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Où va l’impérialisme allemand ?
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
https://www.revolutionpermanente.fr/Ou-va-l-imperialisme-allemand
L'impérialisme allemand s'est engagé dans une impasse. Les crises, les guerres et les tensions géopolitiques font vaciller son rôle dans l'ordre mondial. Un article paru en octobre dans le cadre du Congrès de RIO, organisation révolutionnaire allemande.
L’article est paru avant la chute de la coalition tricolore sur Klasse Gegen Klasse.
La politique étrangère allemande dans un scénario « pré-1914 »
Dans les années 1990, le ministre des Affaires étrangères d’Helmut Kohl, Volker Rühe, ironisait sur le fait que l’Allemagne était « entourée d’amis ». L’orientation fondamentale de la politique étrangère de la RFA semblait se confirmer « triomphalement », comme l’écrit Jörg Lau, correspondant de politique étrangère du ZEIT, dans le magazine Internationale Politik : « (Westbindung, Ostpolitik, intégration européenne, engagement en faveur d’Israël (et d’un Etat palestinien), multilatéralisme, désarmement et, last but not least, un libre-échange hautement profitable pour l’Allemagne, nation exportatrice, dans un monde globalisé aux frontières de plus en plus perméables aux marchandises et aux informations ».
Mais depuis l’invasion russe de l’Ukraine en février 2022, l’Allemagne est exposée à une « série presque infinie de chocs de la réalité ». Toutes les orientations mentionnées dans la citation sont, a minima, en crise ou confrontées à des problèmes insolubles. Le changement d’époque, annoncé de façon pompeuse par Scholz, ne saurait masquer le fait que l’impérialisme allemand est loin d’avoir trouvé une nouvelle orientation stratégique, un nouveau rôle dans l’ordre mondial en pleine mutation.
L’ordre mondial unipolaire dirigé par les Etats-Unis est à bout de souffle et un nouvel équilibre dans un ordre mondial multipolaire formé par plusieurs grandes puissances n’a pas encore été trouvé et ne pourra pas l’être sans guerres interétatiques. Une nouvelle étape s’est ouverte dans l’ère de l’impérialisme. Après l’ordre de Yalta de la guerre froide (1945-1990) et la restauration bourgeoise (1990 jusqu’à la crise financière de 2008, ou jusqu’à la guerre en Ukraine de 2022), les caractéristiques classiques d’une époque de « guerres, de crises et de révolutions » redeviennent d’actualité, même si ces dernières, « les révolutions » sont la tendance la moins marquée. Les immenses efforts mondiaux de réarmement indiquent que les guerres en Ukraine et en Asie occidentale ouvrent une nouvelle période de préparation à la guerre entre les grandes puissances. Les nouveaux efforts pour reconstruire la dissuasion nucléaire en font également partie. A partir de 2026, des missiles américains de moyenne portée devraient être déployés en Allemagne. La carte nucléaire est également la menace ultime pour Poutine.
Dans un article paru en mai, Claudia Cinatti compare la situation internationale à la période « d’avant 1914 », lorsque la militarisation, les guerres régionales et les crises entre les puissances impérialistes ont poussé les tensions jusqu’à leur paroxysme, pour finalement éclater lors de la Première Guerre mondiale :
« L’ordre néolibéral dirigé par les États-Unis, dont le leadership a été incontesté dans l’immédiat après-guerre froide, est probablement en phase terminale. Le monde “globalisé” dirigé par Washington cède la place à une nouvelle configuration “pré-1914”. Dans un contexte de dégradation des démocraties libérales et de tentatives “césaristes”, les tendances protectionnistes des pays impérialistes (Biden vient d’imposer à la Chine des droits de douane de 100% sur les véhicules électriques), les rivalités entre grandes puissances et la guerre au cœur de l’Europe, combinée à une autre guerre de dimension internationale au Moyen-Orient, sont revenues sur le devant de la scène. Nous ne sommes pas encore au début de la “troisième guerre mondiale”, c’est-à-dire d’une dispute militaire ouverte pour l’hégémonie mondiale, mais un dangereux interrègne s’est ouvert ».
Malgré toutes les horreurs qui marquent déjà les guerres en cours, il est important de préciser que l’avènement d’une « troisième guerre mondiale » n’est pas automatique. Les tensions géopolitiques ne sont pas encore assez totales, la production n’est pas encore passée à l’économie de guerre. Enfin, la lutte des classes n’a pas encore eu d’influence fondamentale sur la situation internationale mais elle jouera un rôle plus central à mesure que les conflits s’intensifieront et pourra potentiellement infléchir la ligne de développement de la situation. La catastrophe climatique, autre cause et accélérateur de la conflictualité mondiale, continue d’alimenter ces dynamiques. Les famines, les révoltes, les mouvements d’exil et les guerres consécutives aux sécheresses et aux inondations sont déjà devenues un facteur important de la politique.
Les guerres en Ukraine et en Asie occidentale ont porté un coup sévère à la légitimité de la politique étrangère allemande. Des parties croissantes de la population sont mécontentes de l’orientation du régime, sans que ce mécontentement s’exprime nécessairement par des critiques progressistes à son égard. Les gens ont le sentiment que l’impérialisme allemand s’est engagé dans une impasse stratégique. Cela s’exprime notamment dans les demandes de paix avec la Russie émises par l’AfD et BSW ou par le mouvement pacifiste classique.
Même si des composantes du régime allemand tentent de dialoguer avec ces positions (par exemple la CDU à l’est), il n’existe pas actuellement de volonté de s’opposer à l’OTAN et de défendre une position ouvertement pro-russe au sein de la grande bourgeoisie. A moyen terme, il n’y a pas aujourd’hui d’alternative à l’alliance atlantique pour l’impérialisme allemand. Pour autant, la formation d’un bloc de l’OTAN contre le bloc Russie-Chine, comme on le voit actuellement, n’est pas gravée dans le marbre. Les divergences entre les Etats-Unis et l’Europe ont plutôt tendance à s’accentuer. Les Etats-Unis feront pression pour que l’Allemagne se positionne contre la Chine. Or, une guerre commerciale accrue imposée par les Etats-Unis et des confrontations géopolitiques avec la Chine pourraient avoir de graves conséquences politiques et économiques, que la bourgeoisie allemande n’acceptera que si elle n’a pas d’autre choix. Ainsi, les efforts de réarmement sur le continent visent à permettre à l’Europe de jouir d’une marge de manœuvre militaire propre et de la possibilité d’adopter une position indépendante.
A long terme, des systèmes d’alliance changeants sont également possibles. Pour faire une analogie avec la situation « avant 1914 » : jusqu’en 1905 environ, l’orientation stratégique de l’empire allemand consistait à rivaliser avec la suprématie maritime de l’Angleterre grâce à un programme de construction tout en cherchant à maintenir un équilibre entre la Russie et l’Angleterre et en isolant la France. La révolution russe de 1905 mit fin à cet équilibre, la Russie ne pouvant plus jouer le rôle d’adversaire de la Grande-Bretagne. Jusqu’en 1908, les constellations d’alliances changèrent et l’Allemagne se retrouva isolée. Même avant la Seconde Guerre mondiale, on ne savait pas encore si les alliés occidentaux allaient s’allier à l’Allemagne nazie ou à l’Union soviétique. Ces comparaisons montrent que les revirements brutaux sont loin d’être impossibles. A cet égard, la guerre d’Ukraine a déjà constitué une défaite stratégique pour l’impérialisme allemand, qui a perdu sa coopération avec la Russie, ce à quoi les Etats-Unis ont activement œuvré.
La tentative allemande de trouver une position d’équilibre entre la Chine et les Etats-Unis ne pourra pas continuer indéfiniment. Même si cela ne semble pas être le scénario le plus probable aujourd’hui, nous devons également envisager la possibilité que l’Allemagne cherche à se rapprocher de la Chine (au sujet des conditions économiques, voir le point 5) ou qu’elle tente de normaliser ses relations avec la Russie. Un front permanent à l’Est serait extrêmement coûteux pour le capital allemand et pourrait saper la légitimité politique de n’importe quel gouvernement et remettre en cause sa capacité à diriger l’Europe. Rappelons qu’avant l’éclatement de la guerre en Ukraine, les relations de l’Allemagne avec les États-Unis étaient froides, Trump et Macron critiquant ouvertement l’OTAN. La fin de la guerre poserait à nouveau la question de l’orientation de l’alliance transatlantique et des systèmes d’alliance.
Guerre en Ukraine : des négociations à quelles conditions ?
Alors que l’hégémonie américaine s’était déjà affaiblie ces dernières années (par exemple avec le retrait d’Afghanistan), la guerre d’Ukraine a représenté une rupture décisive dans l’ordre international. Il s’agissait d’une tentative de la Russie, non seulement de renforcer sa position en Europe, mais aussi de saper l’ordre mondial existant sous la direction des Etats-Unis. L’Ukraine constitue ainsi l’un des fronts de la confrontation croissante entre les blocs, qui s’exprime également dans la menace d’un embrasement généralisé en Asie occidentale et qui pourrait en outre devenir plus chaud avec le retour de Trump à la Maison Blanche, par exemple dans le cadre d’un conflit autour de Taïwan. Selon l’orientation de la future présidence américaine, les États-Unis pourraient s’engager davantage sur différents fronts (Harris pour l’Ukraine, Trump pour Israël). Poutine devrait spéculer sur une victoire de Trump, qui pourrait faire son jeu.
« La situation en Ukraine est sombre. La fin de l’offensive du Koursk n’est certes pas encore en vue, mais si la guerre se poursuit comme elle l’a fait jusqu’à présent, tout se résume à une victoire russe par épuisement ukrainien ». Tel est l’avis de Claudia Major et Jana Puglierin dans le numéro de septembre, du magazine Internationale Politik. Selon eux, il s’agit pour l’Occident d’éviter une défaite « totale » de l’Ukraine. Dans la guerre d’Ukraine, la Russie procède à des destructions systématiques, en visant notamment des infrastructures critiques comme l’approvisionnement en énergie. L’Ukraine n’y fait pas suffisamment face sur le plan militaire, car elle manque de systèmes de défense antiaérienne, d’avions de combat modernes, de munitions, de capacités de frappe de précision, de défense contre les drones ainsi que de ressources pour la maintenance et le réapprovisionnement en matériel militaire. Alors que la Russie a augmenté sa production d’armements et coopère à plusieurs niveaux avec des pays comme l’Iran, la Corée du Nord et la Chine, l’Occident reste à la traîne en ce qui concerne l’aide militaire et logistique nécessaire à l’Ukraine. Moscou compte sur une tactique d’usure prolongée pour gagner, tandis que les soutiens occidentaux hésitent à mobiliser des ressources suffisantes ou à donner à Kiev des moyens militaires pour reconquérir des territoires.
Malgré le soutien occidental, il existe trois obstacles majeurs : 1) l’Europe ne peut ni ne veut engager les ressources financières nécessaires à un renversement de la situation sur le front ; 2) l’Occident ne montre aucune volonté de prendre les risques militaires qui permettraient de renforcer Kiev contre la Russie, puissance nucléaire, et se contente de soutenir sa défense et des contre-offensives ponctuelles ; 3) ni l’Occident ni l’Ukraine n’ont réussi à isoler la Russie sur la scène internationale. Si le soutien occidental se maintient sous sa forme actuelle ou s’affaiblit, l’Ukraine risque d’être contrainte d’accepter un accord de paix aux conditions russes, ce qui pourrait signifier la perte d’environ 20 % du territoire ukrainien.
Bien que l’Ukraine soit de plus en plus disposée à céder des territoires en échange d’un accord de paix, une grande partie des classes dirigeantes ukrainiennes continuent de s’y opposer. L’Occident est confronté à la question de savoir à quelles conditions un cessez-le-feu serait acceptable pour l’Ukraine, d’autant plus qu’un tel accord pourrait légitimer temporairement une occupation russe. Pour Kiev, le maintien de la souveraineté de l’Etat ukrainien, la perspective de reconstruction économique par une intégration à l’UE ainsi que des garanties de sécurité à long terme, par exemple par le biais de l’OTAN ou d’accords multilatéraux, pourraient la convaincre d’accepter de telles conditions pour obtenir la paix.
Une défaite totale de l’Ukraine aurait de graves conséquences. Des millions de réfugiés pourraient affluer en Europe, l’UE et l’OTAN seraient affaiblies, tandis que la Russie et d’autres pays seraient encouragés par un succès militaire, obtenu par la force. Un tel scénario serait particulièrement dangereux pour des pays comme l’Allemagne, qui dépendent de la stabilité internationale et du bon fonctionnement des flux commerciaux. L’Ukraine et l’Allemagne craignent que Trump, s’il redevient président des Etats-Unis, ne réduise drastiquement, voire n’arrête, le soutien militaire et financier. Il a déjà signalé par le passé qu’il voyait d’un œil critique l’aide américaine à l’Ukraine et qu’il préférerait pousser à une solution négociée, éventuellement à des conditions qui conviendraient à Vladimir Poutine.
C’est pourquoi les analyses qui tablent sur une fin de la guerre se sont multipliées ces dernières semaines. Pour le journal télévisé, Gustav Gressel analyse le « plan de victoire » de Zelensky : celui-ci devrait empêcher l’Ukraine d’être contrainte de négocier avec la Russie à des conditions défavorables. Zelensky tente d’inciter l’Occident à adopter une stratégie claire plutôt que de se contenter d’un soutien à court terme qui n’est pas axé sur des objectifs concrets. Il veut éviter que des concessions soient faites à la Russie, par exemple un cessez-le-feu sans adhésion à l’OTAN. Gressel souligne qu’il est important de mettre la Russie sous pression militaire afin de la forcer à s’asseoir à la table des négociations. L’utilisation d’armes modernes à longue portée, y compris contre des cibles sur le sol russe, pourrait jouer un rôle à cet égard. Une telle utilisation limiterait considérablement la capacité de la Russie à mener des attaques depuis des aéroports proches du front.
Dans un article de débat paru dans le FAZ, les présidents CDU de Thuringe et de Saxe, Voigt et Kretschmer, ainsi que le ministre-président SPD du Brandebourg, Woidke, ont également plaidé pour que l’Allemagne contribue à une solution négociée :
« Pour amener la Russie à la table des négociations, il faut une alliance forte et unie. L’Allemagne et l’UE ont encore suivi cette voie de manière trop indécise. Plus l’alliance internationale sera large, plus la pression sera grande. Il s’agit de parvenir à un cessez-le-feu et d’offrir à l’Ukraine des garanties de sécurité solides. Notre force économique peut également être un levier à cet égard. Le gouvernement fédéral doit assumer plus activement sa responsabilité en matière de politique étrangère en faisant preuve d’une diplomatie plus visible. L’Allemagne peut et devrait jouer un rôle plus important de médiateur, comme elle l’a fait au cours des décennies précédentes grâce à des hommes politiques comme Helmut Kohl, Willy Brandt et Hans-Dietrich Genscher. Nous voulons que l’Allemagne joue un rôle diplomatique plus actif, en étroite coordination avec ses voisins et partenaires européens. »
Dans le cadre des négociations de coalition à l’Est, ces positions cherchent à dialoguer avec les voix critiques envers la guerre en Allemagne, telles qu’exprimées par BSW. En même temps, elles soulignent la nécessité pour l’Allemagne de montrer sa force. Sous la pression de la situation militaire et de la transition encore incertaine à la Maison Blanche, les réflexions sur les négociations devraient gagner en importance.
La fin des présidences américaines « européennes »
Sous une présidente comme Kamala Harris, le soutien militaire à l’Ukraine se poursuivrait probablement, mais avec ses propres contradictions (nous y reviendrons plus loin). En revanche, Trump serait nettement plus imprévisible. Les analystes Sophia Besch et Liana Fix décrivent ce que pourrait être sa politique ukrainienne :
« Le scénario : Trump est élu et prévoit, immédiatement après sa prestation de serment, une conférence de paix avec Vladimir Poutine et Volodymyr Zelensky. [...] Trump exige des Européens qu’ils participent et soutiennent tout accord qu’il négocie. Il force l’Ukraine à s’asseoir à la table des négociations en menaçant de suspendre toute aide dans le cas contraire, et la Russie en menaçant de doubler son aide militaire à l’Ukraine dans le cas contraire. [...] Pour les Européens, des questions centrales se posent désormais : acceptent-ils une telle conférence de paix comme inévitable ? Essayent-ils d’influencer les négociations en coulisses ? Et peuvent-ils résister à la pression de Trump, qui exige le soutien de l’Europe à son plan de paix en échange de garanties de sécurité américaines au sein de l’OTAN ? Le scénario concret d’une OTAN « en sommeil » est suffisamment populaire dans les milieux Républicains pour que les Européens prennent une telle menace au sérieux. »
Les auteurs proposent un plan pour répondre à ce cas précis : il faudrait une coordination régulière et informelle entre les acteurs européens importants comme l’OTAN, la Commission européenne et les États de Grande-Bretagne, France, Allemagne, Italie et Pologne. Ce groupe devrait définir des lignes rouges, préparer les négociations avec Donald Trump et promettre à l’Ukraine un soutien supplémentaire sous forme d’armes et de sanctions si la Russie viole le futur accord de Trump. L’Europe doit en outre envoyer un signal indiquant qu’elle souhaite augmenter ses dépenses de défense à 3% du PIB d’ici 2035, en investissant une partie dans des systèmes d’armes américains et dans des projets européens, afin de réorienter l’alliance de manière à ce que les Etats-Unis puissent se retirer progressivement d’Europe et se concentrer sur l’Indo-Pacifique.
Les négociations de paix avec la Russie sont donc placées sous le signe du conflit beaucoup plus vaste qui oppose les Etats-Unis à la Chine. Trump pourrait demander à l’Europe d’augmenter les droits de douane sur les produits chinois et imposer à la Chine des sanctions sévères pour punir son soutien à la Russie. Pour les Etats-Unis, la guerre en Ukraine pourrait ainsi être un levier permettant non seulement de séparer l’Europe de la Russie, mais aussi de la mobiliser sur le front contre la Chine. Trump veut avant tout empêcher l’Europe de faire de bonnes affaires avec la Chine, tout en laissant les Etats-Unis garantir sa sécurité.
Mais même si Trump promet de défendre une stratégie plus agressive et imprévisible que celle de Kamala Harris, pour elle aussi, le centre de gravité stratégique contre la Chine est central. Le think tank Agora Strategy écrit :
« Une administration dirigée par Trump pourrait éventuellement appliquer les droits de douane de 60 % qu’il a évoqués [dans son programme] sur les produits chinois. Si cette mesure ne s’inscrit pas dans le cadre d’éventuelles négociations avec Pékin, elle devrait presque certainement déclencher une guerre commerciale. La Chine pourrait alors tenter d’exporter ses surcapacités vers d’autres régions. De telles mesures pourraient rendre certains produits moins chers en Europe, mais elles provoqueraient presque certainement des mesures de rétorsion de la part de l’UE, feraient grimper l’inflation et saperaient la croissance dans le pays. Un gouvernement dirigé par Harris poursuivra probablement les mesures restrictives de l’administration Biden, notamment les droits de douane contre le marché chinois des véhicules électriques et les contrôles à l’exportation des biens critiques. »
Alors que Trump cherche ouvertement à prendre des mesures protectionnistes, Harris adopte une approche plus modérée, mais qui ne sont pas du tout en faveur d’un commerce international ouvert. Pour l’essentiel, elle poursuivra la politique de Biden en matière de subventions industrielles, dont les éléments centraux étaient l’« Inflation Reduction Act » (d’un volume de 550 milliards d’euros), le « Chips and Science Act » (280 milliards d’euros), et des aides publiques aux industries vertes. Cette politique crée de nouveaux obstacles pour les entreprises étrangères en liant les subventions aux règles du « Made in America ». Cela ne conduit certes pas à un protectionnisme classique, mais rend l’accès au marché plus difficile pour les entreprises étrangères si elles ne se plient pas aux conditions américaines. Avec ces subventions, Biden voulait particulièrement attirer les entreprises high-tech de l’étranger. L’UE s’y oppose avec ses propres programmes de soutien, si bien qu’une course aux subventions publiques s’est engagée. Le responsable de la politique financière de l’UE, Mario Draghi, défend par exemple un programme de subventions de 800 milliards d’euros, financé par un plan d’endettement commun. L’Allemagne s’y oppose parce qu’elle ne veut pas d’une dette européenne communautarisée.
En matière de politique de défense également, Harris devrait s’inscrire dans la continuité de l’administration Biden. Elle promet de poursuivre le soutien militaire à l’Ukraine et parle même de victoire sans la définir clairement. Une présidence de Harris ne devrait toutefois pas signifier un simple maintien du statu quo pour l’Europe. Jusqu’à présent, Harris n’a pas joué un grand rôle en politique étrangère. Mais les positions de son conseiller en sécurité Philip Gordon donnent une idée de l’attitude future du gouvernement américain vis-à-vis de l’Europe. Celui-ci est certes clairement pro-OTAN et pro-livraison d’armes à l’Ukraine mais, dans le même temps, il plaide pour une plus grande autonomie stratégique de l’Europe et souligne qu’« aucun futur président américain ne sera élu avec un mandat de solidarité avec l’Europe sans avoir la certitude d’obtenir quelque chose en retour ». Cela signifie avant tout que Harris attendrait de l’Europe qu’elle continue à s’armer en faisant pression pour qu’elle adopte une position commune avec les Etats-Unis vis-à-vis de la Chine. C’est également ce qu’attend le député CDU McAllister->https://www.rnd.de/politik/kamala-harris-als-us-praesidentin-was-auf-europa-dann-wirklich-zukommt-CHOMSAUBXNG5LBYWGX4DLUVAZM.html] au Bundestag : « La relation avec les alliés, et en particulier avec les Européens, dépendra de la question de savoir si, et dans quelle mesure, nous sommes prêts à partager avec les Etats-Unis sa vision de la Chine et sa politique à son égard ».
Les Républicains et les Démocrates s’accordent à dire que les États-Unis doivent s’opposer à la Chine. Mais la question est de savoir comment. Pékin ne devrait pas être soulagé par la présidence de Harris. Sous Biden, les Etats-Unis ont renforcé leur coopération avec l’Australie, le Japon, la Corée du Sud, le Vietnam, l’Inde et les Philippines et ont cherché à coopérer avec l’UE. L’« America First » de Trump pourrait susciter davantage de divergences avec ses alliés, ce qui pourrait convenir à la Chine. Trump ne s’est pas non plus clairement prononcé en faveur de la sécurité de Taiwan, contrairement à Harris. La menace de Trump d’imposer des droits de douane punitifs de 60% contre la Chine serait en revanche ouverte à la négociation.
Que ce soit Trump ou Harris qui s’installe à la Maison Blanche : l’Europe peut être sûre que situation ne va pas s’améliorer. Le journaliste du ZEIT Jörg Lau écrit à ce sujet : « L’alliance transatlantique n’est pas seulement confrontée à une remise à zéro dans le cas redouté d’une deuxième présidence Trump. Quel que soit le successeur de Joe Biden, il sera le dernier président américain à définir la sécurité de l’Europe comme un intérêt américain majeur ».
Impasse de la politique en Asie occidentale
Avec le génocide à Gaza et l’extension de la guerre aux pays voisins, une situation difficilement contrôlable s’est ouverte pour l’Occident en Asie occidentale. Netanyahu a parlé à l’ONU du fait qu’Israël se battait sur sept fronts : dans la bande de Gaza, en Cisjordanie, contre le Hezbollah et le Liban en général, contre les Houthis au Yémen, contre les milices pro-iraniennes en Syrie et en Irak et désormais directement contre l’Iran. L’escalade qu’Israël mène contre le Liban vise à modifier fondamentalement l’équilibre du pouvoir dans la région en éliminant les avant-postes de l’Iran et en l’affaiblissant considérablement. Pour ce faire, Israël veut impliquer directement l’Occident dans une guerre ou du moins dans une confrontation accrue contre l’Iran. L’Occident a mis en garde l’Iran contre des représailles. Les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et les États membres de l’UE participent déjà eux-mêmes au conflit à un faible niveau militaire, au-delà des livraisons d’armes, en mettant leurs forces au service de la défense aérienne d’Israël contre les attaques balistiques iraniennes, en bombardant le Yémen ou en engageant leurs flottes en mer Rouge. Les Etats-Unis veulent éviter une guerre directe contre l’Iran, mais ils ne peuvent pas vraiment imposer leur leadership et ne parvienne pas à tenir leur chien de garde, Israël, en laisse. La faiblesse historique des Etats-Unis est le facteur décisif grâce auquel Israël peut tenter de se montrer offensif. Trump pourrait tenter de reprendre la main en apportant un soutien encore plus direct à Israël. Pendant la campagne électorale, il a même déclaré qu’Israël devrait attaquer les installations nucléaires iraniennes. On peut s’attendre à ce que Harris adopte une approche a minima plus modérée et tente de freiner l’escalade dans les échanges entre Israël et l’Iran.
Cette situation est en train d’ébranler les principes de la politique allemande en Asie occidentale. Sous Merkel, l’Allemagne cherchait à garantir la sécurité d’Israël, érigée en « raison d’Etat », tout en défendant une solution à « deux États », et à tenir en respect l’Iran grâce à un équilibre entre coopération et sanction, surtout après l’écrasement du mouvement insurrectionnel en 2022 et l’intensification de la répression en Iran. En bref, la vision allemande consistait à maintenir le statu quo. Pour cela, elle a également participé à l’occupation de l’Afghanistan et aux interventions contre Daesh en Syrie.
Après le 7 octobre 2023, l’Allemagne a tenté de soutenir l’action d’Israël contre le Hamas et le Hezbollah, tout en insistant sur la défense du droit international humanitaire. L’attitude jusqu’ici peu claire, hésitante, voire totalement impuissante du gouvernement allemand, qui tente d’exercer un effet modérateur sur Israël et de freiner la spirale de l’escalade, est l’expression d’un dilemme stratégique. Israël est un partenaire stratégique décisif dans la région pour l’Allemagne et l’Occident dans son ensemble. Sans l’existence d’Israël, il serait incomparablement plus difficile d’exercer un contrôle dans cette région du monde extrêmement importante pour l’économie mondiale du fait de ses routes commerciales (canal de Suez, détroit d’Ormuz) et ses exportations de pétrole, et où se trouvent différentes puissances régionales (Arabie saoudite, Iran, Turquie, Qatar, EAU, Égypte). La Russie y lutte également pour son influence, à l’image de la guerre civile syrienne, où l’intervention militaire russe a assuré la survie du régime Assad.
Le grand écart de la politique étrangère allemande entre ce soutien à Israël et une rhétorique humanitaire a lourdement entaché la réputation de l’Allemagne dans la région, affaiblissant son influence diplomatique. Avec l’extension de la guerre aux pays voisins d’Israël, la tentative d’assumer un « rôle humanitaire » est encore plus désespérée. L’Allemagne s’est déjà positionnée contre l’Iran après l’invasion israélienne du Liban. Ce dernier est particulièrement visé en tant qu’allié de la Chine et de la Russie et en tant que centre de l’« axe de la résistance » dont dépendent le Hezbollah, le Hamas et les Houthis. Les approches allemandes de la « politique étrangère féministe », qui visaient à renforcer la société civile pour contrer le régime iranien, n’ont pas porté leurs fruits, pas plus que la tentative de relancer l’accord nucléaire avec l’Iran, qui a été dénoncé par Trump en 2018.
Malgré la situation de plus en plus tendue, le gouvernement allemand a continué à souligner la nécessité du dialogue diplomatique avec l’Iran à l’été 2024. Il a rejeté une proposition de la CDU/CSU qui prévoyait de placer les Gardiens de la révolution iraniens sur la liste des organisations terroristes et de mettre en place de nouveaux trains de sanctions. Dans un document de position, la CDU/CSU écrivait en avril : « Nous reconnaissons que le régime iranien est un adversaire global et que nous devons modifier en conséquence notre réflexe politique de base vis-à-vis de la République islamique d’Iran. Cela signifie également que nous ne devons plus nous engager dans de faux débats, chronophages et sans résultat, avec le régime de Téhéran ».
A cette occasion, ils ont proposé de soutenir Israël dans la formation d’une coalition anti-iranienne avec des Etats arabes « modérés ». Ces propositions ne se sont pas encore concrétisées, mais la dynamique de l’offensive israélienne contre le Liban pave la voie, à l’avenir, à l’adoption d’une logique plus conflictuelle dans la politique étrangère allemande. Son intensité dépendra des événements dans la région elle-même ainsi que du positionnement de la future présidence américaine. Fin septembre, Netanyahu avait laissé entendre qu’il souhaitait un changement de régime en Iran. Par le passé, ni Trump ni Harris ne se sont laissés aller à de telles déclarations. La tendance à une guerre « totale » est pour l’instant freinée par le fait que personne, à l’exception d’Israël, n’en veut vraiment : les Etats-Unis, l’Europe, l’Iran et même la Chine se tiennent plutôt passivement sur la touche, conscient que l’aggravation du chaos régional mettrait en danger les voies commerciales et les importations de pétrole dont elles ont, elles aussi, besoin. Mais cette situation pourrait ne pas durer. La Russie et la Chine pourraient chercher des occasions d’étendre leur influence, par exemple en menant des attaques sur le canal de Suez, par l’intermédiaire de proxies comme moyen de chantage ou mettant l’Iran sous tutelle. Les Etats-Unis pourraient également se montrer plus virulents (surtout sous une présidence Trump). Une nouvelle guerre par procuration de l’Occident contre le bloc sino-russe est une possibilité. Ce qui est d’ores et déjà certain, c’est que la tentative d’Israël de modifier de fond en comble l’équilibre des forces dans la région peut favoriser des dynamiques encore imprévisibles aujourd’hui et rendre encore la politique étrangère actuelle de l’Allemagne encore plus absurde.
De plus, un facteur dynamique pourrait encore une fois modifier fondamentalement la situation : l’intervention de masses insurgées dans le processus politique. Les effets et les conséquences des Printemps arabes continuent d’exercer une influence dans la situation, marquée par des interventions militaires et des processus contre-révolutionnaires. La collaboration d’États comme l’Égypte et la Jordanie avec l’Occident et Israël, leur autoritarisme, les conditions sociales et économiques parfois catastrophiques peuvent enflammer la colère des masses. Des mouvements de libération nationale et l’apparition chaotique de phénomènes révolutionnaires, contre-révolutionnaires ou bellicistes pourraient s’entremêler. Contrairement aux années 2010 cependant, toute tentative d’intervention étrangère se ferait dans un contexte de tensions incomparablement plus importantes entre les puissances régionales et les grandes puissances.
Crise structurelle et protectionnisme
Face aux tensions croissantes entre les grandes puissances et aux guerres commerciales qui se profilent à l’horizon, le concept de « démondialisation » est de plus en plus présent dans le débat public. La crise financière de 2007/08 a fait s’effondrer les illusions d’une croissance capitaliste débridée. La croissance des années 1990, basée sur le dépeçage des anciens États ouvriers et l’intégration de millions de personnes dans l’exploitation capitaliste, s’est accompagnée d’une ouverture sans précédent des marchés financiers, d’une dérégulation des transactions boursières spéculatives et d’un commerce mondialisé. Ce modèle a atteint ses limites avec le crash financier de 2007/08.
Le capital ne trouvant plus de placements rentables en Occident, de nombreux investissements se sont dirigés vers la Chine, qui est devenue la locomotive de l’économie mondiale au moment de la crise, situation à l’origine de la rivalité actuelle avec les États-Unis. L’Allemagne est entrée dans une phase de faiblesse dès le début des années 2000, avec une faible croissance et un taux de chômage élevé, malgré des exportations croissantes dues à l’introduction de l’euro. Le gouvernement Schröder a augmenté la pression sur la classe ouvrière avec l’Agenda 2010 (lois Hartz) et a créé temporairement le plus grand secteur à bas salaires d’Europe (près d’un quart des emplois en 2007). En 2007/2008, les bulles spéculatives ont éclaté, les banques ont été confrontées à de graves crises et les États ont tenté de les soutenir avec des programmes de sauvetage. Si cela était possible pour l’Allemagne, les pays de la périphérie européenne ont sombré dans une crise de la dette très profonde. Avec l’aide de la Banque centrale européenne, du Fonds monétaire international et de l’UE, l’Allemagne a soumis les États comme la Grèce, l’Italie, l’Espagne, le Portugal et l’Irlande à un immense diktat austéritaire et les a contraint à procéder à des privatisations.
L’économie allemande, avec ses groupes au capital très concentré et son important secteur à bas salaires, a pu accumuler un immense excédent dans sa balance des paiements courants au cours de ces années. Cette notion désigne une situation où les bénéfices des exportations ainsi que les profits des investissements à l’étranger dépassent les coûts des importations et des sorties de capitaux. La balance des paiements courants, qui était déficitaire pendant toutes les années 1990, est devenue excédentaire avec l’introduction de l’euro en 2000, puis avec la crise de l’euro vers 2010, pour atteindre un excédent annuel d’environ 250 milliards d’euros vers 2015. Cela s’est fait au détriment des clients de l’Allemagne : les économies de la France et de l’Europe du Sud ainsi que des États-Unis. L’excédent de la balance des paiements courants de l’Allemagne s’est construit sur la désindustrialisation, le chômage et l’endettement d’autres pays. L’élection de Trump en 2017 était en partie une réaction aux énormes excédents d’exportation allemands. Au lieu d’acheter des voitures allemandes, il fallait relancer l’industrie américaine. Dans la revue Zeitschrift für marxistische Erneuerung, Winfried Kurtzkie décrit ainsi le « modèle commercial » allemand développé à la perfection dans les années 2010 :
« L’importation de biens de consommation bon marché et d’énergie bon marché a permis de garantir le niveau de vie. Parallèlement, les prix bas de l’énergie et des matières premières ainsi que l’importation de biens industriels intermédiaires en provenance d’États où le niveau des salaires est nettement plus bas ont permis d’accroître la compétitivité de l’industrie. Cela a contribué aux grands succès à l’exportation, garantissant ainsi des emplois industriels relativement bien rémunérés et permettant aux groupes exportateurs de réaliser d’excellents bénéfices. Mais ce modèle atteint ses limites depuis un certain temps déjà ».
Symboliquement, le scandale des émissions polluantes de VW, qui a éclaté au grand jour en 2015, marque la limite de ce modèle. Pendant des années, Volkswagen a publié des données falsifiées sur ses voitures. Il s’est alors avéré que le moteur à combustion, produit de prestige de l’industrie allemande, n’était finalement pas aussi avancé qu’on le prétendait. Depuis 2016, le bilan des performances est en baisse, la concurrence des constructeurs automobiles chinois, notamment, s’accroît. De l’autre côté de l’océan, Trump a franchi le pas, préférant le protectionnisme à la mondialisation en adoptant des droits de douane punitifs. Les négociations sur les accords de libre-échange ont été interrompues. Joe Biden ne devrait pas non plus les reprendre, comme l’a montré sa politique de subventions.
La crise déjà latente du modèle commercial allemand qui s’annonçait à la fin des années 2010 a fait un bond flagrant en 2020 avec la pandémie de Covid-19. Les chaînes d’approvisionnement se sont effondrées, l’industrie a connu des pénuries de matériaux qui ont montré la vulnérabilité de l’économie européenne. La mondialisation, avec sa production en flux tendu à l’échelle mondiale, a révélé sa vulnérabilité. Avec la guerre d’Ukraine, les illusions d’une économie mondiale en réseau se sont définitivement effondrées. La fin des relations commerciales avec la Russie et les sanctions prises à son encontre ont détruit un pilier central du modèle commercial allemand : celui de l’énergie bon marché. Au lieu d’acheter du gaz et du pétrole à la Russie, le gouvernement fédéral a acheté du gaz liquide hors de prix aux États-Unis ou au Qatar. Entre-temps, les prix de l’énergie se sont quelque peu normalisés, mais à un niveau plus élevé qu’avant la guerre. En octobre 2023, la Chambre d’assurance de Bavière a constaté que les clients industriels payaient 20,3 centimes d’euro par kilowattheure en Allemagne, contre 19,9 centimes en moyenne dans l’UE, tandis que les États-Unis et la Chine ne payaient que 8,4 centimes chacun. Un certain nombre d’entreprises à forte consommation d’énergie ont déjà délocalisé leur production aux États-Unis ou en Chine.
Outre les prix de l’électricité, il existe d’autres facteurs qui sont responsables de la fuite des capitaux allemands vers les États-Unis et la Chine. On peut citer ici la vulnérabilité des voies commerciales évoquée plus haut. La propension des grands groupes à produire et vendre directement dans les pays où ils sont implantés est également un facteur important. Cela est également lié aux tendances protectionnistes croissantes. Les marchandises produites en Europe et expédiées vers les États-Unis ou la Chine peuvent être soumises à des droits de douane élevés. En cas de production sur place, il est possible de bénéficier de subventions. Les entreprises allemandes profitent également de l’Inflation Reduction Act, dans la mesure où elles créent suffisamment d’emplois aux Etats-Unis pour remplir les conditions.
Selon la Bundesbank, les entreprises allemandes ont investi 115,9 milliards d’euros à l’étranger en 2023, notamment dans des participations et des opérations financières dans l’UE, aux Etats-Unis et en Chine. A l’inverse, les entreprises étrangères n’ont investi que 21,9 milliards d’euros - le chiffre le plus bas depuis dix ans. Il en résulte une sortie de capitaux de 94 milliards d’euros. Des investissements étrangers élevés ne sont pas un problème en soi, au contraire, c’est une caractéristique centrale d’un pays impérialiste. Mais ils deviennent un problème lorsqu’ils sont l’expression d’un manque de compétitivité, parce qu’il y a trop peu de possibilités de placement rentables dans le pays et que les investissements à l’étranger ne servent pas à faire des affaires supplémentaires, mais à délocaliser. C’est en tout cas ainsi que l’interprète l’Institut de l’économie allemande, qui met même en garde contre un risque de désindustrialisation en se référant au fait que les chiffres de production sont inférieures à ceux d’avant la pandémie de Covid-19 : « L’utilisation des capacités était dernièrement [en 2024] de 77,5 % dans l’industrie manufacturière, soit 6 points de pourcentage de moins que la moyenne à long terme ».
Alors que Volkswagen, par exemple, construit maintenant de nouvelles usines et délocalise sa production de batterie aux Etats-Unis en bénéficiant de milliards de subventions, ils ont annoncé les plus grands plans de licenciement en Europe de l’histoire de l’entreprise. En Chine, ils veulent d’ailleurs aussi fermer une usine. Les constructeurs allemands sont de plus en plus à la traîne, en particulier sur le marché chinois, qui a été une locomotive pour VW et BMW ces dernières années. Pendant des années, VW a été le leader du marché, mais en 2023, il a été remplacé par BYD, qui propose des voitures électriques nettement moins chères, associées à un service numérisé. Léo Valadim écrit pour Révolution Permanente sur la compétitivité de l’industrie automobile européenne :
« La Chine produit aujourd’hui pas moins de 22% des véhicules électriques vendus en Europe, contre 8% il y a trois ans, souvent avec des modèles low cost d’entrée de gamme. Mais la percée chinoise, pointée du doigt par tous les acteurs du secteur, ne saurait occulter le fait que la concurrence américaine aussi joue pour beaucoup dans la pression sur l’industrie européenne, notamment dans le segment premium avec Tesla. A elle seule, la multinationale Tesla détient 18,2% des parts de marché sur l’électrique neuf en Union européenne. Face à cette percée sur le marché européen, l’UE a instauré des droits de douane spécifiques sur les voitures chinoises, tout en en préservant son allié d’outre-Atlantique, allant jusqu’à réduire considérablement les droits de douane des voitures Tesla produites sur le sol chinois. Cette mesure emboîte le pas à l’administration Biden, qui avait quant à elle imposé des droits de douane de 100% sur les véhicules chinois ».
La tentative de l’UE de venir à bout de la concurrence chinoise en imposant des droits de douane punitifs allant de 17 à 38 % n’est pas forcément bien accueillie par les constructeurs automobiles européens. D’une part, leurs propres produits importés de Chine en Europe sont concernés. D’autre part, ils craignent des mesures de rétorsion. L’Allemagne s’était opposée aux droits de douane, mais n’a pas réussi à s’imposer, ce qui démontre une faiblesse de son leadership. Mais, avec ou sans droits de douane, les Européens ont plusieurs années de retard technique sur leurs concurrents. Parallèlement, on constate déjà une saturation des marchés ou une faible demande : 100 000 voitures électriques seraient en stock en Europe et ne pourraient pas être vendues.
Il serait toutefois réducteur de penser que les constructeurs automobiles européens ont simplement raté le passage des voitures à combustion aux voitures électriques ainsi que la numérisation. Il s’agit plutôt d’un changement majeur dans la composition du capital à l’échelle mondiale. Les nouvelles technologies nécessitent un niveau d’investissement élevé, tandis que la part de la main-d’œuvre humaine dans la création de valeur ajoutée diminue. Or, en Allemagne, le capital trouve trop peu d’opportunités d’investissement qui semblent réellement lucratives. Cela s’est manifesté de manière flagrante avec le retrait de deux fabricants de puces américains (Intel près de Magdebourg, Wolfspeed près de Sarrebruck) qui, malgré des milliards de subventions, ont finalement décidé de ne pas construire leurs usines en Allemagne. La faiblesse de la compétitivité allemande s’exprime par la stagnation dans laquelle l’économie allemande est plongée depuis la guerre en Ukraine. Alors que le PIB a déjà reculé de 0,3 pour cent en 2023, le gouvernement fédéral prévoit cette année une baisse de 0,2 pour cent. Pour l’année prochaine, une croissance très mince de 0,8 pour cent. Ces chiffres représentent l’un des pires indicateurs au sein des pays de l’OCDE. L’indice boursier allemand DAX est en revanche à un niveau record (au 15 octobre). Cela est dû en particulier aux bénéfices des investissements allemands aux Etats-Unis ainsi qu’à la perspective d’une baisse des taux directeurs suite au recul de l’inflation.
Les bénéfices réalisés aux États-Unis ne soutiennent que partiellement l’attractivité de l’Allemagne. Les devises sont en grande partie réinvesties sur place et ne sont pas utilisées pour renouveler la production en Allemagne. La question est donc de savoir à quoi devrait ressembler le modèle économique de l’Allemagne à l’avenir. Pour l’essentiel, deux approches s’opposent au sein du régime. Le souhait du SPD et des Verts est de faire redémarrer l’économie au moyen d’investissements publics financés par la dette. L’approche libérale-conservatrice vise quant à elle à rendre les investissements privés plus rentables par le biais d’allègements fiscaux pour les entreprises et d’attaques contre les conditions de travail, les pensions, les prestations sociales, etc. En fin de compte, un futur gouvernement proposera probablement un mélange de ces politiques. Malgré les affirmations de la CDU/CSU en faveur d’un frein à l’endettement, elle pourrait introduire des exceptions pour les investissements et le réarmement de l’armée allemande, qui est encore loin d’être « apte à la guerre ». C’est pourquoi le prochain gouvernement ne manquera pas de mener de nouvelles attaques sociales.
Tendances à une crise d’hégémonie du régime
Sous l’effet de l’évolution de la situation géopolitique (guerre en Syrie, retrait américain d’Afghanistan, trumpisme, guerre commerciale, Covid-19, crise automobile), le merkelisme au centre avait déjà perdu sa force d’intégration avant la guerre en Ukraine. Un nouveau gouvernement devait trouver de nouveaux moyens de renforcer le capital allemand. La coalition « feu tricolore » s’était donc lancée dans une tentative de développer un nouveau projet hégémonique, une alliance (a) pour la modernisation verte de la grande industrie (b) avec la participation de l’aristocratie ouvrière au travers de mesures sociales intégratives pour stabiliser le tissu social et en particulier les rapports entre le capital et le travail, (c) tout en consolidant les finances publiques après les énormes politiques de relance au cœur de la pandémie de la Covid-19. Même sans guerre, l’entreprise n’avait aucune chance d’aboutir ; avec la crise permanente de la position géopolitique de l’Allemagne depuis la guerre en Ukraine et le « changement d’époque » militaire contraint, qui se fait sur le dos des grandes majorités, cette crise s’est encore aggravée. Les conflits internes de la coalition en sont une expression, tout comme la crise de légitimité massive de la coalition. Celle-ci ne se manifeste pas seulement par des taux d’approbation élevés pour l’AfD, mais également par une perte de confiance large envers le gouvernement, qui n’a jamais été aussi impopulaire qu’aujourd’hui.
Les causes de cette défiance se trouvent dans la politique de modernisation antisociale des Verts (voir la loi sur le chauffage), dans le délabrement croissant des infrastructures, de la santé, de l’éducation, etc., dans la crise de l’assistance sociale et du marché de l’emploi (manque de personnel qualifié, retraite), dans l’insécurité et la colère générées par les mesures Covid-19. La guerre nourrit également ce mécontentement, pas forcément du fait d’un rejet idéologique du militarisme, mais surtout en raison de ses conséquences (inflation, coût de l’énergie, mesures d’austérité, réfugiés d’Ukraine et du Moyen-Orient, etc.)
Dans ce contexte, la question migratoire est devenue un élément central de la crise de légitimité du gouvernement. Cette crise a été attisée par les médias, exploitée de manière ciblée par les partis de droite et les gouvernements eux-mêmes, et s’est renforcé depuis des années lors de différentes vagues (par exemple, Sarrazin en 2010, la guerre en Syrie/Pegida en 2015, Chemnitz/Seehofer/Maaßen en 2018, Gaza en 2023, Solingen en 2024, etc.). Cependant, ce phénomène n’est pas seulement médiatique, il a aussi des fondements matériels. D’une part, il est lié à la violence des guerres et les destructions, qui provoquent des flux massifs de réfugiés vers les centres impérialistes, où ces derniers sont privés de droits, déclassés et victimes de racisme. D’autre part, il a été nourri par les attentats islamistes qui, bien que marginaux comparés au terrorisme d’extrême droite, importent de façon « asymétrique » la guerre dans les métropoles.
En même temps, cette situation reflète également la nécessité (et la difficulté) pour le capital allemand de combler le manque de main-d’œuvre qualifiée grâce à des travailleurs étrangers. Cela engendre un double régime migratoire : d’un côté, des populations, notamment mais pas uniquement des réfugiés, sont soumises à une discrimination raciste, exploitées comme main-d’œuvre bon marché et exclues par des opportunités limitées d’éducation, de mobilité sociale, etc. De l’autre côté, des travailleurs hautement qualifiés sont censés être recrutés via des lois assouplies, un accès simplifié à la citoyenneté, etc. Toutefois, le gouvernement peine à atteindre cet objectif.
Le changement d’époque a déclenché la plus grande reconfiguration du système de partis allemand depuis les premières années de la RFA, marquée par le tournant à droite de tous les partis, le déclin de Die Linke, la montée de l’AfD en tant que parti de masse, l’émergence de BSW et la crise du libéralisme (Verts, FDP). La crise de légitimité du centre politique - en particulier en Allemagne de l’Est - signifie en outre que la CDU peut certes profiter conjoncturellement (en plus de l’AfD) de la faiblesse du gouvernement, mais qu’elle est elle aussi rejetée par une partie de plus en plus importante de la population en tant que « vieux parti ». Il est ainsi loin d’être acquis qu’un éventuel futur gouvernement CDU puisse miser sur une approbation fondamentalement plus stable que le gouvernement actuel.
Comment pouvons-nous cerner plus précisément ces tendances de crise ? Nous pouvons nous référer aux explications du révolutionnaire italien Antonio Gramsci. Gramsci part du principe que la domination dans la société bourgeoise est organisée au travers d’une combinaison - variable selon la situation sociale - de consensus (c’est-à-dire le consentement des dominés à la politique des dominants) et de coercition (c’est-à-dire l’imposition par la force des intérêts des dominants, selon des degrés divers de la violence). Parallèlement, les sociétés capitalistes sont intrinsèquement en crise mais la simple existence de crises ne suffit pas à déstabiliser fondamentalement la domination bourgeoise. Pour saisir les processus de crise dans leur diversité, Gramsci distingue les crises « conjoncturelles ou de circonstance » et les crises « organiques ». Les premières ne sont « pas d’une grande portée historique », leur maîtrise ne doit pas entraîner de changements structurels. Les crises organiques, en revanche, ne peuvent pas être efficacement résolues dans le cadre du mode de domination établi, car elles font apparaître des « contradictions irrémédiables » dans la structure de la société [1]. Bien sûr, ces distinctions ne sont pas absolues, il peut y avoir des formes et des tendances transitoires : une crise conjoncturelle peut par exemple se transformer en une crise organique selon son déroulement. Ce qui est clair pour Gramsci, c’est que si la crise « est structurelle et non conjoncturelle », elle « ne peut être surmontée que par la construction d’une nouvelle structure ». Ce que nous avons essayé de montrer, c’est que nous n’avons pas seulement affaire à une crise conjoncturelle, mais justement à une crise structurelle et fondamentale de l’impérialisme allemand.
A cette dimension structurelle s’ajoute cependant une composante subjective : une crise organique - que Gramsci appelle aussi « crise d’hégémonie » - se produit lorsque la « crise d’en haut » - crise du projet économique et politique de la classe dominante, conflits profonds entre les fractions de la classe dominante - se combine avec une « crise par en bas », où le consentement des dominés est remis en question. « À certain moment de leur vie historique, les groupes sociaux se détachent de leurs partis traditionnels, autrement dit les partis traditionnels, avec leurs formes données d’organisations, les hommes déterminés qui les constituent, les représentent et les dirigent ne sont plus reconnus par leur classe ou fraction de classe comme leur expression » [2]. « Les grandes masses [se sont] éloignées des idéologies traditionnelles » et ne croient plus « à ce en quoi elles croyaient auparavant ». Si un déplacement du rapport de force entre les classes, effectivement dangereux pour la domination bourgeoise, se produit en période de crise organique, la question est alors de savoir dans quelle mesure et quelles nouvelles forces apparaissent pour contester la domination des dominants actuels. Pour Gramsci, il y a crise d’hégémonie lorsque « la classe dirigeante a essuyé un échec dans l’une de ses grandes entreprises politiques, pour laquelle elle avait demandé ou imposé par la force le consentement des grandes masses (comme dans le cas de la guerre), soit parce que de grandes masses sont passées tout d’un coup de la passivité politique à une certaine activité et présentent des revendications qui, dans leur ensemble chaotique, constituent une révolution. On parle de “crise d’autorité”, et c’est cela précisément que la crise d’hégémonie ou crise de l’Etat dans son ensemble » [3]. Autrement dit, il ne s’agit pas seulement d’une crise du gouvernement actuel, mais des institutions de la démocratie bourgeoise dans son ensemble.
En reprenant ces notions, nous pouvons dire, en ce qui concerne la situation en Allemagne aujourd’hui, qu’il existe des tendances à une crise organique ou des tendances à une crise d’hégémonie. L’ancien projet de l’impérialisme allemand a échoué, tandis que la classe dirigeante n’a pas encore pu établir un nouveau projet (malgré toutes les tendances de « changement d’époque »). La légitimité des partis dominants est au plus bas, et de nouvelles forces, comme l’AfD, montent en puissance pour restructurer le régime à partir de la droite. On constate également d’autres signes d’usure dans d’autres institutions (comme la remise en cause de la légitimité de l’Office fédérale de protection de la Constitution par l’AfD, après que la Cour a placé le parti sous surveillance), mais chez les masses, la confiance dans ces institutions reste élevée (comme le montre par exemple la hausse de la participation aux élections régionales à l’Est). Malgré quelques éléments de lutte de classe, c’est la passivité des larges masses que l’on peine à dépasser. Certes, la « crise d’en haut » est accompagnée d’éléments de « crise d’en bas » dans une bien plus grande mesure que lors des décennies précédentes, mais cela ne suffit pas à rendre le régime ingouvernable dans son ensemble.
Dans les Länder est-allemands, les premiers signes d’une ingouvernabilité croissante apparaissent. C’est le résultat de l’incapacité de la bourgeoisie - due à sa myopie historique et à sa soif de profit - à établir un équilibre stable des rapports de classe. Elle a permis l’émergence de couches de population extrêmement précaires et dépendantes, qu’elle a exclues du consensus néolibéral, ce qui entre en conflit avec un développement « harmonieux » de la société. Des formations de coalition difficiles, voire impossibles, des gouvernements minoritaires faibles ou même des cabinets « technocratiques » et non partidaires pourraient affaiblir la force du régime de la RFA qui reposait sur son fédéralisme extrême et l’autonomie relative des Länder qui s’oppose à une centralisation bonapartiste plus marquée. Un problème se poserait surtout si l’instabilité dans certains Länder et l’affaiblissement des partis traditionnels se propageaient au niveau fédéral.
En particulier dans le contexte des tendances internationales qui continuent de s’aggraver et qui ont ouvert une crise de légitimité pour le gouvernement allemand, il est clair que tant que les relations de classe n’auront pas trouvé un nouvel équilibre, l’instabilité du régime et du système de partis persistera. Le virage à droite constitue ainsi une tentative pour remettre de l’ordre dans les relations de classes qui se sont disloquées, par des mesures disciplinaires, et de rééquilibrer la société. Face à l’érosion des promesses néolibérales de réussite individuelle et de consommation, les classes dominantes adoptent des mesures autoritaires et diffusent des idées réactionnaires, nationalistes, racistes et antiféministes, etc. En même temps, le virage à droite est l’expression d’un double mouvement.
D’une part, par « en haut », au niveau du gouvernement et des institutions du régime, nous pouvons constater des tendances à la bonapartisation, c’est-à-dire un usage étendu des moyens de coercition et des moyens de domination qui, en raison de l’affaiblissement du consensus des masses, passent outre les règles ordinaires de la démocratie parlementaire et des lois. Nous l’observons notamment avec la criminalisation du mouvement palestinien et les politiques xénophobes auxquelles s’ajoutent d’autres attaques qui devraient s’intensifier sous un futur gouvernement : attaques contre le droit de grève, les droits sociaux, les retraites, le temps de travail, coupes dans les services publics, privatisations (par exemple dans les chemins de fer), flexibilisation du marché du travail, renforcement de la police, de l’armée et de la politique aux frontières, attaques contre les filières de sciences humaines et « critiques », attaques contre la liberté d’expression et de la presse et le droit de réunion, affaiblissement du Parlement et du fédéralisme au profit d’une gouvernance centralisée, imposition plus agressive des intérêts allemands dans l’UE et dans le monde.
Une mise en œuvre à grande échelle de telles mesures implique nécessairement que certaines fractions du capital et de l’appareil d’État passent outre les intérêts des autres fractions. Cependant, nous devons garder à l’esprit que ces tendances à la transformation autoritaire de l’État ne sont que ce qu’elles sont : des tendances. Il n’est pas question de dire que l’État allemand est déjà devenu un régime bonapartiste. En dépit du fait qu’elles connaissent certains moments d’affaiblissement, les institutions de la démocratie parlementaire et le système judiciaire sont toujours relativement stable, même en comparaison avec d’autres pays impérialistes centraux comme les Etats-Unis ou la France.
Le glissement vers la droite s’exprime centralement dans la montée en puissance de l’AfD et d’autres forces d’extrême droite, qui participe à la fois du développement de la droite du régime en même temps qu’elle est dirigée contre lui (c’est-à-dire qu’il existe une dialectique entre des tendances à l’intégration au régime et des tendances à l’affrontement avec le régime au sein de l’AfD). On ne sait pas encore laquelle de ces tendances va s’imposer - une plus grande intégration de l’AfD à la manière du FPÖ ou de Meloni, ou une radicalisation des tendances fascistes au sein de l’AfD, avec un renforcement des mobilisations de droite et des liens avec le terrorisme de droite. Le plus grand obstacle à la première solution est actuellement l’attitude vis-à-vis de la Russie. Dans l’ordre mondial multipolaire, l’AfD veut que l’Allemagne retrouve une position indépendante dans le concert des puissances et, ce faisant, noue des relations avec la Russie, la Chine, l’Inde, tout en remettant en question le lien avec l’Ouest. Elle considère les Etats-Unis comme une « puissance étrangère à l’espace » (NdT. Un concept du juriste d’extrême-droite, Carl Schmitt, qui appelait ainsi les puissances qui interviennent sur un territoire dans lequel elles n’ont aucun ancrage traditionnel ou de légitimité politique). BSW a sur cette question des positions similaires, bien qu’issues d’autres traditions, à celles de l’ancien mouvement pacifiste. Est-il possible que certains secteurs du capital abandonnent le lien avec l’Ouest et aspirent à une orientation allemande indépendante dans l’ordre mondial multipolaire ? Tant que ce n’est pas le cas, une intégration complète de l’AfD (et, sous d’autres auspices, du BSW) dans le régime politique semble impossible. Néanmoins, les accords partiels se multiplieront. Les Länder de l’Est ne sont guère gouvernables sans l’aide de BSW, comme autrefois sans l’aide de Die Linke. Non seulement ils pourraient jouer un rôle politique similaire mais, en raison du passage d’une partie des forces militantes de Die Linke à BSW, certains postes sont occupés par les mêmes personnes, sur la base d’un programme désormais beaucoup plus à droite.
La transformation du système des partis peut, comme nous l’avons déjà mentionné, donner naissance à de nouveaux phénomènes : gouvernements minoritaires, gouvernements technocratiques, majorités changeantes, procédures d’interdiction, bidouillages parlementaires, politique passant outre le Parlement ou mettant le Parlement devant le fait accompli (cf. par exemple l’autorisation d’engagement pour l’armée allemande), ou application et blocage de mesures par les Cours constitutionnelles, etc. Les moyens que l’AfD utilise volontiers, comme le sabotage du débat parlementaire, pourraient s’introduire plus fortement dans la politique des autres partis s’ils le jugent utile, voir par exemple le putsch parlementaire de Kemmerich (FDP) en Thuringe en 2020, qui s’est fait élire brièvement ministre-président avec son parti à 5 % grâce aux voix de la CDU et de l’AfD. Parallèlement, il y a aussi une intégration et une collaboration partielles avec l’AfD.
Un futur gouvernement (éventuellement dirigé par Merz) aurait probablement une base sociale plus mince que sous Merkel, qui avait établi un large compromis entre toutes les fractions du capital et les syndicats. Plus mince même que le gouvernement actuel, qui s’appuyait sur les jeunes, les classes moyennes urbaines, les petits bourgeois et les fractions « vertes » du capital - mais qui a aussi perdu en partie la confiance de ces couches. L’arrivée de Merz au pouvoir pourrait signifier un gouvernement beaucoup plus direct du capital financier et des grandes entreprises. Il est considéré comme un extrémiste atlantiste. L’évolution des relations avec les États-Unis après les élections montrera toutefois dans quelle mesure cela se concrétisera. Malgré la nette avance de la CDU/CSU dans les sondages, nous ne devrions en aucun cas considérer que les élections déboucheront nécessairement sur un gouvernement de la CDU/CSU.
Cette situation ouvre justement de plus grandes fissures dans le système des partis et des tendances à une crise d’hégémonie à laquelle l’Union ne peut pas non plus échapper. Les problèmes qui sont apparus lors des élections régionales en Saxe, en Thuringe et dans le Brandebourg, à savoir la difficulté d’organiser des majorités sûres, pourraient également survenir sous une forme moins aiguë au niveau fédéral. Le problème n’est pas seulement le BSW et l’AfD, mais aussi le fait que les partis du centre ne parviennent pas à s’entendre. La raison pour laquelle Merz et Söder ne veulent pas former de coalition avec les Verts n’est pas seulement un slogan de comptoir mais exprime la tension entre les intérêts divergents de certaines fractions du capital, entre l’économie verte et une économie plus orientée vers les énergies fossiles. Merz veut préserver le moteur à combustion. Cette opposition n’est pas absolue et irréconciliable, elle est néanmoins le symptôme du grand problème de la coalition tricolore : la difficulté de trouver un compromis entre des conceptions inconciliables de la politique économique. Une nouvelle machine à compromis, une coalition noir-rouge-vert (CDU/CSU – SPD – Verts), par exemple, serait synonyme d’immobilisme, avec un gouvernement incapable de mettre réellement en œuvre des initiatives et des lois, par exemple parce que les partis de la coalition se bloquent mutuellement. L’alternative serait sans doute un gouvernement qui tenterait de compenser la faiblesse de sa base sociale réduite par un style de gouvernement autoritaire.
Possibilités de nouveaux phénomènes de masse
Nous constatons une crise du système politique qui s’exprime par la désorientation du régime et par le mécontentement d’une partie de la classe ouvrière et des masses, ce qui a favorisé la croissance de l’AfD et du BSW. Mais cela ne signifie pas encore une remise en question active du régime avec des phénomènes dynamiques dans la rue. Pour qu’il y ait une crise d’hégémonie à part entière, il faut que les crises d’en haut et d’en bas se rejoignent, ce qui n’est pas encore le cas. Mais les possibilités d’une telle jonction restent ouvertes et il est possible d’imaginer plusieurs scénarios de transition.
Nous avons assisté à un regain de la lutte des classes depuis les luttes défensives contre l’inflation. Il y a une agitation dans les secteurs lourds (industrie, ports, chemins de fer) qui se traduit par de grandes grèves, mais sous contrôle bureaucratique, qui se soldent par des négociations salariales aux résultats limités. Les négociations collectives 2022 dans la métallurgie et l’électricité se sont conclues par des augmentations en dessous du taux d’inflation. Dans les négociations collectives en cours, IG Metall demande 7 % pour un an, mais cela risque d’être difficile à mettre en œuvre compte tenu de la crise dans le secteur automobile.
Pour la première fois dans l’histoire du groupe, des fermetures d’usines pourraient avoir lieu chez VW, accompagnées du licenciement de milliers de salariés. Des économies ont déjà été réalisées ces dernières années, mais sans licenciements. Selon l’ampleur de ces licenciements, les mécanismes établis du pacte social, comme la cogestion et les plans sociaux, pourraient être remis en cause. Il est tout à fait dans l’intérêt de la bureaucratie de préserver les emplois chez VW. Le noyau dur des salariés de l’industrie automobile et les postes qui y sont liés au sein de l’entreprise et du conseil de surveillance constituent son soutien matériel. 35 % pour cent des membres d’IG Metall travaillent dans l’industrie automobile, à différents endroits de la filière.
Et c’est ainsi que le comité d’entreprise de VW a annoncé une « réaction historique ». Il est tout à fait possible qu’il y ait des grèves de plusieurs semaines chez VW. Mais la bureaucratie ne permettra en aucun cas une radicalisation qui pourrait lui faire perdre le contrôle de la lutte. Peu importe à quel point elle se montre combative, elle devrait finalement chercher des compromis, dans le cadre desquels elle offrira à une partie du personnel des indemnités de licenciement et des conventions collectives sociales, tout en sacrifiant une autre partie et en divisant ainsi les travailleurs.
Le conflit révèle deux problèmes stratégiques du mouvement ouvrier dans les secteurs industriels. L’un est programmatique, car la bureaucratie ne peut pas formuler de réponses allant au-delà de revendications défensives pour le maintien des emplois. La co-gestion par le biais des comités d’entreprise pour discuter de l’orientation des grandes industries a des limites étroites dans la phase de crise actuelle. Leurs propositions se limitent à des investissements dans les technologies écologiques pour accroître la compétitivité sur les marchés des voitures électriques. Mais cette question passe à côté du cœur du problème : l’impossibilité de sauver le modèle commercial allemand. La seule issue progressiste serait la nationalisation des moyens de production sous le contrôle des salariés et une économie socialiste planifiée sur la base de conseils ouvriers, qui procèderaient à une restructuration écologique du secteur des transports, des infrastructures, de l’énergie, de l’industrie lourde, etc. Mais la bureaucratie se subordonne à la politique du capital, jusqu’à sa politique étrangère impérialiste de conquête des marchés.
Le deuxième problème stratégique est le manque d’expérience en matière de lutte. Certes, les mouvements de grève dans la métallurgie sont les plus massifs du pays, mais ils sont plus que tout autre secteur sous le contrôle de la bureaucratie. Ils manquent complètement des instruments de radicalisation des luttes, d’un programme et de tactiques plus larges qui leur permettraient de gagner réellement – seuls le MLPD [4] ou des organisations staliniennes y interviennent mais avec des perspectives qui n’ont rien à voir avec la construction d’une véritable opposition antibureaucratique. L’expérience nécessaire pour combattre la mainmise des bureaucraties doit être apportée de l’extérieur, en lien avec des secteurs qui étaient déjà en lutte ces dernières années (par exemple le mouvement hospitalier, mais aussi les ports, bien que ceux-ci possèdent également de grandes limites).
Ces dernières années, les mouvements hospitaliers de Berlin et de Rhénanie-du-Nord-Westphalie en particulier étaient en première ligne de la lutte des classes. Cette dynamique s’est essoufflée, d’une part parce que la bureaucratie freine activement la poursuite du mouvement. D’autre part, le manque de personnel dans le secteur social a également des répercussions sur la combativité : il augmente certes le pouvoir de négociation, raison pour laquelle nous pourrions tout à fait assister à des luttes salariales acharnées, avec des revendications offensives comme dans la tentative des travailleurs hospitaliers de renégocier le TVÖD (Tarifvertrag für den öffentlichen Dienst), la convention salariale des employés des services publics, pour une augmentation de salaire de huit pour cent et une réduction du temps de travail. Mais les revendications structurelles pour plus de personnel ou la fin de la centralisation des hôpitaux sont d’autant plus difficiles à mettre en œuvre. Dans le secteur de la santé également, le mécontentement pourrait bénéficier au BSW et à l’AfD, avec leurs solutions réactionnaires face à la pénurie de main d’œuvre qualifiée et à l’immigration.
L’absence de toute perspective socialiste au niveau des masses fait apparaître les réponses de droite comme la seule issue possible. Le débat sur le maintien du moteur à combustion est à nouveau important. En revanche, la transformation écologique de l’industrie est perçue comme une menace par de nombreux travailleurs, qui l’associent aux Verts, qui sont détestés. Même si des grèves importantes devaient avoir lieu, cela ne signifie pas qu’elles expriment des revendications à gauche. BSW ou l’AfD pourraient tout à fait capitaliser politiquement sur les licenciements et les fermetures d’usines, quand bien même il y aurait des phénomènes de lutte plus importants.
Un regard sur la France le montre de manière claire, même si nous ne nous attendons pas à ce que des phénomènes de lutte des classes similaires se produisent prochainement en Allemagne. Pendant la réforme des retraites, les dockers du Havre ont joué un rôle important dans la contestation. Le pays a connu l’un de ses moments les plus progressistes lorsqu’ils ont défendu de manière militante leurs piquets de grève contre la police. Malgré cela, le Rassemblement national, parti d’extrême droite, a un électorat d’environ 30 % au Havre. Ce qui est particulièrement vrai au Havre peut également être observé dans le reste du pays : d’une part, une période de lutte des classes plus dure qui dure depuis des années, et d’autre part, une extrême droite forte. Il ne s’agit en aucun cas de deux pôles opposés, mais la remise en question du régime par le bas dans la lutte des classes se traduit de manière confuse sur le plan politique. Les manifestations des gilets jaunes de 2018 en sont un exemple : d’une part, elles ont mené une lutte acharnée contre le régime avec un contenu en partie anticapitaliste, mais en même temps elles n’ont pas suffi à saper l’influence de l’extrême-droite.
Compte tenu du fait que les bureaucraties des syndicats et de la gauche tentent de canaliser toute évolution vers la gauche, nous devons également nous attendre pour l’Allemagne à la possibilité que les phénomènes de lutte des classes ne s’expriment immédiatement sur un terrain progressiste. Ils peuvent aussi se manifester de manière très contradictoire et populiste. Les manifestations autour du Covid-19 en étaient déjà un exemple, avec des revendications en partie sociales. Mais les approches d’extrême droite et les idéologies conspirationnistes ont rapidement dominé. En fait, les protestations autour du Covid-19 et le rejet du régime qui y était associé, tout en recherchant des solutions de droite, ont été l’un des accélérateurs de la montée de l’AfD, qui a également entraîné une partie de la jeunesse.
Depuis la pandémie, nous constatons une augmentation des maladies psychiques, dont les jeunes souffrent particulièrement, et qui se sont également approfondies en raison des craintes pour l’avenir liées à l’insécurité sociale, à la catastrophe climatique et à la guerre. Selon l’étude Shell sur la jeunesse, les jeunes sont à nouveau un peu plus optimistes pour l’avenir. Cette affirmation doit être jugée avec prudence, ne serait-ce que parce que, selon cette même étude, 81 % des jeunes sont préoccupés par la guerre et 67 % par la situation économique. Néanmoins, les jeunes voient qu’ils sont dans une bonne situation pour trouver un emploi en raison de la pénurie de main-d’œuvre qualifiée. Selon Shell, ils sont plus intéressés par la politique qu’il y a quelques années, même si nous pouvons supposer (interprétation personnelle) qu’il existe un scepticisme vis-à-vis de la politique des partis. La politique est donc considérée (aussi et surtout chez les ouvriers) comme un domaine réservé aux fonctionnaires, avec laquelle ils n’ont rien à voir. Beaucoup pensent que l’engagement politique ne sert de toute façon à rien et l’ignorance totale avec laquelle la bourgeoisie a répondu aux revendications du mouvement climatique l’a d’ailleurs en partie confirmé. Au début du gouvernement tricolore, la jeunesse constituait sa base sociale, surtout dans les milieux urbains et académiques. Mais ces dernières années, un changement sensible s’est opéré : de plus en plus de jeunes se tournent vers des partis de droite comme l’AfD et la CDU. Cette évolution est particulièrement frappante chez les jeunes hommes des régions rurales et de l’Est.
Alors que pendant des années, la jeunesse se situait plutôt à gauche du centre, une polarisation inédite depuis longtemps s’est ouverte, un combat culturel. Des idées conservatrices sur la famille, le désir de revenir aux anciennes conditions, des images réactionnaires de la femme et la LGBTphobie. En outre, le racisme se développe et prospère sur les politiques migratoires qui sélectionnent les arrivants selon des critères d’utilité néolibérale, alors que l’antiracisme libéral est en partie perçu comme une politique des patrons et du régime. De l’autre côté, on assiste à l’émergence d’une jeunesse post-néolibérale qui s’engage pour la protection du climat et les droits queer avec une sensibilité à l’oppression et une solidarité pour la Palestine.
Le mouvement palestinien représente ici, malgré toutes ses contradictions, le scepticisme à l’égard du mouvement ouvrier par exemple, une contre-tendance au sens commun pessimiste. Même s’il est resté le phénomène d’une petite avant-garde dans les universités et de la jeunesse immigrée des grandes villes, on ne peut guère sous-estimer son importance qualitative. C’est le premier mouvement depuis de nombreuses années à être objectivement hostile à l’impérialisme. Les courants majoritaires placent certes leur espoir dans le droit international et dans des alliances peu critiques avec les directions petite-bourgeoises et nationalistes, mais la politique étrangère allemande, malgré son discours humanitaire, est perçue comme totalement hypocrite. La répression massive contre le mouvement sape à son tour la confiance dans l’État. Pour une analyse détaillée du mouvement palestinien, nous renvoyons à notre article sur le bilan et les perspectives. du mouvement.
Au-delà des perspectives conjoncturelles du mouvement, il importe surtout de constater qu’une avant-garde de la jeunesse s’est constituée, qui se sent rejetée par l’impérialisme. Des parties radicalisées du mouvement pour la justice climatique en font partie. La confrontation avec l’État est une expérience que personne n’enlèvera à ces parties de la jeunesse et qui constituera également le noyau de nouveaux phénomènes. Il est possible qu’une partie d’entre elles se tourne vers des idées révolutionnaires et cherche à faire le lien avec d’autres luttes. Nous voulons réaffirmer ici notre hypothèse selon laquelle la radicalité de la jeunesse et son attitude anti-impérialiste seront des facteurs centraux dans la lutte contre le conservatisme du mouvement ouvrier et les bureaucraties syndicales.
Nous pensons que le trotskysme ne pourra se rétablir en tant que force vivante que dans la confrontation avec les directions existantes. Le mouvement palestinien offre ici une expérience importante qui nous permet également d’entrer en discussion avec ses franges les plus progressistes afin de chercher à élargir le combat à d’autres secteurs, de généraliser la lutte contre la guerre, de contrer le glissement vers la droite et les coupes budgétaires et d’œuvrer à la renaissance d’une tradition révolutionnaire.
[1] Antonio Gramsci, Cahiers de Prison, Paris, Gallimard, 1978, C13, §17, pp. 376-377.
[2] C13, §23, p. 399.
[3] Ibid., p. 400.
[4] NdT. Le Marxistisch-Leninistische Partei Deutschlands (MLPD) est une organisation fondée en 1982, par des militants du KABD (Kommunistischer Arbeiterbund Deutschlands), un groupe maoïste. Il s’oppose au « révisionnisme soviétique » et aux politiques menées après la mort de Mao.