ce qui se joue, c’est la redistribution, ou pas, en faveur des salaires. C’est le discours qui est tenu : conserver ou faire des concessions salariales minimales, inférieures à l’inflation. Après, il y a des secteurs dans lesquels le patronat a très rapidement cédé, comme dans l’aviation.
Dans d’autres secteurs, il a cédé après des grèves longues, comme pour les bus à Leeds. À l’inverse, dans le ferroviaire, le patronat ne cède pas. Peut-être parce qu’il a bénéficié d’une politique de soutien extrêmement forte de la part des pouvoirs publics qui ont décidé de subventionner la grève du côté patronal, en comblant le manque à gagner pour les entreprises privées du secteur.
Par ailleurs, on a un gouvernement conservateur et des relais médiatiques — presque 80 % en soutien des conservateurs — qui développent un discours antigrève et antisyndical. Tout en disant : « on est dans une économie de marché, les gens négocient » et en professant une politique de non-intervention qu’il applique dans l’essentiel du secteur privé. Ce qui devrait permettre des négociations aboutissant à des concessions salariales acceptables. Mais ce qu’il ne fait pas dans le secteur ferroviaire et reste à voir pour le secteur public.
Ici, en raison du plus faible rapport de force économique, il est particulièrement difficile d’obtenir des concessions salariales. Or le gouvernement conservateur semble déterminé à appliquer des politiques de compression salariale. Dans le secteur public, il faudra des grèves extrêmement fortes pour obtenir des concessions. A fortiori quand on a des personnes, qui veulent succéder au Premier ministre Boris Johnson, qui sont sur des positions antigrèves et antisyndicales extrêmement fortes. Et qui annoncent même un durcissement des lois anti-syndicats.
Justement, il y a déjà eu quelques mesures antigrève cet été, comme la possibilité de remplacer des grévistes. Est-ce que tu peux nous en dire plus ? Et à quoi pouvons-nous nous attendre dans le cadre de la succession de Boris Johnson ?
Il y a une trajectoire assez continue depuis la fin des années 70 et l’arrivée au pouvoir des conservateurs. C’est la mise en place d’un arsenal juridique qui restreint très fortement la possibilité de passer à l’action collective, en particulier par la grève. Un arsenal auquel les travaillistes, quand ils ont été au pouvoir entre 1997 et 2010, non pas jugé bon de toucher. Si bien que, lorsque les conservateurs sont revenus au pouvoir à partir de 2010, il y a eu un nouveau tour de vis : les conditions pour passer à la grève ont été encore durcies. C’est là par exemple qu’on a introduit une participation minimale de 50 % et les 40 % de votes favorables à la grève dans les secteurs clés. Et effectivement, cet été, il y a eu un nouveau tour de vis, avec la possibilité désormais ouverte de recruter des intérimaires pour remplacer des grévistes.
C’est une loi un peu opportuniste, car elle visait à répondre à la grève dans le secteur du chemin de fer, et à rendre possible le recrutement d’intérimaires. Alors même qu’il est pas forcément possible de remplacer les travailleurs/travailleuses du chemin de fer par des intérimaires. En revanche, c’est susceptible d’avoir un impact beaucoup plus fort pour la grève des postiers et postières. D’ailleurs, à l’heure actuelle, le syndicat de la poste, le CWU, mène une campagne publique contre le recrutement d’intérimaires. Il essaye de faire pression sur les entreprises d’intérim, sur les particuliers également, pour refuser le travail intérimaire qui est susceptible d’affecter assez fortement cette grève.
À l’heure actuelle, c’est Liz Truss qui est largement en tête dans les sondages d’opinion auprès des adhérents du parti conservateur qui vont désigner la personne qui va succéder à Boris Johnson comme dirigeant du parti conservateur et comme Premier ministre, ces derniers ayant la majorité à la Chambre des communes. Or, elle vient d’une aile droite assez marginale du parti conservateur, comme Thatcher en son temps, et fait une campagne extrêmement droitière en annonçant de nouvelles restrictions. Même si on se demande ce qu’il est encore possible de faire pour restreindre davantage la possibilité pour les grévistes de passer à l’action.
Liz Truss
Cependant, le gouvernement peut toujours exiger un taux de participation supérieur, allonger encore le délai de préavis ou restreindre la durée pendant laquelle il est possible de faire grève. Où même une loi sur le service minimum qui est largement évoquée et qui n’existe pas à l’heure actuelle. Aujourd’hui, dans le secteur ferroviaire, des trains continuent à rouler parce qu’un certain nombre de personnes ne font pas grève. Mais leur nombre est très faible, parce qu’il y a un taux d’adhésion à la grève extrêmement fort dans les secteurs qui font grève. Parmi les menaces qui existent, il y a celle d’introduire des formes de service minimum dans ces secteurs clés.
Et comment réagit l’opposition travailliste ? Soutient-elle les mouvements de grèves ?
La réaction antisyndicale et antigrève du gouvernement conservateur est classique. Ce qui n’est pas nécessairement surprenant, mais quand même notable, c’est la frilosité de la direction du parti travailliste. Voir la mise à distance, très délibérée, de ces conflits. Il y a eu des tensions extrêmement fortes entre une partie des députés et la direction actuelle du parti, parce que celle-ci avait proscrit la présence des députés sur les piquets de grève lors de la première grève des cheminots, au mois de juin.
La position s’est détendue, mais un député assez en vue a été privé de son portefeuille au sein de la Direction parlementaire du parti travailliste pour s’être exprimé en faveur des revendications des cheminots grévistes au mois de juillet. La direction du parti travailliste, depuis le remplacement de Jeremy Corbyn par Keir Stamer, début 2020, a procédé à un recentrage qui ressemble beaucoup au recentrage qui avait été opéré par Tony Blair dans les années 1990. À savoir : prendre des distances à l’égard des organisations syndicales et à l’égard des actions de grève.
Ce qui est notable c’est la façon dont, réciproquement, les organisations syndicales ont pris et continuent de prendre leurs distances par rapport au Parti travailliste. Le parti travailliste et les organisations syndicales ont cette histoire particulière que, lorsque le parti travailliste a été créé au tournant du 20e siècle, c’était avant tout comme un organe de représentation des voix ouvrières et des voix syndicales au Parlement britannique. D’où des liens organisationnels et institutionnels extrêmement forts. Il y a cette tendance, qui a été très puissante à de nombreuses reprises dans l’histoire syndicale, d’attendre, ou de privilégier, le soutien du Parti travailliste pour une amélioration des conditions d’existence des travailleurs/travailleuse et des droits syndicaux.
Et ce n’est plus vrai aujourd’hui ?
C’était encore très présent au moment où Jeremy Corbyn a été dirigeant du Parti travailliste entre 2015-2019 et annonçait un programme de nationalisations, de remise en cause du statu quo thatchérien qui avait été pour bonne partie préservé, y compris par les gouvernements travaillistes des années 90 et 2000. Mais depuis quelques années, il y a une prise de distance d’un certain nombre de dirigeants et dirigeantes des organisations syndicales, de secrétaires généraux, qui sont vraiment les figures qui pèsent au sein du mouvement syndical britannique.
C’est le cas du syndicat postal, qui va lancer un mouvement de grève dans les semaines qui viennent, où on a un dirigeant qui a été élu en 2015 en détrônant le secrétaire général d’alors, sur un message qui était : « je ne serai pas la courroie de transmission du Parti travailliste, je serai là pour défendre les intérêts de notre secteur, de nos emplois, de nos conditions de travail et de nos salaires ». De même, dans Unite, le plus grand syndicat britannique (1,2 million d’adhérents/d’adhérentes), où le successeur désigné de l’ancien secrétaire général qui était extrêmement investi dans la politique interne du Parti travailliste, a été battu à l’été dernier par une candidate, Sharon Graham, qui a fait candidature sur une position qui était de dire : « fini les luttes d’influence au sein du parti travailliste, nous allons voir sur nos lieux de travail pour nos emplois, nos conditions de travail et nos salaires, nous n’attendrons plus que les travaillistes — s’ils arrivent jamais au pouvoir — améliorent notre situation, nous allons faire par nous-mêmes ».
Je pense que cela joue aussi dans les mouvements de cet été. On à des directions syndicales qui sont plus combatives, plus résolues dans le fait d’en passer par l’action syndicale et l’action gréviste pour obtenir des améliorations des conditions d’existence des travailleurs et des travailleuses.