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Montée de l’extrême droite : quelle est la responsabilité de la gauche radicale ?

Lien publiée le 28 mai 2019

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://www.marianne.net/debattons/idees/montee-de-l-extreme-droite-quelle-est-la-responsabilite-de-la-gauche-radicale

Galaad Wilgos

Journaliste installé en Belgique.

"Quand l’extrême droite progresse chez les gens ordinaires, c’est d’abord sur elle-même que la gauche devrait s’interroger", expliquait l'écrivain George Orwell. Alors que le Rassemblement national vient de remporter les élections européennes, la gauche radicale doit-elle se remettre en question ?

Les élections européennes ont vu une nouvelle fois l’extrême-droite sortir son épingle du jeu. Dans de nombreux pays en Europe – Belgique flamande, Italie, Royaume-Uni, Pologne, France, etc. – celle-ci engrange des réussites électorales avec une stabilité qui force le respect. Certes, on en oublierait que le principal vainqueur de ces élections est, comme à l’accoutumée, l’abstention – avec uniquement 50,7% de participation. Les cris d’orfraie provoqués par cette percée masqueraient presque l’impuissance colossale du Parlement européen, exclu du droit d’initiative législative et enserré dans le complexe réseau d’acteurs de la gouvernance européenne. C’est donc à une élection aux enjeux "dérisoires" que le peuple français était convié.

Lorsque l’exploiteur voit un diable, l’exploité a tôt fait de voir dans ce dernier un camarade.

Cependant, comme à chaque succès de l’extrême-droite – récurrents ces dernières années – la responsabilité de la gauche est pointée du doigt. La gauche porte souvent sa critique interne à des degrés de radicalité bien plus grands que la droite. George Orwell s’en était déjà fait le porte-étendard, à l’époque où il constatait que le fascisme prenait toujours plus d’importance : son premier conseil était de balayer devant sa porte, de comprendre ce qui fait que des membres des classes populaires votent pour des fascistes et non pour des socialistes. C’est ce que de nombreux intellectuels ont cherché à porter afin de lutter contre l’installation de l’extrême-droite dans le paysage politique.

UN ÉNIÈME ÉCHEC DE LA STRATÉGIE ANTIFASCISTE MORALISANTE

Rappeler les années 30 et en appeler à la société ouverte n’a jamais été une stratégie très concluante. Le barrage de cette "gauche castor" prend l’eau continuellement. Lors des élections présidentielles, une flopée d’ouvrages et d’articles le rappelèrent à qui mieux-mieux. Plusieurs d’entre eux provenaient alors des centres de recherche proches du Parti socialiste : Gilles Vergnon, dans un article de la revue Recherche socialiste, expliquait ainsi que l’antiracisme "éducatif et moral" et l’antifascisme pavlovien avaient aveuglé la gauche à la réalité de l’extrême-droite et de ses succès. "Dire "fascisme" ou parler de "la bête immonde", ça ne sert à rien, ça n’exerce plus d’effet repoussoir sur personne", proclamait ainsi Sarah Proust, alors fer de lance de l’autocritique au sein du PS et auteure du livre Apprendre de ses erreurs, la gauche face au Front National. 

Un constat partagé par Jean-Claude Michéa, pourtant d’un bord tout autre. Pour ce dernier, inscrire la lutte contre le RN dans le sillon de l’antifascisme historique, du moins "dans les conditions historiques qui sont les nôtres", serait de plus en plus perçu par les classes populaires comme un "des ultimes moyens de manipulation dont disposent encore les élites libérales et leur médias serviles pour légitimer à peu de frais la domination planétaire du capital et de détourner l’attention des électeurs vers des cibles de substitution." Rapportant une anecdote d’un inspecteur des fabriques tirée des écrits de Marx, il note d’ailleurs que la diabolisation peut être contre-productive : lorsque l’exploiteur voit un diable, l’exploité a tôt fait de voir dans ce dernier un camarade.

Exit le Frexit, il n’est désormais plus question de sortir de l’UE mais de désobéir – et Manon Aubry de clamer partout son attachement à une "autre Europe".

L’UNION EUROPÉENNE, ÉTERNEL SUJET TABOU

Face aux lapins malins et autres décodeurs de l’Europe chargés de légitimer les politiques néolibérales de l’UE, la gauche est demeurée plus confuse que jamais. Certes, depuis le tournant de la rigueur de 1983 et l’Acte unique européen signé par Mitterrand, la social-démocratie française soutient l’UE sans jamais fléchir. Elle s’applique depuis à suivre docilement les directives ou à voter massivement des traités refusés par sa population. Elle privatise et dérégule ensuite à tour de bras, en prétextant une modernisation voulue par Bruxelles. Ce faisant, elle a favorisé un terrain propice au duo vote d’extrême-droite/abstention, qui s’enracine dans un contexte de population atomisée et de désertification des territoires périphériques.

Mais quid de ceux qui se targuent d’être le camp de la radicalité ? Aurélien Bernier, dans son livre La gauche radicale et ses tabous, rappelle que jusqu’en 1997, le PCF tenait un discours critique clair sur l’UE, perçue comme une entité supranationale chargée d’imposer le néolibéralisme à toute l’Europe. Celui-ci s’opposait ainsi à la monnaie unique et au libre-échange dans le cadre d’une vision progressiste de la souveraineté nationale. Mais ensuite "le PCF est passé, en quelques jours, d’un refus de l’euro à une critique des conditions de passage à l’euro. Quelques mois plus tard, à l’Assemblée nationale, Robert Hue se déclarait “euro-constructif”. Il s’alignait finalement sur l’idée qu’il était possible et souhaitable de réformer l’Union européenne “de l’intérieur” et, plus globalement de changer la mondialisation “de l’intérieur”. C’est à dire sans rupture radicale avec la classe dirigeante. À partir de cet instant, le Front national avait le champ libre sur l’antimondialisme, le protectionnisme, la souveraineté…"

La FI ne refait-elle donc pas la même erreur ? Après une position confuse mais plus critique lors des présidentielles, elle est revenue sur son Plan B. Exit le Frexit, il n’est désormais plus question de sortir de l’UE mais de désobéir – et Manon Aubry de clamer partout son attachement à une "autre Europe". En écartant tout un pan de la stratégie populiste, le mouvement-parti a édulcoré son discours eurocritique, dans un désir de capter un électorat de gauche europhile… Une stratégie qui ne semble pas avoir porté ses fruits.

UN DÉTACHEMENT DES CLASSES POPULAIRES

Mais la responsabilité la plus grande de la gauche dans la montée de l’extrême-droite tient sans doute à sa déconnexion des classes populaires. La gauche se serait embourgeoisée, préférant à ces dernières "une classe de la connaissance émergente"selon les mots de Thomas Frank, ou un agglomérat de femmes, de minorités et de jeunes selon le célèbre rapport de Terra Nova. Pour ce premier, la gauche serait devenue le parti la "classe créative"D’après Sylvain Crépon"depuis des années, de nombreuses études montrent qu’il y a une coupure entre la gauche et les catégories populaires, dont le RN devient désormais le meilleur représentant électoral. Là-dessus, il y a de quoi s’inquiéter".

Reflet d’une classe sociale éduquée, toujours plus sociologiquement distante du reste de la population, ce libéralisme culturel de la nouvelle classe moyenne (Bourdieu) sert par la même occasion de moyen de distinction sociale tout en renforçant les préjugés du haut envers le bas.

Certes, comme l’expliquaient Annie Collovald et d’innombrables études depuis, le vote d’extrême-droite n’est pas un vote « populaire ». Les 40% d’électeurs ouvriers aux européennes seraient des ouvriers de droite radicalisés. L’ouvrier de gauche se définit principalement par sa non-participation électorale. Il n’empêche, comment ne pas constater cette impossibilité de la gauche à renouer avec une identification populaire, à même de mobiliser un électorat déjà particulièrement volatile ? Face à Manon Aubry, ancienne de l’UNEF et d’OXFAM, Yannick Jadot économiste d’ONG et Benoît Hamon ancien apparatchik du PS, le RN présentait en tête de liste Jordan Bardella, un candidat sans grand diplôme ayant vécu son enfance dans un HLM. Ainsi selon Sylvain Crépon, "l’effet miroir est parlant pour les électeurs des banlieues, qui peuvent se projeter."

L’une des conséquences de ce détachement des classes populaires et de la gauche : le mépris croissant de ces premières. Les classes populaires deviennent aux yeux d’une grande partie de celle-ci une masse informe composée de "beaufs", de "ploucs" ou de "franchouillards". Dans d’autres pays, ce sont les "baraki", "chavs" et autres "white trash" qui serviront de figure de repoussoir de la gauche libérale. Les classes populaires, et plus particulièrement la classe ouvrière, sont perçues ainsi par l’élite de gauche comme conservatrices (Terra Nova) et portées vers l’intolérance ou le racisme. La gauche irait donc de défaite en défaite, notamment du fait de la "persistance à gauche d’un mépris envers l’homme de la rue, surtout quand on peut lui reprocher d’avoir mal voté ou commis quelque péché politique." (Thomas Frank). Dans son livre sur "la révolte des élites", Lasch expliquait ainsi, déjà, que les "Américains du milieu, dans l’idée que s’en font ceux qui fabriquent l’opinion cultivée, sont désespérément minables, ringards et provinciaux" (La révolte des élites).

Reflet d’une classe sociale éduquée, toujours plus sociologiquement distante du reste de la population, ce libéralisme culturel de la nouvelle classe moyenne (Bourdieu) sert par la même occasion de moyen de distinction sociale tout en renforçant les préjugés du haut envers le bas. Pour Jean-Claude Michéa, il ne s’agit ni plus ni moins d’une "trahison des classes populaires par la nouvelle gauche "progressiste"", et ce recentrement sur les questions dites sociétales "a permis de dégager peu à peu un boulevard pour le Rassemblement National en lui offrant la possibilité - au prix de quelques indispensables révolutions de palais - de diffuser dans l’électorat populaire ses propres "vérités alternatives"".