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La collaboration Hitler-Staline
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
https://www.revolutionpermanente.fr/La-collaboration-Hitler-Staline
Décryptage d’une longue tragi-comédie par l’historien Jean-Jacques Marie.
[Ill. L’Opération Barbarossa, à la suite de la rupture du Pacte Staline-Hitler, selon le quotidien japonais Mainichi Shimbun en février 1942.]
Depuis l’invasion de l’URSS par l’Allemagne, la propagande et à sa suite l’historiographie soviétiques ont présenté le pacte germano-soviétique comme le fruit de la suprême habileté de Staline. Fruit de longues recherches dans une documentation multilingue, ces extraits de l’ouvrage La collaboration Staline-Hitler (Tallandier) que Jean-Janques Marie nous a autorisé à republier révise de manière décisive l’un des plus grands mythes historiques du XXe siècle.
Une demi-vérité égale un mensonge
La demi-vérité est souvent une des formes les plus hypocrites du mensonge. Ainsi l’expression officielle et rituelle de « pacte de non-agression » pour désigner l’accord signé entre l’Allemagne nazie et l’URSS le 23 août 1939 dissimule la réalité en n’en désignant que la partie, de loin la moins importante et la moins significative.
Rappelons les faits : le 19 août, Molotov transmet à l’ambassadeur allemand Schulenburg un projet de pacte de non-agression. Le lendemain, un accord commercial germano-soviétique est signé à Berlin. Dans la nuit du 20 au 21, Hitler dans un message urgent à Staline avalise le projet transmis par Molotov, insiste pour qu’il soit signé sans délai et demande que Ribbentrop soit reçu d’urgence à Moscou vu « la tension devenue insupportable entre l’Allemagne et la Pologne », donc pour pouvoir attaquer cette dernière. Staline en répondant oui par retour ouvre la voie à la guerre contre la Pologne.
De la non-agression à la collaboration
Mais surtout sa courte réponse de dix lignes en comporte quatre généralement effacées : « L’accord du gouvernement allemand pour conclure un pacte de non-agression permettra de liquider la tension politique et d’établir la paix et la collaboration (sic !) entre nos pays ».
Staline propose donc à Hitler de passer du simple pacte de non-agression de dix ans, signé le lendemain, et auquel on réduit d’ordinaire l’entente entre les deux dirigeants, à une « collaboration », c’est-à-dire à la mise en œuvre commune de décisions et d’initiatives communes.
Il y a plus qu’un pas, même de géant, entre un pacte de non-agression et la « collaboration », qu’Hitler accepte aussitôt, et qui va se traduire par des protocoles secrets sur le partage de l’Europe et la fourniture par Staline à Hitler pendant vingt et quelques mois de nombreuses matières premières nécessaires à sa guerre.
Cette « collaboration » entre l’Allemagne nazie et l’URSS se matérialise quelques jours plus tard par l’invasion conjointe – quoique décalée - de la Pologne, dont Staline prendra plus du tiers du territoire.
Un silence accidentel ?
La quasi-totalité des historiens, dont l’un, Oleg Khlevniouk juge, à cette occasion, « difficile d’évaluer la part des considérations d’ordre moral (sic !) ou émotionnel dans les décisions de Staline », oublient ou occultent sa proposition de « collaboration », alors même que la Pravda du 7 octobre 1939 évoque cette dernière en la plaçant, il est vrai, dans la bouche d’Hitler mais sans la moindre réserve.
Même l’antisoviétique Livre noir du communisme, publié en 1997 cinq ans après que la réponse de Staline a été officiellement publiée en 1992 à Moscou dans les Documents de politique étrangère soviétique (tome 22, page 624 ) n’en dit mot. Plus curieux encore, si l’historien Dmitri Volkogonov la publie intégralement dans l’édition russe de son Staline, l’édition française supprime la phrase et la remplace par trois maigres petits points [1].
Effacer la proposition de collaborer faite par Staline à Hitler réduit leur accord au simple pacte de non-agression officiel, d’ordinaire justifié par l’attitude complaisante du gouvernement britannique et de son docile allié français vis-à-vis de l’Allemagne nazie, complaisance matérialisée par l’accord de Munich du 30 octobre 1938 qui avait livré la Tchécoslovaquie à Hitler. L’effacer permet de ressasser indéfiniment la rengaine sur le seul pacte de non-agression, que Staline aurait dû accepter pour faire face à la menace d’une guerre imminente.
La liquidation de « l’enfant monstrueux »
Le dit pacte est par ailleurs complété par un protocole secret définissant une étroite collaboration entre la Wehrmacht et l’Armée rouge, dont le gouvernement soviétique reconnaîtra l’authenticité à la veille de la disparition de l’URSS. Selon ce « protocole strictement secret », comme le qualifie l’accord, les deux puissances signataires « ont discuté dans des conversations strictement confidentielles la question de la définition de leurs sphères d’influence dans l’Europe de l’Est », bref des modalités d’un partage de l’Europe de l’Est à commencer par la Pologne où la Wehrmacht entre le 1er septembre 1939 ; elle balaie l’armée polonaise en trois semaines.
L’Armée rouge y pénètre à son tour dans la nuit du 16 au 17 septembre. Elle conquiert des territoires où vivent en majorité des populations biélorusses et ukrainiennes, qui l’accueillent souvent d’abord avec une sympathie que les arrestations et les déportations effectuées par le NKVD effaceront vite.
Dans son rapport devant le Soviet suprême de l’URSS, Molotov se félicite de ce succès de la coopération germano-soviétique : « il a suffi d’un coup assez bref porté contre la Pologne d’abord par l’armée allemande puis par l’Armée rouge pour qu’il ne reste rien de cet enfant monstrueux du traité de Versailles ».
Le 28 septembre 1939 Ribbentrop revient à Moscou et signe avec Molotov un second protocole secret complémentaire qui aménage le partage territorial effectué à la suite du premier. La Pravda du 30 septembre 1939 publie une déclaration de Ribbentrop qui se félicite : « L’amitié germano-soviétique est maintenant définitivement établie ».
La Pravda l’affirme : Hitler est favorable à la « collaboration » » avec Moscou
Une semaine plus tard, le Kremlin évoque publiquement la collaboration avec le Führer. Le 7 octobre 1939, l’agence Tass diffuse un communiqué intitulé « Extrait du discours d’Hitler au Reichstag », publié dans la Pravda du même jour sans aucun commentaire. Après avoir souligné que l’État polonais s’était édifié « sur les ossements et le sang des Allemands et des Russes », Hitler l’assure : « La Russie ne voit aucune raison qui interdirait l’établissement d’une étroite collaboration entre nos États (…) Le pacte avec l’URSS (…) est la base d’une collaboration durable et positive entre l’Allemagne et la Russie (...) À l’est de l’Europe, les intérêts de l’Allemagne et de la Russie coïncident complètement ».
Cette confirmation publique par Hitler de la « collaboration » entre Moscou et Berlin ne peut évidemment figurer dans la Pravda que sur ordre de Staline.
Quand Moscou alimente la machine de guerre nazie
Le 24 octobre 1939, l’URSS et l’Allemagne nazie signent un traité commercial qui prévoit la fourniture par l’URSS à Berlin d’une longue liste de matières premières indispensables à l’effort de guerre allemand, et que le blocus maritime imposé par la marine britannique interdit à l’Allemagne d’obtenir auprès de ses nombreux fournisseurs traditionnels. À la coopération politique, Staline ajoute la coopération commerciale.
Un faux pas de Staline
Depuis septembre, Staline s’acharne à exiger de la Finlande qu’elle repousse au nord sa frontière avec l’URSS qu’il juge trop proche de Leningrad. Le gouvernement finlandais refuse. Staline alors imite… et améliore la provocation montée par Hitler pour envahir la Pologne en septembre. Hitler avait, le 31 août 1939, envoyé des détenus allemands déguisés en soldats polonais violer la frontière allemande, provoquant ainsi l’intervention vengeresse de la Wehrmacht. Staline, lui, fait d’abord bombarder par son artillerie, le 26 novembre 1939, le bourg frontalier soviétique de Manila et accuse la Finlande de cette agression, après quoi il envoie des agents du NKVD, déguisés en soldats finlandais, envahir et saccager un village soviétique frontalier, puis, le 30 novembre, au matin, l’Armée rouge pénètre en Finlande.
Vu la disproportion des deux armées à la fois pour les effectifs des troupes et la quantité de canons, de chars et d’avions, Staline s’attend à une victoire éclair. Mais l’Armée rouge, confrontée à une résistance massive, alors que Staline ne connait que l’attaque frontale meurtrière, patauge et piétine trois mois durant. Lorsque l‘armistice est signé le 12 mars 1940 au soir, le bilan est lourd : l’Armée rouge, dont Staline a ainsi étalé les faiblesses devant Hitler, a perdu 126 875 hommes tués, disparus ou prisonniers. C’est six fois plus que l’armée finlandaise. En prime, l’aviation soviétique a étalé sa faiblesse face à un adversaire presque dépourvu d’aviation. Staline le sait ; il déclarera à ses invités, le 7 novembre 1940 : « Nos avions ne peuvent rester en l’air que trente-cinq minutes tandis que ceux des Allemands et des Anglais peuvent le faire pendant plusieurs heures ».
Le bilan politique de l’aventure finlandaise est plus lourd que le bilan militaire. Hitler déclare peu après à l’ambassadeur américain en Belgique : « La guerre soviéto-finlandaise nous a beaucoup appris. Je n’ai aucun doute que mes armées entreront en Russie comme un couteau dans du beurre ».
Staline agent commercial d’Hitler
La mésaventure finlandaise pousse Staline à multiplier les concessions à son allié temporaire. Le négociateur du ministère des Affaires étrangères allemand, Schnurre, se dit enfin impressionné par la complaisance des négociateurs soviétiques : « au cours des longues négociations, le désir du gouvernement soviétique d’aider l’Allemagne est devenu de plus en plus évident [2] ainsi que le désir de renforcer fermement la compréhension politique mutuelle lors du règlement des questions économiques ».
Schnurre détaille, dans un memorandum adressé à Berlin le 26 février 1940, la liste impressionnante des marchandises, dont tous les métaux indispensables à la machine de guerre nazie, que l’URSS de Staline, en application de l’accord signé, s’engage à livrer à l‘Allemagne nazie au cours des douze prochains mois en échange de prototypes de machines, brevets et plans, cher payés, et d’armements et matériels modernes, dont des tourelles de navires que Berlin livrera avec une lenteur inversement proportionnelle à la rapidité avec laquelle l’URSS honorera ses livraisons jusqu’au dernier jour : « 900 000 tonnes de pétrole,100 000 tonnes de coton, 500 000 tonnes de phosphates, 100 000 tonnes de minerai de chrome, 50 000 tonnes de minerai de fer, 300 000 tonnes de ferraille et de fonte, 2 400 kilos de platine », plus du manganèse, divers métaux, du bois et autres matières premières.
Il ajoute enfin à cette liste une énumération de matières premières que l’URSS s’est engagée à fournir à l’Allemagne nazie au cours des 18 mois à venir pour l’aider à produire les matériels que cette dernière doit lui livrer… mais lui livrera avec parcimonie : « 3 000 tonnes de cuivre, 950 tonnes d’étain, 500 tonnes de molybdène, 500 tonnes de tungstène, 40 tonnes de cobalt »... Ces chiffres ne seraient-ils pas aussi fantaisistes et trafiqués que ceux des statistiques officielles ? Nullement car Schnurre ajoute : « La situation concernant la livraison de matières premières par la Russie se poursuit de façon satisfaisante » et il énumère les livraisons soviétiques effectuées depuis le début de l’année : 632 000 tonnes de blé, 232 000 tonnes de pétrole, 23 500 tonnes de coton, 50 000 tonnes de manganèse, 6 700 tonnes de phosphate, 900 kilos de platine…
Le transsibérien au service d’Hitler
Dernier service rendu par Staline à Hitler, Schnurre ajoute ainsi : « L ’Union soviétique nous propose [ce n’est donc pas une réponse à une demande des Nazis mais une initiative du Kremlin lui-même] le droit de transit vers et en provenance de Roumanie, l’Iran, l’Afghanistan et les pays d’extrême-orient » en utilisant le transsibérien, sur lequel le Kremlin propose de réduire pour l’Allemagne les tarifs de transport de 50 %.
Ouvrir ainsi à l’Allemagne nazie un accès direct aux fournisseurs du Proche-Orient et de l’Asie pour lui permettre d’échapper ainsi au blocus maritime organisé par l’Angleterre est un service appréciable rendu à Hitler. On ne saurait être plus courtois, plus aimable et plus coopératif.
Selon la Pravda du 13 février 1940 ,l’accord du 11 février « répond aux désirs des gouvernements des deux pays sur l’élaboration d’un programme économique d’échange de marchandises entre l’Allemagne et l’URSS (...) Il prévoit l’exportation de matières premières de l’URSS en Allemagne, compensée par des livraisons d’articles industriels par l’Allemagne en URSS (...) L’intention est d’augmenter encore plus à l’avenir les fournitures réciproques de marchandises ».
Moscou complète ce dispositif huit mois plus tard. Le 5 octobre 1940, la Pravda annonce « la signature d’un accord sur les communications ferroviaires entre l’URSS et l’Allemagne, qui prévoit une communication directe à la fois pour les passagers et les marchandises entre l’URSS et l’Allemagne. Les négociations se sont déroulées dans une atmosphère bienveillante ».
Schnurre souligne enfin la ponctualité des Soviétiques dans les livraisons : « Bien sûr cela exige pour eux de grands efforts. Les Russes livrent ponctuellement le volume de matières premières fixé par l’accord ». Cette ponctualité, tout à fait inhabituelle dans la vie économique de l’URSS où les retards de livraison – sans parler des manques - sont fréquents, est le produit d’une décision politique au plus haut niveau.
Elle pousse Schnurre à affirmer : « J’ai le sentiment que nous pourrions présenter à Moscou des exigences économiques, dépassant même le cadre des accords du 10 janvier 1941 et qui pourraient remplir les besoins économiques dans des dimensions plus grandes que ce que l’accord a défini ».
Les négociateurs soviétiques, dûment chapitrés, impressionnent Schnurre : « Au cours des longues négociations le désir du gouvernement soviétique d’aider l’Allemagne est devenu de plus en plus évident [3] ainsi que le désir de renforcer fermement la compréhension politique mutuelle lors du règlement des questions économiques »…
« Une nouvelle étape dans la réalisation du programme économique élaboré par les deux gouvernements en 1939 »
Le 18 décembre 1940, Hitler, désireux d’élargir enfin l’espace vital germanique jusqu’à l’Oural, ordonne à son état-major d’achever les préparatifs de l’invasion de l’URSS pour le 15 mai 1941. C’est le plan Barbarossa. L’attaché militaire soviétique à Berlin, le général Toupikov, informe Staline de la décision et annonce l’invasion de l’URSS pour mars 1941.
Staline, persuadé qu’il manipule Hitler, ignore l’information, comme il ignorera tous les avertissements émanant des services soviétiques. Staline sera persuadé, selon le maréchal d’artillerie Voronov, que « la guerre entre l’Allemagne fasciste et l’Union soviétique ne pouvait éclater que par suite d’une provocation de la clique militaire fasciste et il craignait par-dessus tout de telles provocations », au point d’attribuer l’attaque du 22 juin à des imaginaires provocations de généraux nazis mécontents de la collaboration entre lui et Hitler, et de différer d’une journée entière la riposte de l’Armée rouge.
C’est en ces termes que la Pravda du 11 janvier 1941 célèbre le nouvel accord commercial signé la veille entre l’URSS et l’Allemagne, qui « régule l’échange de marchandises entre l’URSS et l’Allemagne jusqu’au 1er août 1942 », date proposée par les Allemands pour camoufler le calendrier de l’invasion prévue de l’URSS pour le 15 mai 1941 par le plan Barbarossa défini le 18 décembre 1940. On lit dans le communiqué de la Pravda l’expression de la vive satisfaction du Kremlin : « Le nouvel accord (...) constitue une nouvelle étape dans la réalisation du programme économique élaboré par les deux gouvernements en 1939 ».
La somme des livraisons fournies par les deux parties dépasse nettement les cadres définis dans le premier accord. L’URSS fournit à l’Allemagne des matières premières industrielles, des produits pétroliers et des produits alimentaires, en particulier du blé. L’Allemagne doit fournit à l’URSS un outillage industriel. L’URSS continue à livrer à l’Allemagne nazie les matières premières dont elle a besoin et continuera à assurer toutes les commandes passées par Berlin, que par une ultime contribution à l’effort de guerre germanique Staline fait livrer jusqu’au 21 juin 1941 au soir.
Aider Hitler contre les communistes allemands
Staline apporte en prime à Hitler une aide contre les communistes allemands. En février 1940, il livre à la Gestapo un premier détachement de trente communistes allemands émigrés en URSS, dont Margarete Buber-Neumann, femme de l’ancien dirigeant du PC allemand, et rédacteur en chef de son quotidien Die Rote Fahne, Heinz Neumann, que Staline avait fait fusiller en 1937. Au total, selon Margarete Buber-Neumann, le NKVD livre alors cent cinquante communistes allemands ou sympathisants à la Gestapo… qui, ne comprenant pas la nature du stalinisme et l’objectif du geste de Staline, voit en eux des agents soviétiques !
Liquider le Comintern pour plaire au dénonciateur du « judéo-bolchevisme »
Staline veut aussi soumettre le Comintern, fantôme de l’Internationale communiste, à sa collaboration avec Hitler. Ainsi, au début de septembre 1939, Wilhelm Pieck, membre du Bureau politique du PC allemand, soumet au secrétariat du Comintern un projet de tract à diffuser en Allemagne, en Tchécoslovaquie et en Autriche. Si le tract vitupère les impérialistes anglo-français, il dénonce aussi « le grand capital financier allemand » et, pire encore, invite les travailleurs allemands à « libérer l’Allemagne du fascisme hitlérien et de la domination du capital financier par la révolution socialiste ».
Sur les instructions de Jdanov, porte-parole de Staline, le secrétariat du Comintern efface les gros mots de « fascisme » et d’ « hitlérisme », mais maintient la dénonciation du « grand capital allemand ». C’est encore trop pour Staline qui fait interdire la diffusion du tract maudit dans les trois pays concernés. Ce n’est là qu’un début, encore modeste.
Un an plus tard,le 20 avril 1941, Staline déclare aux membres du bureau politique et au secrétaire général du Comintern, Dimitrov, qu’il faut se préparer à dissoudre le Comintern : « La question de l’existence du Comintern à court terme, des nouvelles formes de liens internationaux et de l’activité internationale dans les conditions d’une guerre mondiale sont posées de manière forte et claire »
Une réunion du secrétariat du Comintern le 12 mai est entièrement consacrée à préparer cette dissolution que Staline envisage trop tard pour apaiser Hitler. Il se contentera de l’offrir en 1943 à Churchill et Roosevelt.
Goebbels toujours satisfait de Staline
Le 22 septembre 1939 , le ministre de la propagande nazie, Joseph Goebbels, notait dans ses carnets : « Jusqu’ici les Russes ont tenu toutes leurs promesses ». Le 15 mars 1940, il confirmait : « Nous sommes désormais alliés à la Russie. Nous n’en avons jusqu’ici tiré que des avantages ». Le 13 mai 1941, à la veille de l’invasion imminente de l’URSS, il répète : « Staline continue d’agir à notre satisfaction ».
La catastrophe imminente
Le 20 juin 1941 au soir, le commandant du port de Riga annonce, au téléphone, à Mikoian, chargé de la flotte soviétique, que les vingt-cinq navires allemands amarrés dans le port se préparent tous à le quitter le lendemain, sans avoir terminé leur chargement ou leur déchargement de marchandises. Le commandant du port veut les bloquer. Mikoian en informe aussitôt Staline, qui rétorque : « Ce serait une provocation. Impossible de faire cela. Il faut donner l’ordre de ne pas les empêcher ! Que les navires s’en aillent ! ».
Au même moment, les navires soviétiques amarrés dans des ports allemands sont, eux, bloqués. Staline ne bronche pas. Il fait livrer jusqu’au 21 juin au soir toutes les commandes de l’Allemagne.
Le double jeu de Beria
Lavrenti Beria qui dirige alors le NKVD adressera à Staline, le 21 juin 1941, deux notes significatives de la confiance obtuse de Staline dans son génie et dans sa capacité à manœuvrer Hitler. D’un côté il l’informe sur les préparatifs de l’agression allemande, et de l’autre, pour éviter de paraitre défier le chef suprême, qui qualifie toutes ces informations de désinformation, il feint de soutenir son aveuglement.
Il demande ainsi le rappel de l’ambassadeur soviétique à Berlin, Pavel Dekanozov, qui, écrit-il, « continue à me bombarder de "désinformation" sur une prétendue agression de l’URSS préparée par Hitler. Il m’a informé que cette « agression » aurait lieu demain […] Le général major Toupikov l’attaché militaire à Berlin […], ce général stupide, affirme que trois groupes d’armées de la Wehrmacht vont attaquer en direction de Moscou, Leningrad et Kiev » !
Il stigmatise un « lieutenant–colonel, qui ment aussi en affirmant qu’Hitler a concentré 170 divisions contre nous sur notre frontière occidentale ». Beria, qui connait le goût de Staline pour la flatterie la plus basse, ajoute : « Mais moi et mes hommes, Iossif Vissarionovitch, nous nous rappelons fermement votre sagace prévision : Hitler ne nous attaquera pas en 1941 ».
Dans une seconde note, il fait la synthèse des rapports (exacts) des agents secrets en annonçant qu’« ils seront réduits en poussière dans des camps, pour désinformation systématique, comme complices des provocateurs internationaux, qui voudraient nous brouiller avec l’Allemagne ».
Certain de la justesse de leurs renseignements, il fournit ainsi à Staline les informations indispensables pour comprendre la situation, qu’il ne pourra donc être demain accusé d’avoir camouflée, tout en flattant l’insondable vanité du Guide aveuglé, qui faisait ou laissait publier dans la Pravda et les Izvestia des « poèmes » de versificateurs besogneux assurant à Staline : « Les étoiles de l’aube obéissent à ta volonté . Ton incomparable génie monte jusqu’aux cieux », ou encore : « Staline, tu es plus haut que les hauts espaces célestes ». Un autre le divinise : « O toi Staline grand chef des peuples, / Toi qui fis naître l’homme, /Toi qui fécondes la terre ! » Un quatrième exalte en lui « l’infini, l’éternel ». Un dernier le jure : « tout obéit à sa volonté. » Comment ne se sentirait-il pas dès lors la capacité de dominer Hitler ?
Hitler par le bout du nez ?
Cette conviction le pousse à faire fusiller les quatre soldats communistes allemands qui ont déserté en juin : deux le 4, un le 18, un autre le 21. Selon Jean Lopez et Lasha Otkhmezuri « ils ont tous ont révélé leurs opinions communistes et annoncé l’imminence de l’assaut.Tous ont été fusillés comme provocateurs ». C’est l’avant dernier service rendu à Hitler par Staline.
Le 22 juin 1941 à 0 h 30, le soldat communiste allemand Alfred Liskov déserte et franchit la frontière soviétique au péril de sa vie pour avertir l’Armée rouge que la Wehrmacht va attaquer à 3 heures du matin. Staline, prévenu aussitôt, ordonne de fusiller ce « provocateur ». C’est le dernier service rendu à Hitler par Staline pour prolonger l’existence une collaboration agonisante. La Wehrmacht attaque à l’heure dite, sauvant ainsi provisoirement Liskov, dont le NKVD démasquait alors vigoureusement la provocation.
Ainsi s’achève la collaboration affichée dont les deux protagonistes garderont une vague nostalgie. Ainsi Hitler déclare-t-il le 17 septembre 1944 à son médecin le docteur Giesing : « Le seul adversaire qui soit à peu près de ma taille est Staline. Je ne puis lui refuser mon estime... quand je considère ce qu’il a fait de la Russie ». Selon la fille de Staline, Nadejda Allilouieva, son père, lui, « considérait le pacte de 1939 comme un chef-d’œuvre de sa formidable sournoiserie » et bien après la guerre, il répétait, c’était devenu une habitude : « quand même, avec ces Allemands nous aurions été invincibles ».
Août -septembre 1944 : « le renouvellement sans paroles du pacte Ribbentrop –Molotov » (Czapski)
La collaboration Staline-Hitler, fracassée le 22 juin 1941, s’exprimera une dernière fois, à nouveau sur le dos des Polonais, trois ans plus tard sous une forme évidemment inavouée et inattendue. Le 1er août 1944, alors que l’Armée rouge entrée depuis plusieurs semaines en Pologne avance vers Varsovie, la capitale qu’Hitler déteste se soulève sous la direction de l’Armija Krajowa (A.K), l’armée nationaliste polonaise.
Les insurgés s’emparent des deux tiers de la ville. La Wehrmacht, renforcée par des bataillons SS et des détachements de l’armée russe collaborationniste de Vlassov et de l’armée ukrainienne fasciste de Bandera, déchaîne un massacre. Staline ne peut accepter une insurrection dont la direction lui échappe.
L’Armée rouge s’arrête longtemps puis avance, cinq jours durant, pour redonner un maigre souffle à l’insurrection, que quelques rares ballots de vivres lâchés par de rares avions soviétiques feignent de nourrir. L’insurrection, écrasée le 2 octobre, laisse derrière elle 180 000 morts et des monceaux de ruine. Avant de prendre Berlin, Staline a offert son dernier présent à Hitler.