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Construire l’alternative : oui, mais comment ?
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Construire l'alternative : oui, mais comment ? - CONTRETEMPS
Un forum politique national intitulé « Organisons pour construire l’alternative » s’est tenu le 2 juillet dernier à Paris, annoncé par un appel signé par 400 militant.e.s de la gauche radicale. Initié notamment par des membres d’Ensemble !, du NPA et de Rejoignons-nous, ainsi que des militant.e.s du mouvement social, ce forum avait pour objectif de « construire, à terme, une nouvelle force démocratique et pluraliste, pour la justice, l’égalité et la démocratie », la réunion du 2 juillet constituant « une première étape qui doit nous permettre de débattre ensemble des contours d’une nouvelle organisation à construire ».
Contretemps s’est entretenue avec Florence Ciaravola, membre de l’équipe d’animation nationale d’Ensemble !, Fabien Marcot, membre du groupe d’animation de Rejoignons-nous et Pauline Salingue, porte-parole du NPA, militant.e.s qui ont participé à l’introduction de ce forum[1]. Les questions émanant d’une discussion collective de la rédaction de Contretemps portent sur les objectifs, perspectives et suites du forum, sur la situation sociale et politique dans laquelle il a eu lieu – notamment les récentes révoltes urbaines – ainsi que sur les questions, débats et choix stratégiques que pose le processus politique initié par cette rencontre.
***
Vous avez participé au forum national « Organisons-nous pour construire l’alternative » le 2 juillet 2023 à Paris. Pourriez-vous nous dire d’abord pourquoi, à titre individuel et/ ou comme membre de votre organisation, vous y avez participé ? Et pourriez-vous nous expliquer les objectifs de ce forum, en lien avec votre analyse du moment social et politique que nous vivons ?
Fabien Marcot : Promesse de réforme des institutions, dénonciation des « discriminations » dans les contrôles de police… en 2017, Macron promettait d’être un président « libéral », au sens économique mais aussi démocratique et culturel. Quelle blague ! Six ans plus tard, il est le président qui aura fait voter des lois d’exceptions à l’encontre des musulman·es. Il est le président de la dissolution des Soulèvements de la Terre, de la répression et de la criminalisation toujours plus violente des luttes. Il est le président de l’usage de toutes les dispositions les plus autoritaires de la Ve République et d’une privation croissante de nos libertés (loi séparatisme, loi sécurité globale…). Il est le président de l’appauvrissement de toutes et tous, sauf des plus riches, dont les profits s’envolent. De libéralisme, il ne reste finalement plus qu’un libéralisme économique acharné. Et Macron aura contribué plus qu’aucun autre peut-être à préparer le terrain pour le fascisme qui monte – fascisme qui est sans doute le danger le plus immédiat auquel nous faisons face.
Face à cette politique, des millions de gens sont descendus dans la rue : gilets jaunes, manifs antiracistes, manifs climats, contre la réforme des retraites, manifs féministes… Dans la jeunesse en particulier, le rejet de ce système capitaliste, patriarcal, raciste, impérialiste, écocide, raciste et validiste est extrêmement fort. Mais aucune organisation politique ne semble réussir à rassembler autour de ces idées et rendre audible une véritable alternative, pourtant urgente. C’est l’analyse que nous faisons au sein de Rejoignons-nous depuis sa création il y a trois ans, et depuis nous n’avons eu de cesse de débattre, d’organiser des réunions publiques, pour poser modestement quelques pierres dans le chantier de reconstruction de cette alternative. Nous avons donc été très heureux que l’idée de ce forum soit partagée par le NPA et Ensemble ! car c’est concrètement une première étape, même modeste, pour commencer le travail ensemble et – surtout – au-delà de nos propres rangs. L’objectif de ce forum était avant tout de donner une première impulsion, de vérifier que malgré des différences stratégiques par le passé, des militant·es issu·es d’horizons divers (du mouvement social, du NPA, d’Ensemble, de Rejoignons-nous, mais aussi des militant·es de PEPS, de Nouvelle Donne, du Parti Pirate, d’ancien·nes de LFI…) avaient envie de travailler ensemble à la construction d’une nouvelle force politique et partageaient une même analyse de la situation. Et de ce point de vue, c’est une première étape qui pose de bonnes bases, même si évidemment tout reste à faire !
Pauline Salingue : Avec le NPA, nous avons décidé de porter l’organisation de ce forum car nous sommes convaincu·es que des milliers de militant·es anticapitalistes sont orphelin·es d’un parti politique qui veuille résolument rompre avec le capitalisme et les institutions qui garantissent la domination de la grande bourgeoisie tout en comprenant qu’il faut rassembler, unir les exploité·es et les opprimé·es, pour affronter le camp d’en face. Nous sommes unitaires et révolutionnaires et nous voulons, de façon ouverte et transparente, mettre en discussion la construction d’une nouvelle force qui réponde à ces objectifs.
De façon concrète et immédiate, nous voyons bien qu’il manque un outil dans la situation. Un outil militant, implanté sur les lieux de travail, dans les quartiers et les communes, qui permettrait de prendre des initiatives pour modifier le rapport de force social et politique au quotidien. Cela a manqué lors de la mobilisation contre la réforme des retraites. Cela manque aujourd’hui avec la révolte de la jeunesse des quartiers populaires.
Pour cela, il nous faut rompre avec l’idée dominante à gauche que la rue c’est l’affaire des syndicats et que la politique se passe essentiellement dans les institutions. Cette répartition des tâches a profondément tiré en arrière la mobilisation historique que nous venons de vivre. Face à une bourgeoisie radicalisée, avec une extrême droite aux portes du pouvoir, les affrontements sociaux vont se multiplier, sous des formes diverses certes, comme nous avons pu le voir ces dernières années (Gilets Jaunes, grèves de masse, révolte des quartiers…). Nous aurons besoin d’une force politique qui aide à ce que les travailleurs·euses et la jeunesse fassent irruption sur la scène politique en s’organisant par et pour elles et eux-mêmes, en développant notamment des cadres d’auto-organisation. Pas une force qui « dirigerait » les masses de l’extérieur mais qui servirait de facilitateur, d’outil collectif, d’accumulateur d’expérience et qui soit en capacité de prendre des initiatives quand la situation politique s’accélère et fait face à de possibles bifurcations, en lien avec un projet stratégique révolutionnaire, pour la prise du pouvoir par les exploité·es et les opprimé·es.
Florence Ciaravola : Nous sommes confrontées à une crise globale et multidimensionnelle (sociale, écologique, économique, démocratique, géostratégique, …) Le monde capitaliste et les modes de domination sont de plus en plus violents, des inégalités de plus en plus fortes et la menace néofasciste se précise. Les luttes et mobilisations sont indispensables mais il faut aussi un outil politique traduisant leurs aspirations et portant un projet alternatif, anticapitaliste qui soit à la fois écologiste, autogestionnaire, social, féministe, altermondialiste, antiraciste
L’AG de Ensemble! en novembre 2023 a validé une orientation politique combinant un front politico-social de la gauche et des écologistes d’une part (d’où notre participation à la construction et à l’ancrage populaire de la NUPES), et d’autre part le dépassement d’Ensemble! dans une nouvelle force politique de la gauche alternative. Le processus ouvert avec Rejoignons-nous et le NPA est relié à l’objectif de cette nouvelle force : voilà pourquoi nous en sommes partie prenante.
Le groupe d’animation issu du forum a publié un premier texte qui en est issu « Contre les crimes policiers, les violences d’État, solidarité avec la révolte de la jeunesse et des quartiers populaires »[2]. Quelle est votre compréhension de ces révoltes de la jeunesse et des quartiers ? Quelle a été la place de cette question pendant le forum, et qu’est-ce qui en a été dit ? Et comment percevez-vous aussi les réactions et positions du reste de la gauche sociale et politique ces derniers jours ?
Florence Ciaravola : La révolte de la jeunesse et des quartiers populaires est plus que légitime et nous nous reconnaissons pleinement dans le texte issu du forum du 2 juillet à leur sujet. Cette révolte était très présente dans les esprits et les interventions des participant·es du forum. Quant aux réactions à gauche, elles ont été diverses, et souvent différentes de la nôtre. Ce n’est qu’une confirmation de la spécificité de notre projet et de la nécessité d’un tel projet, ce qui ne nous empêche pas de participer aux initiatives unitaires, avec d’autres et à commencer par les associations présentes dans les quartiers populaires qui luttent contre les discriminations et les violences policières.
La mort de Nahel fait suite à une longue série de meurtres de jeunes racisés dans les quartiers populaires et à une multiplication des violences policières. Il faut y ajouter l’abandon des quartiers populaires, le recul des droits et des libertés, le racisme décomplexé assumé par toutes les droites et parfois même au-delà, et la contamination du champ politique et médiatique par les idées fascistes et racistes. Heureusement, ce processus de fascisation est loin d’avoir gagné toute la société : les principes de solidarité et d’égalité restent importants dans la population, les inégalités, les injustices et les discriminations sont de moins en moins supportées notamment dans la jeunesse. Ce sont des points d’appui pour mener des campagnes antifascistes et antiracistes.
Fabien Marcot : La mort de Naël, après celles de Nordine et Meryl, Amine, Ali, Adama, Alhoussein, Maïcol, Wissam, Lamine, Olivio, Sabri, Yanis, Raihane, Zineb, Liu, Rémi, Steve, Cédric, Rayana, Malik Oussekine et tant d’autres, vient tragiquement nous rappeler, si besoin était, que la police tue. Et elle tue avant tout ceux qu’elle perçoit comme arabes ou noirs. C’est une très bonne chose que le forum ait eu comme première prise de position publique ce texte, que je trouve très juste. Ce sujet a d’ailleurs été omniprésent pendant les discussions. Que le forum ait lieu en pleine révolte des quartiers, suite au meurtre de Naël, a forcément joué. Mais à Rejoignons-nous, nous avions déjà pu constater depuis plusieurs années, lors de débats publics que nous avions organisés en présence de militant·es du NPA, d’Ensemble !, qu’il y avait un accord assez large sur le fait que la gauche radicale se plantait depuis longtemps sur la place des militant·es des quartiers. Sur la question du racisme, sur l’islamophobie. Sur le fait que les organisations de gauche, même radicale, reproduisaient souvent en interne les mêmes mécanismes de domination que dans le reste de la société. Au sujet des révoltes des quartiers, la gauche a dans l’ensemble un peu mieux réagi qu’en 2005, même si le compte n’y est pas encore. Mélenchon a un discours radicalement différent. EELV et le PS racontent moins de bêtises depuis que leurs représentants les plus droitiers la mettent en sourdine, mais on n’est pas à l’abri d’un retour en arrière. Quant à Fabien Roussel du PCF, il préfère vraisemblablement le syndicat policier fasciste Alliance aux révoltes des quartiers, sans trop qu’on sache si c’est le fruit d’une analyse politique ou une nauséabonde concurrence électorale avec LFI. De toute façon, le résultat est le même. Au final, il est donc important de faire exister à gauche une ligne claire de soutien aux habitant.e.s des quartiers, de désarmement de la police au contact des habitants, de contrôle démocratique pour remplacer l’IGPN… Et de manière générale, de soutien aux révoltes passées, en cours et à venir, car ce n’est pas terminé.
Pauline Salingue : Le forum s’est tenu au cœur de la révolte et en pleine vague répressive, policière et judiciaire. Il était donc incontournable que cela polarise nos échanges. Même si la route est encore longue, c’est une bonne chose, un premier test, d’avoir réussi à prendre une position commune. Même si le passage du positionnement à l’action reste à faire, c’est une des difficultés majeures de la gauche radicale aujourd’hui.
Dans de nombreuses villes et quartiers, la jeunesse subit quotidiennement les violences policières et une forme de racisme d’État. L’histoire comme l’actualité coloniale de la France y sont pour beaucoup. La police française est une institution qui véhicule ce racisme au quotidien. Si l’on ajoute à cela la tournant autoritaire du pouvoir, dans une situation où les classes dominantes tentent de maintenir leur domination économique et politique sur notre dos, on obtient un cocktail extrêmement dangereux. Cela s’inscrit pleinement dans la dynamique fasciste qui est une caractéristique de la phase actuelle du capitalisme.
Nationalement, dans la plupart des villes, la gauche est à la peine pour prendre pied dans le mouvement de contestation contre les violences policières et le racisme systémique. Mais elle a déjà fait mieux qu’en 2005. Des cadres unitaires voient le jour avec des prises de position qui n’étaient pas envisageables 20 ans en arrière. Même si beaucoup reste à faire, la compréhension plus large des formes que prend le racisme institutionnel, notamment la place de l’islamophobie, font que des chemins peuvent être trouvés pour unifier celles et ceux qui relèvent la tête face à ce système. Ceci est également renforcé par la répression massive du mouvement social depuis la loi travail en 2016, la mort de Rémi Fraisse, les éborgnés et mutilés des Gilets Jaunes, Sainte-Soline… Les quartiers sont des laboratoires des violences policières et de la répression judiciaire qui sont en train de s’étendre à toute la société.
Enfin, et pour le dire très franchement, il y a un passif entre les forces politiques de gauche radicale (je ne m’étendrais pas sur celui qui existe, encore plus lourd, avec la gauche de gouvernement, ce n’est pas mon sujet) et les mouvements, les associations des quartiers populaires. Nous n’avons pas été à la hauteur face au caractère systémique et à l’ampleur des attaques liées au racisme et à la violence, en bref de toute la dimension coloniale, auxquels ont dû faire face les populations des quartiers populaires. Et nous n’avons pas été à la hauteur du courage et de la force qu’ont pu déployer les militants et les militantes de ces quartiers.
Souvent, nous avons fait preuve de pusillanimité, voire de paternalisme dans nos relations avec ces mouvements. Souvent nous les avons laissés au milieu du gué. Il y a donc tout un travail d’écoute et d’apprentissage à faire dans les organisations politiques, auprès d’elles et eux, pour que nous puissions en confiance travailler et militer ensemble, pour construire des expériences communes dans l’action militante.
Au-delà, sur quoi ont porté les discussions au cours de la journée ? Y a-t-il eu à votre sens des éléments saillants, politiquement importants, qui faisaient accord dans ces débats ? Et au contraire certaines questions ont-elles été identifiées comme faisant dissensus entre les participant.e.s, voire entre les composantes à l’initiative du forum ?
Florence Ciaravola : La tenue du forum avant celle des forums locaux et sur une seule journée a fortement limité la portée et l’approfondissement des échanges. Ceux-ci ont cependant été riches. Les échanges en groupes ont été très appréciés, en permettant la parole du plus grand nombre.
Plusieurs interventions ont montré la nécessité d’approfondir les débats : la question sociale demeure-t-elle la priorité ou bien s’imbrique-t-elle avec le féminisme, l’écologie, l’antiracisme et les solidarités internationales ? Sommes-nous à vraiment à la hauteur de la révolution féministe mondiale et de l’urgence écolo-climatique? La nouvelle force politique doit-elle nécessairement prendre la forme d’un parti, ou d’autres formes sont-elles possibles comme on le discute au sein d’Ensemble! (mouvement, parti-mouvement, etc) ? La prostitution relève-t-elle d’un travail du sexe ou d’une exploitation inacceptable d’un point de vue féministe et altermondialiste ? Il n’est pas certain que ces questions séparent les diverses composantes du forum, peut-être traversent-elles plus largement la gauche alternative…
Pauline Salingue : L’importance de la solidarité internationaliste, du projet et des pratiques féministes, de l’apport théorique de l’écosocialisme, de la défense des libertés publiques, de l’urgence antifasciste et de l’antiracisme sont des éléments qui semblent faire accord. Le renouvellement des pratiques politiques à partir des mouvements sociaux, de l’élargissement et de la consolidation de la base sociale nécessaire à la construction d’une nouvelle organisation politique ont été au cœur des discussions. Mais, au-delà de cet accord théorique, on a vu, dans les prises de parole à la tribune, que les travers habituels des organisations dominées par les couches supérieures du salariat, blanches, masculines, étaient loin d’être dépassées.
De grands chantiers restent ouverts et demandent à être vérifiés entre nous. Pour le NPA, nous tenons à la forme parti comme outil pour intervenir dans la lutte contre le capitalisme. Nous sommes aussi convaincus de la centralité du rôle de la classe travailleuse, du prolétariat, dans sa diversité, dans le processus révolutionnaire, ce qui implique un certain type de structuration et d’interventions. En particulier, justement, on ne peut pas se contenter d’avoir des débats historiques, théoriques, de grandes analyses de la situation. Ce qui déterminera, ou non, la possibilité de construire une nouvelle organisation, c’est notre capacité à se tourner vers l’extérieur : l’expérience politique, les organisations préexistantes, ont pour tâche d’aider les masses, les exploité·es, les opprimé·es, à s’organiser. Il faut nous tourner vers la jeunesse, ses préoccupations et ses luttes, vers les entreprises, vers les quartiers populaires, participer activement aux mouvements féministes, LGBTI, écologistes, antiracistes et antifascistes.
Enfin, le rapport à la NUPES et la préparation des prochaines échéances électorales n’ont pas encore été abordés. La tactique électorale, secondaire par rapport aux grands débats stratégiques, reste néanmoins un point chaud quand on discute de la construction d’une organisation politique.
Fabien Marcot : Difficile de résumer les sujets sur lesquels ont porté les discussions du forum car, en une seule journée de travail, la richesse des interventions a été énorme. Parfois au prix d’une petite frustration de ne parfois pas avoir le temps d’aller plus loin, mais ça a aussi donné une certaine motivation pour continuer ce travail. Je n’ai pas eu l’impression, pour l’immense majorité des interventions, qu’il y avait vraiment de points de désaccords fondamentaux. Le texte qui est paru quelques jours à peine après le forum, sur les crimes policiers et les révoltes des quartiers, en est une démonstration. La question est un peu différente pour les composantes du forum, pour qui certaines questions peuvent dépendre d’équilibres internes à tenir ou d’histoires particulières, mais je n’ai pas eu l’impression que ces questions se soient posées de cette manière-là lors du forum. Je pense notamment à la place accordée aux débats sur la NUPES, que certains à Ensemble ! auraient probablement aimé voir aborder plus longuement ou la prédominance des luttes anticapitalistes pour d’autres militant·es. Mais finalement, nous avons réussi à dépasser ces différences d’approche, et le texte d’appel le reflète bien.
Il y a également des différences de pratiques qu’il faudra réussir à travailler. Lors du forum, une intervenante a incité les « vieux hommes blancs » à « apprendre à fermer leurs gueules ». Et finalement, cette intervention a été un moment important, largement applaudi. Je crois qu’il y a une prise de conscience de ces enjeux, même s’il reste évidemment du chemin à parcourir. Cette question de la culture politique commune est centrale : suffisamment forte idéologiquement mais aussi suffisamment malléable pour permettre de construire avec toutes celles et ceux qui viennent d’histoires politiques différentes. Si les plus jeunes s’emparent de ce nouvel outil, je crois que les choses peuvent aller très vite car ces problématiques sont beaucoup plus évidentes pour elles et eux.
La France insoumise est aujourd’hui la principale force politique à gauche, et à ce titre elle constitue l’essentiel d’un des trois pôles du champ politique (les deux autres pôles étant la droite et l’extrême droite). Entre 2017 et 2022, elle a clarifié ses positions sur certaines questions, notamment celle du racisme, et opéré un déplacement plus à gauche. Comment envisagez-vous les rapports de la nouvelle organisation politique en projet avec LFI ? Pourquoi privilégiez-vous l’option d’une nouvelle organisation séparée de LFI plutôt que celle d’un parti partie prenante de LFI ? D’un point de vue stratégique, pourquoi ne pensez-vous pas que l’urgence de la conjoncture actuelle soit de renforcer et structurer la force politique de gauche la plus à même de prendre le pouvoir ?
Pauline Salingue : Le NPA a acté positivement l’évolution de LFI dans la dernière séquence. Nous agissons plus souvent sur le terrain des luttes, nous voyons moins de drapeaux tricolores dans les cortèges de LFI et c’est une bonne chose, même s’ils chantent encore la Marseillaise dans leurs meetings ou à l’Assemblée… Des rapprochements ont par conséquent été possibles, et nous avons participé à plusieurs élections locales, municipales ou régionales, sur des listes communes unitaires. Nous avons discuté jusqu’au bout pour arriver à un accord aux législatives mais LFI a fait d’autres choix en intégrant notamment le Parti Socialiste à la NUPES, privilégiant le cartel parlementaire à la construction d’une alternative de rupture avec le capitalisme.
Nous sommes convaincu·es qu’on ne changera pas le monde sans prendre le pouvoir. Mais les expériences récentes de Syriza ou de Podemos ont montré qu’il ne suffisait pas de gagner les élections pour rompre avec le capitalisme. C’est d’ailleurs ce que nous enseigne l’histoire des révolutions. La bourgeoisie ne se laisse pas faire et à de multiples ressources pour empêcher un gouvernement progressiste d’attaquer ses intérêts. Nous avons donc un premier désaccord d’ordre stratégique avec LFI. Nous ne sommes pas convaincu·es par « la révolution par les urnes ». Nous pensons qu’il y aura une épreuve de force avec la bourgeoisie et que cela se prépare. Cet affrontement prendra très certainement la forme d’un affrontement avec les institutions auxquelles les masses s’affrontent déjà actuellement. Pour reprendre la vieille formule, on ne peut pas construire une autre société sans briser la vieille machine d’État liée au capitalisme.
Ceci entraîne un second désaccord sur le type d’organisation que l’on doit construire. La structuration gazeuse de LFI a prouvé son efficacité dans les moments de dynamique électorale, pour les campagnes électorales. Mais c’est tout. Le caractère délégataire, intimement lié à un fonctionnement non démocratique a pour conséquence que, dans les grandes épreuves de luttes sociales que nous venons de vivre contre Macron, du mouvement des Gilets Jaunes aux révoltes des quartiers, des grèves contre les réformes des retraites aux luttes pendant le confinement, LFI a joué un rôle institutionnel certes mais marginal dans la structuration des mouvements. Par exemple, il aurait été utile que les dizaines de milliers de militant·es qui agissent lors des élections se soient mis à se coordonner pour bloquer le pays à partir du 7 mars.
À cela s’ajoute le fait que LFI est une organisation peu démocratique. Les oppositions et les désaccords ne sont pas structurés et la direction ne les tolère pas. C’est un problème majeur car une direction forte ne peut gagner sa légitimité que par la conviction, dans le débat démocratique, et parce que la gestion des désaccords et le pluralisme sont des conditions nécessaires à l’unité, à la construction d’outils de masse. Cela implique le contrôle collectif des militant·es, notamment sur les élu·es. Sous prétexte d’efficacité – la plupart du temps électorale ou institutionnelle –, les décisions sont prises par un petit groupe. Finalement, tout ceci empêche d’associer d’autres courants et de travailler à l’auto-émancipation.
Fabien Marcot : À titre personnel, j’ai milité quelques années au Parti de Gauche (avant la France insoumise) et je me rappelle comment l’usage du terme « islamophobie » était tout simplement proscrit, comment la police « républicaine » était systématiquement défendue et les révoltes des quartiers au mieux regardées de loin. Puis, le 10 novembre 2019, LFI est le seul parti de la gauche institutionnelle à manifester contre l’islamophobie. Il faut donc reconnaître que le chemin parcouru par leur direction est énorme. C’est une très bonne chose et c’est avant tout le fruit d’années de luttes par les premier·es concerné·es. On ne peut que s’en féliciter. La France insoumise est le parti à gauche qui a rassemblé le plus largement les classes populaires, la jeunesse, les quartiers. Mais en sept années d’existence, l’absence totale de démocratie, les comportements autoritaires des dirigeant·es, l’électoralisme, ont fait la démonstration que cet outil était pensé comme un outil électoral, institutionnel, médiatique, plutôt que comme un outil utile au quotidien, pensé comme un cadre d’émancipation et d’implication populaire.
Or, ces questions sont pour nous fondamentales. La question de la démocratie est essentielle, car elle est ce qui permet l’implication et l’émancipation. Du coup, je ne comprends pas très bien ce que cela signifie de construire une organisation au sein de LFI, qui n’est ni une coalition de partis ni une organisation démocratique. Comment espérer faire évoluer des questions par rapport à lesquelles nous aurions des désaccords, à part par un rapport de force informel, voire personnel ? Ça n’a rien de sain. D’autre part, on a pu voir au moment des élections législatives que l’absence d’un pôle radical conséquent avait fait pencher la balance du côté de la droite de LFI plutôt qu’à sa gauche. Vu les enjeux actuels, je ne crois pas que l’on puisse se satisfaire de cette situation, et donc il faut réussir à faire exister une force à la gauche de LFI, qui puisse travailler à des alliances – dans les actions ou électoralement – chaque fois que c’est possible. Mais qui puisse aussi être critique lorsqu’il le faut et avancer d’autres propositions, car elles sont nécessaires.
Florence Ciaravola : S’il est exact que la FI a clarifié ses positions sur le racisme et opéré un déplacement plus à gauche, ce n’est pas le cas sur toutes les questions. C’est exact sur les questions sociales, écologistes et antiracistes, ce qui est important. Ce n’est pas le cas sur d’autres questions telles que le féminisme, comme l’illustre l’affaire Quatennens, ou encore, et c’est tout aussi grave, les questions militaires, les questions régionales/régionalistes ou les solidarités internationales, comme le montrent la question des Ouïghours ou le traitement de la guerre en Ukraine : la FI est absente des mobilisations et activités en soutien à la résistance armée et non-armée du peuple ukrainien. La FI est-elle vraiment « la force politique la plus à gauche » de la NUPES ? Ce n’est pas le cas dans tous les domaines et c’est donc très discutable (et discuté au sein d’Ensemble!). Quoi qu’il en soit, notre projet est distinct de celui de la FI.
Et je suis d’accord avec la précision: gagner les élections, ce que vise la FI, n’est pas synonyme de prendre le pouvoir et pour transformer la société, nous sommes favorables à une révolution démocratique et à une stratégie autogestionnaire.
Lors de la dernière campagne électorale, LFI a présenté un programme de rupture avec les logiques néolibérales, qui a rassemblé un électorat important et varié et nourri l’espérance qu’un autre monde est possible et à portée de main. On peut penser que la mise en œuvre d’un tel programme permettrait des transformations sociales et écologiques radicales. Quelles seraient les différences idéologiques et politiques fondamentales entre la nouvelle organisation politique en construction et LFI ?
Florence Ciaravola : La mise en œuvre du programme de la FI et plus largement de la NUPES serait un pas en avant important, dans de nombreux domaines, pas dans tous. Il serait justifié de soutenir cette mise en œuvre, mais en toute indépendance, en maintenant le cap d’une transformation radicale articulant anticapitalisme et autogestion, féminisme et écologie, antiracisme et solidarités internationales avec les peuples en lutte, de la Palestine à l’Ukraine, et plus largement les droits des minorités et des peuples à l’autodétermination. On conviendra que ce n’est ni le projet de la LFI ni celui de la NUPES.
Pauline Salingue : J’ai déjà donné des éléments de réponse précédemment. Bien entendu de nombreuses mesures de l’Avenir en Commun étaient similaires à celles présentes dans le programme de Philippe Poutou. Néanmoins, le programme de LFI reste timide sur les nécessaires incursions dans la propriété privée et n’avance rien sur l’indispensable socialisation des secteurs clés de l’économie (énergie, transports, banques, industrie pharmaceutique). Comment envisager de changer la vie, d’organiser la bifurcation écologique, sans reprendre le contrôle sur la production ? C’est un vrai débat que nous souhaitons mener avec le reste du champ politique à gauche.
Autre point de discorde : les questions internationalistes. Sur de nombreux aspects nous nous détachons du rapport de la direction de LFI avec la conception de la place de la France dans le monde. Nous avons l’internationalisme chevillé au corps. Pour nous, cela passe par une opposition farouche à l’impérialisme français, par l’ouverture des frontières et le refus du campisme en étant solidaires de tous les peuples opprimés, quel que soit l’impérialisme qui les agresse.
Tous ces positionnements sont liés à d’autres désaccords, même s’il y a une évolution positive, en partie subie par la pression de l’État autoritaire, sur le rôle de la police, de la justice. LFI ne remet pas en cause l’appareil d’État, il propose de les changer profondément, mais sans comprendre que l’affrontement avec lui est inévitable.
Fabien Marcot : À Rejoignons-nous nous avons rédigé un « Manifeste pour une nouvelle organisation politique révolutionnaire, démocratique et pluraliste »[3] dont l’objectif est d’être versé au pot commun et débattu. Mais, évidemment, ce n’est pas à Rejoignons-nous, ou à telle ou telle composante à l’origine du forum, de préempter ce que serait un futur projet d’une organisation politique à venir qui reste à construire « par en bas ». Ceci étant dit, il y a évidemment un certain nombre de différences d’approche entre LFI et une grande partie du mouvement social et des aspirations populaires. LFI, malgré ce que vous semblez en dire, fait la promesse qu’un « autre monde est possible » mais n’a aucune intention de rompre avec le système capitaliste. Les propositions contenues dans son programme seraient bien évidemment des avancées sociales importantes mais elles sont plus ou moins ce qu’a mis en œuvre François Mitterrand en 1981, c’est-à-dire une relance keynésienne et une nationalisation de certains secteurs de l’économie. Mais les travailleuses et les travailleurs qui se lèvent tous les matins pour aller bosser continueraient à bosser presque autant, pour un salaire pas beaucoup plus élevé, en n’ayant toujours pas leur mot à dire sur leurs conditions de travail, les finalités de leur boulot, les salaires des dirigeants, etc. Les services publics ou entreprises nationalisées continueraient à fonctionner de manière descendante, sans véritable gestion par les salarié·es, sans parler de l’écrasante majorité des entreprises qui resteraient privées… Il y a aussi de gros problèmes avec les positionnements internationaux de LFI, qui ont déjà été abordés par Florence et Pauline. Leurs propositions institutionnelles se bornent pour l’essentiel à une constituante dont les contours restent très flous : le RIC, le referendum révocatoire… ressemblent plus à une 5e République bis qu’à une rupture radicale avec le système en place.
Cette question de la démocratie, de l’autogestion, de l’appropriation par toutes et tous des outils de production dans tous les lieux économiques, dans les services publics, mais aussi dans les lieux de pouvoir, est finalement une grande différence avec le projet de LFI, et ce n’est hélas pas très étonnant vu leurs pratiques internes… Entre l’affaire Quatennens ou la place laissée aux militant·es des quartiers pour les élections législatives, on observe un décalage entre les aspirations populaires – qui ont pu s’exprimer y compris chez les militant·es LFI – et la direction. Et malheureusement, il n’existe aucune possibilité en interne pour que ces questions soient débattues démocratiquement. C’est un problème lorsque l’on aspire à construire « un autre monde », non ?
Dans votre appel, vous écrivez que la nouvelle « organisation politique pourra être présente dans l’arène électorale et institutionnelle » mais que « son centre de gravité sera la rue, les lieux de travail, les quartiers ». Mais on peut penser, y compris sur la base des présidentielles et législatives en France en 2022, que les élections constituent un moment clé de lutte politique et un levier de construction d’une force de masse. Or on lit dans votre appel comme une défiance : vous « pourrez » participer aux élections, mais cela ne semble pas essentiel. Pourriez-vous apporter davantage d’éléments sur votre rapport aux élections ?
Pauline Salingue : Lors des élections, bien souvent, une majorité de personnes votent contre leurs intérêts. On fait des calculs, des coups à trois bandes, du vote utile… Et cela sans parler des millions de personnes qui ne se déplacent pas dans l’isoloir. Les élections sont certes un moment important de luttes politiques, notamment entre les différents partis. Mais elles sont relativement peu un moment de politisation. Nous sommes convaincu·es que ce n’est pas dans les moments électoraux que les lignes bougent, que les consciences évoluent. C’est l’un des grands apports de la révolutionnaire Rosa Luxembourg. Elle a été la première à théoriser que c’est dans l’action, dans la lutte extra-parlementaire, quand des millions de personnes commencent à agir, que la compréhension qu’il faut rompre avec ce système progresse à toute allure. C’est pour cela que nous pensons que le centre de gravité du parti que nous voulons construire doit d’abord être dans les entreprises, les quartiers et les lieux d’études, là où notre camp social vit et s’organise pour lutter.
Néanmoins, nous considérons qu’il est important d’occuper tous les terrains, y compris celui des élections. D’ailleurs, nous pensons qu’il peut être très utile d’avoir des élu·es anticapitalistes dans les institutions. De ce point de vue-là, de nombreux parlementaires de LFI ont fait la démonstration que des élu·es peuvent avoir un rôle d’agitation très efficace et ainsi contribuer à élever le niveau d’affrontement avec le pouvoir.
Fabien Marcot : C’est drôle, je fais presque une lecture inverse de ce passage du texte d’appel au forum ! Beaucoup de militant·es de la gauche radicale viennent plutôt d’une histoire dans laquelle la participation aux élections ou aux institutions est… compliquée et rarement prise au sérieux. À ce sujet, je renvoie d’ailleurs vers un texte de Laurent Levy que vous avez publié[4] et qu’à titre personnel j’ai trouvé très utile. Il me semble donc que ce passage du texte d’appel au forum vient affirmer que oui, nous voulons prendre au sérieux « l’arène électorale et institutionnelle », mais pour autant ça ne peut pas devenir l’alpha et l’omega de notre stratégie politique, comme c’est le cas pour les partis de la NUPES, dont les organisations ne sont souvent plus que des « machines électorales ». Les élections sont, comme vous le dites, « un moment clé de lutte politique » – en tout cas un moment de politisation intense où se cristallisent un certain nombre de choses, pour le meilleur ou pour le pire. Et donc oui, il faut en être. À ce sujet, on ne fera pas l’impasse sur une profonde réflexion sur le rôle des élu·es, d’opposition ou membre d’une majorité. Mais une force politique ne peut pas être uniquement tournée vers les élections suivantes déterminer sa stratégie, ses actions, son discours, seulement dans le but de les remporter, même si ça compte. Ses actions au quotidien, ce qu’elle organise en termes de formations, de débats, d’élaboration collective, de solidarité concrète, d’autodéfense et d’autogestion, de batailles idéologiques et d’intervention médiatique, en menant les combats aux niveaux local, national et international sont tout aussi importantes. Sa présence aux côtés ou dans les luttes est centrale, d’une part pour les soutenir, mais aussi parce que c’est là que se joue la prise de conscience de la nécessité de l’action collective, et c’est à partir de là que nous voulons construire.
Florence Ciaravola : La vie politique française reste surdéterminée par le cadre des institutions de la Ve République, le présidentialisme, la personnalisation et l’électoralisme. Il n’existe aucun autre pays de l’UE doté d’un pouvoir exécutif ayant un tel profil autoritaire. Tout cela contribue à la crise de la représentation politique et nous devons apporter des réponses alternatives à une telle crise. ll y a parmi ces réponses , d’autres pratiques politiques citoyennes et autogestionnaires, le refus de l’électoralisme et la volonté de prendre au sérieux les processus électoraux, sans pour autant les mettre au centre de l’activité d’une nouvelle force politique.
Au sujet du rapport aux institutions de la Ve République, il y a consensus entre LFI, le PCF, le NPA et d’autres organisations politiques de la gauche radicale et/ ou anticapitaliste sur la nécessité de transformations des institutions étatiques. Dans votre appel, il semble que vous déclarez votre opposition aux institutions et à l’État. Pourriez-vous développer cette dimension ? Comment se matérialiserait cette opposition concrètement ? À quel type d’institutions et d’État aspirez-vous ? Et par quels moyens concrets ?
Pauline Salingue : La tradition marxiste ne formule pas d’aspiration à construire un nouvel État, mais à une société sans classes et sans État, une libre association des producteurs et productrices. C’est un élément clé d’un projet de société émancipateur : l’État, en tant que corps séparé de la société, est complètement lié aux oppressions, extrêmement variées, qui ont existé dans diverses sociétés. Son dépérissement est une condition au bonheur humain.
Cela ne veut pas dire qu’il n’y aurait pas décisions collectives, de planification, de choix stratégiques, notamment pour ce qui concerne l’écologie, la recherche, des campagnes militantes contre les oppressions, etc. Mais chacun·e y participerait, grâce à une réduction drastique du temps de travail, libérant des temps d’organisation, de répartition des tâches, de discussion sur ce qu’on veut produire et comment, d’accès à différentes cultures, sans que des tâches soient assignées à des gens qui se détachent de la société.
Ce projet de société s’incarne dans les luttes actuelles. Les mobilisations s’affrontent de plus en plus avec un État d’autant plus oppresseur et violent que la crise écologique et économique s’approfondit, que le fascisme devient un recours possible, et elles construisent des pratiques opposées à la logique étatique : le débat contre la délégation de pouvoir, la connexion permanente entre la réflexion et l’action, etc.
Dans un processus révolutionnaire, une grande mobilisation qui s’affronte à cet État, des structures d’auto-organisation, prémices de l’autogestion, s’organiseront, dans les quartiers et les lieux de travail, et se coordonneront pour construire une autre légitimité démocratique, opposée à celle de l’État bourgeois.
Fabien Marcot : Comme vous le soulignez, il est évident pour beaucoup à gauche, du NPA à EELV, LFI ou le PCF, que les institutions de la Ve République limitent la démocratie, lorsqu’elles ne permettent pas carrément de la nier – notamment en donnant des pouvoirs exorbitants au président de la République. Mais si on va plus loin, il y a des approches très différentes. Y compris au sein de la gauche radicale et des mouvements sociaux, dans lesquels la question démocratique est de plus en plus présente. C’est à l’évidence un sujet qu’il faudra creuser pour construire une force politique commune.
À Rejoignons-nous, nous n’avons pas à proprement parler fait de propositions de nouvelles institutions et de moyens concrets de les atteindre, ce n’est pas vraiment le rôle de ce collectif. Mais il est clair que la question démocratique – et pas seulement dans les institutions – la question de l’autogestion, sont centrales pour nous dans l’approche que nous avons de l’organisation de la cité, du travail, des choix écologiques, de la police, etc.
Florence Ciaravola : C’est à une nouvelle architecture institutionnelle que nous devons réfléchir, dans une perspective autogestionnaire. Cela implique notamment de combiner maintien et extension des services publics sans renforcement des pouvoirs de l’État – nous sommes à terme pour son dépérissement –, avec une extension des droits des salarié·es et des citoyen·nes à travers une démocratie active ancrée dans les territoires (assemblées populaires citoyennes). Appuyons-nous sur les pratiques alternatives expérimentées par exemple à travers le budget participatif de Porto Alegre ou le municipalisme dans le Rojava.
Quelles sont les perspectives qu’ont, selon vous, ouvert ce forum ? Comment voyez-vous les prochaines étapes ? Il était question, dans votre appel, de réunions locales, et le 2 juillet s’est conclu par l’appel à des forums locaux dans toutes les villes : quel est le but de cet appel à des forums locaux ? Comment en voyez-vous leur périmètre ? Et pensez-vous que ces discussions et élaborations pourront conduire bientôt à la construction d’une nouvelle force politique ?
Fabien Marcot : Pour nous, c’est très important que les discussions commencent localement, et que de là découle les débats nationaux – et non l’inverse. C’est vrai, nous avions déjà appelé à l’organisation de forums locaux en amont du forum national mais, hélas, nous avons été un peu trop optimistes sur le timing, et les quelques semaines qui séparaient l’appel national de la date du forum étaient évidemment beaucoup trop courtes pour s’organiser localement dans de bonnes conditions. Et puis, je crois qu’à plusieurs endroits, il y avait aussi besoin de cette impulsion nationale pour se lancer. La bonne nouvelle, c’est que déjà, dans plusieurs villes, des camarades ont commencé à préparer des forums locaux pour la rentrée. À tel endroit à l’initiative de militant·es NPA, ailleurs d’Ensemble !, ailleurs encore de Rejoignons-nous ou d’ex-LFI. Un nouveau texte précisant un peu les choses pour cette seconde phase est en cours de rédaction par le groupe d’animation du forum, je ne peux donc pas en révéler la teneur avant qu’il ne soit publié, mais l’idée générale est de commencer à se poser un certain nombre de questions relatives à l’organisation que nous voulons construire et à ce que nous voulons faire ensemble. L’objectif est ensuite d’organiser un nouveau forum national aux alentours du mois de novembre et que cette fois-ci les discussions locales puissent vraiment servir de base aux débats.
Dans son manifeste, Rejoignons-nous propose d’organiser un grand processus constituant pour fonder les bases d’une future organisation politique, et nous mettons également au pot commun l’idée que les élections européennes seraient une bonne occasion d’élaborer collectivement un projet, d’ouvrir grandes les portes et les fenêtres à des candidatures issues des mouvements sociaux, et de se faire connaître. Bien sûr, nous n’en sommes pas encore là, mais ce sont des questions qui se poseront forcément localement et nationalement. Comme vous le voyez, le travail qui reste à faire est immense, mais aussi tellement enthousiasmant et nécessaire !
Florence Ciaravola : La tenue de forums locaux ou départementaux est en effet essentielle pour un processus ascendant et construit par « en bas », ouvert à toutes et tous les intéressé·es et élargi au-delà des seul·es militant·es du NPA, Rejoignons-Nous ou Ensemble !. Au travers des échanges et des pratiques communes autour de campagnes décidées ensemble, nous pourrons tester les convergences et identifier les questions faisant débat et devant faire l’objet d’une réflexion approfondie. C’est ce qui permettra de construire ce processus sur des bases solides, sans précipitation, et de traduire ce processus par la fondation d’une force politique commune de la gauche alternative. Dans un premier temps, pourquoi pas sous une forme fédérative et coopérative? La réussite de notre processus permettrait non seulement de donner de l’espoir et une perspective mais d’être un des éléments de lutte contre la menace néofasciste.
Pauline Salingue : Reprenons par la fin : y aura-t-il une nouvelle force politique à court terme ? Je ne sais pas. En fait, la question à laquelle nous voudrions répondre ce n’est pas tant quand mais plutôt comment ? Comment contribuer à créer cet outil dont nous parlions au début de l’entretien ? Un parti militant, unitaire et révolutionnaire, qui agrège et accumule les expériences, implanté sur les lieux de travail, dans les quartiers, et qui modifie le rapport de force social et politique au quotidien. Si c’est cela que nous voulons construire, alors cela ne peut pas être une simple fusion des trois forces (Rejoignons-nous, Ensemble!, NPA) qui ont initié cet appel.
Tout d’abord parce qu’il manque un certain nombre de courants qui se situent dans le champ d’un anticapitalisme non sectaire, qui intègrent les apports de l’écosocialisme et avec qui on travaille au quotidien dans les mobilisations, les syndicats, divers collectifs… On pourrait penser à des organisations qui sont aujourd’hui dans LFI comme la GES ou des courants issus du communisme libertaire. Sans parler des milliers de personnes, pas encore organisées politiquement, qui cherchent des perspectives politiques à partir de l’expérience de leurs luttes.
Mais au-delà, si nous sommes sérieux avec nos objectifs, alors nous savons déjà qu’une nouvelle force ne pourra émerger à l’issue de réunions de quelques centaines de camarades à Paris ou via des conférences en ligne. Construire une telle force politique ne peut pas être seulement un processus vertical. Il faut surtout un processus à la base avec des va-et-vient constants entre les rassemblements locaux et la forme nationale que cela pourrait prendre. Et il faut valider pas à pas non seulement une base politique mais surtout une pratique militante commune qui nous permettent de nous projeter dans l’action. À ce jeu, la question du rythme balance entre l’urgence de répondre à la situation politique difficile dans laquelle nous nous trouvons et la nécessité de ne perdre personne en route.
Aussi le forum auquel nous venons de participer n’était qu’une première étape. En premier lieu, cela nous a permis de vérifier que nos trois organisations avaient un socle commun suffisant pour continuer ce processus. Mais surtout cela a démontré qu’il y a un véritable écho dans notre camp, auprès de celles et ceux avec lesquels nous nous battons quotidiennement. Plus de 400 signataires de l’appel en quelques jours, en majorité des syndicalistes, des militant·es d’associations, de collectifs, impliqué·es dans des réseaux de lutte très divers. Et tout compte fait, près de 200 participant·es au forum du 2 Juillet à Paris, c’est un bon début. Ce forum a permis d’exprimer notre solidarité avec la révolte de la jeunesse des quartiers populaires à travers un premier texte écrit dans l’urgence de la situation. Le comité d’animation du forum est en train de rédiger un deuxième texte de synthèse des discussions qui ont eu lieu, des questions qui ont préoccupé l’ensemble des participant·es, mais aussi des débuts de réponses que nous avons commencé à formuler. Il s’agit maintenant de lancer la deuxième étape, de déployer le processus des forums locaux, au plus près de ceux et celles qui font le constat commun de la nécessité de rompre radicalement avec le système capitaliste et du manque criant d’une force capable de nous regrouper largement.
Ces forums locaux ont donc une grande importance, car ils doivent permettre d’initier les premiers regroupements militants et à travers les discussions qui les animeront, d’élaborer une stratégie politique qui puisse initier une dynamique localement et nationalement. A ce sujet, le texte de synthèse du forum du 2 juillet, le texte général d’appel, mais aussi le texte de solidarité avec les quartiers populaires, doivent servir de guide et de propositions versées au débat des forums locaux. Ceux-ci peuvent s’en emparer pour commencer à formuler une politique de résistance et d’offensive, unitaire et révolutionnaire, à travers la construction d’un projet politique et de campagnes d’action. Le chantier est vaste, mais nous ne partons pas de rien, nous avons pour nous la richesse et la diversité des expériences militantes.
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Illustration : « Manial », Hamed Abdalla, 1933. Avec l’aimable autorisation de Samir Abdalla.
Notes
[1] Omar Slaouti, militant des quartiers populaires qui a également participé à l’introduction de ce forum et accepté notre proposition d’un entretien croisé, n’a finalement pas pu y participer.
[2] Voir en ligne :
[3] Voir en ligne : www.egalites.org.
[4] Laurent Lévy, « L’électoralisme et ses images spéculaires », 29 juillet 2020,