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    Cette jeunesse que le Front national n’effraie pas

    Lien publiée le 31 mai 2014

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    Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

    (Le Monde) Sur la carte de France, elles se situent aux extrémités d'une diagonale. A l'est, Reims, sous-préfecture de la Marne, 180 000 habitants, ville réputée bourgeoise, administrée par un maire UMP, Arnaud Robinet. Au sud-ouest, Auch, préfecture du Gers, un bastion traditionnel de la gauche : en mars, ses 22 000 habitants y ont réélu dès le premier tour le maire socialiste Franck Montaugé. Ni l'une ni l'autre, lors des élections européennes du 25 mai, n'a placé en tête le Front national, même s'il y a enregistré des scores élevés (23 % à Reims, 17 % à Auch).

    En allant à la rencontre d'une poignée de jeunes de ces deux villes, nous avons pourtant pu y mesurer l'indifférence face au scrutin, le rejet des politiques, l'imprégnation des discours par les thèses que défend Marine Le Pen. Et la tentation croissante de voter pour elle ou, à tout le moins, de la laisser s'imposer.

    Lire : Voter FN « comme au poker, pour voir »

    A deux pas de la gare de Reims, le lycée public Franklin-Roosevelt est un mastodonte de brique rouge. Imposant par sa capacité – 2 000 élèves – et son histoire. C'est là que fut signée la première partie de la capitulation de l'arméeallemande, le 7 mai 1945. Adossés aux grilles qui surplombent les quais, Nicolas et Dylan, tous deux 19 ans et en terminale professionnelle « traitement de surfaces », n'ont pas voté aux européennes. Le premier parce que « tous les candidats sont autant de menteurs », le second parce que « s'abstenir c'est une forme de rébellion », un « boycott » pour montrer qu'il n'a « plus confiance ».

    « C'EST AUX POLITIQUES D'ÊTRE CHOQUÉS »

    Le FN en tête des élections européennes n'est pas une surprise, encore moins un choc. « C'est aux politiques d'être choqués, pas à nous », explique Dylan, qui avoue pencher vers les extrêmes, « à gauche ou à droite », selon les circonstances. Alors donner sa voix au Front national un jour, pourquoi pas ? « Ce parti a peut-être plus d'idées que les autres pour sortir la France de la merde. »

    La « merde », c'est la crise qui rend les fins de mois de plus en plus difficiles pour leurs parents, assistante maternelle et ouvrier pour ceux de Nicolas, aide-soignante et convoyeur de fonds du côté de Dylan. « On se soucie trop des pays qui n'ont rien à faire en Europe car ils ne partagent pas les mêmes valeurs, la même culture, la Roumanie, la Lettonie, tous les pays de l'Est, quoi. »

    Lire les témoignages de participants à la marche contre le FN : « Je méprise ceux de mon âge qui ont abdiqué leur droit de vote »

    A 20 ans, Joris, lui aussi élève à Roosevelt en « prépa maths », s'intéresse « un minimum » à la politique. Il est allé voter, ne dira pas pour qui – « plutôt à droite ou au centre ». Pas pour Mme Le Pen en tout cas, même s'il la juge « un peu plus soft » que son père. Sur l'immigration, il n'est pas d'accord avec le FN. « Le problème, ce n'est pas d'empêcher les étrangers de venir, mais plutôt de sanctionner ceux qui profitent du système, en leur enlevant leur naturalisation, par exemple. » En revanche, sur l'Europe, le Front national « n'a pas tort » à ses yeux : « Il fautréduire l'Europe aux pays qui méritent vraiment. »

    Rue de Trianon, à la sortie de la mission locale pour l'emploi, le sujet électoral ne passionne pas N'Diaye, 20 ans, qui vient de terminer un stage de cuisinier et espère en trouver un autre. « J'irai voter un jour », assure ce Français originaire de Côte d'Ivoire. Sophie, elle, est venue directement proposer ses services à la mission locale. Sans emploi depuis quatre mois, la jeune trentenaire se verrait bien travailler dans l'insertion. Plutôt « écolo », elle a donné sa voix dimanche au parti Nouvelle Donne, « le seul à proposer des choses concrètes ». Elle ne votera jamais FN, c'est évident, mais ne s'inquiète pas pour autant d'une Marine Le Pen présidente de la République. « De toute façon, si elle passait, pas plus que les autres elle ne pourrait faire ce qu'elle promet. »

    « SI T'ES PAS PISTONNÉE, T'AS RIEN »

    Les panneaux d'affichage pour la campagne des européennes s'abîment déjà au bord de la N124, près d'Auch, dans le Gers.

    A l'autre bout de la France, Auch, et des jeunes qui n'ont plus ces hésitations. « Ah oui, ça, je suis bien contente ! » D'une traite, comme elle dirait un soulagement, Laura répond, à la sortie de l'agence Pôle emploi, dans un quartier excentré, entre stade et supermarché Aldi. Elle est au courant du résultat du FN aux européennes. Et franchement s'en réjouit, quand bien même elle n'a pas voté. En legging et tongs de jour sans travail, elle déroule en quelques phrases son existence de jeune femme de 21 ans « un peu oubliée ».

    Les week-ends à cuire des frites, dès 18 ans, histoire d'aider les parents qui ne s'en sortent pas. Un BTS de commerce. Mais pas mieux ensuite qu'un boulot d'hôtesse de caisse chez Lidl, où « les gens vous regardent comme une bonne à rien »« Ça sert à rien de se trouer le cul à faire des études. Si t'es pas pistonnée, t'as rien. » Pas davantage que 100 heures de travail par mois, et un salaire de 1 000 euros qui s'envole en loyer, essence, crédit auto, « trucs Internet et courses ». « J'ai eu ma paie aujourd'hui. Mais sur mon compte, y a déjà plus que 400 euros. »

    Lire la tribune : La jeunesse mérite mieux que le Front national

    Son compagnon a par bonheur décroché un CDI chez McDo, et donc, par malheur, fait sauter l'APL qui leur était versée pour le loyer. « On s'en sort pas. On en a marre que toutes les aides aillent aux gens qui ne sont pas forcément français. J'ai vu un reportage sur W9, ça m'a scandalisée de voir qu'on donnait de l'argent aux Roumains pour qu'ils rentrent chez eux ! On commence à devenirracistes. » Aux prochaines présidentielles, Laura votera, et ce sera pour Marine Le Pen.

    « C'EST UN PEU TOUJOURS LES MÊMES »

    Jérémy, 22 ans, a sauté le pas dès les élections européennes. Lui aussi arrive, démarche lasse, pochette plastifiée sous le bras, à Pôle emploi. « Des rigolos. En un an, j'ai dû avoir un rendez-vous. Ils ne se préoccupent pas de nous. Hollande, il n'a pas la notion de la catastrophe qu'on vit. » « Marine », elle, se préoccupe des jeunes en galère, croit-il.

    Un an qu'il tente de convertir son CAP de bûcheron en emploi susceptible de l'extirper de chez ses parents et d'un quotidien sans avenir« Mais les patrons disent qu'ils sont trop taxés. En apprentissage, j'ai bien vu : ils prennent cinq Marocains, payés 900 euros. Ils en déclarent un, au cas où il y aurait un accident. » En 2013, Jérémy trouvait encore des missions en intérim. Cette année, même plus. Ses 900 euros de chômage s'arrêtent dans deux mois. « Y a de quoi péterun plomb », avertit le jeune homme, fronçant ses sourcils piercés.

    Sortant d'un restaurant à kebabs du centre-ville, Mathieu et Julien, la vingtaine à peine entamée, espèrent que l'école de commerce qu'ils s'apprêtent à intégrer, après leur BTS de commerce, leur permettra de trouver mieux qu'un emploi sous-payé au porte-à-porte. Ils ont voté, préférant Nicolas Dupont-Aignan ou l'UMP à Marine Le Pen. Ils ont « des valeurs », savent que « la France ne peut pas devenirun village gaulois ». Mais comprennent tout de même que certains amis de leur âge, « pas des fachos », aient été séduits par le FN.

    Trop d'assistés qui ne font rien de leur vie. Trop de récidivistes ressortant du commissariat à peine arrêtés. Trop de magouilles dans tous les partis, même à l'UMP. De villages dont les supérettes ferment… Et ces trois jeunes, récemment poignardés au sortir d'une boîte de nuit ? « Quand il arrive des histoires, c'est un peu toujours les mêmes personnes… Alors le raccourci est vite fait. » Eux, pour l'instant, essaient de ne « pas tomber dedans ». A les entendre peser chaque mot, on mesure leur lutte.

    Lire : Ces intellectuels qui dédiabolisent le FN