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Retour à Reims | Fragments
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Retour à Reims | Fragments | ARTE - YouTube
Adaptant le remarquable récit de Didier Eribon, Jean-Gabriel Périot raconte l’histoire douloureuse et politique des ouvriers de France, grâce à un foisonnant montage d’archives reliant l’intime au collectif et la voix d’Adèle Haenel.
Comment porter à l’écran "Retour à Reims "(Fayard, 2009) – par ailleurs objet d’une adaptation théâtrale de Thomas Ostermeier en 2017 –, le magistral et tranchant best-seller de Didier Eribon, récit autobiographique et sociologique passant volontiers d’une temporalité à l’autre ? Jean-Gabriel Périot ("Une jeunesse allemande") a rétabli la chronologie et pris comme fil conducteur l’histoire de la classe ouvrière, en s’attachant aux trajectoires des parents de l’auteur, notamment de sa mère. Placée à l’hospice de la Charité quand sa propre mère partit travailler en Allemagne après la défaite de 1940, celle-ci dut renoncer à devenir institutrice. Contrainte par l’institution de se mettre au travail après le certificat d’études, elle devint employée de maison, métier tacitement en butte au harcèlement des maîtres de maison, et épousa un ouvrier. "Les lois de l’endogamie sociale sont aussi fortes que celles de la reproduction scolaire, et étroitement liées à celle-ci", écrira Didier Eribon, au sujet de leur rencontre dans un bal populaire.
Violence physique de l’exploitation
De même que le philosophe et sociologue entrecroise son histoire familiale et celle de la société française, Jean-Gabriel Périot, par un remarquable tissage d’archives et un montage sensible, amplifie la portée du récit en lui donnant mille visages, ceux des travailleurs pauvres, des ouvriers et femmes de ménage des années 1950, tour à tour "remontés" ou résignés, au ras-le-bol des "gilets jaunes" évoqué dans l’épilogue combatif du film. Images d’actualité, témoignages, extraits de documentaires, de mélodrames ou de films réalistes se superposent aux "fragments" de l’ouvrage, prose incisive lue avec une belle sobriété par Adèle Haenel. Un reportage sur les jeunes ouvrières des conserveries de Boulogne-sur-Mer, qui triment 9 à 12 heures par jour "les pieds dans l’eau et les mains dans la glace", ou une famille à l’étroit dans une chambre meublée montrent les répercussions concrètes, la violence physique de l’exploitation, en écho au grand-père ébéniste de Didier Eribon, "qui se tuait littéralement à la tâche". Le film met aussi en exergue des mécanismes d’exclusion si ancrés qu’ils en deviennent automatiques, à travers les témoignages de jeunes gens qui ont renoncé d’eux-mêmes aux études et rejoint l’usine à 14 ans, âge qui marquait alors la fin de l’école obligatoire. Des images d’actualité retraçant la montée du Front national illustrent enfin l’une des pièces maîtresses du livre : l’idée selon laquelle le monde ouvrier, ne se sentant plus représenté par la gauche, s’est détourné du Parti communiste pour se reformer subrepticement derrière Jean-Marie Le Pen et ses idées d’extrême droite, ultime recours pour défendre son identité collective. Une histoire douloureuse et passionnante, qui fait resurgir avec force un monde ouvrier prétendument dissous dans le grand bain du capitalisme, et son corollaire, la lutte des classes.
Documentaire de Jean-Gabriel Périot (France, 2021, 1h23mn)