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Décès de Tarek Aziz
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Tarek Aziz avait été l'un des premiers dirigeants irakiens capturés par les forces américaines après l'invasion de l'Irak et la chute du régime de Saddam Hussein, en avril 2003. Emprisonné, l'ancien chef de la diplomatie est condamné au cours de cinq procès pour crimes contre les Kurdes et les chiites. En octobre 2010, il est condamné à mort pour " meurtre délibéré et crimes contre l'humanité " lors de la répression contre les partis religieux chiites dans les années 1980. Le Vatican avait plaidé sa grâce. Le président irakien d'alors, le Kurde Jalal Talabani, avait déclaré qu'il ne signerait jamais son ordre d'exécution, eu égard à l'âge et à la religion du condamné. Un an plus tard, Tarek Aziz demandait au premier ministre Nouri Al-Maliki de hâter son exécution à cause de sa mauvaise santé.
Selon sa famille – il était père de quatre enfants –, sa santé s'était nettement dégradée en prison, où il sera resté douze ans. Il souffrait de problèmes cardiaques et respiratoires, d'une tension artérielle élevée et de diabète. Vendredi 5 juin, il est mort, à 79 ans, à l'hôpital Al-Hussein de Nassiriya, à 320 kilomètres au sud de Bagdad, d'une crise cardiaque, selon le docteur Saadi Al-Majed, le chef du département de la santé de la province de Zi Qar.
On a dit de lui qu'il était la face présentable du régime déchu, chargé de lustrer son apparence aux yeux du monde, l'homme des missions difficiles en somme, tant il est vrai que la politique étrangère de Bagdad était illisible à bien des égards. Pendant vingt-quatre ans, même lorsqu'il n'était plus ministre des affaires étrangères en titre, Tarek Aziz en était de fait le principal, sinon le seul, officier de liaison avec la communauté internationale.
Par son expérience et aussi grâce à son bagage intellectuel, il avait acquis le " parler occidental ", qui lui permettait d'exposer les vues de son pays, d'en soigner et d'en adapter la forme, sans jamais en trahir le contenu. " Le monde occidental n'est pas une énigme pour moi, parce que j'ai beaucoup lu à son sujet, sa littérature, sa poésie et ses romans les plus célèbres ", confiait-il dans un livre d'entretien (en arabe) avec la journaliste Hamida Nahnah,Tarek Aziz… Un homme et une cause. Ses premières visites à Paris et à Londres n'ont lieu qu'en 1970. Il ne découvre New York que quatre ans plus tard.
Eveil précoce à la vie politique
Né en 1936, près de Mossoul, dans le nord de l'Irak, au sein d'une famille de condition très modeste, Tarek Aziz n'était pas uniquement le plus" articulé " des membres du Commandement de la révolution irakienne (CCR) – lequel était supposé diriger l'Irak, mais qui s'était progressivement transformé en chambre d'enregistrement des desiderata de Saddam Hussein.
De son vrai nom Tarek Hanna Mikhaïl Issa, il en était aussi le seul membre chrétien (chaldéen) et l'un des plus anciens compagnons de Saddam Hussein qui aient survécu à toutes les purges. Sa discrétion sur sa vie privée contrastait avec la médiatisation dont il avait été l'objet en sa qualité de missi dominici de son pays, notamment à l'occasion de crises graves : telles la guerre de huit ans (1980-1988) contre l'Iran, ou l'invasion et l'annexion du Koweït (août 1990) et ses suites dramatiques.
Son baptême politique remonte à sa prime adolescence, lorsque, à l'occasion de la création de l'Etat d'Israël, en 1948, et de la reconduction quasi concomitante du traité anglo-irakien – signé en 1930 et plaçant l'Irak pratiquement sous protectorat anglais –, il participe aux manifestations populaires qui forcent le régent Abdel Ilah – le roi Fayçal II n'était pas en âge de gouverner, après la mort de son père, Ghazi, dans un accident de voiture – à abroger le traité et à limoger le gouvernement au profit d'une équipe plus nationaliste.
Il s'intéresse alors à toutes les idéologies politiques. Le marxisme le séduit, mais il en récuse l'adversité envers les religions : " Je ne suis pas pratiquant, mais pas non plus athée, et je refuse l'idée selon laquelle “la religion est l'opium des peuples”. " Il ne partage pas non plus la théorie de la lutte des classes, aux relents " haineux " à ses yeux. Le Baas, qu'il découvre au début des années 1950, l'attire parce qu'il " associe le socialisme au panarabisme, qui lie l'homme à sa culture, à son vécu et à sa civilisation ". Les écrits du Syrien Michel Aflak, l'un des idéologues du Baas, le fascinent, qui allient, dit-il, la pensée philosophique profonde aux élans romantiques. Le jeune Tarek Aziz, alors féru de poésie, de littérature et de musique, est conquis.
Au journaliste Patrick Denaud, qui a publié un livre d'entretien avec lui (Irak, la guerre permanente, 2003, éd. Le Félin), il affirme tenir son panarabisme d'un climat familial. " Mon père a eu deux fils. Au premier, il a donné le nom de Faouziz, du nom d'un chef arabe qui a combattu les juifs israéliens. Moi, je m'appelle Tarek, du nom du dirigeant arabe musulman qui a conquis l'Andalousie. Pour un chrétien, donner ces noms à ses deux fils dans les années 1930 n'était pas innocent. Mon adhésion au Baas relève de cette tradition. "
Juillet 1958. Un coup d'Etat militaire renverse la monarchie. A la faveur d'une relative libéralisation politique, le Baas sort de l'ombre, et Tarek Aziz est chargé de diriger le quotidienAl-Chaab, sur lequel les baasistes ont mis la main et qu'ils rebaptisent Al-Joumhouriya (" La République "). Mais l'Irak entre dans une zone de turbulences, à laquelle le Baas n'est pas étranger.
Une tentative d'assassinat, en octobre 1959, du leader Abdel Karim Qassem, par un jeune baasiste alors totalement inconnu, Saddam Hussein, vaut à de nombreux militants de se retrouver en prison. Le Baas est renvoyé dans la clandestinité et avec lui les activités de Tarek Aziz, qui se voit confier la direction de la publication interne du parti, Waï Al-Oummal (" La conscience ouvrière "), qui, comme son nom l'indique, s'adresse à la section ouvrière du parti. Un an plus tard, il cumule déjà les fonctions de membre des directions nationale et régionale du Baas, ainsi que de sa section ouvrière ; mais un article critique qu'il publie dans Waï Al-Oummal lui vaut d'être renvoyé à la base, avant que de nouvelles élections le rétablissent dans son statut de membre des deux commandements suprêmes.
Tarek Aziz participe au coup d'Etat ourdi en février 1963 par le Baas et par un groupe d'officiers nationalistes. Neuf mois plus tard, les putschistes sont à leur tour renversés par un coup d'Etat pro-nassérien. Tarek Aziz retrouve la clandestinité et se replie sur Damas. C'est là, dans la capitale syrienne, qu'au cours de la même année, à l'occasion du sixième congrès du parti, il rencontre pour la première fois celui qui, dix-neuf ans plus tard, gouvernera l'Irak d'une main de fer pendant vingt-quatre ans : Saddam Hussein. Les deux hommes se retrouvent à Bagdad après la défaite de l'Egypte lors de la guerre israélo-arabe de 1967. Tarek Aziz est nommé rédacteur en chef d'Al-Thaoura, l'organe du parti. Saddam Hussein, alors secrétaire adjoint du parti, est responsable de l'information. Leur compagnonnage durera jusqu'à la chute du régime, en 2003. Tarek Aziz est sans doute alors l'un des rares, sinon le seul membre du CCR, à se permettre une liberté de ton avec Saddam Hussein.
Juillet 1968 : le Baas s'empare de nouveau du pouvoir. Le tandem Ahmed Hassan Al-Bakr-Saddam Hussein gouverne le pays jusqu'en 1979, lorsque Saddam Hussein écarte Al-Bakr et prend les rênes du pouvoir. Membre du CCR depuis deux ans, Tarek Aziz accède alors au rang de vice-premier ministre et de ministre des affaires étrangères. Un an plus tard, il est la cible d'un attentat à l'université Al-Moustansiriya, à Bagdad. L'attentat ayant été attribué aux islamistes chiites, le CCR adopte une résolution punissant de la peine de mort la simple appartenance au parti Al-Daawa et à l'Organisation de l'action islamique.
C'est la guerre contre l'Iran qui fait découvrir au grand public cet homme replet aux épaisses lunettes, au gros cigare et aux cheveux grisonnants, qui, avant de prendre en main la diplomatie, a été ministre de la culture et de l'information. Du siège des Nations unies, à New York, aux capitales arabes, en passant par Moscou, Paris et Londres, il n'a de cesse d'expliquer que son pays fait office de rempart contre " l'exportation de la révolution "islamique que projette l'imam Khomeyni après le renversement du shah dans l'Iran voisin.
L'invasion du Koweït
Son entregent n'est pas étranger au rétablissement, en 1984, des relations diplomatiques entre l'Irak et les Etats-Unis, rompues dix-sept ans plus tôt. Quitte à édulcorer la rhétorique baasiste à propos du conflit avec Israël, en affirmant que son pays, qui " ne se considère pas comme partie directe au conflit parce que Israël n'occupe pas de territoires irakiens ", soutiendra " toute solution juste, honorable et durable " du conflit israélo-arabe.
En 1990, deux ans après la fin de la guerre contre l'Iran, Tarek Aziz se fait le porte-parole de son pays, qui accuse le Koweït de pomper le pétrole du gisement pétrolier de Roumeila, à la frontière entre les deux pays, et d'inonder le marché du brut, provoquant ainsi un effondrement du prix et la ruine d'un Irak exsangue au sortir de la guerre. Ce sera l'une des justifications de l'invasion du Koweït cette année-là.
Selon certaines sources, Tarek Aziz est hostile au maintien de l'occupation du Koweït au moment où une armada de plusieurs centaines de milliers d'hommes menace d'en déloger l'armée irakienne par la force des armes. Il n'en défend pas moins pied à pied la politique de son pays jusqu'au bout, y compris lors de cette désormais célèbre rencontre " de la dernière chance ", à Genève, le 9 janvier 1991, avec le secrétaire d'Etat américain James Baker.
Il s'offre même, ce jour-là, le luxe de refuser d'accuser réception d'une lettre adressée par le président George Bush (père) à Saddam Hussein, à cause de sa formulation, selon lui, indigne à l'égard d'un chef d'Etat.
Quand George Bush (fils) commence à bombarder Bagdad, en mars 2003, Tarek Aziz dit des forces américaines : " Nous allons les recevoir avec la meilleure musique qu'ils aient jamais entendue et les plus belles fleurs qui aient jamais poussé en Irak… Nous n'avons pas de bonbons ; nous pouvons seulement leur offrir des balles. " Le 24 avril, quand des soldats américains frappent à sa porte à Bagdad, il se rend sans résistance.
Mouna Naïm