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    Donald Trump est plus faible qu’il n’en a l’air

    Trump

    Lien publiée le 30 janvier 2025

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    Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

    https://www.contretemps.eu/donald-trump-plus-faible/

    L’administration de Donald Trump fait tout ce qu’elle peut pour projeter une image de puissance inarrêtable dans ses premiers jours en tant que président. Mais des fissures commencent déjà à apparaître.

    ***

    Comme promis, Donald Trump a donné le coup d’envoi de sa présidence en faisant preuve de « rapidité et de force ». S’appuyant sur ce qu’il a appelé un soutien « massif », avec une « victoire éclatante dans les sept États-clés (swing states) et au niveau national (popular vote) », Trump a lancé ce que ses alliés ont appelé une stratégie de « choc et d’effroi », faisant allusion à la campagne de bombardements massifs qui a permis l’invasion de l’Irak par les États-Unis.

    Trump a émis des dizaines de décrets sur des sujets aussi variés que le retrait des États-Unis d’accords internationaux, l’annulation de directives de l’ère Biden, les préparatifs d’une purge à grande échelle des personnels fédéraux et la lutte contre les bêtes noires des conservateurs tels que la citoyenneté de naissance et l’énergie éolienne.

    En bref, il semble que les pires craintes au sujet d’une deuxième présidence Trump se réalisent : un inarrêtable rouleau-compresseur de droite qui laissera un pays très différent derrière lui dans les ruines de ce qu’il aura détruit. C’est certainement ce que le président voudrait faire croire à son opposition démoralisée. Mais malgré tous les grands discours, la présidence de Trump et son projet politique sont plus fragiles qu’aucun des deux camps ne le pense.

    Des problèmes dans la coalition

    Tout d’abord, des fissures ont déjà commencé à apparaître dans la coalition de Trump, et ce avant même son investiture. À la fin de l’année dernière, un clivage tendu s’est formé entre les partisans de l’« Amérique d’abord » qui veulent restreindre l’immigration, et les milliardaires qui soutiennent les visas H-1B [visas destinés à des travailleurs∙euses très qualifié∙es], représentés par des personnalités telles que Vivek Ramaswamy[1] (aujourd’hui excommunié pour avoir dénigré les travailleurs∙euses étatsunien∙nes dans un tweet) et Elon Musk[2].

    Les fissures sont particulièrement visibles autour de Musk. Ayant utilisé son soutien de 277 millions de dollars à la campagne pour se frayer un chemin dans le cercle rapproché de Trump, et devenir apparemment tout à la fois conseiller, porte-parole et membre officieux du gouvernement du nouveau président, il a déjà marché sur les pieds de Trump une première fois en menant la charge pour torpiller à la dernière minute un accord du Congrès sur le plafond de la dette, devançant Trump lui-même.

    L’influence démesurée de Musk sur le mouvement « Make America Great Again » (MAGA) autour de Trump, qu’il n’a réellement rejoint qu’il y a six mois, a rapidement irrité des personnalités MAGA de longue date comme Steve Bannon, qui a juré de faire « déguerpir » Musk et s’est plaint que la politique des États-Unis soit façonnée par « les personnes les plus racistes de la planète, les Sud-Africains blancs », faisant référence à Musk et à plusieurs autres investisseurs sud-africains en capital-risque dans le domaine de la technologie.

    La tolérance de Trump et de son équipe à l’égard de Musk semblait déjà s’épuiser une semaine après l’élection. Depuis, Trump a dû s’abaisser jusqu’à nier publiquement avoir « cédé la présidence à Musk »., Maintenant le milliardaire de la technologie vient de priver en partie le président de son grand jour en faisant la une des journaux lors de l’inauguration pour ce qu’un éminent suprémaciste blanc a célébré comme un salut [nazi] « carrément en mode Sieg Heil ». Le fait que de telles fissures apparaissent avant même que Trump ne prenne ses fonctions est un signe particulièrement inquiétant pour le président, qui a sermonné les Républicains en leur disant qu’ils devaient « se serrer les coudes » s’ils voulaient réussir.

    Des difficultés à gérer les crises

    Une autre vulnérabilité du trumpisme est que le président hérite de plusieurs crises potentielles.Sur le plan intérieur, Trump hérite des retombées de plusieurs catastrophes naturelles historiques, notamment des incendies de forêt qui continuent de ravager la Californie, l’État qui contribue pour 14 % au PIB du pays – l’État a désormais besoin d’une aide vitale, que Trump et ses alliés ont menacé de transformer en enjeu de conflit politique et que l’un de ses décrets anti-immigrés a déjà mis en péril[3]. Sans parler des innombrables autres urgences qui pourraient survenir au cours de son mandat, que ce soit la prochaine série de catastrophes climatiques qui ne manqueront pas de se produire, ou le prochain krach financier.

    Il est bon de se rappeler que si son prédécesseur a obtenu de piètres résultats en matière de réaction aux catastrophes, Trump n’était pas non plus très brillant en situation de crise lorsqu’il était à la Maison Blanche, que ce soit face à l’ouragan Maria à Porto Rico ou dans sa réaction chaotique et mortifère à la pandémie qui a contribué à lui faire perdre l’élection il y a cinq ans.

    Au-delà des frontières des États-Unis, le cessez-le-feu à Gaza a peut-être débarrassé Trump d’un important casse-tête politique pour l’instant, mais comme Benajamin Netanyahou menace de relancer la guerre dans quelques semaines – et que Trump semble lui donner son soutien pour le faire – l’horreur à Gaza et tout ce qui en découle pourraient bien finir par devenir un désastre pour Trump après en avoir été un pour Biden. Il en va de même pour une éventuelle guerre avec l’Iran qu’Israël et son lobby étatsunien[4] prévoient d’imposer à Trump.

    Pendant ce temps, en Ukraine, si les négociations prévues par Trump échouent et que la Russie continue simplement à avancer sur le champ de bataille pour atteindre ses objectifs par des moyens militaires, Trump sera mis dans la position soit d’accepter ce qui serait présenté comme une défaite des États-Unis, soit d’intensifier un engagement militaire dans la guerre et de replonger les Étatsunien∙nes dans une crise comportant une dimension nucléaire.

    L’une ou l’autre de ces solutions non seulement réduirait à néant « l’héritage de paix » que Trump prétend laisser derrière lui comme il l’a bruyamment fait savoir, mais constituerait également une trahison majeure des attentes d’une opinion publique lasse de la guerre (lassitude qui a contribué à le porter au pouvoir), empoisonnant lentement l’agenda domestique de Trump de la même manière que cela a été le cas pour Biden.

    En attendant, même si personne dans l’entourage de Trump ne semble le savoir ni s’en soucier, la mise en œuvre de ce « programme de paix » ne contribuerait guère à résoudre le problème central qui l’a amené à la Maison Blanche : la colère populaire face à la hausse exponentielle du coût de la vie. En fait, cela pourrait même bien aggraver la situation.

    D’introuvables résultats pour les classes travailleuses des États-Unis

    L’une des mesures phares de Donald Trump, l’instauration de droits de douane généralisés sur les importations en provenance des deux voisins les plus proches des États-Unis et de la Chine, devrait renchérir tous les produits, des légumes à la bière, en passant par les jouets, les voitures et une multitude d’autres biens de consommation.

    Dans le même temps, la pièce maîtresse de son programme intérieur est une nouvelle réduction d’impôts pour les riches, que les Républicains du Congrès prévoient de financer en s’attaquant aux programmes de protection sociale tels que Medicare et Medicaid[5]. Trump s’est d’ailleurs déjà tiré une première balle dans le pied dans ce domaine : affirmant vouloir démanteler des « pratiques impopulaires, inflationnistes, illégales et radicales », il a notamment annulé une directive du président Biden visant à explorer les moyens de réduire le coût des médicaments délivrés sur ordonnance.

    Trump et son équipe font le pari qu’il suffira de déchaîner encore et toujours la production de combustibles fossiles pour faire baisser les prix. Mais les États-Unis étaient déjà le plus grand producteur d’énergies fossiles de l’histoire de l’humanité lorsque les prix se sont emballés sous la présidence Biden, et bon nombre des causes de la crise du coût de la vie – comme la flambée des prix du logement et les factures médicales exorbitantes – ne sont pas dues à un manque de combustibles, mais à l’appât du gain.

    On peut douter que Trump aille plus loin que les maigres mesures de son prédécesseur démocrate dans la lutte contre cette cupidité. C’est peut-être la contradiction fondamentale au cœur de la présidence de Trump qui s’ouvre : il a fait campagne en tant que champion du travailleur américain pourfendant le marécage de Washington, mais il a maintenant remis les rênes du gouvernement à un groupe de créatures sorties de ce même marécage, à savoir les treize milliardaires nommés à son cabinet (un record) et les nombreux autres milliardaires à qui il a offert des places au premier rang lors de son investiture. Sa mitraille de décrets a largement consisté jusqu’à présent à faire progresser les objectifs du grand capital inscrits dans le « Projet 2025 », celui-là même qu’il jugeait si toxique pour lui politiquement qu’il s’en était tenu éloigné pendant la campagne.

    Il faut savoir que pendant que Trump fait tout cela, et qu’il hisse la corruption à un niveau rarement atteint[6], un récent sondage censé montrer le soutien de l’opinion publique à certaines des positions de Trump a également révélé qu’une large majorité d’Étatsunien∙nes, tous partis confondus, pensent que le système politique du pays ne fonctionne pas si ce n’est au profit des riches et des élites. Cela peut représenter un grand point faible pour Trump, alors qu’il entreprend d’appliquer ce qui se présente de plus en plus comme un programme ploutocratique.

    Ne donnons pas à Trump ce qu’il veut

    Enfin, l’entourage de Trump est bien trop optimiste, quand il pense aujourd’hui que le premier mandat Trump a simplement été gâché par des saboteurs et un « establishment » revanchard. Trump et son équipe ont souvent été leurs propres pires ennemis, mettant le feu aux poudres en paroles et en actes, suscitant inutilement des controverses qui ont entravé sa présidence et sapé le soutien de l’opinion publique. On a pu entrevoir un court instant une approche plus disciplinée, mais de nombreux éléments de la campagne et de ces dernières semaines – y compris la volte-face soudaine sur l’accord relatif au plafond de la dette, qui a semé la zizanie dans son propre parti – suggèrent que les choses n’ont pas beaucoup changé.

    En réalité, quoi qu’il dise en public, Donald Trump n’arrive pas au pouvoir avec de grandes réserves de soutien dans la population, ni même avec une base électorale particulièrement impressionnante. En fin de compte, Trump n’a remporté l’élection que par une marge de 1,5 point, soit la moitié de l’avance républicaine lors des élections de mi-mandat en 2022, une performance qui avait été considérée comme un échec à l’époque.

    Il entame sa présidence avec une cote de popularité plus élevée qu’en 2017, mais toujours bien en deçà du soutien majoritaire avec lequel les présidents des États-Unis commencent généralement leur mandat, et bien en-dessous de la popularité de Biden lors de son investiture en 2021. Les audiences télévisées de l’investiture de Trump ont été nettement inférieures à celles de son premier mandat et à celles d’il y a quatre ans.

    Cela n’indique pas exactement un public complètement « trumpisé », prêt à accorder une absolution illimitée à Trump pour une interminable série de scandales et de controverses. On peut plutôt y voir un électorat à bout, mécontent de la politique, qui a choisi Trump et les Républicains dans le vain espoir qu’ils feraient au moins un meilleur travail que l’autre camp – et qui pourrait être prêt à les mettre eux aussi à la porte s’ils n’y parviennent pas.

    On a trop tendance à oublier que Biden et son équipe sont également arrivés au gouvernement portés par des attentes populaires ambiguës (sur une base électorale nettement plus large, cependant), avec de grandes ambitions pour une présidence sociale qui remodèlerait le pays, le maintiendrait à l’écart des guerres à l’étranger et ouvrirait un avenir politique à leur parti en allant vite et fort dans leur programme. Ils ont même bénéficié d’une cote de popularité élevée après cent jours.

    Puis tout s’est effondré, car la présidence Biden a plié et s’est effondrée sous le poids de ses propres contradictions internes : Biden a confié les rênes de l’État aux représentants des milieux d’affaires ; il a eu le plus grand mal à maintenir la cohésion de son étroite majorité, a poursuivi dans la voie néolibérale des aides aux entreprises et des coupes dans les dépenses sociales, et n’a pas pu résister à la tentation d’impliquer les États-Unis dans de nouveaux conflits armés. Ce n’était pas la première campagne présidentielle de l’histoire des États-Unis à croire sa victoire déjà acquise pour finalement s’effondrer rapidement, et ce ne sera certainement pas la dernière.

    Il est tout à fait possible que rien de tout cela ne se réalise, que Trump et les siens évitent ces écueils et connaissent un succès politique au-delà de leurs rêves les plus fous. Mais il est au moins aussi probable que les vulnérabilités et les contradictions internes du mouvement Trump créent des ouvertures qu’une opposition bien organisée pourrait exploiter avec un certain sens stratégique, tout comme les constantes erreurs politiques imputables à Biden l’ont fait pour sa présidence. S’il ne fait aucun doute que Trump fera beaucoup de dégâts au cours des quatre prochaines années, le voir comme un conquérant triomphant et indomptable pourrait bien être exactement ce qu’il veut.

    *

    Publié initialement sur Jacobin. Traduction et notes : Mathieu Bonzom

    Illustration : Wikimedia Commons.

    Notes

    [1] Ex-candidat aux primaires présidentielles républicaines où il s’était posé en fervent soutien de Trump (NdT).

    [2] Tandis que les commentateurs de gauche les moins pessimistes concernant la nouvelle élection de Trump ont tenté une comparaison avec la réélection de George W. Bush bientôt suivie de difficultés pour lui, on se souviendra que les divisions du camp républicain concernant l’immigration avaient joué un rôle important dans les défaites républicaines dans ces années-là (NdT).

    [3] Couper des financements fédéraux aux collectivités ayant pris des mesures favorables aux immigré∙es pourrait conduire ces dernières à des coupes budgétaires notamment liées à la lutte contre les incendies (NdT).

    [4] Cette expression désigne généralement l’organisation American Israel Public Affairs Committee (AIPAC), et quelques autres (NdT).

    [5] Système public de couverture santé pour les personnes âgées et à faibles ressources, respectivement (NdT).

    [6] L’auteur fait ici allusion au lancement par Trump, quelques jours avant son inauguration, d’une cryptomonnaie portant son nom et qui lui aurait permis de multiplier sa fortune (déjà multimilliardaire) par dix ; certains experts contestent cependant cette estimation – avec des arguments renvoyant essentiellement à la volatilité (pour ne pas dire pire) des cryptomonnaies. Si ces réserves peuvent relativiser une lecture en termes de corruption massive, elles pourraient constituer un exemple supplémentaire de « fausse puissance » chez Trump (NdT).