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Pesticides. "J’ai gagné, je suis content, mais à quel prix ?"
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
L’Humanité, 12 avril 2019
Jeudi, la justice a donné raison à Paul François face à Monsanto. Depuis douze ans, ce céréalier charentais tentait de faire reconnaître la responsabilité de la firme américaine dans son intoxication par un puissant herbicide. Historique !
«C’est un soulagement ! » confie Paul François. Jeudi, ce céréalier charentais a remporté une victoire historique, la troisième, dans le long combat qu’il mène face à Monsanto depuis son intoxication, en 2004, par le désherbant Lasso. La cour d’appel de Lyon a en effet reconnu la firme américaine, responsable des dommages portés à son encontre.
C’est l’épilogue de « douze ans de combat où il a fallu mettre ma vie et ma famille entre parenthèses », confie l’agriculteur, des sanglots dans la voix et les yeux embués, pensant notamment à sa femme, décédée il y a sept mois. « Elle n’était pas très partante au début. Mais elle m’a toujours soutenu, comme mes filles et beaucoup d’autres. C’est beaucoup d’émotion aujourd’hui, poursuit-il. Je suis fatigué. Tout ça, c’était si violent. Certes cela valait le coup, j’ai gagné, je suis content, mais à quel prix ? Si c’était à refaire, je ne le referais pas », avoue-t-il, dénonçant, comme son avocat, le « harcèlement » procédural de la firme Monsanto, qui peut d’ailleurs encore se pourvoir en cassation.
Ce jugement réaffirme « l’indépendance de la justice »
L’agriculteur avait déjà obtenu gain de cause en première instance en 2012 et en appel en 2015, mais la firme américaine, depuis rachetée par l’allemand Bayer, s’était pourvue en cassation avant que l’affaire soit de nouveau examinée devant la cour d’appel, en février dernier (lire notre édition du 6 février 2019). Cette fois, la cour d’appel a indiqué avoir établi ce nouveau jugement sur le fondement de « la responsabilité du fait des produits défectueux », comme réclamé par la Cour de cassation. Les juges ont « retenu la responsabilité de Monsanto, établi le lien entre les problèmes de santé de mon client et l’inhalation du Lasso », a précisé Me François Lafforgue, l’avocat de Paul François. Cette décision fera certainement date, estime Paul François, pour qui « il y aura un avant et un après ». Si ce jugement réaffirme « l’indépendance de la justice en France », il représente aussi « un tournant dans la lutte contre les grandes firmes, assure François Lafforgue. Les victimes des pesticides peuvent désormais espérer réparation. En France et au-delà de nos frontières. Comme en Guadeloupe et en Martinique, pour les victimes du chlordécone (pesticide longtemps utilisé pour le traitement des bananes – NDLR). Mais l’Argentine attendait aussi beaucoup de cette décision… »
« La politique du petit pas n’est plus entendable »
« C’est une super nouvelle, a réagi Nadine Lauverjat, chargée de la campagne sur les victimes des pesticides à Générations futures. C’est aussi un signal fort donné au gouvernement. Pour lui dire que la politique du petit pas, illustrée par l’insuffisance du plan Écophyto, présenté hier, n’est plus entendable. » Paul François n’a d’ailleurs pas manqué d’interpeller le gouvernement à cette occasion, appelant les politiques à « prendre leurs responsabilités » en ce qui concerne l’utilisation des pesticides. Et d’évoquer l’absence d’inscription dans la loi de l’interdiction du glyphosate, une autre substance produite par la filière de Bayer : « Il y a un an, au Salon de l’agriculture, Emmanuel Macron avait dit qu’il prendrait ses responsabilités pour interdire le glyphosate, mais il ne l’a pas fait. Sans parler d’Agnès Buzyn, qui, il y a quelques mois, a osé dire qu’il n’y avait pas de lien prouvé entre les pesticides et certaines pathologies, comme la maladie de Parkinson, pourtant reconnue dans la grille des maladies professionnelles des agriculteurs. C’est un déni de santé. Honte à eux : ils seront jugés par l’Histoire pour leur inaction ! »
Cette victoire signe-t-elle la fin de la procédure ? Non. Monsanto « se réserve le droit de se pourvoir en cassation », a d’ores et déjà annoncé l’avocat de l’entreprise. En clair, encore une fois jouer la montre, en utilisant tous les recours possibles, c’est la stratégie systématiquement utilisée par la multinationale depuis le début de l’affaire. En outre, la Cour n’a pas statué sur d’éventuels dommages et intérêts, de « plus d’un million d’euros », réclamés par l’agriculteur. Ceux-ci feront l’objet d’une procédure distincte devant le TGI de Lyon, « l’automne », espère Me Lafforgue. D’ici là, Paul François entend profiter de sa « plus belle victoire : avoir passé (sa) ferme en bio ». Et compte bien « prendre du temps pour (lui) ».
Alexandra Chaignon