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La mobilisation ouvrière en cours et la crise du projet stratégique de la France Insoumise

France-Insoumise

Lien publiée le 26 février 2023

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

La mobilisation ouvrière en cours et la crise du projet stratégique de la France Insoumise (revolutionpermanente.fr)

Le déluge de critiques contre l’obstruction parlementaire de la France Insoumise, venues de l’ensemble de l’échiquier politique et des directions syndicales, ont empêché tout bilan de l’intervention du mouvement de Jean-Luc Mélenchon dans la mobilisation en cours. Or, une fois de plus, LFI se retrouve en difficulté dans la lutte des classes face à une entrée en scène du mouvement ouvrier qui va à l’encontre de son projet stratégique.

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Le retour du mouvement ouvrier et les impasses populistes de gauche

Pour Mélenchon, le corpus doctrinal marxiste développé tout au long du XXe siècle est épuisé, à commencer par le rôle central de la classe ouvrière dans le système capitaliste. Selon les marxistes, celui-ci est au fondement de la potentialité hégémonique de cette classe pour renverser le capitalisme et le remplacer par un système de production en harmonie avec les deux principales forces productives de la société : l’homme et la nature. Contre cette idée, dans L’ère du peuple, œuvre capitale de sa pensée politique publiée en 2014, Mélenchon fait du peuple « l’acteur politique de notre temps », un « acteur nouveau » qui « prend la place qu’occupait hier la "classe ouvrière révolutionnaire" », c’est à dire du prolétariat. Cela ne veut pas dire que, pour lui, « le salariat ait déserté la scène, ni que son rôle ait cessé », mais il s’est « redéployé en même temps que tout le reste de la société ». Désormais, il n’est qu’une composante parmi d’autres du « peuple », qui serait devenu le sujet social et politique central dans la lutte contre l’oligarchie capitaliste.

Dans le mouvement actuel, ces conceptions théoriques se sont exprimées au travers des propositions politiques formulées par Mélenchon et la FI tout au long de sa première phase. Ainsi, le 21 janvier dernier, après la première journée d’action très réussie de l’intersyndicale, le leader insoumis évoquait dans un texte intitulé « Élargissement du front de lutte » l’objectif « de se placer en force politique du mouvement populaire. L’expression à son importance. L’idée est que cette bataille ne concerne pas seulement les salariés en emplois. Elle concerne au premier chef tout autant les chômeurs et les jeunes en formation. La stratégie d’élargissement leur est destinée en premier lieu. Elle est du ressort du premier mouvement politique de masse du pays construit d’ailleurs pour être l’outil politique de ce "nous" qui s’oppose à "eux". Le mouvement insoumis. La question posée n’est donc pas de savoir si on "fait confiance" aux syndicats pour mobiliser dans les entreprises. Question creuse par définition. Bien sûr qu’ils sont placés pour le faire et qu’ils le font bien quand ils sont unis. Mais notre stratégie n’est pas para-syndicale. Le programme l’avenir en commun et la révolution citoyenne sont les objectifs que nous portons en toutes circonstances et à tout moment ». Dans le même texte, Jean-Luc Mélenchon incitait d’autres secteurs de la société à rallier les rassemblements, s’adressant aux « classes moyennes, cadres et [aux] petits patrons et commerçants. »

Nous ne reviendrons pas en détail sur l’erreur sociologique que constitue le fait de séparer les travailleurs ayant un emploi des chômeurs, alors que les deux font partie du prolétariat, ou des jeunes en formation, dont la grande majorité se perçoit comme de futurs travailleurs (ce qui n’implique pas de nier la spécificité du mouvement étudiant). Celle-ci est fonctionnelle au projet politique populiste de LFI. En revanche, on peut noter que « l’élargissement » de la lutte que propose Mélenchon nie tout rôle de direction de la lutte contre l’ordre établi aux travailleurs, limitant leur rôle aux entreprises. Or, précisément, la profondeur du mouvement en cours, produit du rejet des conditions de vie, de travail et de l’usure mortifère provoquée par l’exploitation capitaliste, s’exprime dans une mobilisation massive derrière les organisations syndicales, institutions du mouvement ouvrier par excellence en dépit de leurs caractère institutionnel et bureaucratique, et dans le cadre de journées interprofessionnelles de grève. Un scénario qui va à l’encontre des thèses mélenchonistes et de son projet de « révolution citoyenne » qui fait du peuple le sujet central de la transformation sociale.

Cette approche stratégique a conduit Mélenchon et la FI à chercher à concurrencer les syndicats, y compris avant le début du mouvement, en essayant de leur disputer sa direction au travers d’une méthode privilégiée par LFI et étroitement liée à ses conceptions : des marches le samedi, notamment lors la mobilisation du 21 janvier, mal déguisée en initiative de la jeunesse. Mélenchon assumait lui-même sur son blog à propos de cette initiative ratée : « Tout tient en un mot "élargissement du front de lutte". Cette idée est à l’œuvre pour nous depuis le début de la bataille. La date du 21 fonctionnait de cette manière : ou bien il n’y avait pas d’initiative syndicale et alors le 21 serait le premier coup de semonce disponible pour tous ceux qui voudraient entrer dans la lutte. Ou bien il y en aurait une et la date fonctionnerait comme la première étape d’une séquence d’élargissement. Dans les deux cas, avant tout, il s’agissait de se placer en force politique du mouvement populaire. »

Par-delà les débats tactiques, c’est cette tentative de faire valoir ses conceptions stratégiques face à des syndicats qui occupent le devant de la scène qui met Mélenchon en difficulté. Une situation qui a entraîné des tensions avec les bureaucraties syndicales, au travers de Laurent Berger de la CFDT mais aussi de Philippe Martinez, secrétaire national de la CGT, qui l’a même accusé de « vouloir s’approprier le mouvement social en reléguant les syndicats au second plan ». Loin de nous l’idée de défendre la bureaucratie syndicale et sa stratégie de pression parlementaire, que nous n’avons cessé de critiquer depuis le 19 janvier. Cependant, ce n’est pas avec une politique extérieure au mouvement ouvrier, comme celle proposée par Mélenchon et LFI, qu’il est possible de surmonter l’obstacle qu’elle représente.

L’échec d’une stratégie qui articule « les luttes dans la rue et à l’Assemblée »

A peine élue députée dans le 93, Aurélie Trouvé, ancienne porte-parole d’Attac et présidente du parlement de l’Union populaire puis de la Nupes, expliquait en juin dernier : « notre stratégie, c’est d’articuler les luttes dans la rue et à l’Assemblée nationale [1] ». La première grande séquence de lutte de classes du second quinquennat a-t-elle démontré la justesse de cette stratégie ?

En réalité, alors qu’une mobilisation massive a débuté le 19 janvier, montrant la force sociale que représente la classe ouvrière, les représentants de la NUPES ne pèsent quasiment rien dans le mouvement en cours, à quelques exceptions près comme la figure de Louis Boyard dans la jeunesse, qui y joue cependant un rôle depuis l’extérieur. Déjà, au moment du soulèvement des Gilets jaunes, la FI avait montré ses limites comme outil dans la lutte des classes, comme nous l’avions écrit à l’époque dans Le retour de la lutte de classes et les faiblesses de La France Insoumise. A propos des difficultés à intervenir dans ce mouvement, une personnalité centrale de la mélenchonie comme Charlotte Girard [2], membre de l’équipe de campagne présidentielle de 2012 et 2017, déplorait ainsi dans un courrier de rupture que LFI soit « trop tourné vers l’exercice institutionnel du pouvoir », soulignant les limites de « l’exploitation du seul contre-pouvoir parlementaire que nous avons encore » et de « la forme institutionnalisée de notre mouvement ajoutée à son expression électoraliste [qui] ont révélé deux handicaps [3] ».

Avec l’accroissement de son poids au Parlement et la création de la NUPES aux côtés des restes de la vieille gauche, ces tendances institutionnelles n’ont fait que s’approfondir. Surtout, face à l’entrée en scène du prolétariat avec ses méthodes de luttes et ses organisations historiques, la FI (et la NUPES) sont encore moins capable d’exister dans le mouvement actuel contre Macron qu’au moment du mouvement des Gilets jaunes. Dans ce cadre, la radicalité affichée et la tactique du clash choisie dans le débat parlementaire vise à masquer cette absence de rôle et d’influence dans l’évolution réelle du mouvement. D’autant que, alors qu’il est de plus en plus évident que les limites des manifestations massives ont été démontrées, qu’il faut passer à la contre-offensive après et que les méthodes de l’intersyndicale sont un obstacle de ce point de vue, Mélenchon ne se distingue pas le moins du monde de l’aile droite de celle-ci, à savoir Laurent Berger.

Le 26 janvier, Mélenchon justifiait par exemple la limitation des objectifs du mouvement au plus petit dénominateur commun : « Nous sommes dans un moment où l’offensive doit unir et pour cela contourner tous les sujets de désaccord. C’est la raison pour laquelle nous acceptons la mise en retrait de notre programme. » Une sortie qui faisait écho à l’affirmation de Berger, qui expliquait avant le 19 janvier, que « la question, c’est de savoir s’il y aura une étincelle à un moment donné qui provoque un conflit social ancré. Les retraites peuvent l’être. Mais la CFDT n’a jamais été adepte des mots d’ordre fourre-tout. Si on veut que le gouvernement nous écoute sur l’âge légal, il faut qu’on reste sur cette revendication. » De même, une des grandes propositions de Mélenchon dans la première phase du mouvement après le 21 janvier a été d’appeler à ce que les syndicats décident « …une action conjointe avec les autres secteurs de la société en appelant à une date de rassemblement et d’action un samedi ou un dimanche » pour élargir la mobilisation. Une idée que l’intersyndicale a finalement mise en œuvre le 11 février, sur proposition de Laurent Berger, sans atteindre le record de mobilisation qu’espérait Mélenchon, et à propos duquel il fanfaronnait le jour-même.

D’abord, cette méthode d’extension du mouvement à d’autres secteurs sociaux que la classe ouvrière au travers d’un répertoire d’action moins coûteux que la grève est le contraire du type d’alliance que la classe ouvrière doit nouer avec la petite bourgeoisie et les couches intermédiaires également opposées à la réforme. Celle-ci ne peut se nouer que sur le terrain de la lutte, du programme et sous la direction de la classe ouvrière, reprenant toutes les revendications de ses alliés dans la mesure où elles ne sont pas incompatibles avec les objectifs propres du prolétariat, tout en combattant leurs faux amis comme Marine Le Pen, mais aussi des impasses telles que le capitalisme à visage humain, que propose en définitive LFI. Mais surtout, ce tableau souligne à quel point l’approche de LFI, alignée in fine sur l’aile droite de l’intersyndicale, rend impossible pour le mouvement de Jean-Luc Mélenchon de jouer un rôle dans la mobilisation en cours.

Alors que l’intersyndicale se trouve obligée d’assumer son rôle de direction du mouvement, allant jusqu’à appeler à « mettre la France à l’arrêt » le 7 mars pour contenir la radicalité et continuer à limiter toute potentialité politique du mouvement, on retrouve derrière les tensions Mélenchon/Berger sur la tactique parlementaire une même impasse stratégique. C’est d’ailleurs ce qui ressort de la réponse de Mélenchon face aux critiques de l’intersyndicale, expliquant : « je propose à Laurent Berger de nous laisser faire : ceux qui connaissent les batailles parlementaires, c’est nous [4] ». Acculé par les critiques de l’intersyndicale, la seule réponse proposée consiste à faire valoir son « expertise » parlementaire, démontrant que, contrairement à ce qu’affirmait Aurélie Trouvé en juin, le centre de gravité de la NUPES et de LFI reste bien au Parlement.

La pression de droite des alliés de LFI dans la NUPES

Si la NUPES a été une machine électorale efficace, qui a permis de faire élire 150 députés à l’Assemblée, le caractère institutionnel et de conciliation de classe de cette alliance et la pression droitière qu’elle exerce sur la clique petite-bourgeoise autour de Mélenchon a été mise en lumière comme jamais par la bataille des retraites.

Tandis que, du fait des limites stratégiques évoquées plus haut, le noyau central de LFI, conseillé de près par Mélenchon a opté pour une tactique agressive afin d’exister dans le débat parlementaire, le reste des composantes de la NUPES a choisi une stratégie de respectabilité. Celle-ci est allée croissante à mesure que le débat avançait et que la pression du macronisme et des directions syndicales s’intensifiait. Ainsi, le PS, les Verts et le PCF ont retiré tous leurs amendements à la réforme comme le demandait l’intersyndicale pour permettre une discussion et un vote sur l’article 7, exigeant que LFI fasse de même. Un débat qui a créé d’importantes divisions dans la NUPES, mais qui a également approfondi celles qui traversent LFI après le coup bonapartiste de Mélenchon autour de structuration de son mouvement. Alors qu’une partie des 74 députés LFI a refusé la tactique défendue par Mélenchon, on retrouve parmi eux les figures de la nouvelle opposition interne, tels que François Ruffin, Clémentine Autain, Raquel Garrido, Alexis Corbière ou encore Eric Coquerel.

Toutes les composantes de la NUPES se sont en revanche refusées à présenter une motion de censure, comme l’avait fait LFI dans les précédents débats parlementaires, abusant même de cette méthode. Une décision prise en dépit de l’offensive anti-démocratique du gouvernement, réduisant le débat parlementaire grâce à l’article 47-1, et au moment même où les divisions et faiblesses du macronisme face au conflit social pouvait ouvrir des brèches. Une telle initiative a finalement été prise par le RN, sans possibilité de victoire.

La crise ouverte dans le bloc parlementaire de la NUPES laissera des traces. Comme le notent Les Echos, le groupe écologiste a dénoncé un « raté stratégique », tandis que « l’écologiste Sandrine Rousseau a plaidé pour « faire en sorte qu’il y ait une coordination qui prenne des décisions, avec quelque chose qui soit beaucoup plus clair et démocratique ». « Je pense qu’il y a une différence entre LFI et la Nupes », a expliqué, qui a réitéré son appel au passage à un « acte II de la Nupes » lorsque le débat sur les retraites sera terminé ». [5] De son côté, comme le rapporte Ouest France, « Mélenchon, dans la soirée, lors d’un meeting à Montpellier, où il venait de manifester » a demandé « à ses alliés de gauche de ne "pas aboyer avec les autres" contre l’opposition musclée de La France insoumise sur la réforme des retraites. "Nous avons été élus pour être l’opposition, pas pour être leur larbin", a lancé l’ancien député des Bouches-du-Rhône, avant de s’adresser à ses partenaires socialistes, communistes et écologistes au sein de la Nupes : "Nous sommes des Insoumis à l’intérieur d’une alliance qui s’appelle Nupes, mais avant tout des Insoumis, et on s’occupe de notre insoumission". » [6]

Ces divisions au sein de la NUPES et à l’intérieur même de LFI expriment, bien que de façon labyrinthique, comme dans toute bataille politique, un clivage de classe. Celui-ci oppose des courants ouvertement bourgeois en crise, comme le PS, dont une aile reste hostile à la NUPES, et un mouvement petit-bourgeois, conçu à l’image de son leader charismatique, LFI. Les méthodes bonapartistes et la « stratégie du clash » de ce dernier génèrent de plus en plus de réticences, non seulement à l’intérieur de LFI, mais aussi avec les composantes les plus droitières de sa coalition. Si celle-ci se maintient faute d’alternatives politiques dans le panorama actuel en France, ces dernières sont à l’affût de tout affaiblissement de la clique mélenchonienne et d’erreurs politiques qui lui permettrait d’avancer dans le projet de domestiquer la NUPES, en la transformant en une gauche social-démocrate de gouvernement à l’ancienne. L’épisode des débats parlementaires sur la réforme des retraites pourrait en ce sens offrir à ces courants une première opportunité de contre-offensive. La NUPES, construite et promue par Mélenchon, se retournera-t-elle contre son créateur ?

Les difficultés structurelles du néo-réformisme, et l’enjeu de le dépasser

Ces impasses stratégiques face à la lutte des classes et l’entrée en scène du mouvement ouvrier avec ses méthodes, ainsi que l’instabilité des alliances électorales qu’il a nouée, montrent les limites et fragilités du néo-réformisme. Privé, à la différence des appareils réformistes du siècle passé, d’une base organique dans le mouvement ouvrier, confronté à un capitalisme plongé dans une crise polymorphe, pour reprendre le terme de Adam Tooze, empêchant une stabilisation de la démocratie bourgeoise comme cela avait été le cas après la 2ème guerre mondiale dans différents pays impérialistes, le néo-réformisme se trouve en difficulté pour s’ancrer et se stabiliser. Quand il y parvient, c’est au prix d’une conversion social-démocrate. C’est le cas de Syriza en Grèce, qui pourrait à nouveau gagner les élections mais autour d’un projet très éloigné du programme et de l’image de « gauche radicale » avec lequel l’organisation avait émergé après la crise de 2008.

On peut aujourd’hui affirmer que la NUPES, et en particulier LFI, est un phénomène politique néo-réformiste en développement, caractérisé par une composante bourgeoise en crise autour du PS, qui en influence sans doute le caractère sans donner encore le ton général, et qui se localise comme opposition politique au macronisme avec la double-limite d’être trop à gauche pour les institutions et trop à droite pour la rue et la lutte des classes. Le premier élément s’exprime plutôt sur la forme que sur le programme, dont nous avions déjà expliqué dans d’autres textes qu’il était à droite du programme de Mitterrand en 1981. LFI a d’ailleurs tendance à exagérer ces aspects de forme pour masquer un manque de contenu et de radicalité programmatique, générant des tensions sur le plan institutionnel du fait de la droitisation du champ politique, avec la multiplication des campagnes médiatiques virulentes contre les Insoumis, cherchant à les ramener à une pratique plus proche de la gauche traditionnelle. Le second aspect, concernant la lutte des classes, se manifeste sur un terrain stratégique et dans les convergences avec les bureaucraties syndicales. Mais il est aussi lié à la fonction politique objective de la NUPES, qui joue un rôle de canalisation institutionnelle des luttes des exploités. Cette double-limite explique les tensions internes, tant au sein de LFI que de la NUPES, qui s’approfondissent quand la lutte des classes se réveille et déstabilise le centre de gravité parlementaire de la gauche institutionnelle.

L’influence que conserve malgré tout LFI sur le terrain politique est due au fait que le cycle de lutte des classes qui s’est ouvert ces dernières années n’a pas encore permis de dépasser les formes « citoyennes » des luttes et des révoltes, canalisables par une stratégie qui cherche à avancer à l’intérieur de l’État capitaliste. Comme l’expliquait très clairement Aurélie Trouvé avant de devenir une dirigeante de la NUPES : « L’État, les pouvoirs publics, ne sont pas un mal en soi, ils ne sont pas un Léviathan à abattre ou à boycotter. Même s’ils s’autonomisent, créant une classe de bureaucrates qui ne poursuivent que leurs propres intérêts, ils restent le produit des rapports de force dans une collectivité. D’où l’intérêt de les reconquérir, non seulement par les élections, mais par notre engagement dans les institutions qui détiennent des fonctions clés. Cette « stratégie symbiotique », tirant partie de ce qu’il reste de la démocratie sociale, ce n’est pas tourner le dos à la radicalité, surtout si elle est couplée à d’autres stratégies » [7] Le rôle de LFI dans la lutte actuelle montre que cette perspective conduit à une impasse.

Dans ce cadre, la lutte pour une stratégie d’auto-organisation, qui aille des éléments les plus élémentaires comme les AGs décisionnaires, aux coordinations de grévistes en passant par la création d’AGs Interprofessionnelles, est une tâche essentielle. Alors que les directions syndicales, des plus droitières aux plus combatives comme Solidaires, s’y opposent suivant différentes modalités, elle seule peut permettre de développer la subjectivité et les potentialités du mouvement ouvrier, non seulement pour passer à la contre-offensive et gagner la bataille des retraites, mais aussi pour créer des formes d’auto-organisations plus avancées de type conseils, commune ou soviets permettant d’avancer dans la lutte contre l’État bourgeois. C’est seulement si une politique de ce type commençait à s’incarner dans la réalité qu’une situation différente s’ouvrirait pour les exploités en France. Dans la bataille actuelle, la tâche centrale de la gauche révolutionnaire est donc de faire tout son possible pour rapprocher les masses et leur avant-garde de cette voie, seule à même de les mener à la victoire.

NOTES DE BAS DE PAGE

[1Regards, 23/6/2022, url : https://www.youtube.com/watch?v=xGko_wGsAgQ
[2] Co-responsable de L’Avenir en Commun, son mari François Delapierre avait jeté les fondations de LFI avec Jean-Luc Mélenchon.
[3] « Charlotte Girard, figure de La France insoumise, quitte le mouvement », Le Monde, 8/6/2019
[4] « Réforme des retraites : entre Jean-Luc Mélenchon et les syndicats, l’unité reste un combat », Le Journal du Dimanche, 20/2/2023.
[5Les Echos, 20/2/2023.
[6Ouest-France, 17/02/2023
[7] Aurélie Trouvé, Le bloc arc-en-ciel, Paris, La Découverte, p. 56.