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Extrême droite espagnole, le début du déclin ?

Espagne

Lien publiée le 10 novembre 2022

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

Extrême droite espagnole, le début du déclin ? - CONTRETEMPS

Ces dernières années ont vu l’émergence d’une formation d’extrême droite dans l’Etat espagnol : Vox. Profitant de la longue crise du Parti populaire (PP) et du déclin accélérée de Ciudadanos, parti néolibéral redescendu aussi vite qu’il était monté, Vox est parvenu pour la première fois depuis la fin de la dictature franquiste à cristalliser une force à la droite du PP et à donner une audience de masse aux idées les plus réactionnaires, masculinistes, xénophobes et nostalgiques du franquisme.

Comme le montre pourtant ici Miguel Urban, militant anticapitaliste et député européen, la montée de Vox rencontre des obstacles et il se pourrait bien que les prochaines échéances électorales marque le début du déclin pour les alliés de Meloni, Orban et Trump.

***

L’irruption de Vox dans le panorama institutionnel espagnol, à partir de son entrée au parlement andalou fin 2018, a marqué le retour de l’extrême droite espagnole dans les institutions, dont elle était absente depuis 1982 quand Fuerza Nueva a perdu sa représentation. Les échecs électoraux subis par l’extrême droite jusqu’à l’entrée de Vox dans le parlement d’Andalousie ne doivent pas nous tromper sur l’importance de l’extrême droite – au sens large – dans l’État espagnol au cours des quarante dernières années, ni nous conduire à sous-estimer son influence sociale, la perméabilité et la permanence de son discours et sa capacité de mobilisation.

Comme l’écrit Ferrán Gallego, l’échec électoral qu’a subi l’extrême droite « ne signifie pas, bien sûr, que les valeurs propres à l’extrême droite ne se retrouvent pas dans des zones diverses de notre arc institutionnel, ni qu’une base électorale qui, dans d’autres pays, a donné corps à ces formations, n’ait pas pris des chemins différents dans notre pays »[1]. Nous devons donc parler d’une présence sociale et politique qui n’a pas de représentation en tant que telle dans les institutions. Cette situation a masqué une réalité qui est restée souterraine dans notre société : la permanence d’un franquisme sociologique néoconservateur et xénophobe qui, sans expression politique dans les formes de l’extrême droite au sens strict, s’était dilué, jusqu’à présent, à l’intérieur d’un Parti populaire (PP) accueillant.

En tant que force politique indépendante du PP, Vox a réussi à représenter une déclinaison hispanique de la vague réactionnaire mondiale qui, comme Bolsonaro, Trump ou Orban, s’inscrit dans le contexte du néolibéralisme autoritaire, un courant hérité du néolibéralisme anglo-saxon. Ce courant combine une défense à outrance du libre marché et du capitalisme sans frein avec des valeurs morales réactionnaires et une conception profondément autoritaire de la politique. C’est donc la résultante de trois composantes. D’abord, des positions ultra néolibérales dans le domaine économique : dérégulation, règne de la « méritocratie », haine larvée des pauvres, allègements fiscaux, démantèlement de l’État social et individualisme extrême. Ensuite, des positions réactionnaires sur le plan moral, néoconservatrices et anti-féministes, très liées à la nouvelle droite chrétienne. Et enfin, une conception profondément autoritaire de la politique, avec une remise en cause explicite de la démocratie libérale dans ce qu’on appelle aujourd’hui l’illibéralisme.

Or, si nous pouvons affirmer que Vox est la déclinaison espagnole d’un phénomène réactionnaire et autoritaire qui s’est enraciné mondialement, il n’en reste pas moins que cette formation a des caractéristiques particulières qui dépendent de l’histoire et du contexte politique espagnol. Vox représente, d’une part, ce franquisme sociologique qui avait vécu pendant tant d’années au sein du PP et qui n’avait pas d’expression politique propre depuis la Transition. Par ailleurs, il représente également les secteurs les plus néoconservateurs (« néocons ») regroupés jusqu’à présent dans une sorte de Tea party à l’espagnole qui, partant du lobbying au sein du PP en est venu à trouver un espace politique propre avec Vox.

Contrairement à la plupart de ses homologues européens, Vox provient d’une une scission de la droite espagnole ; ce n’est pas une formation nouvelle qui se serait développée dans ses marges, comme c’est le cas pour le Rassemblement national ou la Ligue du Nord. En fait, Vox a été initialement dirigé par les deux membres les plus connus parmi ceux qui ont organisé la scission avec le PP, Alejo Vidal Quadras, eurodéputé et ancien président du PP catalan, et Santiago Abascal, ancien député du PP du Pays basque et ancien président de la Fondation pour la défense de la nation espagnole (DENAES). Il est fondamental de noter que Vox n’est pas la première scission du PP à sa droite, mais la première à réussir.

Vox comme expression de droite de la crise de régime

Une partie essentielle du succès de Vox tient à son émergence dans un environnement favorable tant au niveau international que national. Au niveau mondial, cela s’est concrétisé par l’essor électoral d’une vague réactionnaire, marquée par le Brexit et les victoires de Trump et Bolsonaro. Au niveau national, il faut souligner le contexte espagnol lui-même, caractérisé par la crise du régime de 1978 avec pour conséquence la remise en cause de nombre des consensus sur lesquels il repose, remise en cause qui s’opère non seulement par la gauche mais également par la droite.

On assiste ainsi à une concurrence électorale inhabituelle depuis la Transition, marquée par le bipartisme, avec la chute du gouvernement de Rajoy et la fin de l’hégémonie du PP dans la droite espagnole, ainsi que la remise en cause de la logique de vote utile. On peut donc dire que Vox est l’expression de droite de la crise de régime qui va au-delà de la question du le bipartisme. Une grande partie de ses propositions impliquent en effet une rupture avec le cadre politique, social et territorial établi par la Constitution. C’est une expression de la radicalisation d’un secteur de la droite qui cherche à donner naissance à un parti porteur d’une solution réactionnaire et centralisatrice, décomplexée, à la crise du régime de 1978.

Chaque nouveau processus électoral depuis 2015 a mis en évidence les difficultés croissantes pour prolonger ce bipartisme, ce qui a conduit à une sorte de « logique de blocs », selon laquelle on ne peut plus parler de gouvernements du PP et du PSOE, mais du « bloc de droite » ou « bloc de gauche ». Les gouvernements de coalition qui, au niveau des communautés autonomes, avaient été de rares exceptions, deviennent aujourd’hui l’option de gouvernance la plus effective tant au niveau régional qu’au niveau de l’État. Il s’agit d’un nouveau cadre politique où la lutte pour l’hégémonie électorale de chaque bloc n’est pas la seule source d’instabilité : vient s’y ajouter le poids déterminant des forces autonomistes et souverainistes dans un nombre croissant de territoires. C’est un autre reflet de la crise profonde des communautés autonomes, un des éléments constitutifs essentiels du régime de 1978, une crise qui tend à compliquer davantage une gouvernance qui dépend de ces soutiens.

Les pulsions décentralisatrices et souverainistes qui progressent socialement et électoralement dans un nombre croissant de territoires de l’État espagnol sont aussi, comme nous l’avons dit, une partie intégrante de la crise de régime. Face à ces pulsions décentralisatrices et fédéralistes, une réaction recentralisatrice s’est également développée qui nie la plurinationalité de l’État et exprime la névrose identitaire d’un espagnolisme de plus en plus agressif, qui a trouvé en Vox le sujet politique qui incarne le mieux cette réaction. C’est effectivement ce parti qui est allé le plus loin et qui a été le plus cohérent dans ses propositions de recentralisation, en demandant le démantèlement du régime des autonomies et/ou l’interdiction des partis souverainistes et indépendantistes, ce qui représenterait une rupture d’ordre constitutionnel avec le régime de 1978, mais par la droite.

Le déclin de Ciudadanos

Les élections générales d’avril 2019 n’ont pas seulement permis à Vox d’entrer au Parlement espagnol, en confirmant ses bons résultats aux élections régionales andalouses. Ciudadanos a également fait une percée et réussi à arracher à Unidas Podemos la troisième place au Congrès espagnol, avec 15 % des voix et 57 députés. Le bon résultat des élections générales d’avril a été confirmé lors des élections régionales dans lesquelles Ciudadanos, « la formation orange », avait naguère connu sa plus grande poussée électorale et devenu une force déterminante dans la lutte entre le PSOE et le PP pour s’emparer de nombreuses municipalités et gouvernements autonomes.

Sans aucune exception, Ciudadanos a choisi d’être la béquille du PP, confirmant le tournant définitif à droite de cette soi-disant formation « libérale ». Elle est même allée jusqu’à accepter le soutien implicite ou explicite de l’extrême droite de Vox pour former de nombreux gouvernements avec le PP, ce qui lui vaudra de vives critiques de la part de son groupe parlementaire européen qui lui reproche d’avoir rompu le « cordon sanitaire » autour de l’extrême droite. Macron a ainsi menacé Ciudadanos de rompre leur coopération politique du fait de ses accords avec Vox.

Les nouvelles élections générales de novembre 2019 n’ont pas  seulement permis la formation du premier gouvernement progressiste de coalition depuis la Deuxième République : elles ont aussi considérablement ouvert le champ d’action de la droite. Ciudadanos y a subi une lourde défaite électorale en perdant 47 sièges et plus de 3 millions de voix, passant du rang de troisième à celui de sixième formation avec seulement 10 députés.  C’est maintenant Vox qui s’érige en troisième force, et Ciudadanos n’est plus qu’un zombie politique. Après avoir disparu systématiquement lors des différentes élections régionales qui ont suivi les élections générales du 10 novembre, le parti est entré dans une lente agonie. La compétition sur le côté droit de l’échiquier politique s’est maintenant réduite à deux partis.

« Orgueil facho »

Dans un meeting lors des élections législatives de 2019, Abascal a affirmé que l’une des distinctions qu’il arborait fièrement sur son plastron était celle d’être facho. Ce terme qui jusqu’ici était stigmatisant ou disqualifiant, Vox a réussi à le requalifier dans une sorte de « fierté d’être facho », en séduisant une base sociale fondamentalement jeune et masculine, excédée par le formalisme politique du PP sous Rajoy, que Vox a qualifié de « petite droite froussarde ». Face à cette droite (celle de PP et de Ciudadanos) le parti d’extrême droite se construit en s’attaquant directement aux consensus sociaux, qu’il appelle « consenso progre », en matière d’avortement, de droits LGBTI, de la mémoire historique, etc.

On a coutume de dire que la politique, et en particulier l’aptitude à gouverner, repose sur ce qu’on appelle le centre idéologique, capable d’attirer les « majorités » modérées sur la base de l’acceptation des consensus institutionnels et culturels. La stratégie politique « néocon » de Vox repose sur un fonctionnement bien différent. Quand les consensus ne leur conviennent pas, ses cadres dirigeants ne cherchent pas de passerelles, ils les détruisent. Ils ne composent pas, ils cherchent la radicalisation et jouent la provocation. Il s’agit d’imposer leurs valeurs, pas de les négocier, et de viser l’hégémonie sur la droite en reprenant les postulats « néocons » qui prônent la guerre culturelle ouverte contre la gauche.

Le développement des guerres dites culturelles a été l’une des caractéristiques de la vague réactionnaire mondiale, en particulier depuis l’accession de Trump à la Maison Blanche. Il s’agit d’une stratégie qui vise à imposer non seulement les sujets en débat, mais aussi les termes mêmes du débat. Comme l’écrit Thomas Frank, les guerres culturelles sont la forme que l’extrême droite utilise pour « tourner le dos à la lutte des classes : tous les conflits qui s’inscrivaient auparavant dans le contexte de structures politiques, sociales et économiques sont désormais qualifiés comme conflits culturels (cultural wars) ». [2] Il s’agit bien d’une guerre de classe, mais décalée, qui fait du mal-être une clé de conflit culturel ou moral. Sur ce terrain Vox sait bien se positionner, comme le montre clairement une grande partie de sa proposition politique, visant à marquer l’agenda et le récit à partir de ce type de conflits.

Le fait est que depuis l’émergence de Vox, l’extrême droite a non seulement réussi à se maintenir sur une trajectoire électorale ascendante, mais aussi à peser sur une grande partie des thématiques et des formes du débat public, en grande partie grâce à « l’utilisation de la provocation comme tactique politique, avec trois objectifs principaux. Le premier est d’avoir une présence constante dans les médias. Le deuxième, de marquer l’agenda politique et de conditionner le débat public. Le troisième, d’affronter culturellement la gauche. L’objectif est de provoquer l’indignation des secteurs progressistes et de déstabiliser la droite » [3].

Ainsi, le cadre politique que construit Vox est celui de la menace permanente qui pèse sur la nation (indépendantistes, migrants, féministes, etc.) et qui exige de se mettre sur pied de guerre pour défendre « l’Espagne vivante ». C’est l’expression d’une culture politique qui ne parle pas de vie en commun, mais d’affrontement et de guerre. Ces positions ont eu un impact dans une partie importante de la société espagnole qui n’a pas seulement voté pour Vox : elle s’est aussi mobilisée socialement au-delà de l’affiliation ou non à ce parti d’extrême droite. Il s’agit d’une véritable fierté facho qui explique en grande partie son succès électoral.

La pandémie et la défense de la liberté

Contrairement à une partie de l’extrême droite au niveau international, qui a campé sur des positions négationnistes concernant la pandémie de la covid19, Vox a adopté une position plus ambiguë. Le parti a diffusé des fake news sur la prétendue conspiration chinoise quant à l’origine et à la propagation de la pandémie, mais n’a pas été jusqu’à en nier l’existence : il a implicitement soutenu les mobilisations négationnistes mais n’y a jamais participé directement en tant que tel. Il a été plus incisif dans une prétendue défense de la liberté individuelle contre les mesures du confinement sanitaire, en allant jusqu’à contester, d’un point de vue constitutionnel, l’état d’urgence promulgué par le gouvernement et voté au parlement. Cette position est peut-être ce qui lui a le mieux permis de toucher de larges secteurs sociaux, au-delà de la base traditionnelle de l’extrême droite.

Paradoxalement, c’est la présidente de la Communauté de Madrid, Isabel Díaz Ayuso, qui a réussi à apparaître comme l’opposante la plus résolue aux politiques sanitaires et aux mesures restreignant certains droits adoptées par le gouvernement de Pedro Sánchez. Bonne disciple du néolibéralisme autoritaire de Hayek, elle a prôné la liberté individuelle et le libre fonctionnement de l’économie et a su tirer profit de cette position.

Cela lui a permis non seulement d’engranger de nombreux soutiens au sein d’une société excédée par les restrictions, en particulier la jeunesse, mais de devenir de facto la leader de l’opposition au gouvernement Sánchez, au point d’éclipser non seulement l’extrême droite, mais aussi le secrétaire général du PP, Pablo Casado. Profitant de cette popularité croissante, la présidente de la Communauté de Madrid a dissous son gouvernement de coalition avec Ciudadanos, en alléguant un manque de confiance en son partenaire et a convoqué des élections à la surprise aussi bien de ses proches que de ses opposants. Elle a saisi cette occasion pour mettre en avant un faux dilemme entre « communisme et liberté »[4], qui faisait implicitement allusion aux modèles antagonistes de gestion de la crise sanitaire qui avaient été adoptés aux niveaux étatique et régional.

Cette stratégie lui a d’abord permis d’éliminer Ciudadanos de son gouvernement et de lui faire perdre sa représentation à l’Assemblée de Madrid. En outre, elle a aussi mis hors-jeu l’extrême droite en freinant son ascension électorale.

Les élections de Castille-et-Léon

En pleine vague d’« ayusisme », Casado s’est vu contraint de précipiter des élections en Castille-et-Léon pour tenter, avec une nouvelle victoire du PP, de contrer l’influence croissante de la présidente de la Communauté de Madrid. Le président de la région, Alfonso Fernández Mañueco, a convoqué des élections pour le 13 février en arguant de la « trahison » de Ciudadanos. Mais le résultat s’est avéré très éloigné des calculs de la rue Genova (siège central du PP). Mañueco n’a plus eu les mains libres pour gouverner seul, et Pablo Casado n’a pas réussi non plus à obtenir le triomphe retentissant dont il avait besoin pour renforcer son leadership et se dégager des ombres grandissantes d’Isabel Díaz Ayuso et de Santiago Abascal.

Casado a, au contraire, perdu le peu de crédit interne qu’il lui restait avec cette victoire à la Pyrrhus qui a permis à Vox d’entrer au gouvernement de Castille-et-Léon, une première en ce qui concernait les régions autonomes. Le principal bénéficiaire de ces élections anticipées a bien été la formation d’extrême droite, qui est passée en moins de trois ans d’un seul siège à treize députés, devenant ainsi le troisième parti derrière le PP et le PSOE. Ce bon résultat ne lui a pas seulement valu d’entrer dans un gouvernement régional, au prix d’un virage à 180 degrés dans sa stratégie qui était de ne pas participer en position minoritaire dans des gouvernements avec le PP. Il a également permis à Vox, après ses mauvais résultats aux élections madrilènes, de reprendre toute sa place dans la lutte pour l’hégémonie à droite.

Crise du PP, élimination de Casado et ascension de Feijóo

La victoire mortifère du PP en Castille-et-Léon a signifié la mort de la direction Casado, avec cet échec dans sa tentative d’imiter la politique trumpiste d’Ayuso qui lui avait permis de contrer l’influence de Vox sur une partie croissante de son électorat. Le dernier acte de sa mort politique a été la tentative suicidaire de mettre fin à l’influence croissante d’Ayuso en dénonçant un cas présumé de corruption et de trafic d’influence, dans lequel le frère de la présidente de la Communauté de Madrid aurait touché une substantielle commission à l’occasion du boom des ventes de masques lors de la pandémie. Les révélations dans les médias sur les supposés traitements de faveur et la corruption d’Ayuso et de sa famille ont déclenché la plus grande crise interne de l’histoire du PP, bientôt transformée en un véritable schisme.

Cette guerre interne a éclaté à un moment favorable pour Vox, après sa progression lors des élections en Castille-et-Léon. C’est ce qui lui a permis de se présenter comme la seule opposition crédible face au gouvernement PSOE-UP, après la décomposition de Ciudadanos et la division interne croissante dans les rangs du PP quant à la tactique à adopter face à Vox. Certains médias ont même publié de prétendus sondages annonçant un « sorpasso » [dépassement] de l’extrême droite face au PP lors des prochaines élections générales, au cas où Casado resterait à la tête du parti.

Les pressions internes au sein du PP ont fini par avoir raison de Casado, qui, en quelques jours à peine, s’est retrouvé privé du soutien de la direction du PP et de celle de son groupe parlementaire. Il a dû se résoudre de quitter son poste de secrétaire général et convoquer un congrès pour introniser, en tant que nouveau chef du PP, le président de la région de Galice Alberto Núñez Feijóo. L’accusation de de corruption portée par le secrétaire général de son parti contre Ayuso, n’a en rien affecté sa popularité. Elle a même augmenté, ce qui lui a permis de prendre la présidence du PP madrilène.

Les élections andalouses et la crevaison de Macarena

La campagne électorale de Vox en 2018, sous le nom de « Reconquista » (une référence à la « reconquête » de l’Espagne en partant de l’Andalousie), a créé la surprise et ouvert un cycle électoral qui a fait de Vox, en moins d’un an, la troisième force politique du Congrès des députés, et lui a permis de gagner une implantation politique dans pratiquement tout l’État espagnol.

Presque quatre ans plus tard, c’est une fois de plus l’Andalousie qui a « ouvert le bal » d’un nouveau cycle électoral mettant en jeu les grands partis à l’échelle de l’État, cycle qui se terminera  avec les élections législatives de l’année prochaine. Mais Vox n’est plus un outsider prêt à créer la surprise. Le parti d’extrême droite est décidé aujourd’hui, après son bon résultat en Castille-et-Léon et la débâcle de Ciudadanos, à occuper un espace propre et à faire un score équivalent à celui du Parti populaire, en rééditant l’expérience du gouvernement de droite en Andalousie, avec Macarena Olona occupant le poste de Marin [5].

Mais les résultats de Vox n’ont pas été aussi bons qu’espéré. Il n’a que peu progressé par rapport à 2018, et il est resté loin du score attendu, en-dessous même de ce que prédisaient les sondages, et en recul par rapport aux dernières élections législatives. Le plus significatif, c’est que Vox n’a pas réussi à s’imposer pendant la campagne, où il a fait piètre figure, incapable pour la première fois depuis longtemps de peser sur l’agenda et sur les sujets en débat.

Au-delà du résultat des élections andalouses (majorité absolue du PP et débâcle des partis de la coalition au pouvoir) le plus important est que l’extrême droite est sortie politiquement vaincue de ces élections. Elles n’ont pas été la promenade triomphale que ses dirigeants prédisaient depuis des mois, quand ils ont décidé de présenter Macarena Olona, porte-parole de Vox au Congrès et l’une de ses principales personnalités publiques. Ainsi, alors que les élections andalouses étaient censées être le tremplin pour la candidature d’Abascal à la présidence du gouvernement dans sa confrontation avec le PP, elles l’ont au contraire  plombée, en enregistrant une usure électorale du phénomène Vox qui pourrait bien signifier sa stagnation.

Le Macarenazo et les luttes internes

Pourtant, le mauvais résultat andalou ne laissait pas présager d’une crise aussi aiguë que celle que vit actuellement Vox. Peu après les élections, Olona a annoncé, au milieu de vives luttes internes pour le contrôle du parti d’extrême droite en Andalousie, qu’elle quittait la politique pour des raisons de santé. Dans une lettre, elle a déclaré que « la santé se joue des prises de responsabilité … qu’elle doit maintenant faire face à un défi personnel important et, selon la prescription médicale, incompatible avec l’exposition médiatique et l’engagement que l’Andalousie mérite et lui demanderait en tant que porte-parole et dirigeante du parti dans la région »[6].

Les raisons médicales alléguées n’étaient qu’un écran de fumée pour dissimuler les luttes internes au sein de Vox, en particulier entre Ortega Smith, secrétaire général et responsable à l’organisation, et Olona elle-même, qui a fini par reconnaître qu’elle avait été candidate aux élections andalouses à contrecœur : « J’étais une candidate parachutée qui avait une mission que j’estime impossible. » C’est là que se situe le début de l’affrontement entre Olona et la direction du parti, notamment avec Ortega-Smith, à qui elle reproche de lui avoir fait perdre son mandat au Congrès [7].

L’excuse de la maladie n’a pas passé l’été et dès la rentrée politique la guerre a été relancée dans la formation d’extrême droite. Ainsi, lors de ses apparitions dans les médias tout au long du mois de septembre, Olona a minaudé, parlant de la possibilité de « faire un pas en avant » avec un nouveau projet politique, si la formation dirigée par Santiago Abascal « cessait d’être une alternative ». Cette éventualité s’est affirmée de jour en jour. Elle est soutenue non seulement par des militants critiques envers la direction nationale, mais aussi par des formations ultra-catholiques comme Hazte Oír (Fais-toi entendre), jusqu’ici fervent défenseur et ami de Vox, mais qui en est venue à rompre avec Santiago Abascal, en lui reprochant de n’avoir pas agi avec suffisamment de force pour obliger le PP à abroger les lois LGBTI de la Communauté de Madrid en échange de son vote en faveur des budgets des communautés autonomes.

Cette situation a conduit la direction nationale de Vox, jusqu’alors à l’écart, à acter définitivement sa rupture avec Olona. C’est le porte-parole de Vox au Congrès, Iván Espinosa de los Monteros, qui s’en est chargé en déclarant en conférence de presse : « On est arrivé au bout du chemin, nous vous souhaitons le meilleur dans la sphère politique et vous nous aurez toujours à vos côtés dans la sphère privée ». [8] Cette prétendue rupture amicale a finalement conduit à accuser Olona de se laisser utiliser « pour nuire au projet de Vox ».

La réorganisation de Vox et la chute de Ortega Smith

La rupture avec Macarena Olona a été la première grande crise interne de Vox depuis son irruption dans la politique espagnole, précisément à un moment où les sondages enregistraient sa tendance à la baisse. La crise dans Vox couvait et il n’a fallu qu’un faux pas électoral, l’échec en Andalousie, pour la rendre visible.

L’impact de l’affaire Olona s’est propagé ensuite jusqu’à la rue Bambú (le siège central de Vox), provoquant un malaise interne croissant. Mais l’ex-porte-parole au Parlement et ex-candidate à la présidence de  l’Andalousie n’est pas le seul problème d’Abascal : la discipline interne qu’il avait instaurée grâce à la poigne du responsable à l’organisation et secrétaire général Ortega Smith est en train de se fissurer.

À moins d’un an des élections municipales, les conflits affleurent dans les régions. Le plus grave, en raison de ses conséquences juridiques possibles, est celui de la province de Badajoz, où un juge enquête sur la plainte de quatre militants visant l’un des membres de la direction provinciale, qui vient d’en démissionner, qu’ils accusent d’avoir espionné des membres du parti via les bases de données de la Direction générale de la police.

En fin de compte, la gestion du cas Olona et la remise en cause d’Ortega Smith par une partie de la base et une bonne poignée de dirigeants provinciaux, ont motivé une réorganisation interne de la direction du parti visant à surmonter la crise interne. Celui qui était jusqu’ici le tout puissant secrétaire général et responsable à l’organisation, Ortega Smith, a été écarté de ses fonctions et chargé de se consacrer entièrement à la campagne électorale pour la mairie de Madrid, ce qui dans la pratique l’a exclu du noyau dur du parti. Ortega a été remplacé par le député catalan Ignacio Garriga, homme de confiance de Jorge Buxadé, un néophalangiste qui ne cesse de renforcer son pouvoir interne.

Vers une recomposition de la jambe droite du bipartisme ?

Avec cette « réorganisation » qui vise à ramener la paix dans le parti, Abascal n’a fait que retarder un problème qui s’aggravera si les résultats des prochaines élections municipales ne répondent pas aux attentes. Sous la menace de l’épée de Damoclès que représente la concurrence électorale de la nouvelle formation conduite par Olona et la montée électorale du PP de Feijóo, c’est une certaine recomposition de la jambe droite du bipartisme qui se dessine.

La seule note positive pour la formation de ces derniers temps a peut-être été la victoire de l’alliée de Vox, la néo-fasciste de Fratelli d’Italia, Giorgia Meloni. C’est un vrai ballon d’oxygène dont Vox s’inspire pour éloigner les prévisions à la baisse des sondages. La conjoncture de croissance de l’internationale réactionnaire en Europe peut éventuellement rehausser le moral de l’extrême-droite espagnole.

En témoigne la façon dont Vox tente de jouer cette carte et le fait que lors de la clôture du grand rassemblement organisé par Vox, Viva22, ont été projetées des vidéos de salutations de la future présidente italienne Meloni, de l’ex-président américain Trump, du président hongrois Orbán, du candidat d’extrême droite du Parti républicain au Chili lors des dernières élections présidentielles José Antonio Kast, de l’ex-président colombien Alvaro Uribe et du sénateur républicain nord-américain Ted Cruz. Le Premier ministre polonais, Mateusz Morawiecki était présent en personne lors de l’acte de clôture de Viva22. C’était l’occasion de montrer ses muscles pour une internationale réactionnaire qui même si elle ne cesse de progresser, ne semble pas être au mieux de sa forme en Espagne.

Il faut également prendre en compte que le prochain rendez-vous électoral, les élections municipales, est sans doute le terrain le moins favorable pour Vox. C’est un parti sans ancrage territorial, avec de forts conflits internes dans les municipalités, peu de candidates ou de candidats connus, une organisation très centralisée. Abascal et ses proches ne pourront se démultiplier pour se rendre dans toutes les municipalités et la situation internationale n’a pas beaucoup d’impact dans ce type d’élections. Une organisation aussi verticale, centralisée et hiérarchisée fonctionne bien dans des contextes électoraux au niveau central ou cantonnés à une région donnée, mais elle a beaucoup plus de mal à percer dans des élections décentralisées comme les municipales.

En revanche, les élections municipales peuvent être une magnifique vitrine pour la candidature de Núñez Feijóo au palais de la Moncloa. Le PSOE et le PP sont les deux partis ayant la plus forte implantation territoriale, mais, compte tenu de l’usure du gouvernement de coalition PSOE et Unidas Podemos, la gauche va certainement être sanctionnée lors de ces élections et le PP en sera le plus grand bénéficiaire faute d’une vraie concurrence à droite. Une victoire aux municipales de Feijóo pourrait être le prélude à une victoire de la droite aux élections générales de novembre de l’année prochaine.

Bien que Vox ne se trouve pas dans le même état de décomposition que Ciudadanos et, contrairement au « parti orange », semble avoir un socle électoral plus solide, il se trouve dans une situation difficile mais qui ne devrait pas nous conduire à sous-estimer sa capacité de recomposition. Dans un contexte de crise systémique comme celui dans lequel nous nous trouvons, où le temps politique se condense, une année peut devenir une éternité.

*

Miguel Urbán est député européen et membre de Anticapitalistas. Texte traduit du castillan par Robert March.

Illustration : Wikimedia Commons.

Notes

[1] Gallego, Ferran, Une patrie imaginaire. L’extrême droite espagnole (1973-2005), Ed. Síntesis, Madrid, 2006, p. 17.

[2] Frank, T., Qu’en est-il du Kansas ? Comment les ultraconservateurs ont conquis le cœur des États-Unis, Madrid, Ed. Acuarela A. Machado, 2008, p. 10.

[3] Fernández Vázquez, Guillermo, « España : Vox, Arcaismo o Modernidad ? », in Epidémia Ultra, Publicación Independiente, Berlin, 2019, p. 103.

[4] Le communisme comme représentation du totalitarisme.

[5] Leader andalou de Ciudadanos et vice-président du gouvernement de coalition avec le PP.

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