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1936, 1968, 1995... Pourquoi les grandes grèves passées restent les références des militants d’aujourd’hui
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
L'histoire des mouvements sociaux est marquée par des dates clés, lors desquelles avec des grèves et des manifestations d'ampleur, les contestataires ont réussi à faire entendre et appliquer leurs revendications. Des luttes victorieuses peu nombreuses, qui ont marqué la mémoire militante.
Une grève victorieuse. La manifestation interprofessionnelle et l'appel à la grève générale du 5 décembre promet d'être particulièrement suivie ce jeudi, laissant espérer aux militants et syndicats des mobilisations records et des réponses à leurs revendications. "Qu’on termine ensemble l’année 2019 à la manière dont s’est terminée 1995, c’est-à -dire par une victoire du mouvement social", a lancé fin novembre Olivier Besancenot, porte-parole du Nouveau Parti Anticapitaliste, sur BFMTV.
Aux côtés de Mai 1968 et des grèves de 1936, les grèves de 1995 ont marqué l'histoire française de par la mobilisation massive que ces mouvements ont suscité, mais aussi parce que les revendications des protestataires ont été - en partie - appliquées. Ces dates clés sont fréquemment invoquées par les militants, notamment parce qu'elles sont la démonstration que le rapport de force peut s'inverser entre les ouvriers et leurs patrons, entre la population et ses dirigeants.
Des mouvements références
"Il faut un nouveau mai 1968", lançait Nathalie Arthaud, porte-parole de Lutte ouvrière en avril 2018 lors d'une vague de grèves. "Ma matrice est le Front Populaire en 1936 qui a permis d’obtenir les congés payés et les 40h", expliquait en novembre le député La France Insoumise François Ruffin. Quant à la journée de grève du 5 décembre, "il y a délibérément une volonté de s'inscrire dans la dernière grève de 1995", déclare à BFMTV.com Danièle Tartakowsky, spécialiste de l'histoire des mouvements sociaux.
En effet, "le 5 décembre 1995, il y a eu une très grosse manifestation parisienne, plus grosse que les précédentes et nous avions senti que le contexte était en train de changer à l’époque", déclarait il y a quelques jours à BFMTV Thierry Babec, secrétaire général de l'UNSA RATP.
Ces mobilisations "ont marqué la mémoire militante", explique Guy Groux chercheur au CEVIPOF, spécialiste des mouvements sociaux, interrogé par BFMTV.com. Elles sont devenues "des références du passé, des références culturelles", d'autant plus appuyées que "la France est un pays de commémorations, on commémore à tout bout de champ".
"On est presque nostalgique de ces moments"
Mais "il est vrai que le symbole est fort", continue Guy Groux, car les avancées à la suite de ces luttes sociales sont majeures. Avec les mobilisations de 1936 sont mis en place les congés payés et la semaine de 40h, en 1968 une augmentation du SMIG et des salaires est lancée, et en 1995 le gouvernement Juppé enterre sa réforme sur les retraites.
"On est presque nostalgique de ces moments", déclare Philippe Poutou, porte-parole du NPA, contacté par BFMTV.com. Il met en particulier l'accent sur les mouvements de 1968 et 1936, "qui se sont soldés par des victoires sous forme d'avancées sociales, alors que 1995, c'est une victoire qui se résume par un recul", le retrait d'une partie du plan Juppé.
"Ce sont des moments où le rapport de force s'est inversé, l'histoire a fait la démonstration que c'était possible. Et aujourd'hui encore, avec les manifestations en Irak, ou en Amérique du Sud, on peut voir que quand la colère éclate, des perspectives s'ouvrent", continue l'ex-candidat à la présidentielle.
Ces victoires passées donnent de l'espoir aux militants, ce que Danièle Tartakowsky nomme "la force des attentes". "On s'attend à quelque chose de la même force, de la même ampleur, on se resitue dans le fil de l'histoire", explique l'historienne. Un espoir partagé par Philippe Poutou: "Nous on se dit que demain, c'est peut être ça [une lutte sociale victorieuse, ndlr], qui se joue. Les conditions y sont favorables".
Mais depuis 1995, "sur 7 ou 8 mouvements protestataires, seul celui visant le CPE [Contrat Premier Embauche en 2006] a en partie réussi" déclare Guy Groux. "On voit bien que ça fait des années qu'on ne gagne plus du tout", confirme Philippe Poutou, "les rapports de forces sont très différents aujourd'hui".
"La mémoire militante se positive souvent elle-même"
Si ces luttes victorieuses passées sont inspirantes pour les militantes actuels, les contextes dans lesquels elles ont évolué ne permettent qu'une comparaison limitée. "La France a radicalement changé entre 1936 et aujourd'hui, entre 1968 et aujourd'hui", rappelle Guy Groux. Il souligne l'évolution du niveau de qualification des salariés, les différences dans la façon dont l'État exerce son pouvoir, mais aussi par rapport à 1995, l'explosion du numérique.
Ces victoires passées brandies portent également leur cortège d'échecs. "La mémoire militante se positive souvent elle-même", souligne Guy Groux. Les élections législatives post Mai 68 se sont notamment achevées sur un raz-de-marée gaulliste, "la droite n'avait jamais eu une majorité aussi forte depuis l'après Commune", pointe le chercheur. Et en 1995, seul le volet sur les retraites a été enterré, celui sur la réforme de la sécurité sociale (restrictions sur les médicaments remboursables, augmentation des tarifs hospitaliers...) a été adopté.
"Dès 1938, un tas d'avantages étaient en recul et la hausse de salaire de 1968 a été rapidement balayée", pointe également du doigt Philippe Poutou.
Toutefois, la grève reste "une arme pour les salariés", appuie le porte-parole, même si "un tas de secteurs ne peuvent plus se mobiliser aujourd'hui", et que la bataille se joue actuellement plus dans la rue, lors des manifestations. "Il faut voir comment on va agir maintenant, comment le camp des travailleurs va aujourd'hui réussir à se faire entendre, à rééquilibrer le rapport de forces", conclut Philippe Poutou.