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Nouvelle : "Tokyo 2047"
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http://www.19h17.info/2017/05/15/nouvelle-tokyo-2047/
Nous continuons la publication épisodique de nouvelles. Comme il y a pile deux mois. Aujourd’hui, une petite nouvelle de Science-Fiction qui se passe au Japon dans exactement trente ans. Un aperçu de la catastrophe en cours, si nous ne parvenons pas à la conjurer.
Akikazu Matsuda
C’est un simple couloir d’hôpital un peu moche, sans originalité, mais c’est déjà bien d’y être ! Il s’est fait prendre tellement de fois à ce niveau-là, avant même d’avoir pu quitter la chambre !
Une fois sorti, prendre à droite. Il n’y a personne. Bien. Mais ça ne durera pas. Avancer vite, mais pas trop. Voilà quelqu’un. Mais pas de danger. Attendre. Ça y est l’espace est libre, au moment où la porte se referme la retenir. Voilà, l’escalier.
Il était d’une des toutes premières générations de joueurs de jeux-vidéos. Ceux de la 2D. Lui avait grandi avec les versions successives de Super Mario Bross.
D’ailleurs, il pourrait encore, les yeux fermés, donner l’emplacement des flûtes permettant de sauter les niveaux. Par exemple, niveau 1 du premier monde, troisième monticule en partant de la fin, appuyer longtemps sur bas. Et le tour est joué. Les jeux étaient plus simples à l’époque. On pouvait finir Mario en une demi-heure, quand on le connaissait bien.
Ils habitaient un petit appartement de la banlieue de Tokyo. Maman et lui. Juste tous les deux. Sa mère travaillait beaucoup, rentrait tard, et le retrouvait toujours à la même place du salon, sur sa console, les yeux rougis…
Cela faisait enrager sa mère. Il la revoit, les cheveux courts, les yeux cernés, fatiguée de sa longue journée de femme de ménage, arriver à la maison durant une interminable partie de Zelda, a la recherche de la « triforce ».
– Akikazu, tu as encore passé la soirée à jouer! Tu as mangé au moins ? Lui montrait les reliefs de son repas, toujours dans le jeu, elle, de dépit, esquissait le geste d’éteindre le poste, lui, debout, scandalisé d’être interrompu…
Quand elle se fâchait, elle l’appelait par son nom de famille:
– Monsieur Akikazu Matsuda, que faites-vous encore ici devant cette télévision?
Alors, elle le grondait, il allait se coucher et rêvait de jeux-vidéos.
Les murs, le sol, grisâtre. C’est un passage secret, un de ceux qu’il s’évertuait à rechercher depuis longtemps. Pas beaucoup de moyens dans les décors… Direction les toits. De là, on verra plus clair. Aïe! Voilà quelqu’un. Ne pas attirer l’attention. Il se fige. Pas encore. Bon. Alerte passé.
Il faut dire que la réalité était moins marrante que les jeux vidéo. Pour sa mère. Pour lui. Pour tous les putains d’enfants qu’il n’aurait jamais… Plus personne n’avait d’enfant, aujourd’hui. Le Japon, pays des vieux. Un pays de vieux accrocs aux jeux-vidéos. Un beau paradoxe, non?
Lui est né en 1985, l’année des accords du Plazza, qui marquent la fin de l’ascension économique du Japon. Suivent 5 ans de bulle spéculative, jusqu’à la fin de la décennie. « Les gosses de la bulle », on les appelait. Ceux qui étaient nés à l’heure du chant du cygne de l’économie du pays. Le dernier moment où des parents y avaient crus, ou il y avait eu du travail, des embauches. Pfuitt… Crevaison de la bulle.
Les années 90, la décennie perdue, le chômage, la déflation. La misère, surtout. Et le début du phénomène otaku, adolescents qui restent chez eux, qui jouent ou regardent en boucle les mêmes mangas… Mais que faire d’autre ? Puis on s’est mis à parler des Hikikomori. Ceux qui s’enferment. Suite logique.
Aller. Il franchit un étage. Une fois, par le passé, il y a peut-être un an, il était arrivé jusque-là. Résister à la tentation de retourner voir. Rien d’intéressant, un retour à une vieille sauvegarde en quelque sorte…
Ça lui rappelait Shinobi. Encore un vieux jeu, sur Master-System. Sega. Il avait fini ce jeu. Il s’en souvenait pour une bonne raison : Il ne se passait strictement rien à la fin. Le générique. Merci aux concepteurs. Rideau. Il avait essayé de le finir en facile, moyen, difficile, nada. Pas de bonus. Pas d’animation, pas de fin. Une arnaque. Il s’en souvenait avec encore un peu de l’indignation violente qu’il avait alors ressenti, et de la peur aussi : que se passe-t-il si même les jeux n’ont plus de buts ?
Mais celui-là n’était qu’une exception. Bien sûr.
Car les jeux progressaient et avaient une fin. Comme les mangas, d’ailleurs. Sangoku devenait un super guerrier, puis des adversaires plus fort se présentaient encore et encore. Les chevaliers du zodiaque accédaient au septième sens, puis au huitième, à l’armure de bronze puis d’or, pareil pour Naruto ou au footballeurs de capitaine Tsubasa…
Lui avait échoué, déjà, tout gosse, a un test d’entrée dans l’école maternelle premier choix que sa mère avait fait pour lui. Voilà. Sa mère ne lui avait rien dit, mais il avait compris. Il ne progressait pas, fuyait, était la honte de la famille. Bien plus tard, après avoir raté le Sentā 1 il s’était souvenu de la réaction de sa mère. Car a nouveau, elle avait eu la même. Le silence. L’angoisse, la déception.
C’est après l’échec au test, qu’il avait commencé à ne plus sortir du tout. Oh, il aurait pu le retenter, faire une année dans le privé, mais à quoi bon ? Et puis il n’avait pas prémédité de ne plus sortir, ça c’était fait, c’est tout.
Encore un étage. Il s’aventure dans les couloirs. Longs. Très éclairé, de nombreuses portes. Il en ouvre une, sur la droite. Salle vide. Mauvais pressentiment. Il regagne le couloir. Du bruit, derrière lui.
Ils étaient nombreux comme lui, eux, les Hikikomori. Un phénomène d’auto-enfermement qui touche toute une fraction de sa génération. Un pour cent. Puis deux. Puis plus…
Au même moment, les vieux ont commencé à sortir dans la rue avec des couteaux pour attaquer les passants au hasard, tout ça pour aller en prison où il faisait mieux vivre pour eux qu’à l’extérieur. Eux aussi s’enfermaient. Qu’y a-t-il d’autre à faire? Putain si nos grands parents préfèrent la prison, qu’est ce qui nous restera nous, à leur âge ? Et il avait continué de jouer. Sa mère avait honte. Les parents avaient tous honte. Et lui a commencé à se taire.
Ouf, fausse alerte. Son cœur bat, fort. Il le remarque, et s’en étonne. Il grimpe d’un demi-étage. Il n’a plus beaucoup de temps. Il a encore traîné. Sa vue se trouble, un peu. Puis redevient normale. Il a froid.
Pause.
Il essuie ses lunettes. Souffle. Aller. On y retourne. Il franchit un étage de plus. Ne plus s’arrêter, aller jusqu’au toit. Il est excité, il n’est jamais allé jusque–là. Aller…! Plus très loin.
Et puis, il y avait eu WOW. Puis les jeux en 3D. Puis les MMPORG en 3D. Puis les avatars étaient devenus un peu de nous-mêmes. On peut conduire des drones à distance, qui vont flinguer de vrais iraniens, afpak, et d’autres, encore… Il avait un temps travaillé ainsi, pour gagner sa vie. On postulait sur le site de l’armée américaine. De la sous-traitance opérationnelle. A ce moment, cela faisait déjà plus dix ans qu’il ne sortait plus.
Les américains avaient mis ce dispositif en place car ils croulaient sous les dépressions nerveuses, chez eux. Leurs soldats devenaient fous, à tuer ainsi à distance. Et les drones tout automatisés faisaient encore trop peur. Alors on avait opté pour une solution originale : les gamers. Eux avaient une forte habitude du contrôle de machines. Et puis en utilisant des soldats étrangers, on s’épargne les frais médicaux en cas de dépressions… Côté Japon, c’était toujours des dollars qui entrent.
Alors il avait tué des gens. Un énorme paquet de gens. Car la guerre anti-terrorisme avait changé. Désormais, il n’y avait plus de paix. Et le monde a commencé à détester les gamers japonais. Ce n’était pas grave, parce que c’était réciproque.
Puis on avait automatisé les drones, et il avait perdu son job. Mais il n’était pas pour autant ressorti de chez lui.
Drôle de vie. Un grand GTA géant, où nous ne serions que les passants. Il n’y a personne qui tient la manette. Mais où vont-ils ces personnages aléatoires, dans les jeux comme GTA? Il avait déjà essayé de les suivre. D’en suivre un. Ils ne font rien. Ils marchent. Décevant. Et lui, que faisait-il de plus, dans sa « vrai vie »?
Il est sur le toit. Un étonnant sentiment de réalité. Il se rapproche de la rambarde.
En regardant vers le bas, il a même le vertige. Il souri.
On avait fini par se préoccuper du problème, là-haut, au pouvoir. Des milliers, des millions de zombies, retranchés dans des taudis, vivant chez leurs parents avec les minimas sociaux. Après tout, c’était une manne à remettre au travail. Plus le chômage augmente, plus on parle de remise au travail.
Pourquoi travailler? Nos parents l’on fait, et maintenant on les mets en taule au lieu de leur donner une retraite. Maintenant c’est un privilège d’aller en prison.
Au début, les flics avaient honte de toucher aux vieux. Ils avaient du respect. Ils ont trouvé la solution. Faire d’une pierre deux coups. Ils ont réembauchés des vieux, des anciens flics, militaires ou fonctionnaires, et ils les ont affectés à la délinquance « sénile » comme on dit.
Puis, ils se sont attaqués au problème des joueurs.
Ils nous ont balancé dans des hôpitaux, avec obligation de soins. Oh, pas des cliniques luxueuses, mais des grands hôpitaux blancs. Sales. Et comme soins, ils nous ont fait travailler. « Ré-apprentissage des fonctions motrices ». Pff… On trie des déchets pour le recyclage.
Quand ils sont venus me chercher, maman était morte, je n’étais plus sorti de chez moi depuis… Je ne sais plus. Je ne dérangeais personne. La vérité, c’est qu’ils ont peur de nous, peur de ce qu’on représente. Nous, les vieux enfants.
Pour payer les « frais », ils ont vendus la maison. Bonne affaire, ils devaient raser le quartier, de toutes façons. Enfin, pour ce que j’en ai compris. Il jette un nouveau coup d’œil vers le sol, tout en bas. Il porte un pyjama blanc et bleu. Comme les taulards. Mais lui s’est enfui, enfin. Il fait un peu froid dehors. Tiens, c’est la nuit. Il n’a pas de chaussures. J’ai les pieds sales se dit-il.
Pendant son saut, il repense à la fin de Shinobi. Juste un générique. Même pas un petit bonus.
1Daigaku Nyūgakusha Senbatsu Daigaku Nyūshi Sentā Shiken test du Centre national des admissions à l’université , sorte d’équivalent du BAC.